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Full text of "La science du gouvernement, ouvrage de morale, de droit et de politique, qui contient les principes du commandement & de l'obéissance; où l'on réduit toutes les matieres de gouvernement en une corps unique, entier dans chacune de ses parties; & où l'on explique les droits & les devoirs des souverains ceux des sujets, ceux de tous les hommes, en quelque situation qu'ils se trouvent"

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lA  SCIENGE 

DU 

GOUVERNEMENT, 

TéME     PREMIER. 


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]V03f5  DES  ÏJJSRMREsàS'SOCÏJ^ 


.   /'DESAIJSTt  &  SAILLANT.,  rue  Saint  Jean-de-Beàiv^^ 

V  J  E  A  N  -  T  H  9  M  A  s  H  E  R I  sis  A  îï  T ,  rue  Saint  Jacques.        V.J 

_      )  S  A  V  P  Y  ï  J:Xùe  Saint  Jacqyçs.  . .  f  ( 

Chez/  •  *  - •*  :i  ■  \ 

JBAUÇH.E, Quai  des  Auguilim,  i 

y  SI MON^Impriméur  du. parlement,  rue  d^jà  Harpe. 

L  D  U  R  A  N  D  ,  rue  du  Fôin-Saint  Jacques 


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LA  SCIENCE 

D  U 

GOUVERNEMENT, 

Par  M.  DE  RE  A  If,  Grand  Sénéchal  de  Forcalquier^ 

TOME    PREMIER, 

CONTENANT     UINTRODU  CTION: 

Ouvrage  de  Morale,  de  Droit  et  de  Politique^ 
qui  contient  les  principes  du  Commandement  &  de  l^Obéiffance  ;  où  Pon 
réduit  toutes  les  matières  de  Gouvernement  en  un  corps  unique ,  entier 
dans  chacune  de  fes  parties  ;  &  où  Ton  explique  les  droits  &  les  devoirs 
des  Souverains,  ceux  des  Sujets ,  ceux  de  tous  les  Hommes,  en  quelque 
fituation  qu'ils  fe  trouvent, 

Deum  timeu  ;   Rcgcm   honorificatt.   Petr.    Epift.  I.    Chap.  IL  "jt^.   17. 


A    PARIS, 

CHEZ   LES  LIBRAIRES  ASSOCIÉS. 


M.    D  C  C.    L  X  I  I. 

^rE€  APPROBATION  ET  PRiriLECE  DU  ROI, 


DES     SOMMAIRES.  « 

Les  Grecs  ont  été  les  Difciples  de  ces  trois  Peuples. 

Les  Romains  &  les  autres  Peuples  de  P Europe  ont  été  les 
Difciples  des  Grecs  ,  &  les  Peuples  modernes  le  font  des 
Grecs  &  des  Romains.  179 

SECTION    I  I  I. 

Des  Légiflateurs  &  du  Gouvernement  des  Egyptiens. 

Le  Royaume  d^ Egypte  fondé ^  Conquérans  partagés  y  fournis  & 
détruits.  ij^ 

Quel  en  étoit  le  Gouvernement.  181 

Les  bienfaits  &  la  recofinoiffance  étoient  des  vertus  en  hon^ 
neur  parmi  les  Egyptiens. 

Jugement  que  fubifjoit  la  mémoire  des  morts  ,  &  même  celle  des 
Rois.  182 

SECTION      IV. 

Des  Légiflateurs  &  du  Gouvernement  des  Grecs. 

Fondations  des  Républiques  de  la  Grèce  y  &  caufes  de  leur  élé- 
vation &  de  leur  décadence.  1 84 

Confeil  fupréme  de  la  Grèce  appelle  les  Amphy6tions.  187 

Jeux   Olympiques. 

Confédération  particulière  des  Achéens.  1 9 1 

J\dinos  Légiflateur  de  Crete^  Il  cuété  le pLus  juflc  des  Rois. 

Ses  Loix.  19  j 

Education  militaire  que  les  enfans  recevoient  en  Crète.        196 

Communauté  des  repas.  1 97 

Vénération  que  Minos  infpiroit  pour  les  Coutumes  &  les  Loix  , 
pour  les  Magiflrats  &  les  perfonnes  âgées.  i  c;8 

Proportion  exacte  entre  les  fonds  de  terre  ,  &  les  Habit  ans  qui 
en  étoient  les  poffeffeurs.  19^ 

Le  Gouvernement  de  Crète  ,  d'abord  Monarchique  y  devint  Ré^ 
publiquain. 

Les  Efclaves  de  Crète  étoient  traités  avec  bonté. 

Durée  ^  corruption  &  fin  du  Gouvernement  de  Crète.  20O 

b 


X  TABLE 

Du  Gouvernement  abfolu  des  Rois  de  Sparte  jufqti au  tems  de 

Lycurgue. 
'Forme  de  Govemement  que  Lycurgue  établit.  %o  i 

Deux  Rois.  101 

Un  Confeil  de  Gérontes. 
Le  Peuple. 

Etahliffement  du  Confeil  des  Ephores.  203 

Attachement  extrême  des  Spartiates  pour  les  Loix»  204 

Partage  égal  des  biens. 

Loi  qui  défendait  l'entrée  du  pays  aux  étrangers .  206 

Décri  de  l'or  &  de  Cargerit.  207 

Repas  en  commun.  208 

Style  laconique, 
pètes  des  Laccdémoniens. 

Police  de  leurs  mariages  ^  &  communauté  de  leurs  femmes.  209 
Education  de  leurs  enfans.  i\o 

Les  Lacédémoniens  rieflimoient  que  les  Sciences  qui  formaient 

aux  bonnes  mœurs  y  &  qui  donnaient  à  leur  République  des 

Magiflrats  ,  des  Guerriers  y  des  Politiques.  2 1 1 

Travaux  &  rigoureux  efclavage  des  Hilotes.  212 

Occupations  guerrières  des  Lacédémoniens  y  &  leur  manière  de 

faire  la  guerre.  ^  ^  3 

Le  Gouvernement  de  Lacédémone  a  donné  en  tout  genre  des 

exemples fingulicrs ,  6*  il  était  très^défeSueux.  214 

Fin  du   Gouvernement  ^  qui  fubfîfle  néanmoins  encore  dans  les 

Mainates.  216 

Athènes  eut  différentes  formes  de  Gouvernement ,  &  effuya  di- 

verfes  révolutions  ,  jufqiiau  tems  où  elle  fut  réduite  en  Pra-- 

yince  Romaine.  217 

Des  Rais  d^ Athènes.  218 

Des  Arékontes. 

De  t Aréopage  &  des  autres  Tribunaux  cT Athènes.  219 

Dracon  y  Légiflateur  d! Athènes.  221 

Salon  y  Légiflateur  S  Athènes. 
Salon  y  fait  acquitter  les  dettes  ^  &  ne  veut  pas  quon  puiffe  dé-- 


D  E  s     s  O  M  M  A  I  R  E  s.  x) 

formais  engager  fa  liberté  en  empruntant.  m 

Ilfupprime  les  Loix  de  Dracon  &  en  fait  de  nouvelles,         223 
Il  pourvoit  à  r  éducation  des  enfans  :  il  fait  les  fpeclacles  à  rin-- 

flru3ion  des  Athéniens. 
Il  va  voyager^  &  de  retour  defes  voyages  ^  il  fe  home  à préfîder 

à  P Aréopage  &  à  expliquer  fes  Loix.  224 

Sénat  compofé  de  cinq  cens  Sénateurs ,  tirés  des  dix  Tributs  £A^ 

thenes.  22  j 

Aff emblée  du  Peuple  où  réfidoit  la  Souveraineté.  226 

Le  Gouvernement  d! Athènes  étoit  vicieux.  228 

Des  Sages  de  la  Grèce  qui  en  ont  gouverné  les  Etats  y  des  Phi^ 

lofophes  politiques  ^  &  de  quelques  autres  ou  Légiflateurs  ou 

Ecrivains  Grecs.  230 

Gouvernement  de  la  grande  Grèce. 

Ses  principaux  Etats  ^  Crotonc  ,  Syharis  ,  Thurium.  231! 

Charondas  Légiflateur  à  Thurium  :  fes  Loix.  23  j= 

Zaleucus  ^  autre  Légiflateur  de  la  grande  Grèce  :  fes  Loix.  237. 
De  rOflracifme  établi  à  Athènes  &  à  Ephéfe^  &  duPetatifme  en 

ufage  à  Syracufe.  240 

De  r  Autonomie  de  quelques  Peuples  ou  Villes  fous  la  domina^ 

lion  des  Grecs  &  des  Romains.  24  J 

S  E  C  T  I  O  N    V. 

Du  Gouvernement  des  Carthaginois. 
Fondation  du  Royaume  de  Carthage ,  converti  en  une  RépublU 

que  après  la  mort  de  Didon  qui  en  fut  la  Fondatrice.  248 
Forme  de  la  République  de  Carthage. 

Autorité  des  Suffetes.  249 
Autorité  du  Sénat 

Autorité  du  Peuple.  25a 

Comment  les  emplois  s  y  diflrïbuoient.  2  j  i 

Police  Militaire.  2  j  2 
Colonies  que  les  Carthaginois  envoyent  en  divers  lieux. 

Union  étroite  des  Carthaginois  &  des  Phéniciens.  253 
Les  Lettres  tiétoient  pas  cultivées  à  Carthage  ,  &  les  Carthagi^ 


xi]  TABLE 

nols  et  oient  vicieux  &  barbares.  i  j^ 
Conquêtes  &  accroijfemens  de  cette  République. 

Les  trois  premiers  Traités  entre  Carthage  &  Rome.  2  j6 

Première  Guerre  Punique  &  première  paix.  259 

Seconde  Guerre  Punique  &  féconde  paix.  260 

Troijîéme  Guerre  Punique  &  ruine  de  Carthage.  i6i 
Caujes  de  rajfujettijjement  de  la  République  de  Carthage  à  celle 

de  Rome.  263 

SECTION    VI. 

Du  Gouvernement  des  Romains. 

Fondation  de  Rome  ^  Royaitme^  République  ,  Empire  &  forme 

de  fon  Gouvernement.  268 

Caufes  de  la  grandeur  dé  la  République.  270 

Caufes  de  la  décadence  de  la  République.  28  j 

Caufes  de  la  décadence  de  F  Empire.  287 

Conjîdérations  fur  Padminiflration  des  finances  des  Romains , 

fîur  celle  de  butin  quils  faif oient  &  des  contributions  quils 

levoient.  291 

CHAPITRE    III. 

Pes  diverfes  formes  de  Gouvernement  qu'il  y  a  préfentement 
dans  le  monde ,  confîderées  en  général. 

SECTION   PREMIERE. 

Carafteres  du  Defpotifme  ,  du  Gouvernement  abfolu ,  &  du 

pouvoir  limité. 

La  Souveraineté  doit  être  confiderée  dans  trois  points  de  vue. 

Pouvoir  arbitraire  ou  defpo tique.  298 

Pouvoir  abfolu.  3  04 

Pouvoir  tempéré»  307 

4  •  •♦ 


DES     SOMMAIRES-  xlij 

SECTION    IL 

Des  Gouvememens  tant  réguliers  qu  irréguliers. 

Différentes  idées  des  Légijlateurs  fur  les  formes  de  Gouverne^ 

ment.  308 

Du  Gouvernement  Monarchique.  309 

Du  Gouvernement  Ariflocratique. 

Du  Gouvernement  Démocratique.  310 

Toutes  les  formes  de  Gouvernement  fe  rapportent  à  ces  trois  là} 

&  ces  trois  formes  font  régulières.  311 

Gouvernement  compofé.  3 1  z 

Gouvernement  régulier. 

Gouvernement  irrégulier.  314 

Réfutation  de  CopirUon  qui  admet  d^ autres  formes  de  Gouver^ 

nement.  3 1 5 
SECTION    1 1 1. 

Des  défeuts  de  tous  les  Gouvememens. 

Ce  qttily  a  de  défectueux  dans  un  Gouvernement ,  efl  plus  aifi 
à  remarquer  que  ce  que  ce  même  Gouvernement  a  (Tavanta^ 
geux  ;  Ù  cefl  prefque  toujours  lapaffîon  qui  dicte  les  termes 
qiCon  employé  cancre  la  forme  du  Gouvernement  &  contra 
ceux  qui  gouvernent.  3  20 

Les  défauts  dans  le  Gouvernement  viennent  ou  du  Gouvernement  j 
ou  des  perfonnes  qui  gouvernent ,  ou  de  celles  qui  font  gou-- 
vemées.  322 

Toutes  les  conflitutions  JtEtat  ont  leurs  défauts. 
Défauts  de  la  Monarchie  abfolue.  3  27 

Défauts  de  la  Monarcfùe  limitée.  328 

Défauts  du  Gouvernement  Ariflocratique.  329 

Défaiitô  du  Gouvernent  Démocratique.  3J1 

Défauts  du  Gouvernement  compofé. 
Défauts  des  GauycmenieiuJrrés^lierSy      ^  335 


x\y        TABLE   DES    S  O  M  M  A  I  R  E  S- 
S  E  C  T  I  O  N    I  V. 

Quelle  eft  la  meilleure  forme  de  Gouvernement. 

Difficultés  à  bien  réfoudre  cette  queflion.  3  3,9 

Ce  que  cejl  que  la  liberté  ;  il  nefçauroit  y  en  avoir  ,  ou  il  ny  a 

pas  de  raifon ,  &  cejl  fe  tromper  que  de  croire   quon  nejè 

point  libre  fous  un  Gouvernement.  3  40 

Confidérations  fur  la  liberté  tant  vantée  des  anciennes  &  desnou^ 

velles  Républiques.  3  44 

On  riefl pas  moins  libre  dans  une  Monarchie  que  dans  une  Ré* 

publique.  348 

Dans  quels  fens  les  Républiques  font  appellées  des  Etats  libres. 
La  tyrannie  efl  tout  aiijfi  à  craindre  dans  les  Républiques  que 

dans  les  Monarchies.  3  ç  j 

Le  Gouvernement  Monarchique  ,  à  ne  parler  quen  général  y  ejl 

préférable  aux  autresjormes  de  Gouvernement 
Les  mœurs  ,  les  habitans  ,  leur  petit  nombre  ,  la  fituation  du 

Pays  peuvent  demander  une  autre  forme  de  Gouvernement.  366 
La  Monarchie  héréditaire  doit  être  préférée  à  PéleSive.  3  6^ 

La  Monarchie  purement  héréditaire  doit  être  préférée  à  celle  oà 

téleSion  &  le  droit  du  fang  doivent  concourir. 
La  Monarchie  abfolue  doit  être  préférée  à  la  tempérée.         374 
Ze  Gouvernement  des  hommes  doit  être  préféré  à  celui  desfem" 

mes.  jjj 

Uindivijibilité  des  Monarchies  efl  auffi  utile  aux  Etats  que  la 

trop  grande  inégalité  des  fortunes  particulières  leur  efl  nui-* 

fible.  384 

La  forme  du  Gouvernent  importe  peu  aux  particuliers  ,  pris 

féparément.   Le  feul  intérêt  quils  ayent^  cefl  que   cette  for^ 

me  telle  quelle  efl  y  foit  refpeSée.    Sous  quelque   Gouverr 

nement  que  Con  vive ,  il  faut  obferver  les  Loix.  3  8ç^ 

D^^^  approuve  toutes  les  Conflitutions  d^Etat  ,  quelle  que  foit 

la  Religion  quon  profeffe  y    &  de  quelque  manière  que  U 

Gouvernement  ait  été  établi.  3  qq 


TABLE 

DES     SOMMAIRES. 


/ 


Mp  ORTANCE  de  r Education  des  Princes.  Pages  j 

Cériejlpas  ajfe:^  de  les  bien  élever  comme  hommes  ^  il  ejl  nécef- 
faire  de  leur  enfeigner  ce  quils  doiverufçavoir  comme  Princes, 
&  de  leur  donner  toutes  les  connoijfances  qui  ont  rapport  au 
Gouvememeru.  \\ 

Opinions  des  Anciens  &  des  Modernes  à  ce  fujet.  v 

Ufages  des  Peuples^  vj 

Exemples  des  Rois.  ix 

autorité  de  la  raifonpour  établir  la  nécejfué  £  étudier  la  Science 
du  Gouvernement.  xj 

L* étude  de  diverses  parties  de  cette  Science  ejl  nécejfairé  aux  Sur- 
jets comme  aux  Princes.  xiv 
Cette  Science  ejl  négligée  dans  quelques  Pays  y   elle  Pefl  princi'^ 
paiement  dans  les  Etats  Monarchiques  y  &  cette  nédigence  e(l 
portée  en  France  plus  loin  que  par^-tout  ailleurs.                 xvj 
l^e  moyen  défaire  cejfer  cette  négligence  ,  cejl  de  rajfembler  & 
de  perfectionner  les  conn^oijfances  néceffaires  pour  gouverner,  xx) 
Comment  le  projet  de  réduire  toutes  les  matières  de  Gouverne^ 
ment  en  unfeul  corps  de  Science  a  été  exécutée                xxiijj 


« 


TABLE 


L 


D ÈE générale  de  la  Science  du  Gouvernement.^ 
Ce  que  cejl  que  le  Gouvernements 

Les  hommes  étoient  nés  pour  vivre  enfociétéy  &  ils  y  ont  vécu,  i 

Formation  des  Sociétés  civiles  ;  variété  prodigieufe  de  conditions  y 

&  commumcation  de  ces  Sociétés  entr  elles.  y 

Nous  fommes  obligés  d'être  équitables  ^  &  de  nous  rendre  des 

fervices  réciproques. 
Chaque  Particulier  y.  chaque  condition  ,  chaque  corps  a  des  dc^ 
voirs  à  remplir..  ç 

Les  dlfférens  devoirs  tendent  à  la  même  fin  y  ^  font  réunis  parle 
principe  unique  de  lajufiice  &  de  F  amour  de  l^  ordre.  y 

Les  Loix  qui  ont  pour  objet  de  conferver  ou  de  rétablir  F  ordre 
parmi  les  hommes  ,  contiennent  les  re^es  de  notre  conduite  j. 
combien  il  y  a  de  fortes  de  Loix.-  S^ 

Ce  que  les  Loix  empruntent  de  la  Philo fophie.  ^ 

Ce  que  cefl  que  le  Droit  ;  il  efi  écrit  ou  non  écrit  ;  caraSere  & 
différence  de  Hun  &  de  C autre..  lO 

Ce  que  cefl  que  la  Juflice.  i  \ 

Ce  que  cefl  que  la  Jurifprudence.  i r 

C£fl  à  la  Politique  ,  maitreffe  de  toutes  les  Sciences  &  de  tous 
les  Arts  y  à  rendre  utiles  les  Lobe.  i  \ 

De  la  connoiffance  des  Loix  &  de  la  Politiquefe  forme  la  Science 

du  Gouvernement.. 
Enumération  de  cinq  diverfes  Sciences  y  dont  Paffemblage  forme 
la  Science  du  Gouvernements  1 4. 

Le  Droit  naturel..  r6* 

Le  Droit  Public.  lift' 

Le  Droit  Eccléfiafiique:,.  l,t 

Le  Droit  des  Gens..  %i\ 

La  Politique..  %  y 

M  faut  connoitre  les  difiinclioîis  quiféparent  les  divers  Droits^  &' 
Us.  rapports  qui  les  uniffent..  ,  aâp 


V 


DES     S  O  M  M  A  I  R  E  S,  iq 

Dans  toppojition  apparente  de  diverfes  Loixi  &  dans  le  Jilence 
des  Loix  civiles ,  on  doicfe  déterminer  par  des  raifonnemetu 
tirés  de  Péqtdté  naturelle.  xy 

JLe  Droit  Naturel  efi  le  fondement  de  tous  les  autres  Droits.  28 

Le  Droit  Public  efi  fondé  fur  le  Droit  Naturel  quil  explique^ 
dont  il  fait  l'application ,  &  quil  refiraintfans  le  combattre.  3  o 

Le  Droit  Eccléjîafiique  tire  fan  origine  du  Droit  naturel.        3  ^ 

Le  Droit  des  Gens  a  auffi  fa  fource  dans  le  Droit  Naturel. 

Divifion  des  fept  Parties  dans  lef quelles  U Auteur  a  renfermé 
toutes  les  parties  du  Gouvernement.  36 

Première  Partie»  JntroduSion  à  la  Science  du  Qou-- 
vemement^  37 

Partie  II.  Traité  du  Droit  NatureL 

P  A  R  T I E  m.  Traité  du  Droit  Public.  3  % 

Partie  IV-  Traité  du  Droit  Eccléfiafiique^  3  9 

P  A  R  T I E  V.  Traité  du  Droit  des  Gens. 

PaRTIEVI.  Traité  de  la  Politique. 

Partie  VIL  Examen  des  principaux  Ouvrages  compofés 
fur  les  matières  de  Gouvernements  40 

INTRODUCTION- 

CHAPITRE      PREMIER, 

Formation  &  avantages  des  Sociétés  civiles. 

De  Porigine  des  hommes  ;  des  fignes  quils  ont  eus  ;  des  langues 
quils  ont  parlées  ^  &  comment  ils  ont  peuplé  la  terre.  4% 

Droit  primitif  commun  à  tous  les  hommes  fur  toutes  les  chofes 
de  la  terre  ;  &  manière  dont  les  hommes  vécurent.  44 

Changemens  dans  la  manière  de  vivre  qui  donna  lieu  à  la  difiin^ 
Stion  des  domaines  ,  &  par  conféquetit  au  droit  de  propriété  $ 
&  comment  fefit  t  occupation  primitive.  46 

Xa  difiinâion  des  Domaines  a  été  indifpenfable ,  &  elle  efi  très-^ 
utUe.  47 

au 


îv  TABLE 

Bûmes  appofées  à  chaque  Domaine  particulier • 

De  cette  diJlinSion  des  Domaines  efi  né  Pufage  des  conventions  s 
il  y  en  a  de  différentes  efpeces  s  &  combien  elles  doivent  être  ' 
inviolables^  jq 

SECTION    IL 

Néceffité ,  caufes ,  tems  &  manières  de  la  formation  des  pre- 
mières Sociétés  civiles* 

Les  conventions  feules  nauroient  pu  établir  le  repos  des  Socié^ 
tés  ;  &  le  repos  a  un  fondement  folide  dans  le  Gouvernement 
civil.  5 1 

Deux  caufes  de  la  formation  des  Sociétés  civiles,  i^»  Le  befoin 
que  chaque  homme  a  eu  d^une  fureté  contre  l'injuJHce  des  au-» 
très  hommes,  i^.  La  force  jointe  dans  quelques-uns  S  entre 
eux  à  l'ambition*  j  j 

Tems  où  le  Gouvernement  civil  a  été  formé.  6i  ' 

L'Empire  paternel  efl  le  premier  auquel  les  hommes  ont  été 
foumis. 

Des  petits  Royaumes  furent  établis  par  le  confentement  des 
Peuples  }  &  les  forts  furent  les  premiers  élevés  à  la  Souve^* 
raineté.  67 

//  s* établit  d^ autres  Royaumes  plus  co'nfddrahlés  par  la  voie  des 
Conquêtes.  .     •  70 

J'ous  les  Gouv'ememens  ont  commencé  par  le  Monarchique  ^  il  y 
a  eu  d^affe:^  bonne  heure  des  efpeces  de  Républiques  y  mais  ce 

*  nefè  que  Pabus  de  t autorité  Monarchique  qui  a  donné  lieu  à 
r établiffemènt  des  vraies  Républiques.  7  j 

C efl  par  la  voie  des  Conquêtes  que  les  quatre  grands  Empires 
fe  formèrent  &  fe  fuccederent  y  que  fur  les  débris  du  dernier 
de  ces  grands  Empires  ont  été  fondées  les  grandes  Monar-^ 
chies  que  nous  voyons  en  Europe  ,  en  Afie  &  en  Afrique  ^  & 
que  le  nouveau  mçndfi,  à  été  foumis  à  l^ ancien^  76 


DES     SOMMAIRES;  ^ 

SECTION    II L 

Àfts  qui  ont  précédé,  accompagné  ,  ou  fuivi  le  Gouverne^ 

ment  civil. 

La  difiinâion  du  mien  &  du  tien  a  rendu  nécejfairc  téchangê 
des  denrées.  fS 

L^or  &  l'argent  ont  facilité  les  échanges  &  en  ont  tenu  lieu. 

Le  crédit  multiplie  Por  &  r argent  qui  font  repréf entés  par  des 
écrits ,  ù  il  y  a  des  richejjes  réelles  &  des  richejfes  Jtopi^ 
mon.  79 

Des  Arts  en  général.  80 

An  de  1^ Agriculture  :  comment  inventé  d^ abord  &  perfectionné 
depuis.  81 

Art  de  r ArchiteBure  :  comment  inventé  d'abord  y  .&  perfeSionné 
depuis. 

Art  de  la  Navigation  :  comment  inventé  d'abord  &  perfeSionné 
depuis.  8j^ 

S  E  C  T  I  ON    IV. 

Multitude  de  Loix,  d'ufages  &  de  Droits  chez  toutes  les  Na-» 
tions  ;  inégalité  dans  les  conditions  des  hommes,  &  biens 
que  leur  procure  le  Gouvernement  civil. 

Quelles  font  les  Loix  les  plus  célèbres  de  t antiquité  &  les  plus 
fameufes  desfiécles  moins  reculés.  88 

Les  divers  peuples  nont  eu  ni  les  mêmes  occupations  ,  ni  les 
mêmes  mceurs  ,•  Ù  cejl  de  la  diverfté  des  inclinations  des 
hommes  &  des  fréquentes  révolutions  arrivées  dans  le  monde 
Politique  ,  quejl  venue  la  diverjîté  des  Loix  civiles ,  quifor^ 
ment  aujourd'hui  un  affemblage  irrégulier  prefque  dans  tous 
les  Etats.  ^Q 

"  Hijloirt  du  Droit  Romain  &  du  Droit  François^  ^%, 


VI  TABLE 

Multiplicité  étonnante  &  nuifiblt  des  Loix  dans  la  Jurifprw- 

dence  Romaine^ 
Rome  naîjfante  litut  i autre  règle  que  la  volonté  defés  Rois. 

Droit  Papirien  fous  les  Rois  de  Rome.  ^g 

La  République  Romaine  qui  fait  d'abord  les  Loix  des  dou:^e 

Tables ,  les  explique  enfuite  &  les  étend. 
Conjlitutions  des  Empereurs    {fous  le  nom  de  Plébifcites  &  de 

Senatus^Confultes^  &  Livres  des  JurifconfultJ^s  Romains. 

99 

Code  Grégorien  &  Code  Hermogenieru 

Code  Theodofîen  &  Code  JtAlariCm  \  oo 

Code  &  Digefle  par  excellence.  i  o  i 

JnJHtutes  &  NovellesM  102 

Au  bout  de  trois  Jîécles  les  BajUiques  furent  fubflituées  au 

Droit  de  Juflinien  dans  t  Orient  ^  &  le  Droit  de  Jujlinien 

devint  celui  de  la  plupart  des  Nations  de  P Occident.      lO} 

Quelques-unes  de  ces  Nations  fe  font  fait  un  Droit  différent. 

'  Idée  quibfaut  avoir  du  Droit  Romain.  1 04 

Du  Droit  François  fous  la  première  Ù  fous  la  féconde  Race  de 

nos  Rois ,  6*  de  Cufage  qiionfit  du  Droit  Romain  fous  ces 

deux  Races.  105 

Du  Droit  François  &  du  Droit  Romain  fous  la  troifiéme  Race^ 

&  comment  Us  furent  oubliée  &  convertis  en  Coutume.      106 

On   renouvelle  t  étude  du  Droit  Romain  en  France  &  dans 

prefque  tous  les  Etats  de  F  Europe^  mais  cenejl  pas  le  Droit 

contenu  dans  le  Code  Théodojien  qùon  étudie ,  cejl  le  Droit 

de  Juflinien^ 

Ce  que  que  cétoit  que  la  Loi  Royale  des  Romains.  112 

SanBionp  1 20 

Itcs  Loix  de  HEtat  ne  font  pas  les  mêmes  dans  toutes  les  So^ 

ciétés  civiles ,  &  quelles  font  les  Loix  qu'on  appelle  de  TEtat. 

121 

Deux  points  font  à  conjidererjxar  rapport  au  fonds  &  par  rapm 


DES      SOMMAIRES.  vif 

port  à  la  forme.  Il  ne  doit  pas  être  quejlion  ici  de  la  forme  , 
le  fond  regarde  les  Perfonnes  &  les  chofes^ 

Définition  du  Droit  fur  les  perfonnes.  1 1  j 

Définition  du  Droit  fur  les  chofes.  Elles  font  mohiliaires  ou 
immobiliaires ,  ù  le  Droit  que  les  hommes  y  ont  réfulte  des 
engagement  ou  des  fucceffwns. 

Deux  efpeces  £  engagement.  11^, 

Trois  fortes  d! obligations  naturelle ,  civile  &  mixte •  1 2  y 

D obligation  &  le  droit  qui  en  naît  font  relatifs.  126 

Les  promeffes  font  abfolues  ou  conditionnelles  ,  réciproques  ou, 
gratuites  m  127 

Les  promeffes  &  les  conventions  font  invalides^  1 1^ 

Des  obligations  contraBées  par  Procureur^ 

Des  Donations  entre-vifs^ 

De  la  Prefcnption^  I JO 

Des  Succeffions. 

Des  Donations  à  caufes  de  mort.  13 1 

Des  Tefiamens  &  des  Codiciles^  132; 

Des  Subfiitutions. 

Les  Peuples  ont  plus  ou  moins  réujji  dam  Us  divtrfes  vues 
qu'ils  ont  eues  pour  ajfurer  leur  liberté  /  &  les  Conquerans 
ont  été  plus  ou  moins  doux  ,  plus  ou  moins  fages.  Delà  le 
partage  des  hommes  en  libres  &  en  ferfs  ,  en  maîtres  &  en^ 
efçlaves,.  1 3  j: 

Hinégalité  des  conditions  ,  des  biens  ,  des  honneurs  ,  dans  les 
Sociétés  civiles  ri  a  rien  d!  extrêmement  fâcheux  ,•  elle  efi  non* 
feulemeru  utile ,  mais  abfolument  indifpenfable.  1 3  7 

Les  avantages  du  Gouvernement  civil  font  inefiimables ,  &  les' 
hommes  riyfont  pas  ajfe[  di  attention^  1 38? 

S  E  C  T  I  O  N    V. 

Situatioa  aftuelle  du  Monde  Politique ,  commerçant  ^ 
fçavant  &  religieux. 

Combien  le  monde  politique  (T aujourd'hui  efi  différera  de  ce  qilîl 


Vîîj      '  TABLE 

étott  autrefois;  &  jufqu^à  quel  point  la  Science  du  Gouvems^ 
ment  sejl  perfectionnée.    .  -------jAl 

Comment  fe  faif oit  anciennement  en  Europe  le  commerce  <t  Orient, 
&  comment  il  s  y  fait  à  préfent.  145 

Progrès  des  Sciences.  156 

Changemens  dans  la  Religion.  157 

Evénemens  des  deux  derniers Jiécles  &  de  celui  où  nous  vivons,  i  j  Ç 

CHAPITRE     II. 

Des  anciens  Légiflateurs  &  des  anciens  Gouvememens*  16% 
SECTION     PREMIERE. 

Des  Légiflateurs  facrés  &  du  Gouvernement  du  Peuple 

de  Dieu. 

Etat  du  Peuple  de  Dieu  y  trayant  pour  re^e  que  ta  Loi  natu^ 

relie  fous  les  Patriarches.  1 6  j 

Etat  du  Peuple  de  Dieu  fous  tes  Rois.  168 

Etat  du  Peuple  de  Dieu  fous  les  Pontifes  qui  joignirent  dans 

ta  fuite  à  leur  dignité  le  titre  de  Rois.  17O 

^Ancien  &  Nouveau  Teflçment. 

fnflruSions  fatutaires^  des  Livres  faims.  1 7 1 

SECTION    IL 

Des  Légiflateurs  profanes  en  général. 

De  la  terreur  que  te  Paganifme  a  eu  pour  les  Légiflateurs.  i  ^ 
Noms  des  principaux  Légiflateurs  ,  comment  ils  fe  formèrent  ; 

opinion  quil  en  faut  avoir  j  Ù  caractères  quils  ont  imprimé 

à  leurs  nations. 
Les  Chaldéens  y  tes  Egyptiens  &  les  Perfes  ont  été  les  premiers 

Légiflateurs^  1 77 


DES     SOMMAIRES-  xv^ 

C  H   A    P   I  T   R  E     I    V. 

05u  Gouvernement  aftuel  de  chaque  Peuple  de  TAfie 
confideré  en  particulier. 

SECTION     PREMIERE- 1^^* 

Gouvernement  du  Japon* 

1.  Fondation  de  F  Empire  du  Japon.  11.  Mœurs  y  Religion 
des  Habitans.  III.  Forces  de  cette  Monarchie.  IV.  Son  Gou^ 
vemement.  Y.  Du  Daïri  Puijjance  de  Religion  y  &  du  Cubo-  . 
Sama  Souverain  temporel.  VI.  Découverte  du  Japon  j  établiffe-- 
ment  &  extinSion  du  Chrijiianifme  dans  cet  Empire  y  &  Jiles 
Japonois  ont  raifon  de  fermer  Centrée  de  leur  Payi  aux 
Etrangers^ 

SECTION     M.  fa^i\^^ 
Du  Gouvernement  de  la  Chine» 

Vn.  Fondation  de  FEmpire  de  la  Chine.  VIII.  Forme  du 
Gouvernement.  Forces  de  P  Empire  415.  IX.  Religion  des  Chin 
nais.  X.  Confucius  Législateur  de  la  Chine  Ù  fa  morale^  Xlf 
Jdie  qu  il  faut  avoir  du  (Gouvernement  de  la  Chine^ 


.  Fof^i^h'^* 


SECTION      III 

« 

IGouvernement  du  Mogol ,  principale  Monarchie  à&%  Indes 
-"■  '  Orientales. 

XII.  .Brama  Légiflateur  des  Indiens  y  partagea  les  Peuples 
fin  quatre  Cades  principales.  XIII.  Loi  générale  pour  toutes  les 
Cafies*  l^ïVnLQix particulières  pour  les  Brahmanes.  XV.  Loix 
fç^rticulieres  pour  les  Ragepiftes^  3^VI.   Pour  les  Banianes 


ivi  TABLE 

XVIL  IU>ur  Us  Amfans.  X\1IL  MoraU  des  IrJUns.  XîX. 

Fondation  ic  {Empire  du  Mogol.  XX*  Som  Gouvcnumcatm 


SECTION     IV. 

Gouvernement  de  Perfe. 


faj^kk^ 


é 

XXL  Gouvcmemcm  des  anciens  Ptrfcs.  XXII.  MoraU  de 
Zoroajirc.  XXIIL.  Gouvcmemcm  des  Pcrfans  modernes. 

SECTION     V.  PjMLjÂiy 

Gouvemement  de  divers  autres  Etats  de  TAfie» 

XXIV.  De  la  Corée.  XXV*  De  la  grande  Tartarie  foumife 
à  r Empereur  de  la  Chine.  XXVI.  De  la  pente  Tartarie  trihu^ 
taire  du  Grand  Seigneur.  XXVII.  Du  Tonquin.  XXVIII.  De 
la  Cochinchine.  XXIX.  Du  Laos.  XXX.  De  Siam.   XXXL 

Du  Pegu.  XXXII.  De  risle  de  Java  où  ejl  le  grand  établijfe^ 
ment  de  la  République  £  Hollande.  -  XXXIIL  De  Goa  &  des 
établijfemens  aue  les  Portugais  &  les  autres  Nations  Euro^ 
péennes  ont  fait  dans  les  Indes  Orientales.  XXXIV.  De  ceux 
des  Français  &  des  Anglois.  XXXV*  Multitude  d Etats 
Asiatiques  inconnus., 

CHAPITRE     V. 

Du  Gouvernement  a6luel  de  chacpe  Peuple  de  TAfrique 
confidcré  en  particulier. 

SECTION    PREMIERE.  /^A/^ 

Gouvemement  des  Côtes  Orientales  d'Afrique^ 

L  De  TripoU.  IL  De  Tunis.  IIL  D'Algtr,  IV.  Dt  PEm!( 
pire,  dt  Maroc,  Y,  L'Egypte, 


D  E  s     s  Ô  M  M  A  ï  R  Ê  S*    "       ivî}- 
•      SECTION     II.  (Lm^Jç^ 
Gouvernement  des  Côtes  Occidentales  d'Afrique. 

•  « 

VI.  Royaumes  &  Etats  Jîtués  au  long  des  Côtes  Occidentales 
JP Afrique  fur  la  Gambra.  VIL  Royaumes  &  Etats  fitués  /i) 
long  de  ces  mêmes  Côtes  Occidentales  fur  le  Sénégal.  VIII.  Côte 
de  Guinée  ou  Côte  d^Or.  IX.  Côte  des  Efclaves  &  autres  Co- 
tes.  X.  Royaume  de  Congo.  XI.  Royaume  d'Angola.  XII. 
Royaume  de  Benguela.  XIIL  Quelques  autres  Pays. 


SECTION     III 


.  «€^l\^< 


Gouvernement  des  Pays  qui   bordent  la   Côte  Orientale 

d'Afrique  depuis  le  Cap  de  Bonne  Efpérance  jufqu  a 

celui  de  Guardafli. 

XIV.  Le  Cap  de  Bonne  Efpérance.  XV.  Ijles  entre  le  Cap 
de  Bonne  Efpérance  &  le  Cap  de  Guardaju.  XVI.  Empire 
de  Monomotapa.    - 

SECTION      IV.  fi^JjiA'h 

■y 

Gouvernement  de  l'intérieur  de  l'Afrique. 

XVII.  Liméneur  de  F  Afrique  riefi  pas  connu  &  pourquoi^ 
XVIII.  Du  Royaume  de  Loango.  XIX.  de  l'Empire  de  FA^ 
bijjirùe. 


CHAPITRE      VI. 


xyiu       TABLE   DES    SOMMAIRES, 

i 


Du  Gouvernement  aftuel  de  chaque  Peuple  de  l'Amérique 
contideré  en  particulier. 

SECTION^  PREMIE  RE,  fa^/^ay^ 

Gouvernement  des  Indes  Occidentales  ,  avant  la  cqpquêt^ 
que  les  Européens  en  ont  faite. 

•  L  Le  Mexique.  II.  Le  Pérou. 

S    E  C  T   I  O  N      I  L    h^^^^ 

Gouvernement  des  Indes  Occidentales ,  fous  les  Princes 
Européens  qui  les  ont  conquifes. 

IIL  Découverte  de  t  Amérique.  IV.  Conquête  de  deux  ^m^ 
pires  par  les  Efpagnols,  V.  Conquête  d^ autres  Etats  du  nou-- 
veau  monde  par  les  François  &  par  d! autres  Nations  Eurç^ 
péennçs. 


Fin  de  la  Table  des  Sommaires, 


LA   SCIENCE 


DISCOURS   PRÉLIMINAIRE, 

P5^5^^ 'Éducation  n'efl:  que  la  culture  des  mœurs  de  importance <!# 
}  L  î  rhomme  dans  les  premiers  tems  de  fa  vie  ,  elle  eft  P'«»««* 
^^â^jg^  abandonnée  aux  foins  des  pères  &  des  mères ,  mais 
4a  culture  des  mœurs  des  Nations  eft  réfervée  aux  Souverains  ; 
elle  embraffe  tous  les  âges,  &  les  qualités  de  ceux  qui  gouver-^. 
ncnt  deviennent  les  qualités  de  ceux  qui  font  gouvernés.  La 
force  ou  la  foibleffe ,  les  profpérités  ou  les  difgraces  de  chaque 
règne,  tirent  leur  origine  des  vertus  ou  des  vices  ,  des  talens 
.ou  de  Tincapacité  des  Princes,  On  verroit(dit  fur  ce  fujet  un 
des  plus  grands  maîtres  dans  Tart  de  gouverner  )  la  nature  errer 
dans  fes  opérations ,  plutôt  qu'un  Souverain  donner  à  fa  Nation 
un  caradere  différent  du  fien.  (a)  Ceft  aux  Souverains aufli 
qu'cft  réfervée  l'éducation  des  Princes  qui  doivent  leur  fuccéder. 
Veiller  à  rinftru£lion  de  la  jeuneffe  pour  former  de  bons 
fujcts  à  TEtat ,  eft  fans  doute  un  des  devoirs  de  la  Royauté  j 
mais  faire  élever  avec  foin  Théritier  de  la  Couronne  ,  pour  pré- 
parer à  la  Nation  un  maître  capable  de  la  gouverner ,  eft  une 
des  plus  cflentielles  obligations  du  Monarque,  Les  particuliers 
rfcmbraflent  ordinairement  une  profeflîon  que  lorfque  leur  rai* 
fon  s'eft  développée,  au  lieu  que  celle  de  Théricier  d'une  Cou-? 
ronne  eft  fixée  dans  le  moment  de  fa  naiflance.  Ceft  une  tête 

(j)  FacUius  crrare  naturam  qudm  Prîncipcm  reformare  RempuhlicamdiJlimiUm.  CafEo* 
figre  (Miniftred'EtatfousThçodoric)  liy,}.  Van.  Ep,  /i. 


îj         DISCOURS    FRELÎMINAIRE; 

précîeufe  qui  fera  ceinte  du  diadème;  &  former  le  Souverain^ 
c'eft  en  quelque  forte  former  tout  le  Peuple  auquel  il  doit  com* 
mander ,  &  qui  fe  réglera  fur  lui.   De  fon  inftruftion  naiffenc 
&  Pavantage  de  fon  pays  ^  &  des  exemples  utiles  à  toutes  les 
Nations  étrangères.  Ces  exemples  paffent  de  bouche  en  bou-î 
che ,  de  génération  en  génération  $  tous  les  peuples  ^  tous  les 
tems  y  prennent  part^  ôc  la  poftérité  la  plus  éloignée  peut  en 
recueillir  le.  fruit. 
tff  les  biSver      J^  ^Ç^^^  c\\xon  a  beaucoup  écrit  fur  la  manière  d'élever  les  en- 
5XéctS"ê  f^^s  des  maîtres  du  monde.  Cent  Auteurs  (a)  ont  indiqué  les 
ÏumIS^^   connoiffances  que  le  Prince  doit  avoir  ^  mais  aucun  n'a  entre- 
Icr;7eTurdonI  p^îs  de  Ics  lui  donncr.  Lors  même  qu  on  élevé  bien  les  héritiers 
Solffances^ront*  dcs  grands  Empires  comme  hommes,  on  ne  leur  enfeigne  pas 
vcraemcnt,&dê  ce  qu  ils  doîvent  fçavoir  comme  Princes.  On  verfedans  leur  fein 
ces  cvançiiTaii-  quelques  principes  de  Religion ,  de  juftice  &  de  bonté  ;  on  im-r 
prime  dans  leur  efprit  quelques,  maximes  d'honneur  ;  on  leur 
donne  quelques  teintures  des  Arts  &  des  Sciences  ;  on  les  for- 
me à  des  exercices  académiques  ;  mais  on  ne  leur  apprend  pas  à 
porter  dignement  une  Couronne,  on  ne  les  inftruit  point  de  la 
feule  fcience  qu  il  ne  leur  eft  pas  permis  d'ignorer.  S'il  efl  utile 
de  former  Thomme ,  ne  l'eft-il  pas  plus  encore  de  former  le  Sou* 
verain  ?  C'eft  des  vaflcs  fondions  y  c'efl  des  devoirs  infinis  de 
la  Royauté  qu'il  faut  principalement  inftruire  les  Princes. 

Toutes  leurs  fautes  dans  la  vie  privée  font  d'une  confcquencc 
extrême  pour  leur  Etat.  (  6  )  On  ne  fçauroit  trop  eftimer  les  ver- 
tus morales,  elles  font  prefque  les  feules  qui  loient  à  l'ufage  des 
particuliers ,  &  elles  doivent  purifier  &  anoblir  les  vertus  civiles 

{a)  J'en  ai  donné  la  Fifte  dans  mon  Examen ,  au  mot  Duguen 
.  ifi  Quo  perniciofiàs  de  Republicâ  merentur  vitiofi  Principes  ,  quod  nonfolum  vîtia  con-^ 
tipiunt  ipjiy  fedea  infundunt  in  civitatem  ,  neque  folum  obfunt  quod  ipfi  corrumpuntur  y  fed 
ttiam  quod  corrumpunt ,  plufque  cxemplo  quant peccato  noccm^  Ciçer,  de  Legd).  lib.  j. 


^  DISCOURS    VRELÎMINAIKE:         îîj 

ëi  politiques ,  par  lefquelles  on  doit  juger  du  vrai  mérite  dés 
Princes  en  tant  que  Princes ,  mais  ce  ne  font  pas  ordinairement 
les  vices  de  Thomme,  ce  font  les  défauts  du  Prince  qui  Tempê- 
chcnt  de  gouverner  heureufement.  Il  efl:  nécejffaire  de  diftiiir; 
guer  dans  les  Rois  la  vie  privée  d'avec  la  vie  publique ,  les  ver- 
tus domeftiques  d*avec  les  qualités  Royales;  ils  peuvent  avoir 
toutes  les  vertus  qui  honorent  les  particuliers,  fans  pofféder  au- 
cune des  qualités  qui  font  les  grands  Rois,  Ne  pas  connoîtrc 
profondément  le  pays  qu'on  doit  gouverner ,  n'être  pas  inftruit 
de  tous  les  avantages  qu  on  peut  lui  procurer ,  ignorer  les 
principes  de  la  conduite  qu'on  doit  tenir  relativement  au  cî-^; 
toyen  &  à  l'étranger,  ne  pas  bien  régler  les  diverfes  parties  du 
Gouvernement ,  abufer  de  la  puiffance  pour  faire  quelque  înjuf- 
ticCi  ne  prévenir  ni  ne  punir  le  mal ,  ne  pas  faire  tout  le  bien 
poffible  ;  voilà  quelles  font  les  fautes  de  Thomme  d'Etkt. 

Je  dis  de  Vhomme  d'Etat ,  car  ce  que  j'applique  ici  aux  Sou-^ 
verains  regarde  leurs  Miniftres,  &  toutes  les  perfonnés  qui  font 
employées  au  Gouvernement.  Ce  n'eft  pas  affez  que  les  perfon- 
nés qui  y  participent  vivent  bien  comme  hommes  ,  ileft  en- 
core plus  important  qu'ils  vivent  bien  comme  perfonrieS  publi- 
ques. Dans  les  Monarchies,  les  Mîniftrcs  ne  répondront  pas 
moins  que  leurs  maîtres  de  tout  le  mal  qu'ils  auroient  pu  éviter, 
&  qu'ils  auront  commis  ou  laiffé  commettre,  &  de  tout  le  bien 
qu'ils  auroient  pu  faire  &  qu'ils  n'auront  pas  fait.  Dans  lés  Arif-* 
tocfaties  &  dans  les  DémArraties ,  les  Sénateurs ,  ceux  qui  ont 
part  aux  Délibérations  des  Républiques  ,  &  leurs  Officiers ,  ne 
répondront  pas  moins  que  les  Souverains ,  des  fautes  d'omiffîon 
ou  de  commiflîon  qui  leur  ferent  perfonnelles. 

Comment  les  Princes  éviteront-ils  ces  fautes^ ,  s'ils  ne  con* 
noiffent  pas  tous  les  devoirs  attachés  à  h  Royauté  ?  Comment 

aij 


îr         VISCOURS    PRELIMINAIRE. 
feront-ils  inflruits  de  ces  devoirs ,  fi  perfonne  ne  prend  foin  dfe 
les  leur  expliquer  ?  Comment  enfin  foutiendront-ils  le  faix  du 
Gouvernement ,  fi  Ton  ne  leur  enfeigne  à  le  connoître  &  à  les 
porter. 

Cette  inftruélion  eft  indifpcnfable  &  doit  être  proportionnée 
à  l'importance  des  devoirs  du  rang  fuprême.  Plus  les  hommes 
font  élevés  au-defius  des  autres  hommes  y  8c  plus  leurs  démar- 
ches entraînent  de  conféquences ,  plus  ils  doivent  tendre  à  h 
perfeâion.  Si  les  Scipions  &  la  plupart  des  illuflres  perfonnages 
d^  l'ancienne  Rome  ^  à  la  vue  des  images  de  leurs  pères  y  fu- 
rent excités  à  ces  grandes  entrcprifes  ^  qui  portèrent  au  loin  la 
réputation  de  leur  patrie ,  (a)  quel  motif  ne  trouvera*t-on  pas, 
dans  réclat  de  la  première  maifon  du  monde  ,  toujours  rég- 
nante depuis  huit  fiécles  y  &  toujours  régnante  fur  la  plus  an- 
cienne y  la  plus  illufixe  >  &  la  plus  puifiante  Monarchie  de  TEu- 
rope  1  Que  ne  doit  pas  produire  un  regard  jette  fur  le  régne 
de  tant  de  Rois. 

.  Le  tems  de  la  jeunefTe,  ce  tems  où  la  docilité  ouvre  la  porte 
aux  vertus  &  tient  lieu  des  qualités  dont  on  manque,  efl  pref*- 
que  le  feul  où  la  vérité  trouve  quelques  accès  auprès  des  Prin- 
ces. Dans  tout  le  refte  de  leur  vie  ,  la  flatterie  les  aflfiége  or- 
dinairement. Il  n'eft  par  conféquent  perfonne  à  qui  la  lec- 
ture foit  auffi  néceflaire  qu  aux  Souverains  y  parce  que ,  fans 
bleffer  leur  délicatefle  y  elle  les  inftruit  des  vérités  qu  on  ofc 
rarement  leur  annoncer ,  &  qu'ils  aiment  rarement  à  entendre. 
Et  que  doit-on  étudier  y  fi  ce  n*eft  les  devoirs  de  fon  état  ! 
Que  doivent  apprendre  les  enfans  ,  fi  ce  n'efl  ce  qu  ils  doi- 
vent faire  étant  hommes  !  Que  doivent  apprendre  les  jeunes 
Princes ,  fi  ce  rfeft  ce  qu'ils  doivent  faire  étant  Rois  | 

k     (a)  Salufi.  in  Pmfat.  BcUi  Jugurtk^ 


DISCOURS    PRELIMINAIRE.  t 

Si  les  Arts  &  les  Sciences  font  la  gloire  &  le  bonheur  des 
Etats  )  comme  Ton  n'en  peut  douter ,  de  quelle  utilité  ne  fera 
pas  pour  les  Princes  la  fcience  du  thrône  !  Les  Souverains  ne 
doivent  être  fçavans  que  dans  les  connoiflances  qui  convien- 
nent effentieliement  à  leur  état  ;  c'eft  en  Rois  qu'il  faut;  les  inf- 
truire.  L'Empereur  Conflantin  Porphyrogenète,  AlphonfeRcrf 
d*Arragon  ^  Jacques  premier  Roi  d'Angleterre  ,  furent  des 
Princes  très-fçavans  ;  mais  le  premier  étoit  entièrement  livré  à 
Tamour  des  Belles-Lettres  ^  le  fécond  ^  à  la  compoAtion  des 
Tables  Aftronomiques  appellées  Âlphonjines  de  fon  nom  9  & 
le  troîfiéme  fut  tantôt  Grammairien  ,  tantôt  Théologien ,  ja-  > 
mais  RoL  Aucun  de  ces  trois  Princes  ne  fçut  ni  ne  fit  fon  mév. 
tier.  Le  degré  d'eflime  dû  aux  Arts  &  aux  Sciences ,  ne  peut 
être  mefuré  que  fur  le  rapport  plus  ou  moins  prochain  qu'ils 
ont  à  l'avancement  du  bonheur  de  la  Société  civile.  Un  Souve- 
rain doit  connoître  ^  aimer  ^  encourager  toutes  les  profeilions; 
&  un  Prince  deftiné  à  régner  ne  doit  bien  apprendre  que  la  . 
fcience  de  commander  aux  hommes.  Les  autres  peuvent  lui 
fervir  comme  de  dégrés  pour  arriver  à  ce  but  9  mais  il  ne  doit 
les  eftimer  utiles  pour  lui  qu'autant  qu  elles  contribueront  à 
l'en  approcher. 

Il  eft  donc  néceffaire  de  donner  aux  Princes  toutes  les  con- 
noiflances qui  ont  rapport  au  Gouvernement ,  &  de  les  afFecr 
tionner  à  ces  connoiflances  ;  car  les  grands  talens  ne  fe  déve- 
loppent qu'à  la  faveur  d'une  forte  inclination  pour  tout  ce  qui  a 
rapport  à  leur  objet.  Eh  1  quelle  gloire  pour  un  Prince ,  lorfque 
le  defir  de  remplir  des  devoirs  devient  en  lui  une  paflîon  ! 

Qu'il  me  foit  permis  d'entrer  dans  un  détail  qu'exigent  la 
îaajcfl:é  &  l'importance  du  fujet. 

il  tf eft  point  d'Ecrivain ,  foit  paçmi  les  anciens ,  foît  parmi  ^utS^Î^'^'i^^ 


vj         DISCOURS    PRELIMINAIRE;         ! 

^j"^^*"^**^^*  les  modernes  ,  qui  ,  ayant  traité  de  matières  de  Gouverne- 
ment j  n'ait  prouvé  la  néceflîté  de  les  étudier  ,  ou  au  moins 
qui  rfait  fuppofé  cette  néceffité  comme  une  de  ces  vérités  évi* 
denttes  auxquelles  rcfprit  ne  peut  fe  refufer.  Tant  de  Livres 
compofés  fur  des  Affaires  d*Etat,  dans  tous  les  fiécles  ^  dans 
tous  les  pays,  &  fur  toutes  les  parties  du  Gouvernement  ^  ne 
montrent-ils  pas  la  néceflîté  de  les  étudier  ! 

CfagesdesPcu-  On  apprenoit  dans  les  Ecoles  des  Grecs  tout  ce  qui  fait  le 
bon  Citoyen ,  le  grand  Capitaine ,  THomme  d'Etat.  Ceux  qui 
inftruifoient  la  jeuneffe  ,  infpiroient  par  leurs  exemples  ,  ce 
qu'ils  enfeignoîent  par  leurs  leçons ,  Tamour  de  la  patrie  ;  & 
ces  inftruâions  formoient  des  hommes  qui  étoient  Tornement 
du  genre  humain  &  qui  peuvent  en  être  encore  aujourd'hui 
le  modèle ,  comme  ils  en  font  l'admiration. 

Dans  les  premiers  fiécles  de  Rome  >  les  Sénateurs ,  pour  for- 
mer de  bonne  heure  leurs  enfans  à  la  fcience  du  Gouverne- 
ment, les  introduifoîent  au  Sénat,  avant  même  qu'ils  cuflent 
atteint  l'âge  de  puberté  ;  &  cet  ufage ,  changé  à  l'occafion  du 
jeune  Papirîus  dont  l'hiftoire  eft  connue  ,  (a)  fut  rétabli  par 
Augufte.  {h)  Dans  tous  les  tems,  dès  que  les  Enfans  avoient 
pris  la  Rohc  virihy  ils  ctoicnt  introduits  folemncilcment  dans 
la  place  publique,  lieu  où  les  Magiftrats  haranguoient  le  peu- 
ple ,  école  des  affaires  d'Etat  qui  y  étoient  difcutées.  Un  Ro- 
main étudioit  de  bonne  heure  les  intérêts  de  fa  patrie ,  &  il 
n'étoit  élevé  aux  emplois  publics ,  qu'après  avoir  acquis  par  le 
fecours  de  l'étude ,  la  capacité  de  gouverner  une  République 
maîtrefle  d'une  grande  partie  de  la  Terre. 

Aujourd'hui ,  les  jeunes  Gentilshommes  de  la  Chancellerie 
de  Suéde  n'y  font  reçus^  qu'à  la  faveur  de  leurs  difpofitions  nà- 

M  Aulugell.  L.i.  Chap.  3. 
(b)  Suçtonne» 


T)1SC0URS    PRELIMINAIRE.        vîj 

turclles ,  de  leurs  voyages  ^  de  leurs  études.  Ceft  dans  cette 
Chancellerie  qu'on  leur  communique  les  AGtes  publics  y  8c  qu'on 
les  inflruit  des  affaires  de  la  Nation,  (a) 

Le  Roi  de  Danemafck  vient  d'ordonner  (b)  que  des  jeunes 
Gens  de  diftinflions  affifteront  aux  Audiences  du  Tribunal 
fuprême  de  Danemarck  ,  en  qualité  d'Affeffeurs  ,  afin  qu'ils 
puilTent  fe  rendre  dignes  d'exercer  les  Magiftraturcs  dont  par 
la  fuite  ils  pourront  être  revêtus. 

Les  Nobles  Polonois  mènent  leurs  enfans  aux  Dkttines  (c)  ; 
&  les  Nonces  (d) ,  les  leurs  aux  Diettes  générales  ^  pour  les  ren? 
dre  capables  de  fervir  un  jour  la  République. 

A  Venife  j  où  la'  politique  eft  l'affaire  capitale  de  tous  les 
Citoyens  ^  l'inftruélion  des  Pères  rend  les  enfans  capables  de 
gouverner.  Les  jeunes  Nobles  affiftent  aux  Confultations  du 
Collèges  &  aux  Délibérarions  du  Sénat  feulement  pour  écou-- 
ter.  On  les  inflruit  des  affaires  de  l'Etat  ^  &  on  leur  fait  fen-« 
tir  chaque  jour ,  qu'ils  font  nés  pour  y  avoir  part.  La  Chambre 
fecrette ,  où  font  confervées  les  Dépêches  des  Ambaffadeurs  avec 
lesRegiflres  de  la  République  ,  leur  eft  ouverte.  Quelques  jeu- 
nes Gentilshommes  accompagnent  les  Miniftres  de  la  Républi- 
que dans  les  Cours  Etrangères ,  pour  y  faire  Tapprentiffage  des 
emplois  auxquels  ils  afpirent.  Enfin  y  aucun  Noble  ne  parvient 
aux  grandes  Magiftraturcs ,  qu'après  s'être  acquitté  des  moin- 
dres ,  à  la  fatisfaflion  de  fes  Concitoyens  (e). 

En  Allemagne ,  la  Bulle  d'or  renferme  des  difpofitîons  fut 

r^^  14*  Art.  deTEleâion  de  1718,  confinnée  par  celles  de  1710  &  de  1743; 

}b)  En  1749. 

Le)  Diettes  des  Paladnats. 
d)  Députés  aux  Diettes  générales  de  Pologne. 

[  e)  Hift.  du  Gouvernement  de  Venife ,  par  Amelot ,  pag.  24  delTdîtîon  de  i6jSi 
rJLa  Ville  &  la  République  de  Venife ,  par  Saint-Didier  ;  &  C Ambajfadeur  &fes  fonêlions  ^ 
par  Wicqucfort ,  pp.  176  &  177  du  premier  Volume  ;  Edition  de  la  Haye.  1724. 


\ 


viij       DISCOURS    PRELIMINAIRE.: 

la  manière  d'élever  les  Héritiers  des  Elefteurs  i  les  Nobles  s*ap^ 
pliquent  à  Tétudc ,  même  du  Droit  privé  ;  les  Comtes  &  les 
Princes  de  l'Empire  ne  dédaignent  pas  des'cninftruire.  Tous  les 
Gentilshommes  qui  ne  fe  deftinent  pas  uniquement  aux  Armes  ^ 
fouvent  même  ceux  qui  s'y  deftinent ,  paffent  plufieurs  années 
aux  Univerfitcs ,  aux  Académies  ^  pour  y  apprendre  l'Hiftoire  & 
lesLoix  de  leur  patrie.  Il  y  a  dans  toutes  les  grandes  Cours  du 
Corps  Germanique  ,  une  Chancellerie  d'Etat  où  les  jeunes 
Gens  font  une  étude  réglée  des  affaires  publiques ,  fous  l'int- 
peâion  générale  du  Chancelier  ^  &  fous  la  direâion  particu^ 
lierc  des  Référendaires»  Les  Allemands  ne  deviennent  enfin 
Négociateurs  ouMiniftres  d'Etat  que  par  dégrés,  &  qu'après 
s'être  longtems  inftruits  de  l'Hiftoire,  du  Droit  public,  desin^i 
tércts  des  Princes,  de  la  Politique. 

Cent  Ouvrages  fur  le  Gouvernement  font  publiés  continuel- 
lement dans  les  Provinces-Unies ,  &  ce  qui  s'imprime  dans  les 
autres  Pays,  eft  toujours  exaSement  réimprimé  dans  celui-là# 
Un  HoUandois  partage  fes  foins  entre  les  intérêts  de  fon  com- 
merce &  ceux  de  fa  République.  Il  étudie  tout  ce  qui  a  rapport 
au  Gouvernement ,  &  comme  il  eft  fouvent  Député  à  l'Affem- 
blée  des  Etats  Généraux  ,  il  cfl.  cummunément  fort  inftruit. 

La  connoiffance  des  principes  du  Gouvernement  eft  en  An- 
gleterre un  objet  commun  à  toutes  les  Profeflîons  :  Les  Dépu- 
rations aux  Etats  Généraux  qu'on  appelle  dans  ce  pays-là  Par^ 
Icment ,  mettçnt  les  perfonnes  de  tous  les  Ordres  à  portée  de 
prendre  part  aux  Affaires  publiques  ;  &  l'intérêt  que  les  An-- 
glois  ont  de  pofféder  des  connoiflances  dont  ils  peuvent  faire 
un  ufagc  avantageux  à  leur  patrie  ou  à  leur  fortune  particu* 
liere ,  leur  infpire  une  grande  application  pour  les  acquérir.  Ils 
veulent  obtenir  des  grâces  &  joiier  un  grand  rôle  dans  le  Par- 

lemenK 


DISCOURS  TKEIIMINAÎRE.  îx. 
leraent ,  en  fe  rendant  néceflaires  au  parti  de  la  Cour ,  ou  en  fc 
diftinguant  dans  celui  qui  lui  eft  oppofé^  Il  y  a  un  fi  grapd 
nombre  de  Pairs  dans  la  Chambre  haute  ^  la  Chambre  bafle  eft 
compofée  de  tant  de  Députés  ^  ces  Repréfentans  de  la  Nation 
changent  fi  fouvent  ,  &  le  defir  de  paroître  avec  éclat  dans 
Tune  ou  dans  l'autre  Chambre,  agit  fi  puiffamment  fur  le  cœur 
de  chaque  Membre  du  Parlement ,  qu'il  eft  comme  impoffiblç 
que  les  Anglois  rfayent  en  général  une  grande  connoifîance 
des  matières  de  Politique.  Si  l'Angleterre  ne  fournit  pas  à 
l'Europe  des  Ouvrages  fyftématiques  fur  Ip  Gouvernement,' 
comme  font  l'Allemagne  fie  la  Hollande  ^  elle  fe  fuâît  au  moins 
^  elle-même.  Des  Feuilles  volantes  &  d'excellentes  Brochures 
înftruifent  tous  les  Citoyens  des  droits  &  des  intérêts  de  la 
Nation  9  non  pas  feulement  toutes  les  années  ^  tous  les  mois  ^ 
xnais  toutes  les  femaines^  tous  les  jours. 

De  grands  Rois  &  des  hommes  mêmes  qui  commandoîent  à  j.  ?'«*p^«»  ^'* 
des  Rois  ^  n'avoient  appris  que  des  Philofpphes  politiques  la 
fcience  du  Gouvernement ,  &  ils  y  ont  excellé.  Caffandre  fe 
faifoit  donner  des  préceptes  politiques  par  Theophrafte ,  8ç  Sige* 
bert  par Foytunat.  Pompée  ,  (a)  qui avpit  paffé  fa  jeuncffe  dans 
le  tumulte  des  armes  ,  ignoroit  le  droit  public  ;  il  pria  Varron  de 
Juîencompofer  unlivre,  &  il  fe  rendit  auflî  ejccellent  homme 
d'Etat  par  l'étude  9  qu'il  s'étoit  rendu  grand  Capitaine  pat 
l'exercice  des  armes.  Charles  V.  qui  a  reçu  de  fon  fiécle  le  fur* 
nom  illuftre  de  fage  9  (  & ,  ce  qui  eft  beaucoup  plps  con/îdé- 
irable ,  à  qui  la  poftéritç  l'a  confirmé ,  )  fe  faifoit  lire  chaque 
jour  quelque  ouvrage  fur  le  Goi^vernement.  (  &  )  Le  Qr^qd 
Guftave- Aldophe  avoir  perpétuellement  fous  les  yeux  le  Traité 

ia)  Potnp^e  {^autres  Che&  de  la  République  RotnaInç« 
^\jf)  Voyez  le  commcncemçot  du  Somni^m  viridaru^ 

Tçmh  i 


\ 

%  DISCOURS    PRELIMINAIRE. 

du  Droit  dt  la  Guerre  &•  de  la  Paix  de  Grotîus.  (  a) 

Dans  le  dixième  fîécle ,  PEmpereur  Conflantin  Porphyro-^ 
genete  fit  compofer  des  Pandedles  politiques*  (  h  )  Cctoit  une- 
grande  compilation  où  l'on  voyoit  range  fous  certains  titres  co- 
que Polybe ,  Nicolas  de  Damas  ^  Denis  d!Halicarnafle  ,  Dio- 
dore  de  Sicile ,  &  d^autres  Hiftoriens  avoîent  écrit  fur  ce  fujet ,. 
afin  que  les  hommes  d'Etat  puiflent  s'inflruire  facilement.  Si  une^ 
compilation  de  cette  étendue  n'eût  pour  objet  que  d'épargner 
aux  Princes  la  peine  délire  ces  Hiftoriens  y  quel  fruit  ne  pourra- 
t-on  pas  efperer  de  la  fciencc  du  Gouvernement  expliquée  erv 
entier  ? 

L'hiftoîre  nous  repréfentele  Conquérant  M  ogol  du  dernier 
fiécle  9  le  fameuXrOrang-Zeb  y  dans  un  cercle  de  fçavans  ^  don« 
nant  à  fa  Cour  ua  fpeâacle  bien  digne  d'attirer  pendant  quek 
ques  momens  les  regards.  Ce  Prince  déplore  l'éducation  qu'on 
lui  a  donnée.  Il  trouve  mauvais  qu'on  l'ait  bornée  à  des  minuties 
de  grammaire  &  à  une  légère  connoiflance  de  l'Indouftan  de  fe»^ 
Villes,-  de  fes  Provinces ,  de  fes  revenus.  Il  marque  un  regret 
extrême  qu'on  lui  ait  lailfé  ignorer  les  mœurs ,  les  Coutumes  8c 
les  intérêts  des  Nations  Etrangères ,  les  refforts  de  la  politique  9. 
l'art  de  gouverner  les  Provinces  9  &les  tempérammens  de  dou^ 
ceur  &  de'févérité  qu'il  y  faut  garder.  Le  difcours  de  ce  grand. 
Prince  Ait  diftribué  dans  tous  les  vaftes  Etats  de  fa'  domina* 
lion,  (c) 

■  Ce  fiit  par  Tordre  du  feu  Roi ,  que  le  célèbre  Evêque  dc' 
Meaux  fit  un  Ouvrage  fur  le  Gouvernement,  pour  l'inftruÛion» 
de  Monfeigneur  le  Duc  de  Bourgogne,  (d)  &  ce  Monarque 

(a)  Lettre  de  JeràmeBinion  à  Grotîus  y  du  5  Mars  16^%.- 

Jb)  Salinas ,  ProUg.  in  Jul, 

y/  Voyages  dcBemier;  Hiftoire  générale  du  Mogol ,  par  Catrou.  Paris,  lyoy, 

[/^PgUtique  tirée  des  paroles  deJxcritureSainte,  par  Bofluet,  Paris,  1709. /;^4fV' 


i 


DISCOURS    TRELIMJNAÎRE.  -xf 

avcSt  ordonné  qu  il  en  fut  compofç  fur  le  même  fujet  un  autre 
i^a)  d'où  là  flatterie  feroit  bannie,  La  vérité  devoit  y  paroître 
dans  toute  fa  pureté,  &  TOuvrage  demeurer  fecret  pour  tout 
autre  que  pour  les  trois  enfans  de  France  qui  vivoient  alors^ 

Quel  poids  la  lumière  naturelle  ne  peut-elle  pas  ajouter  à  ces    Autorité  de  ta 
opinions  des  Anciens  &  des  Modernes^  à  ces  ulages  des  peu*'  bur^'u^néceni^ 

ix  iiTi*t  d'ëtudier  la  fcien- 

f)ies  y  a  ces  exemples  des  Kois  !  ce  duGouYcme- 

Rien  n'eft  fi  digne  d'occuper  la  raîfon  que  la  fcîence  du  Gou- 
yernement.  Cette  (dence  a  pour  objet  le  bonheur  public,  &  elle 
eft  la  plus  utile  comme  la  plus  noble  des  fciences  humaines.  Oa 
n'y  trouve  aucun  principe  dont  on  jtfapperçoive  l'application; 
.&  la  théorie  s'y  tourne  toujours  en  pratique.  Sans  cette  fcience  . 
ies  Sujets  ignorent  des  vérités  &  des  principes  qu'il  leur  importe 
4e  fçavoir  ;  les  Souverains  ne  peuvent  appuyer  leur  conduite^ 
ni  les  Mioiflres  leurs  Coofeils  ^  fur  des  fondemens  folides }  & 
ces  mots  de  vertu  9  deraifon,  d'équité  qu'ils  prononcent  fi  foib  . 
îvent ,  font  des  noms  vuides  de  fens  dans  leur  bouche. 

Nous  y  apprendrons  une  vérité  effentielle  que  les  bons  Roii 
«e  perdent  jamais  de  vue*  Ceft  que  les  fupériorités  n^ont  point 
leur  fin  en  elles-mêmes  ;  que  les  Souverainetés  n'ont  été  établies 
.que  pour  Ta  vancage  des  Sujets  ;  &  que  la  domination  de  la  vo- 
lonté d'yn  feul  hoiQme  fur  celle  des  autres  hommes  y  n'eft  jufle  que 
parce  qif  elle  doit  procurer  leur  bonheur.  Ceft  des  veilles  du  Sou- 
îverain  que  doit  naître  le  bonheur  de  plufieurs  millions  d'hom- 
mes confiés  à  fes  foins.  L'Agriculture  9  le  commerce  intérieur 
j&  extérieur  ^  la  manutention  des  Loix  qui  font  le  fondement 
4'un  Etat>  la  difcipline  des  Armées  où  réfide  toute  fa  piii^ 
iance ,  le  Règlement  des  Finances  qui  le  foutiennent  ^  les  né^ 

(a\  Voyez  les  pages  i86,  jij  &  i88  de  la  Méthode  tenue  pour  l'Education  de 
Mefleigneurs  les  Ducs  de  Bourgogne,  d'Anjou  &de  Beriy,  imprimée  à  la  (uite  df 
fiQiiYrage  énoncé  4an$  la  précédante  iu>te« 


xij  î)ISCOVRS  PRELIMINAIRE. 
goeiations  étrangères  qui  le  fortifient ,  doivent  partager  tour  I 
tour  Tattention  du  Prince.  Il  ne  peut  fe  relâcher  fur  aucuns  de 
ces  foins  ,  fans  fe  refufer  à  la  jufticc  qu'il  doit  à  fcs  Sujets.  Il 
cft  un  double  lien  entre  les  Maîtres  &  les  Citoyens  des  Etats  ; 
Tun  de  proteâion  y  unit  le  Prince  à  fon  Sujet  ;  l'autre  de  dé- 
pendance ,  lie  le  Sujet  à  fonPrince*  Les  Rois  font  la  plus  vive 
image  de  Dieu  fur  la  terre  ,  ils  y  montrent  fa  grandeur  y  ils  j 
exercent  fon  autorité ,  TEcriture  Sainte  les  appelle  des  Dieux  à)  ; 
mais  ce  nom  n'eft  pas  moins  pour  les  Princes  une  leçon  de 
juftice  ,  de  vigilance ,  de  bonté ,  que  pour  les  Peuples  une  le- 
çon de  refpeâ: ,  d'obéiflance  >  d'amour  i  &  c'eft  principalement 
par  la  juftice  que  les  Souverains  doivent  reffembler  à  Dieu. 
C'eft  être  Dieu  à  l'homme  ,  que  de  fecourir  l'homme  >  faire 
xegner  la  juftice ,  c'eft  être  la  caufe  univerfelle  du  bien  y  &  mé- 
riter en  quelque  forte  par  reiTemblanceimnom  qui  appartient 
à  Dieu  par  nature* 

Quel  eft  le  moyen  de  remplir  de  fi  grands  devoirs  l  Les 
hommes  ont  dans  Tame  les  principes  de  toutes  les  vertus  mo- 
rales 8c  politiques  ;  mais  ces  femences  demeurent  ftériles  fi  elles 
ne  font  cultivées ,  Se  ce  n'eft  que  par  l'étude  &  par  l'expérience 

qu'un  Prince  peut  fe  rendre  capable  de  régner.  On  f<gait  quels 

peuvent  êfre  les  fruits  de  l'une  &  de  l'autre ,  &  il  s'en  fauc 
bien  que  l'expérience  nous  fourniffe  les  mêmes  reftburces  que 
l'étude.  L'intervalle  qui  fépare  le  commencement  6c  la  fin  de  la 
vie.  eft  fi  court  y  qu'il  femble  que  ces  deux  extrémités  fe  tou- 
chent ;  une  expérience  de  fi  peu  de  jours  ne  fçauroit  fournir 
qu'une  inftruâion  médiocre.  L'étude  y  par  un  chemin  plus  facile 
€c  plus  abrégé^  donne  des  connoiffances  plus  étendues  &  plus 
parfaites  ;  on  n'eft  jamais  à  portée  de  tout  voir  y  mais  la  leâure 

{a)  Efp  dixi  :  Du  efiis  90s,  PÉJm.  8i,  t,  f  * 


DISCOURS  TRELÎMINAIRÊ.  xiij 
peut  tout  enfeigner.  Quelque  long  que  foit  fon  règne ,  un  Sou- 
verain n  a  prefque  jamais  à  conduire  deux  grandes  aff^res  qui 
fe  teflcmblent  parfaitement.  Cefl  par  la  connoiflance  des  éve- 
nemens  qui  ont  précédé ,  qu'on  doit  fe  précautionner  contre 
ceux  qui  peuvent  fuivre*  Si  Ton  n'eft  d'avancé  inftruitdes  prin- 
cipes ,  on  fait  de  faufles  démarches  qu'on  n'a  pas  toujours  le 
tems  de  réparer.  N'cft^il  pas  plus  fage  &  plus  utile  de  s'inftruire 
par  les  fautes  des  autres  dans  l'étude  6t  la  fcience  du  Gouverne- 
ment 9  que  par  celles  qu'on  feroit  foi-^même  dans  la  pratique  ^ 
fi  cette  étude  n'avoit  précédé  / 

Les  perfonnes  qui  fervent  les  Princes  dans  leurs  afl&ires  ^ 
ne  font  tant  de  fautes  ^  que  parce  que  n'y  ayant  ni  règle  pofî- 
tivc  9  ni  principes  écrits  qui  ferviroient  ou  à  redreffer  leurs 
\ûes,  ou  à  leur  donner  celles  qu'ils  doivent  avoir.  De-là  vient 
qu'on  arrive  fî  tard  au  but  qu'on  devroit  fe  propofer  ,  &  que 
très-fouvent  on  le  manque.  Aucune  Société  ne  fçauroit  fubfif- 
tcr  longtems ,  qu'avec  le  fecours  d'une  régie  d'inftitut  toujours 
préfente  à  ceux  qui  la  conduifent.  Comment  l'état  j  qui  ren-« 
ferme  toutes  les  Communautés  ^  aufli  bien  que  tous  lesParticu* 
liers  I  pourroit-il  s'en  paiïer  ?  Comment  y  ceux  qui  fuccédent 
aux  places  6c  aux  emplois  ^  feront-ils  au  fait  de  ce  que  lescon- 
^onûures  changent  aux  principes  qu'ils  voyent  qu'ont  fuivî 
leurs  prédéceffeurs  ?  Faute  de  cette  règle  permanente  ,  une 
bonne  idée  qui  q'a  pu  s^exécuter  j  périt  avec  l'inventeur  ;  & 
une  infinité  de  mauvaifes  ^  adoptées  par  vivacité  ^  par  igno-* 
xance  ^  fe  perpétuent* 

Chique  emploi  demande  une  étude  particulière  ^  tous  les 
Arts  s'apprennent ,  &  les  plus  faciles  y  les  moindres  ont  leurs 
•principes  ^  leur  méthode  ^  leur  tcms  d'apprentiffage.  Celui  de 
conduire  le  genre  humain  n'aura*c-il  pas  fes  r^les  ï  Gouvçr^ 


jâr  DISCOURS  PRELIMINAIRE. 
nera-t-on  le  monde  à  Pavanture  ?  Il  efl  moralement  impoffible 
que  le  Qouvernement  exerce  fans  théorie ,  foit  long-tems  heu- 
reux. La  perfeûion  d'un  art  demeure  toujours  inconnue  à  ceux 
qui  ne  fe  conduifent  que  par  routine  »  (a)  &  une  longue  ex- 
périence qui  rfeft  pas  foutenue  par  un  fond  réel  de  connoif- 
fances  y  n'efl:  fouvent  qu  une  longue  habitude  d'erreur.  Il  fau; 
joindre  les  exemples  des  fiécles  pafTcs  à  Fexpérience ,  la  fpé- 
culation  à  la  pratique  ^  la  raifon  à  Tufage. 

Ce.  n'eft  qu'en  exerçant  fans  ceffe  fon  intelligence  ,  qu'ont 
lui  donne  de  l'étendue.  Ce  qu'on  apprend  par  Tétude  ne  fuf- 
fît  pas  y  il  efl  vrai  ^  pour  former  un  grand  homme  d'Etat  ^ 
mais  on  y  acquiert  des  connoiflances  abiblument  néceffaires  ^ 
des  principes  fondamentaux  ,  une  théorie  qui  ouvre  l'efprit , 
qui  fournit  des  idées  y  Se  qui  contribue  par  des  réflexions  à  af- 
furcr  &  à  étendre  les  vues  de  la  pratique.  Les  connoîfFances 
fpéculatives  &  celles  de  l'ufage  s'entr'aident,  l'exercice  perfec- 
tionne ce  que  la  méditation  a  enfeigné  ^  &  achevé  l'homme 
d'Etat  que  l'étude  a  commencé* 

Si  l'on  a  vu  des  hommes  gouverner  avec  fiiccès  (ans  le  fe- 
cours  de  l'étude  ,  c'étoient  des  efprits  fupérieurs  >  &  il  n'eft 
donné  qu'à  des  Génies  du  premier  ordre  de  tirer  tout  de  leur 
propre  fonds.  Peu  de  gens  peuvent  fe  flatter  d'être  nés  avec 
cette  pénétration  &  cette  étendue  d*efprit  qui  fuppléent  à  Pé- 
tude  ,  &  quelquefois  même  à  l'expérience»  D'ailleurs  ,  ces 
hommes  extraordinaires  ont  été  bien  rares  &  feroient  allés  plus 
loin  y  fi  une  bonne  éducation  pût  augmenté  les  avantages  qu'Us 
avoient  reçus  dç  la  nature. 
vcrfes^lTrrics  de  ^^  '  4^'^^  ^^  cToye  point  que  l'étude  des  diverfes  parties 
Sic"  ffaircaSSiwï  de  \sL  (cicncQ  du  Gouvernement  foit  inutile  auxSujçtSf  Qui  pour^ 

J'ets  comme  aux 
'^^^^  {^a)  Cic^.  Acad.  fuiJI,  Ub.  4; 


DISCOURS    PRPLÎMINAIKE.       jcr 

f oit  penfer  que  Técude  du  Droit  naturel  y  laquelle  nous  dt>nne 
écs  principes  qui  s'étendent  à  tout  ^  &  qui  font  de  tous  les  tems 
&  de  tous  les  lieux  ^  foit  inutile  à  des  hommes  l  Tous  les  partW 
culiers  font  obliges  de  bien  vivre ,  &  doivent  par  conféquent 
connoître  le  Droit  naturel*  Qui  pourroit  penfer  que  la  connoif- 
lance  du  Droit  dans  fes  plus  nobles  portions  ^  foit  inutile  à  des 
Citoyens  l  Nous  avons  à  vivre  avec  nos  Concitoyens  ,  &  à 
communiquer  avec  les  Etrangers  ^  &  il  importe  que  nous  rfig- 
notions  pas  les  régies  de  ces  diverfes  Sociétés.  Tout  le  monde 
n*efl  pas  appelle  à  la  conduite  des  Peuples  ;  mais  puifque  les 
particuliers  &  les  Sociétés  entières  vivent  fous  des  régies  ^  ils 
doivent  s'en  former  des  idées  aufli  nettes  &  aufli  juiles  qu'il 
efl  poflible;  La  fcierKe  d'obéir  Ss  de  commander ,  prife  dans 
toute  fon  étendue  ^  ne  peut  être  indifférente  à  perfonne.  Elle 
efl  ,  à  divers  égards  y  nécefikire  à  tout  le  monde  ;  aux  uns  y 
abfolument^  pour  bien  gouverner  ;  aux  autres  y  jufqu  à  un  cer-- 
tain  point  ^  pour  fe  gouverner  eux-mêmes  y  6c  pour  obéir  aux 
Loix  fous  lefquelles  ils  vivent.^ 

Loin  de  nous  ce  rafinement  de  certains  Politiques  y  qui  pla-^ 
cent  TefTentiel  du  Gouvernement  dans  unmyflére  impénétrable 
au  peuple*  Il  importe  fans  doute  aux  Princes  de  ne  pas  mann* 
fefler  les  délibérations  du  cabinet  ^  les  entreprifes  qui  pour- 
roient  échouer  fi  elles  étoient  découvertes  ,  les  négociations 
fujettes  à  «re  traverfées  ,  les  reffources  qu'ils  fe  font  ména- 
gées pour  cenains  événemens  ,  l'état  de  leur^  finances  ;  mais 
ils  ne  doivent  pas  vouloir  cacher  les  principes  généraux  du^ 
Gouvernement  9  ils  ne  le  veulent  point  ^  8c  ils  le  voudroient 
-  inutilement» 

Ce  ne  font  point  les  lumières  dès  Sujets  que  le  PrirKe  doit 
(Craindre  ^  c'eilleur  igiiorance»  Celle  de^  Lettres  eil  touj,ouc» 


xvj  DISCOURS  FRELIMINÂIRE. 
fuivie  de  celle  des  Loix ,  comme  celle-ci  Tefl:  de  celle  des  de-J 
voirs.  Le  fçavoir  rend  tranquille ,  fournit  une  douce  occupa- 
tion ,  &  éclaire  fur  les  fuites  de  Tindociliré  ;  mais  les  gens  peu 
inftruits^&  les  gensoifîfs  font  également  dangereux  dans  un 
Etat.  Le  Gouvernement  n'a  d'autre  objet  que  de  rendre  les 
peuples  heureux  ;  &  il  eft  fi  utile  aux  hommes  9  que  tous  les 
avantages  dont  ils  jouiffent  fur  la  terre ,  leur  fortune ,  leur  hon^ 
neur ,  leur  vie  en  dépendent. 

Les  Souverains  mêmes  doivent  defirer  que  les  régies  du  coro- 
mandemtent  &  de  Pobéiffance  foient  connues.  Cette  connoif^ 
fatxre  difpofe  à  faire  par  amour  ce  que  fans  elle  on  ne  feroi^ 
que  par  contrainte.  L'un  de  ces  moyens  ell  plus  fur  que  Taur 
tre,  mais  réunis  9  ils  ne  laiffent  rien  à  defirer.  Une  foumifiioa 
éclairée  n'en  efl:  que  plus  prompte  &  plus  fincere.  Quand  la 
régie  efl;  bien  connue ,  le  Prince  règne  félon  les  Loix  ,  le  Ma- 
giftrat  fait  un  ufage  raifonnable  de  fon  pouvoir  ^  le  Sujet  rend 
une  ôbéifTance  dont  il  connoît  &  Tucilité  &  la  nécefilté  y  toutes 
les  voycs  qui  nous  inftruifent  de  notre  devoir  nous  le  font 
aimer ,  &  nous  ne  fçàurîons  étudier  les  principes  de  Gouver- 
nement 9  fans  être  convaincus  que  les  Loix  font  la  fource  de 
la  félicité  publique ,  &  que  chaque  Citoyen  a  intérêt  d'obéir 
cxaâement  au  Souverain  ,  foit  que  le  pouvoir  fuprême  réfîde 
dans  un  feul ,  foit  qu'il  réfide  dans  plufieurs ,  ou  dans  tous. 
Cette  fdence      L'étude  de  la  fcience  du  Gouvernement  9  cette  étude  fi  né- 
«{oeiaues  Pays  ;  ccflaire  à  la  Socîété  •  fi  importante  «  fi  fort  en  honneur  en  Hol- 
^tt"M^«^  lande,  en  Angleterre ,  en  Allemagne  ,  &  dans  le  Nord,  efl: 
EcVtft'po'!^  néanmoins  abandonnée  en  quelques  lieux  :  Négligence  déplo- 
E^'^tfôS  "^^^  •  S'i^  ^'^ft  P^ii^t  d'Art  plus  relevé  que  celui  de  gouver- 
•»"«»^  ner ,  il  n'en  eft  point  aufli  où  les  erreurs  foient  d'une  fi  dan- 

gsrçufe  conféqHcncet  Dans  ks  autres  Ar^ ,  Pignoraçcc  ne  peut 


DISCOURS  PRÊ'LIMIN^IRE.  xvîj 
iivke  qu  à  peu  de  gens  :  Ici ,  elle  porte  un  préjudice  capital  à 
tous  les  Citoyens  ;  &  la  mifére  publique  marche  à  la  fuite  de» 
différentes  efpéces  de  fautes  des  Princes  Se  de  leurs  Miniftres-' 

L^homme  eft  naturellement  porté  à  négliger  la  connoifTance 
des  chofes  qui  Tenvironnent ,  ou  il  croit  les  fçavoîr ,  ou  il 
fuppofe  qu'il  iera  toujours  à  tems  de  les  apprendre.  Il  réfervc 
^n  attention  pour  celles  que  la  diftance  des.  tems  &  dès  lieux 
a  mifes  hors  de  fa  portée  (a).  Il  néglige  ce  qui  le  regarde  per» 
fonnellement,  &  s  attache  à  des  objets  étrangers.  Par  cette  bî* 
2are  difpofition  d'el'prit ,  on  ignore  affez  fouvent  les  chofes  qu*on 
a  intérêt  de  connoître  ^  &  Ton  ne  s'applique  qu'à  acquérir  la 
connoiflancede  celles  qu'on  pourroit  ignorer  fans  danger.  De-là 
vient ,  que  peu  de  perfonnes  connoiffent  les  principes  de  Gou^p 
vernement  &  les  fondemens  du  repos  public  ^  qui  font  la  fur 
xeté  des  Princes  &  le  bonheur  des  Sujets. 

On  découvre  fans  peine  ^  pourquoi  quelques  pays  font  fés- 
^onds ,  &  quelques  autres  ftériles ,  en  fujets  propres  à  manier 
les  affaires  publiques.  Ceft  fuivant  le  goût  de  chaque  Nation  ^ 
la  forme  de  chaque  Etat ,  &  à  proportion  de  Paftention  de 
chaque  Souverain  ,  que  la  fcience  du  Gouvernement  efl  plus 
ou  moins  cultivée ,  félon,  que  la  difcipline  nationale  eft  bonne 
ou  mauvaife,  les  Nations  font  bien  ou  mal  élevées, 

La  négligence  à  étudier  les  principes  de  Gouvernement  fc 
manifefte  furtout  dans  les  Monarchies  ,  qui  n'admettent  dans 
les  myftéres  d'Etat  qu'un  petit  nombre  de  pcrfonaes.  Les  par- 
ticuliers y  négligent  cette  étude ,  dans  la  penfée  qu  ils  ne  par- 
viendront jamais  aux  grands  emplois  ;  &  ceux  mêmes  à  qui 
une  nailTance  illuftre  &  une  fortune  confidérable  font  çonce-^ 
Yoir  des  efpérances  plus  relevées ,  ne  font  pas  exemts  de  cçtte 

^a)  Vttera  extoUimus  ,  retcntium  incuriojî,  T^QiU  Annal.  LIb»  i^  • 

Tpmçff  c 


xvîij      DISCOURS    PRELIMINAIRE. 

négligence  ,  parce  qu'ils  doutent  fi  leur  ambition  fera  jamais 
fatisfaite.  Les  Miniflres  ^  que  d- heurcufes  circonflances  ont  mis 
jcn  place  ^  font  plus  occupés  des  ufages  reçus  ^  qu'attentifs  à 
connoître  la  régie.  Les  Princes  mêmes  ne  font  pas  toujours 
allez  de  réflexions  j  ni  fur  les  principes  qui  fondent  le  fage 
iîouvernement ,  ni  fur  les  conféquences  qui  en  réfultent. 

Louis  le  jufte  &  Louis  le  Grand  ont  établi  des  Académies  célè- 
bres ,  leurs  Règnes  ont  été  fertiles  en  grands  hommes  dans  pref- 
que  tous  les  genres ,  &  le  dernier  fiécle  a  été  le  ficelé  des  Arts  & 
des  Sciences  ;  mille  produdlions  de  Tefprit  humain  ont  illuftré 
la  France ,  &  par  une  heureufe  influence ,  inftruit  toute  TEu- 
xope.  Le  lîoifoutîentles  anciens  établiflemens  &  en  fait  de  nou- 
veaux ;  mais ,  fous  aucun  de  ces  trois  grands  Monarques  ,  per- 
fonne  n'a  perfcvSlionné  la  fcience  du  Gouvernement  !  perfonne 
n'a  traite  d'aucune  des  parties  de  cette  Science  ,  avec  quelque 
forte  d'ordre ,  &  dans  une  jufte  étendue. 

Qu'il  eft  peu  d'hommes  parmi  nous  qui  s'inftruifent  des  Loix 
&  des  intérêts  de  leur  pays  y  des  mœurs'  &  des  maximes  des 
autres  peuples  !  Les  François  femblent  réferver  leur  eftime  pour 
les  honneurs  qui  s'acquièrent  par  la  profeflion  des  armes  ;  &  ^ 
comme  fi  la  valeur  éroit  la  feule  vertu  néceflTaire  à  la  guerre  , 
ils  négligent  encore  en  ce  point ,  cette  étude  du  Cabinet  qui 
feule  prépare  des  grands  hommes  aux  Nations.  L'art  de  la 
guerre  eft  malheureufement  regardé  par  beaucoup  d'Officiers 
François ,  comme  un  art  méchanique ,  où  les  yeux  du  corps  ^ 
l'exercice  ,  &  la  pratique  fuflSfent ,  &  où  le  génie  fupérieur  , 
Tefprit  pénétrant  &  cultivé ,  &  l'habitude  de  penfer  femblent 
inutiles.  Auffi ,  qu'il  me  foit  permis  de  le  dire  ,  cette  Monar- 
chie a-t-elle  peu  d'Officiers  généraux  en  qui  les  qualités  ac- 
quifes  éclatent  .au  même  dégrc  que  les  talens  naturels»  Dieu 


DISCOURS  PRFLIMINJIRE.  xi|c 
veuille  que  trois  bons  Ouvrages  (a)  qu'on  a  publiés  ^  il  n'y  a 
pas  longtems ,  contribuent  à  déprendre  nos  Guerriers  de  cette 
erreur.  Ciceron  rapporte  que  Lucullus  ,  ayant  employé  tout 
le  tems  du  trajet  de  Rome  en  Afie ,  à  lire  les  avions  des  grands 
Capitaines  ,  &  à  interroger  les  gens  du  métier  ,  arriva  dans 
ce  pays-là  Général  tout  formé,  quoiqu'il  fût  parti  de  Rome  fans 
aucune  expérience  militaire.  Le  Marquis  Spinola  ,  fi  célèbre 
dans  les  guerres  des  Pays-Bas  ,  le  plus  grand  Général  de  fpn 
fiécle  après  le  Prince  Maurice  de  NafTau  ,  fçut  faire  la  guerre  ^ 
donner  des  Batailles  ,  prendre  des  Villes  ,  conduire  des  Ar- 
JDées ,  avant  que  d'avoir  fervi. 

Les  Sujets  du  Roi  font  réduits  à  la  facheufe  alternative  ,  Ou 
d'ignorer  tout  ce  qui  a  rapport  au  Gouvernement,  ou  de  n'en 
être  inftruits  qu'imparfaitement  par  les  Auteurs  étrangers.  Il 
n'y  a  dans  cette  Monarchie  ni  Académie  de  Politique  ,  (b)  nî 
.Cabinet  d'Etat  (c)  ,  ni  chaire  de  Droit  public  ,  ni  Profeffeurs 
de  Droit  des  Gens,  ni  régie  certaine ,  pour  élever  de  bons  Su- 
jets dans  les  connoifTances  que  demandent  les  emplois  du  Gou- 
vernement. Le  principe  d'une  inftruSion  univerfelle  ,  par  rap- 
port au  Gouvernement  a£lif  &  palïif,  manque  à  ce  Royaume^ 
&  un  parallèle ,  aifé  à  faire  entre  nos  ufages  &  ceux  de  quel- 
ques autres  Peuples  ,  nous  montreroit  avec  évidence  ,  pour- 
quoi nous  fommes  communément  moins  inftruits  à  cet  égard 
que  nos  voifins. 

(a)  Les  Mémoires  de  Feuquîeres  ;  les  Commentaires  fur  Polybe,  par  Folard  ;  1  Art 
-de  la  Guerre  par  règles  6c  principes  j  par  Puyfegur. 

{b)  Henri  VIII ,  Roi  d'Angleterre ,  avoit  établi  dans  fes  Etats  ,  &  le  feu  Roi  dans 
les  fiens ,  une  Académie  de  jeunes  gens  qu^ils  ^dfoient  inftruire ,  &  qu'ils  deftinoiènt 
aux  Négociations.      -^ 

(  c  )  On  ne  peut  lire  dans  les  Mémoires  de  Sully ,  (  pag.  89  jufqu'à  103  du  3*  vol.  )  le 
projet  d'un  Cabinet  d'Ëtat  fait  entre  Henri  IV  &  fon  Miniftre ,  fans  regretter  que  ce 
, Cabinet  n'ait  pas  été  formé.  Il  eût  été  utile  au  Roi,  aux  Miniftres ,  à  tous  les  Citoyens  j^ 
pourvu  qu'on  n'y  eût  pa$  fait  entrer  les  idées  Lacedémoniennes  du  Duc  de  Sully. 


XX      DISCOURS    PRELIMINAIRE. 

Ccrfeft  pas  d^aujourd'huî  qu*on  fc  plaint  que  nous  ncgligeons 
cette  étude*  Un  de  nos  anciens  Auteurs  a  remarqué  que  les 
François  ne  confervoient  pas  avec  Texaftitude  qu'on  avoit  dans 
les  autres  pays ,  les  a£lcs  de  la  paix ,  de  la  guerre ,  des  négo- 
ciations ;  &  que  moins  informés  de  leurs  affaires  qu  aucun  au- 
tre Peuple  ,  ils  croient  comme  étrangers  dans  leur  propre 
pays  (a).  Un  autre  Ecrivain  nous  apprend  que  de  fon  tems  9 
les  Ambaffadeurs  des  autres  Nations  ctoient  beaucoup  mieux 
înftruits  que  ceux  de  France  ^6).  Il  y  a  près  de  deux  ficelés 
que  le  premier  de  ces  reproches  nous  a  été  fait ,  nous  n'y  avons 
remédié  qu'en  partie  (c)  ;  &  s'il  faot  dire  la  vérité ,  à  ne  par- 
ler qu  en  général  >  le  fécond  fubfifte  dans  toute  fon  étendue* 

Nos  François  font  naturellement  ingénieux  ,  mais  quelle 
funefle  alliance  que  celle  de  l'ignorance  &  de  Tefprit  !  Nous 
n'avons  point  d'autre  principe  que  la  mode  ,  elle  décide  de  nos 
études  comme  de  nos  ajuftemens,  &  la  mode  n'eft  pas  de  travail- 
ler à  fe  rendre  utile  à  la  Monarchie ,  en  étudiant  fes  intérêts  & 
nous  mettant  en  état  de  lervir  à  fes  befoins.  Les  jeunes  gens 
qui,  dans  le  cours  de  leurs  premières  études  ,  tcms  fi  précieux 
&  ordinairement  fi  mal  employé ,  ne  voyent  rien  qui  ait  rap- 
port à  la  fcience  du  Gouvernement ,  ne  s'avifcnt  point  de  s'y 
appliquer ,  lorfqu'ils  font  livrés  à  toutes  les  partions  ,  à  tous 
les  emportemens  de  Vâge.  Cette  négligence  influe  fur  la  conduite 
du  refle  de  la  vie  de  cette  Jeunefle  peu  înflruite  ;  &  c'eft  de-là 
que  vient  l'ignorance  qui  ,  en  même  tems  qu'elle  rend  inca- 
pable de  remplir  les  emplois  publics  ^  femble  augmenter  le  de- 
fir  ambitieux  de  les  pofiféder. 

(aS  Budé ,  dans  fes  Notes  fur  les  Pandeftes ,  p.  89. 

\b\  Villiers-Hotman ,  dans  TEpitre  qui  ed  à  b  tête  du  Livre  intitulé  :  De  la  charge  & 
Jignité  de  tAmhaJjadeur.  Il"  édition  ^ Paris ,  1604.  in-i%. 

(tf)  Les  papiers  qui  regardent  les  négociations  Etrangères  font  confervés  à  préfent 
4asis  un  appartemem  au  Palais  des  Tuileries  \  nuds  à  rioftruâioo  de  q^iferyent-ils  i 


DISCOURS    PRELIMINAIRE.      xxj  ' 

En  voilà  affurément  plus  qu'il  ne  faut  ,  pour  prouver  qu'il  faiîiV^crcette 

cft  indifpenfable  que  les  Princes  foient  inftruits  des  principes  Sc^rfirêmbîer  & 

de  Gouvernement  ,  &  qu  ils  connoiffent  tous  les  décails  de  i/s  ?onnoifl^ncc$ 

k  ,  11      •!      r  '  nëceOaires  pour 

Science  pour  laquelle  ils  iont  nés.  gouverner. 

Un  Traité  complet  de  Gouvernement  ,  a  été ,  en  divers 
tems  &  en  différens  pays  ,  Tobjet  des  vœux  des  trois  fçavans  ^ 

Jurifconfultes  (a)  ,  dont  le  dernier  fut  plus  habile  que  ne  Tont 
été  la  plupart  des  Légiflateurs.  Mais  comment  rafTembler  tous 
les  matériaux  qui  doivent  former  cet  Ouvrage  !  Où  trouver 
toutes  les  connoiffances  ,  pour  donner  une  inflrudion  fi  utile 
fi  néceflaire  9  fi  indifpenfable  !  Pour  inftruire  toutes  les  per- 
fonnes  qui  pourront  dans  ,1a  fuite  être  employées  dans  les  di- 
verfes  parties  de  Tadminiflration  publique  !  Pour  éclairer  les 
peuples  ! 

Sera-ce  dans  Tantiquité  ?  Peu  de  régies  anciennes  de  Gou- 
vernement font  venues  jufqu  à  nous ,  foit  qu  elles  rfayent  pas 
été  écrites  dans  tous  les  Etats ,  foit  que ,  plus  occupés  du  pré- 
fent  que  de  Ta  venir  y  les  Sçavans  ayent  négligé  de  les  tranf- 
mettre  à  la  poftérité  y  foit  enfin  qu'elles  n'ayent  pu  échapper 
aux  outrages  du  tems  y  ou  que  les  ravages  des  guerres  nous 
les  ayent  enlevées.  Dans  quelques  fragmens  que  les  Grecs  nous 
ont  confervés  des  Loix  des  Orientaux  ,  tout  marque  Tigno- 
rance  &  la  grofliéreté  qui  accompagnent  toujours  ks  premiers 
âges  des  Nations.  Nous  n'avons  prefque  rien  des  Grecs  eux- 
mêmes,  quoique  ce  Peuple  s'appliquât  beaucoup  à  la  fcience 
du  Gouvernement.  Les  Romains ,  ces  hommes  fi  habiles ,  ne 
nous  ont  laifie  à  cet  égard  aucun  précepte..  Leurs  Succeffeurs 

{a)  Louis  le  Roy ,  dont  je  fais  menfion  dans  mon  Examen  ;  Vincent  Cabota  à  qui  j^ai 
au{E  donné  un  article  ;  8c  Hugues  Grotius.  Voyez  le  Difcours  préliminaire  qui  eft  à  b| 
^te  du  Traité  Dt  Jure  htlU  &  pacis^ 


xxîj      DISCOURS    TRELIMINAIRE: 

n'ont  pas  eu  plus  d'attention  à  faire  pafler  jufqu  à  nous  des  ré- 
gies que  nous  puffions  confulter.  Si  quelques-unes  des  Loîx  de 
ces  Nations  célèbres ,  fi  quelques-unes  de  leurs  régies  y  fi  quel- 
ques-uns de  leurs  préceptes  pour  le  Gouvernement ,  ont  fran- 
chi la  barrière  de  tant  de  fiécles  9  ils  ne  nous  ont  été  confer- 
vés  que  dans  un  état  d'imperfeâion  qui  nous  les  rend  prefque 
inutiles.  Aufli  éloignés  des  mœurs  des  anciens  que  de  leurs 
fiécles  9  nous  chercherions  envain  dans  leurs  Ouvrages  toutes 
les  régies  de  Gouvernement  qui  nous  font  néceffaires* 

Sera-ce  dans  les  Auteurs  modernes  qu'il  faudra  les  chercher  ? 
Nous  avons  des  avantages  qui  manquoient  à  nos  pères.  Les 
Sociétés  ont  pris  une  forme  fiable ,  &  les  droits  des  hommes 
font  par  conféquent  mieux  connus  ^  &  plus  aifés  à  diflinguer. 
Le  monde  efl:  plus  âgé,  &  c'eft  le  tems  qui  perfe£lionne  les 
Sciences.  Nous  fommes  inftruits  par  les  découvertes  de  ceux 
qui*  font  venus  avant  nous  ;  &  les  premiers  Inventeurs  nous  ai- 
dent eux-mêmes  à  les  furpaffer.  La  fcience  du  Gouvernement 
n'a  pas  fait  cependant  tout  le  progrès  que  tant  d'avantages 
fembloient  nous  promettre.  Elle  n'eft  pas  au  point  de  perfec- 
tion où  le  genre  humain  a  intérêt  qu'elle  foit  portée.  Les  con- 
noifTances  néceffaires  pour  régir  les  Etats  font  difperfées  9  au- 
cun Ecrivain  n'a  pris  foin  de  les  raffembler ,  aucun  même  n'a 
indiqué  les  fources  où  l'on  peut  les  puifer.  Il  y  a  des  Auteurs 
qui  ne  font  pas  une  diftindlion  nécefTaire  entre  la  Politique  & 
les  Négociations  ;  il  y  en  a  qui  ne  difl:inguent  pas  non  plus 
^ntre  le  Droit  &  la  Politique  ;  il  en  eft  enfin  qui  parlent  fur 
^le  même  ton  ,  de  la  Politique  ^  de  la  Science  du  Gouverne- 
ment. Tous  prefque  confondent  la  caufe  &  l'effet ,  l'efpèce  & 
le  genre  9  les  efpèces  entr'elles.  Les  Ecrivains  des  Souveraine- 
tés qui  partagent  aujourd'hui  l'Europe ,  rfont  d'aUlewrs  eu  poyr 


TUSCOURS    PRELIMINAIRE,     xxîîj 

objet  que  le  bien  des  Etats  où  ils  vivoîent  j  leurs  Ouvrages  fc 
rapportent  au  Droit  reçu ,  aux  Coutumes  établies ,  à  la  Religion 
profeflee  dans  leur  pays  ;  aucun  n'a  expliqué  la  fcience  du  Gou-  ^ 
vernement  avec  méthode  ,  &  rfa  montré  le  tout  avec  fes  par- 
ties. On  peut  traiter  ce  grand  fujet  avec  plus  de  préçifion  qu'ils 
n'ont  fait  ,  &  ainfi  le  mettre  dans  un  plus  grand  jour  ,  en 
mcroe  tems  qu'on  lui  donnera  plus  d'étendue^  Ce  feroit  affu* 
rément  fe  tromper ,  que  de  penfcr  qu'un  homme  d'Etat  puiffc 
trouver  dans  les  Auteurs  modernes  toutes  les  lumières  dont  il 
a  befoin» 

Sera-^e  dans  la  lefture  affidue  des  anciens  &  des  modernes  f 
mêlés  8c  confondus  ^  qu'on  trouvera  ces  lumières  ?  Oui  ^  fans 
doute ,  en  reûifiant  les  anciens ,  &  en  perfectionnant  les  mo- 
dernes. 

Il  ell  néceffaire  de  raffembler  dans  le  même  Livre  toute  la 
Doctrine  du  Gouvernement ,  de  réunir  fous  un  même  point  de 
vue  ,  les  connoifTances  éparfes  ^  de  les  mettre  au  degré  de  per- 
feûion  où  elles  peuvent  être  portées ,  &  d'en  faire  un  corps 
de  Science  unique  &  entier  dans  toutes  fes  parties  «  pour  le     comment  le 

1  11  n  P''®)*^  ^®  réduire 

bonheur  des  Peuples  fie  pour  la  gloire  des  Souverains  qui  en  cft  toutes  les  matie- 

*  *  ^  -*■  res  de  Gouverne- 

inféparable.  ™«n*  «"  ""  ^^^ 

*  corps  de  fcience  » 

Ce  Livre  ne  doit  être  borné  ni  au  Gouvernement  d'une Pro-*^^«*^^^^» 
vince ,  ni  à  celui  d'un  Royaume ,  ni  à  celui  d'une  partie  du 
monde.  Il  doit  embrafTer  le  Gouvernement  de  toute  la  terre 
policée  ,  &  intéreffer  tous  les  pays. 

Pour  rendre  cet  Ouvrage  digne  de  Peflîme  &  de  l'amour 
des  hommes ,  l'Auteur  libre  dans  fes  jugemens  &  affranchi  de 
toute  prévention  de  lieu  &  de  naîffance ,  doit  écrire  non  pas 
en  homme  uniquement  zélé  pour  la  gloire  de  fon  Roi  &  pour 
l'avantage  de  fa  patrie  ^  mais  en  homme  qui  écrit  pour  tous  les 


xxîv  DISCOURS  PRE'LIMINAIRE; 
hommes  ^  en  Habicans  du  monde  qui  cherche  la  vérité  &  qui 
aîme  fes  femblables  9  fous  quelque  climat  qu'ils  vivent ,  quel- 
que Religion  qu'ils  profeffent  ,  &  par  quelque  conftitution 
d'Etat  qu'ils  foient  gouvernés.  Le  feul  lieu  où  il  lui  foit  per- 
mis de  paroître  Catholique  ,  c'efl  dans  le  Traité  du  Droit  Ec- 
défiaftique  qui  doit  néceffairement  entrer  dans  la  compofition 
de  la  Science  du  Gouvernement  pour  la  rendre  complette. 

J'ai  ofé  travailler  fur  ce  plan  à  réduire  toutes  les  matières  de 
Gouvernement  en  un  feul  corps  de  Science ,  &  fans  doute  qu'en 
cela  j'ai  plus  confulté  mon  zélé  que  mes  forces.  Pendant  pi  es 
de  quarante  ans  ^  je  me  fuis  continuellement  occupé  du  foin  de 
le  compofer  ,  &  ce  n'eft  point  trop  de  tems  pour  Icxécution 
d'un  Ouvrage  d'une  fi  grande  étendue.  Heureux  ,  fi  j'ai  pu 
élever^un  édifice  qui  foit  de  quelque  utilité  &  qui  foit  jugé  digngt 
d^une  main  plus  habile  { 


tA 


oo©oo©o©o©oooo 


LA    SCIENCE 

D  U 

GOUVERNEMENT. 

IDÉE     GÉNÉRALE 

DE    LA    SCIENCE       * 

DU  GOUVERNEMENT. 

UcuNB  Société  ne  peut fubfifler  fans  un  ordre    i.ccquec-dè 

^  *  que  le  Gouverne? 

cenain.  S'il  n'y  en  avoir  point  dans  les  fociétés  "^"'^ 
civiles  ,  les  droits  ne  feroient  point  diflingués , 
les  prétentions  demeureroient  indécifes ,  leurs 
pofleffcurs  feroient  expolés  aux  infultes  impunies  du  plus 
fort ,  tout  feroit  dansla  confufîon.  Le  Gouvernement  éta- 
blit Tordre  Se  le  conferve  dans  les  focictés  civiles. 

Tout  Gouvernement  a  pour  objet  de  mettre  ceux  qui  luî 
font  foumis  dans  la  néceflîté  de  remplir,  les  uns  envers  les 
autres  ,  leurs  engagemens  naturels  ou  contractés.  La  fin 
du  Gouvernement  eft  l'avantage  de  ceux  quifont  gouvernés , 
&  le  bonheur  des  fujets*  Le  falut  du  peuple  eft  la  loi  fu* 
prcme  de  chaque  Etat  {a). 

Nous  fommcs  nés  pour  vivre  en  focîété  ,  &  nous  y  fom-    «.tcsiKmmief 

/  1  t  .  .  r  X  !•  étoiem  néj  pour 

mes  portes  par  le  penchant  qui  umt  un  lexe  a  1  autre ,  &  par  ^«^re  en  fodété , 
tous  nos  bcfoins.  Les  autres  animaux  ,  deftinés  à  une  vie 

(a)  Salus  populifuprma  Ux  ejlo,  Qceu  de Legib.  L  3^n.8, 
Tome  l  A 


i  SCIENCE 

errante  6c  foUtaîre ,  naiflent  avec  des  armes  propres  à  leuf 
dcfenfe  ;  mais  Thomme  ,  dénué  de  tout  quand  il  vient  au 
monde  ,  ne  peut  fc  pafler  de  fecours  étrangers.  La  qualité 
de  fociable  ne  lui  ell  pas  moins  eflentielle  que  celle  de  rai- 
fonnable  ;  &  c'eft  pour  remplir  ce  devoir,  qui  convient  pro- 
prement &  particulièrement  à  Tefpece  humaine,  que  Fhom- 
me  a  reçu  Tufnge  de  la  parole*  Il  n'y  auroit  point  de  fo- 
ciété  entre  les  hommes  ,  s'ils  ne  pouvoient  fe  donner ,  les 
uns  aux  autres ,  des  fignes  fenfibles  de  ce  qu'ils  penfent  & 
de  ce  qu'ils  veulent  ;  &  il  n'y  a  rien  ,  ni  dans  l'homme  ,  nî 
hors  de  l'homme  ,  qui  ne  marque  fa  deftination  à  la  fociété. 
.  Dans  l'homme:  Le  Créateur,  par  une  union  inexpliqua- 
ble  de  l'efprit  &  de  la  matière  ,  nous  a  formés  pour  faire ,  de 
notre  corps  uni  à  l'ame ,  Tindrument  de  deux  ufages  effen- 
tîels  à  la  fociété  humaine  :  l'un  ,  de  lier  les  efprits  &  les 
cœurs  des  hommes  entr'eux  :  l'autre  d'appliquer  leurs  corps 
aux  différens  travaux  que  Dieu  a  rendus  néceflaires  pour 
leurs  befoins  mutuels. 

Hors  de  l'homme  :  Mille  &  mille  objets  utiles  Se  agréa-* 
blés  ,  toutes  les  choies  que  la  terre  produit ,  ^toutes  celles 
que  la  mer  renferme  dans  fon  fein ,  font  à  notre  commun 
ùfage  ,  mais  de  telle  forte ,  que  prefque  rien  ne  peut  fervir  à 
un  feul  que  par  les  travaux  réunis  de  plufieurs. 

Aucun  homme  ne  peut  fe  rendre  heureux  indépendam» 
ment  des  autres  hommes  ,  il  ne  peut  fe  procurer  fon  bon- 
heur qu'en  contribuant  au  leur.  Le  travail  d'un  feul  eft  utile 
à  plufieurs ,  &  il  n'y  a  perfonne  qui  n'ait  befoin  de  tous. 
L'impuiffance  où  eft  chaque  homme  de  fe  fuffire  à  lui-même  , 
rend  la  fociété  abfolument  néccffaire ;  &  lefprit  de  fociété 
forme ,  pour  l'agriculture  &  le  commerce ,  pour  les  fciences 


•DU    GOUVERNEMENT.  3 

&  les  arts  y  toutes  les  liaifons  qu'exigent  nos  différens  be* 
foins»  Ce  n'efl  pas  fimplement  le  bonheur  de  quelques  par- 
ticuliers que  la  Providence  s'eft  propolc ,  c'efl  celui  de  tous 
les  hommes  :  tout  ce  qui  efl:  néceflaire  pour  maintenir  la  fo- 
ciétc  efl:  dans  Tordre  de  Dieu  :  Dieu  nous  le  fait  connoî- 
tre ,  en  quelque  forte ,  par  ce  penchant  naturel ,  où  la  réfle- 
xion n'a  aucune  part  ^  &  qui  porte  chaque  partie  de  notre 
corps  à  la  confervation  de  fon  tout, 

C  eft  de  cette  defl;ination  des  hommes  ^à  vivre  enfemble, 
que  font  venues  les  premières  fociétés  humaines.  Nous  naif- 
fons  tous  liés  les  uns  aux  autres  ,  &  ces  fociétés  primitives 
qu'il  y  a  eu  fur  la  terre  entre  les  maris  &  les  femmes  ,  les 
pères  &  les  enfans  ^  fc  font  formées  tout  naturellement.  On 
ctoit  enfemble ,  on  y  eft  demeuré  ;  on  s'eft  abandonné  au 
penchant  invincible  d'un  fexe  pour  l'autre,  les  fociétés  qu'on 
appelle  civiles ,  ont  fuivi  de  près  les  fociétés  humaines  : 
mais  celles-là  ont  été  Touvrage  du  tems  ,  des  circonftances 
Bc  de  la  réflexion. 

La  nature  qui  comprend  tous  les  hommes  fous  une  même    3.  Formado* 

■  *  *•  des  fociétés  civi- 

cfpece  ,  ne  met  point  de  différence  entre  eux  lorfqu'elle  leur  ic$ ,  variété  pro- 

*  "^  *  *  digieufe  de  con- 

donne  l'être  ;  la  Providence,  qui  la  conduit  dans  l'ordre  de  di"ons,&com- 

^  '  ^  municauon     de 

fes  produâions ,  ne  contraint  point  fes  mouvemcns  ;  Se  de-  «5f|>"^^^scniic 
puis  lanaiffance  du  monde  elle  a  fuivi  une  même  route.  Nous 
naiflbns  libres  &  égaux  ;  mais  depuis  la  multiplication  dv 
genre  humain ,  l'ambition  &  la  crainte,  ont  donné  des  maî- 
tres aux  hommes.  Les  befoins  mutuels  ,  les  paflîons  ,  &  h 
foibleflc  de  nos  fens  qui  ne  peuvent  s'accorder  dans  un  même 
point ,  ont  formé  fur  la  terre  des  fociétés  civiles  &  une  pro- 
digieufe  diverfité  de  conditions  ,  des  compagnies  fubordon- 
nées  à  ces  corps  politiques  ,  la  communication  même  de  ces 
fociétés  civiles  entre  elles»  A  ij         ^ 


4  SCIENCE 

Pour  étendre  la  liberté  publique  ,  nous  avons  reflérré  la 
particulière  ;  $c  afin  de  n'être  pas  efclavcs  de  nos  ennemis  ^ 
nous  avons  été  contraints  de  recevoir  des  maîtres.  Les  Roisf 
dans  leur  inftitution  font  les  Juges  &  les  défenfeurs  du  peu- 
ple. Juger  les  fujets  (a)  entre  eux, &  les  défendre  contre  les 
étrangers ,  voilà  les  fondlîons  du  Souverain.  Pour  former 
ces  corps  politiques  que  nous  appelions  Efats  ,  il  a  fallu  que 
chaque  membre  fut  foumis  à  la  domination  du  corps ,  &  que 
la  volonté  d'un  leul  être ,  phyfîque  ou  moral ,  fit  la  règle  de 
tous  les  citoyens.  DeJà  les  Monarchies ,  les  Ariftocraties  j 
les  Démocraties.  On  a  confié  aux  Princes  ou  à  des  Magiftrats 
la  fuprême  puifTance  ou  Texercice  de  la  fuprcme  puiffance^ 
afin  qu'ils  en  fiffent  un  ufage  utile  aux  hommes  qui ,  pour 
l'avantage  commun ,  renonçoient  en  quelque  forte  à  une 
partie  de  leur  liberté  &  à  l'égalité  où  la  nature  les  fait  naître.. 
Dans  ces  fociétés  civiles ,  chacun  embraffe  une  condition- 
félon  que  l'inclination  l'y  porte  ,  que  le  hazard  l'y  conduit  ^ 
ou  que  la  néceffité  l'y  contraint.  L'un  eft  Eccléfiaftique  , 
l'autre  Laïque  ;  Pun  prend  le  parti  des  armes  ,  l'autre  celui 
de  b  robe  ;  quelques-uns  fe  vouent  aux  fciences,  quelques- 
autres  aux  arts  ;  celui-ci  eft  marchand  ^  un  autre  artifan  ;  les- 
uns  font  fupérieurs  f  d'autres  inférieurs  ;  l'un  eft  maître  y 
l'autre  ferviteur  ;  l'un  eft  deftiné  à  commander  ^  l'autre  à 
obéir* 

Dans  le  feîn  même  de  ces  fbcictcs  ,  quelques  perfonnes- 
compofent  des  corps  particuliers  au  milieu  du  corps  général 
de  la  fociété  commune..  Il  eft  des  Compagnies  Eccléfiafti- 
ques^il  en  eft  de  Religieufcs  ,  ileneftdejudicature,ilen  eft:: 
de  Finance  ,  il  en  dl  de  Commerce  ,  il  en  eft  de  cent  efpe- 

(a)  Selon  rEcxiturc  >  Hoxnese  ;  Hérodote  &tou»  les  Hiftgri^ns*. 


\ 


^  DU    GOUVERNEMENT.         5 

ces  différentes  ,  &  elles  dépendent  toutes  des  Etats  où  ellcg 
font  formées* 

Enfin,  les  fodétés  civiles  ortt  établi  entre  çllês  une  com- 
munication univerfelle  ,  afin  que  chaque  nation  échangeât 
les  produûions  de  fon  pays ,  avec  les  biens  dont  elle  man- 
que &  que  la  nature  a  accordés  à  d*autres  climats.  La  Pro- 
•  Vidence  femble  en  effet  n'avoir  diverfîfié  les  fruits  des  diffé- 
i*ens  pays  ,  les  talens  &  leâ  inclinations  des  peuples  qui  les 
habitent ,  qu'afin  de  mettre  parmi  les  nations  cette  même 
dépendance  réciproque  qu'elle  a  pris  foin  d'établir  entre  les 
particuliers. 

Les  Familles ,  les  Villes ,  les  États  ,  &  la  République  uni- 
verfelle du  monde  ,  font  ^mme  quatre  cercles  de  différentes 
grandeurs  renfermés  l'un  dans  l'autre* 

Ce  principe  înconteftable  «  que  les  hommes  font  dcftinés    4-  n«'«  ^«t- 
àlafocicté  ,  nous  découvre  rofîffînede  nos  devoirs  mutuels.  ^"i«w«&  àe 

^  -      o  nous  rendre  des 

Dès-là  que  l'homme  efl  né  pour  vivre  en  fociété  ,  &  que  la  ^^^"*  '^"^'^ 

Providence  l'y  attache  par  le  double  lien  deTamour  &  du 

befoîn  ^  il  efl  né  pour  y  vivre  d*une  manière  équitable  ;  car 

on  ne  peut  fuppofer  de  lociété  où  il  n'y  û  point  de  juflïce. 

Liés  par  une  nécelfité  commune  de  foins ,  les  hommes  fen- 

tent  le  befoin  qu'ils  ont  de  fe  fecourir  réciproquement ,  &  ils    * 

en  tirent  cette  cortfequertce  :  quils  doivent  fe  rendre  des 

offices  mutuels  &  agir  avec  feurs  fembïables  auffi  équirable-r 

ment  qu'ils  veulent  que  leurs  fembïables  agiffent  avec  eux. 

Cette  maxime  du  droit  naturel ,  que  les  Loix  pofitives  ap- 

puyent  de  toute  leur  autorité  ^  efl  la  règle  de  tous  les  devoirs 

&  la  bafe  de  l'union  &  de  la  paix  de  toutes  lesfociétés. 

Nous  fommes  tous  membres  d'une  focicté  qui  nous  donne  "<^«5r  TcK'qlî^ 
les  mêmes  droits  &  nous  impofe  les  mêmes  obligations^  Il  ^°'i^*  ^  ^»  2!* 


<j  SCIENCE 

n'efl  point  de  citoyen  qui  n'ait  des  engagemens  à  remplir  , 
&  dans  les  fondions  publiques  &  dans  les  affaires  particu- 
lieras  ;  dans  ce  qu  il  ne  fait ,  pour  ainfi  dire ,  qu  avec  lui- 
mcme ,  &  dont  il  ne  doit  rendre  compte  à  perfonne  ,  auflî- 
bien  ^quc  dans  ce  qu'il  fait  avec  les  autres  ,  &  dont  il  efl 
comptable  à  la  fociété.  Si  la  Religion  autorife  des  Commu* 
Hautes  de  Solitaires ,  elle  ne  les  difpenfe  ni  de  la  loi  de  la 
juftice  ni  de  celle  de  la  charité  ,  &  elle  leur  laiflc  par -là  un 
rapport  eflentiel  avec  le  prochain.  Tous  les  hommes  en  par* 
ticulier,  tous  les  corps  en  général  font  foumis  à  des  devoirs. 
Les  fociétcs  civiles  (c'efl  une  vérité  qu'on  ne  fçauroit  trop 
répéter  )  n'ont  pu  être  formées  que  pour  l'avantage  des  hom- 
mes, afin  qu'ils  fuffent  gouvernés  équitablement ,  &  que  les 
foins  des  Conducteurs  de  l'Etat  f  n  fiflent  le  bonheur  ;  8c 
comme  tous  participent  à  fes  avantages ,  tous  auffi  doivent 
contribuer  à  fes  charges ,  tous  doivent  contribuer  au  bon- 
heur public. 

La  confervation  &  le  bonheur  de  chaque  particulier  dé- 
pend néceffairemcnt  de  la  confervation  &  du  bonheur  de 
tous  en  général.  L'intérêt  perfonnel  fe  trouve  dans  l'intérêt 
commun  :  fi  l'Etat  impofe  des  obligations  aux  hommes  ,  il 
leur  donne  en  même  tems  des  droits  &  des  fecours  mille  fois 
plus  utiles  que  leurs  devoirs  ne  leur  font  onéreux.  Dépen- 
dans  les  uns  des  autres  par  leur  foiblefle  &  leurs  befoins  , 
oppofés  en  même  tems  par  leurs  defirs  &  par  leurs  paffions  , 
que  deviendroient'-ils  fans  l'équilibre  que  la  Patrie  main- 
tient perpétuellement  entre  leurs  différens  intérêts ,  en  les 
foumettant  conftamment  au  bien  général  ?  De  cette  harmo- 
nie établie  entre  tous  les  hommes  réfultent  la  confervation  ^ 
la  fureté  &  la  félicite  de  chaque  homme  en  particulier^ 


DU    GOUVERNEMENT,  7 

Tous  les  devoirs  dépendent  d'un  même  principe  :  c'eft  la    6.  Lcsdiffércns 

é    rt  n    1       r  1       r        \  --i/j        devoirs  icndem  à 

lufticc  qui  en  eu  la  lource  &  le  fondement  :  mais  ils  le  di-  la  même  fin,  & 

'  *  font  réunis  par  le 

verfifient  en  autant  de  manières  qu'il  y  a  de  divcrfes  rcla-  Se^a^^Pî^i^^^^^'^jç 
rions  entre  les  hommes.  Il  eft  des  devoirs  généraux  ,  dont  5^°*"  ^^  ^**"* 
on  eft  tenu  envers  tous  les  hommes  ,  &c  dont  Tobfervation 
cft  perpétuelle.  Il  en  eft  de  particuliers ,  dont  on  n'eft  tenu 
qu  envers  certaines  perlonnes ,  &  qui  varient  avec  les  cir- 
conftanccs  dont  ils  naiflent* 

Le  refpcft  pour  Tordre  rend  ces  devoirs  également  invio-» 
îables  y  &  nous  fommes  plus  ou  moins  criminels  en  les  négli- 
geant ,  félon  que  nous  nous  éloignons  plus  ou  moins  de  Tor- 
dre. Les  devoirs  de  la  Religion  ,  de  la  morale  &  de  la  po-» 
litique  tendent  à  la  même  fin ,  fe  foutiennent  &  fe  fortifient 
mutuellement.  Toutes  les  vertus  humaines ,  chrétiennes  8c 
ttviles ,  ne  font  que  des  conféquences  de  Tamour  de  Tordre* 

Loi  univerfclle  &  éternelle  de  tous  les  êtres  intelligens  ^ 
règle  fondamentale  du  Droit ,  fource  de  la  vraie  politique  , 
attaché  à  tous  les  objets  ,  Tordre  fe  manifefte  de  toutes 
parts.  Les  Souverains  &  les  fujets  y  lifent  également  leurs 
devoirs  marqués  par  des  carafteres  intelligibles  à  tous  les 
hommes  :  tous  peuvent  trouver  également  leur  bonheur  dans 
la  pratique  des  devoirs  que  Tordre  leur  prefcrit.  Qu  eft  -  ce 
que  le  bon  citoyen  ?  Thomme  dans  Tordre  :  celui  qui  rem- 
plit les  devoirs  de  fon  état*  Ceft  le  Laboureur  induftrieux 
&  vigilant  ;  TArtifan  laborieux  &  défîntérefle  ;  le  Marchand 
a£lif  &  fidèle  ;  le  Solitaire  recueilli  ôc  tranquille  j  Thomme 
de  Lettres  cultivant  la  raifon ,  s'appliquant  à  en  infpirer  Ta- 
mour ,  cherchant  à  en  faire  valoir  les  droits ,  éclairant  les 
autres  hommes  ;  TOflScier  brave  &  intelligent  ;  le  Magiftrac 
inftruit  &  équitable  j  IcMiniftre  éclairé  &  animé  par  Tamour 


«qui 


8  SCIENCE 

du  bien  publîc  ;  c'eft  le  Souverain  jufle ,  tendre  ^  &  gouver- 
nant fagement  fes  peuples. 
.lîon^Jo^o^     Nos  devoirs  doivent  être  reconnus  à  des  marques  certaî- 
iu  liVTeabuï  nés  :  or  toutes  les  Loix  ont  pour  objet  de  conferver  ou  de 
hommcr,""con!  rétablir  Tordre  parmi  les  hommes ,  elles  font  faites  pour  les 

tiennent  les  re-  i  i        ta  i  i 

jicsde notre  con-  gouvcmer ,  &  nous  y  trouvons  des  règles  lures  de  conduite. 
^Jj^^'*^^^'-  Dans  quelque  fituation  que  nous  foyons ,  il  eft  des  Loix  qui 
nous  indiquent  clairement  ce  que  nous  devons  faire  &  ce 
que  nous  devons  éviter^ 

Les  unes  font  nommées  divines ,  parce  qu'elles  ont  Dieu 
même  pour  Auteur  ;  les  autres  humaines  ,  parce  que  ce  font 
les  hommes  qui  les  ont  faites^ 

Les  Loix  divines  fe  fubdivifçnt  en  révélées  &  en  non-ré- 
vélées.  Mon  fujet  ne  m'engage  pas  à  traiter  dçs  Loix  révé- 
lées ,  parce  qu'elles  n'ont  rapport  qu  à  la  Religion  ;  mais  je 
traiterai  des  Loix  naturelles  qui  fe  confondent  avec  les  Loix 
divines  non-révélées  ^  attendu  que  la  raifon  qui  nous  les  en- 
feigne  eft  une  émanation  de  la  divinitét 

Pour  la  fciencedu  commandement  &  dé  Tobéiflancè  nous^ 
avons  deux  fortes  de  Loix ,  les  naturelles  &  les  pofitives. 

Les  Loix  naturelles  exiftent  indépendamment  de  tout  éta- 
bliffement  humain.  Ce  font  des  Loix  morales  qui  comman- 
dent des  chofes  louables  ,  &  qui  en  défendent  d  autres  mau- 
vaifes  par  elles-mcmes.  Ces  Loix  font  invariables  &  perpé- 
tuelles ,  &  elles  font  appçllces  naturelles  ,  parce  qu'elles 
peuvent  être  connues  par  la  Ipmiçre  feule  de  la  raifon. 

Les  Loix  pofitives  font  celles  qui  n  exifteroient  point  fi 
on  ne  les  avoit  faites ,  &  qui  ont  leur  origine  dans  la  vo-^ 
lonté  dei  Légiflateurs ,  lefquels  les  ont  accommodées  awç 
befoins  des  foçiçtés  particulicreSt 

L'Orateur 


DU    GOUVERNEMENT.  p 

L'Orateur  Romain ,  dont  refont  éroit  auffi  grand  que  TEm-    k  ce  (^c  ;« 
pire  où  il  ctoit  ne  ,  &  qui!  gouverna,  fut  pçrluade  dans.tous  de  wpbuoiopww 
les  tems  de  fa  vie ,  &  il  nous  Ta  appris  lui-même  (^)  ,  que 
c'cfl  dans  la  philofophic  comme  dans  une  école  de  fagefle  ^ 
de  vertu  &  de  juftice,  qu  il  cft  aéceffairc  d'apprendre  à  gou- 
verner les  Etats ,  auffi-bien  qu'à  fe  gouverner  for-  même^ 
Cell  la  philofophic  qui  a  infpiré  Famoutdeis  vertus^  Idhaïne 
des  vices ,  qui  a  lié  les^  hommes  ,  produit  lés  mariages ,  in*-' 
venté  les  Loix  ,  adouci  Içs  mœurs  (b).  Les  Philofophes  lesr 
plus  célèbres  ont  regirdé  la  fcience  du.  Gouvernement  com^- 
me  la  principale  branche  de  la  philofophic  (^). 

Marc- Antonin ,  Tua  des  plus  éclairés  &  des  meiHéurs  Em* 
pereurs  Romains ,  &  dont  le  nom  feuleft  un  éloge  ,-avoit  tou-^ 
jours  dans  la  bouche  le  mot  de  Platon  (d)  ,  tout  Monarque 
abfolu  qu'il  éroit  y  Que  les  peuples  ne  peuvent  être  heureux  Ji 
les  Philofophes  ne  font  Rois  ^  au  files  Rois  ne  font  Fhilofophesm 
Ce  n*eft  pas  que  ce  Prince  ait  prétehdiiiquc  la  philôfaphie  où/ 
Fonr  difpute  des  principcs^  de  la  jhaticre.  prepiierc:^ de  k ha-- 
cure  des  élémens,'  dû  mouvement  ou  de  Tinfini  j?  doive  faire' 
Tctude  des  Souverains  ;  it  n'a  entendu»  parler  que  de  la  phi- 
lofophic qui  traite  du  jufle  ,  du  commode  &  de  Tutile ,  &  • 
qui  dégageant  Tefprit  de  Thomme  des  faufles  opinions 'diTT 
vulgaire  ,  &c  de  toutes  affçaigns  populaires,  enfeignciâux 
Souverains  Tart  de  bien  goijyerner,  à  l'exemple  6c  fur  le- 
modèle  de  la  divinité. 

Apres  avoir  défini  les  Loix  ,  il  refte  quelques  défiiiitions 
à  donner  des  chofesqui  tiennent  aux  LoiXt 

(a)  Off,  lib.  2,  cap.  ;.  lib.  14.  cjp./^ 
ib)  TuJcuLqueJi,.lib.y-  *  • 

(c)  Cumtertia  pars  PhUofophU  prdcepta  quareret  y  nonfohm  aàprïvjtd  vitét 
TOîionem ,  jed  etiam  ad  rerufn  puH-carum  reâionm  rç^ucu^  C/ct.  definibuf.  lib.  5. 
U)DeRepubLlib.i, 
iome  l.  B 


lo  SCIENCE 

i.  ccq^çc^cft     Le  Droit  eft  le  principe  du  jufte  &  de  Tinjude  :  il  eft  une 

Si'^'rif^'noî!  Loi ,  une  conftitutiôn ,  une  règle  prefcrite  à  des  gens  libres, 

sc'dkéTe^c  d^  c'eft-à-dire  capables  de  connoître  la  règle  ^obligés  de  s'y  con- 

former ,  &  dilpoles  de  telle  manière  que ,  comme  ils  peuvent 

ne  la  pas  fuivre  aûuellement ,  ils  peuvent  auflî  la  fuivre,  & 

la  fuivent  toutes  les  fois  qu'ils  agiflent  félon  la  raifon. 

Le  Droit  public  de  chaque  peuple  eft  ou  écrit,  ou  non 
écrit.  Le  Droit  écrit  eft  celui  que  les  nations ,  ou  les  Souve- 
rains qui  les  gouvernent ,  ont  fait  écrire  &  publier.  Le  Droit 
civil  non  écrit  réfulte  des  ufages  qui  fe  font  inlenfiblement 
introduits ,  &  qui  ont  acquis  force  de  Loi  par  la  volonté 
des  peuples  ,  &  par  le  confcntement ,  au  moins  préfumé  , 
des  Souverains.  La  République  d'Athènes  mettoit  toutes 
fes  Loix  en  écrit ,  &:  créoit  fes  Magiftrats  pour  la  garde  de 
fes  Ordonnances ,  comme  pour  celle  de  fes  tréfors  j  mais 
la  République  de  Lacédémone  ne  confervoît  les  fiennes  que 
dans  la  mémoire  de  fes  Citoyens.  Rome  imita  &  Athènes 
&  Lacédémone ,  elle  eut  des  Loix  écrites  ,  elle  en  eut  qui 
ne  letoient pas.. 

L'écriture  n'eft  pas  de  reffcnce  des  Loîx.  Un  long  ufage 
imite  la  Loi ,  &  en  a  la  force  (  ^  )  >  &  quoique  la  Loi  femble  plus 
puiffante  que  la  Coutume  y  fa  difpofition  n'eft  pas  néanmoins 
fi  auftcre.  La  Loi  plie  quelquefcis ,  &  fléchit  dans  les  cas  que 
le  Légîflateur  n'a  pas  clairement  expliqués  ,  &  ou  l'équité 
feroit  bleflee  ;  aulieu  que  la  Coutume ,  qui  paroît  inférieure 
à. la  Loi ,  doit  toujours  être  &  eft  toujours  prife  dans  toute 
fa  rigueur.  Sa  Jurifdiûion  s'étend  fur  tout  droit  pofitif  ;  elle 

(a)  Eaqud  longi  confuetuâine  compTobatafunt ^ac  per annos plurimos  objervatat 
veluti  tacita  civium  conventio  f  non  minus  quam  ea  qu£  fcripca  funt  9  jura  fer^ 
vantur.  l  3s.  ff.  de  legibus.  Diuturni  mores ,  confenfu  utentium  comprobati  >  Legeok 
kmtonxur,  Infiiu  de  jure  nat.genu  &•  nV.  n.  j.. 


DU  GOUVERNEMENT.  u 
altère  les  Loix ,  y  déroge ,  &  fouvenc  les  détruit.  Cepen- 
dant les  Coutumes ,  jufqu'à  ce  qu'elles  ayent  été  écrites  , 
font  toujours  incertaines  ;  mais  lorfqu'elles  ont  été  rédigées 
par  écrit ,  elles  ont  cet  avantage  fur  la  Loi ,  qu'étant  effen- 
tiellement  fondées  fur  l'engagement  unanime  des  peuples , 
elles  font  libres  dans  leur  origine  y  &  tirçnt  leur  force  d'une 
pratique  volontaire.  Elles  font  l'ouvrage  delà  nation ,  &  les 
derniers  defcendans  de  ceux  qui  les  ont  introduites  ne  fe 
croyent  pas  mpîns  intérelTés  à  les  maintenir  ,  que  Tétoienc 
leurs  premiers  Auteurs  ;  car  la  nation  tient  à  tous  les  tems  ^ 
&  le  peuple  d'aujourd'hui  eft  moralement  le  même  que  celui 
d'autrefois.  Il  n'en  eft  pas  aiofi  de  la  Loi ,  çUe  émane  de  la 
pleine  puiflance  du  Prince ,  &  elle  emporte  toujours  quel- 
que cjiofe  d^odieux ,  parce  qu'elle  reftraînt  la  libené  ,  de 
manière  qu'elle  fuît  ordinairement  Iç  fort  de  I9  Puiflance 
d'où  elle  émane ,  plus  ou  moins  religîeufem.ent  obfervée  ^ 
félon  Je  dégrç  de  refpe^  qu'on  pprtp  à  cettp  Puiflance  >  & 
quelquefois  abrogée  par  le  non  ufage  (ii  ) ,  ïorfque  le  vœu 
commun  s'écarte  des  vues  du  Légiflateur ,  dépofitaîre  dç  la 
Puiflance  Souveraine.  Comme  la  Coutume  acquiert  force  d« 
Loi ,  par  l'approbation  formelle  oju  tacite  du  Légiflateur ,  la 
Loi  elle-même  perd  fa  force  par  un  long  ufage  contraire^ 
toléré  par  le  Légiflateur.  • 

La  juftice  (pour  la  définir  comme  îa  définîflbîent  les  w.cciiuecvft 
JRomains  )  eft  une  volonté  ferme  8ç   cpnftantç  de   ren- '***''*^*^"' 
ijre  à  chacun  ce  qui  lui  appartient  (^).  Nç  faire  tort  à  per- 
fonne  ,  uniquement  pour  ne  pas  blefler  la  juflice  ,  c'eft 

(a)  ReSiffime  illui  receptum  tfl ,  itf  Leges^  nçti  folo  fujfragio  Legkktorîs  yfei 
êthm  tacito  confénfu  hominum  per  defuetudinem  étbrogentur ,  /.  iSM.Jf.  de  legibus. 

(i)  Ju[litia  ejl  confions  Çr  perpétua  voluntas  mfuum  Qukue  trjbucniiilnfikm^ 
4e  Juji.  (r  jure^  r-  f 

Bi] 


12  SCIENCE 

être  jufle  ;  maïs  ce  n'eft  pas  Têtre  dans  le  fond,  que  de  ne 
s'abflenir  de  faire  du  mal  que  parce  que  le  Légillateur  la 
défendu  ,  &  qu'à  caufe  des  peines  qu'il  a  attachées  à  la  con- 
travention a  fes  Loix.  AufTi  les  Jurifconfultes  de  Tancienne 
Rome  cnt-ilè  établi  pour  principe  fondamental ,  que  ce  n'efl 
point  dans  la  règle  qu'il  faut  prendre  le  droit ,  mais  que  c'cft 
fur  ce  qui  eft  de  droit  qu'il  fauc.faire  la  règle  (d).  Juftinien 
^a  confirmé  cette  idée  ,  en  adoptant  le  fentiment  de  Celfe  & 
d'Ulpicn ,  qui difent  que  le  droiteft l'art  du  bon  6c  du  jufte , 
&  que  l'en  pourroit  avec  raifon  en  regarder  les  Jurifconfultes 
comme  les  Prêtres,  puifqu'ils  aiment  &  pratiquent  la  juftice, 
qu'ils  font  profeffion  du  bon  &  du  jufte,  féparant  le  jufte  d'à* 
yeç  rinjufte ,  difcernant  ce  qui  eft  jpermis  ^'axec  ce  qui  ne 
l'eft  pas  ^  deljraqt  de  rcpçlrc  les  hpmmes  bons  ,  non-leule- 
mem  par  la  crainte  des  peines  ,  mais  auilî  par  l'attrait  des 
récompenfes ,  enfin  ,  fuivant  en  tout , autant  qu'il  eft  en  eux, 
la  vraie  philofophie  (  />  ) . 
II.  ccquc  c'cft ,     La  jurifprudence  çft  .la  connqiflance  des  droits  des  hom* 
3"nci!  •^""*'"'  mes ,  des  chofes  ,  &  de  ce  qui  eft  jufte  ou  injufte  (r). 
ii.Divcrfcscf.      Les  Scolaftiques  divifent  la  Morale  en  Momjtique^  en 
SfurtoutX'ceuc  Econowique  &  en   F oL tique  ,  parce  qu'elle  a  trois  objets  y 
p!îiitfqu"&^uitc  les  particuliers  ,.  les  familles  &  les  Etats.  La  Morale  Monaf- 
puiitiiiuc,         tique  regarde  l'homme  en  général ,  ou  chacun  par  abftraç- 
tion.,  comme  ^'il.  étpit.  ieul  >  VEtanomique  Tenvifage  comme 

{(t)  Non  ex  régula  jus  fumatur ,  fei  ex  jure  quoi  efi  ,  régula  fiat.  l  i.Jf.  de  ii^ 
yerjis  Regulis  juris  anxiquL 

(b)  Jus  ejl  ars  boni  &  dqui^  cnjùs  merito  quis  nos  fcicerdotes  appellet.  Jufiitiam 
namque  colvîMS  9  &*  bcni  ^  équi  nozitiam  profit emur  y  aquum  àb  iniquo  feparantes  , 
licitum  ab  iHicitc  difarncmes  ,  bonos  non  fclum  metu  picnarum  ,  verùm  enampra- 
viicTum  quoque  exhcrtatknc  efficere^cupentes  ,  veraniy  niji  failor  y  Pkilofopliiam  ncn 
flmuîàtam  affc âl.intes.  l  i,  Jf,  de  Jùptm  &  jiiré. 

*.  (^).  Jurïfprudcntij.  (Jl  diy inarum  arque  hum^ncifuvi  rtrum  hotida  ,jujli  atque  in-- 
JÛjlî^féienîia.  InJti:ut.'àè'JuJl.Crjure. 


DU    GOUVERNEMFNT.        13 

père  de  famille  ,  &  la  Politique  le  confidere  comme  vivant 
dans  une  fociété  civile.  La  première  fait  les  gens  de  bien  , 
en  foumettant  les  paffions  à  la  raifon  ;  la  féconde  fait  les  f agcs 
économes  ,  en  travaillant  pour  la  félicité  domeîliquc  ;  la 
troifi'ime  tend  au  bien  public  ,  qui  renferme  tous  les  biens 
particuliers.  La  Politique ,  qui  conduit  les  Etats  ,  eft  donc  la 
partie  la  plus  confidcrable  de  la  morale. 

Il  eft  néceflaîre  de  connoître  Thomme  pour  le  gouverner 
&  pour  le  rendre  heureux ,  &  la  Politique  ne  l'çauroit  ai  ri- 
ver à  la  perfection  fans  la  morale  qui  fe  propoie  de  régler 
les  mœurs.  Socrate ,  qui  le  premier  fit  defcendre  la  Philofo-  ^ 

phie  du  Ciel  dans  les  Villes ,  qui  Tintroduifit  même  dans  les 
mr.ifons,  &  la  familiarifa  avec  les  particuliers,  en  leur  don- 
nant des  préceptes  fur  la  conduite  de  la  vie ,  Socrate ,  dis- 
je ,  ne  la  borna  pas  au  foin  des  particuliers  (4).  Le  Gou- 
vernement des  Etats  fit  toujours  le  principal  objet  des  réfle- 
xions des  plus  célèbres  Philofophes  {b).  Ceft  cette  partie 
de  la  Morale  qui  s'appelle  Politique  ;  &  c'eft  dans  la  Morale 
qu'il  faut  puifer  une  Politique  fublime. 

De  Tobligation  de  former  &  d'entretenir  la  fociété  ,  dé-        ^^^^  ^  ^ 
rivent ,  comme  de  leur  fource ,  les  devoirs  des  hommes  ;  {^'j^X^ilt«î« 
des  Loix  ,  règles  de  ces  devoirs ,  émanent  tous  les  droits  [ouT^S  am  fl 
naturels  ou  acquis  que  chaque  homme ,  chaque  corps ,  cha-  lÔ^'^  "  ^  «• 
que  nation  peut  exercer.  Mais  un  Souverain  auroit  beaucon* 
noîtrc  les  diverfes  Loix ,  les  divers  droits  ,  il  auroit  beau 
être  inftruit  des  règles  de  la  juftice  ,  il  auroit  beau  vouloir  y 
conformer  fa  volonté  ,  il  feroit  incapable  de  gouverner  fes 

.  [h"]  Socrates  primus  Philofophiam  devocavit  à  Calo  ,  O  in  urhihus  collocavit ,  G* 
in  doni'js  enam  inrroduxit ,  &  coegit  de  vita  O  moribus  ,  rebufque  bonis  &*  malis^ 
quai  ère,  Tufcul,  quaft.  L  3.  n,  8, 

[c  ]  Tout  le  monde  connoît  les  Traités  qu'ont  faits  fur  cette  matière  Platon  f 
Arillote  y  Grotius ,  Puâèndorf  y  de  tant  d'autres  Philofophes. 


»4  SCIENCE 

peuples ,  s'il  îgnoroit  Tufage  qu'il  peut  faire  de  ces  diverfes 
connoiflances  ,  pour  le  bonheur  public,  C*eft  ce  qu'il  ne 
peut  apprendre  que  des  règles  de  la  Politique.  Tous  les 
arts  lui  font  fubordonncs  ;  elle  préfide  à  quelques  -  uns  im- 
médiatement ,  &  c'eft  par  le  moyen  de  ceux-là  qu'elle  étend 
fon  empire  fur  tous  les  autres.  Il  n'eft  ni  profeffion  fi  noble  , 
ni  métier  fi  bas ,  qui  ne  foit  plus  o.u  moins  dans  cette  dé- 
pendance. G  efl  à  la  politique  qu'il  appartient  de  détermi- 
ner jufqu  où  ils  doivent  être  admis  ou  rejettes.  Elle  conferve 
toutes  les  fcicnces ,  tous  les  arts  libéraux  ,  tous  les  arts  mé- 
chaniques ,  comme  elle  conferve  l'Etat.  Les  fciences  &  les 
arts  périflent  tous  avec  l'Etat.  La  Religion  même  y  nécef- 
fairement  liée  à  l'ordre  public  ,  tombe  ou  s'affoiblit  avec  lui , 
&  a  befoin  ^  pour  la  confervation  des  autels  ,,  que  l'Etat 
fubfîfte. 
M.Deiacon.  La  fcicncc  du  Gouvernement  fe  forme  donc  de  la  con^ 
j^«|^^c  upo-nomance  desLoix  &  de  la  politique.  Ceux  qui  gouvernent 
ewaïawLiu*^"  &  ceux  qui  font  gouvernés  doivent  obferver  rcligieufemcnt 
les  Loix  divines  ;  toutes  les  Loix  humaines  ont  rapport  au 
Gouvernement  &  en  dépendent  ;  &  la  politique  cft  Tartdo 
rendre  le  gouvernement  utile  au  peuple.  Si  Ton  eft  bien  infc 
truit  de  ces  diverfes  matières  ^  on  tient  le  fil  de  toutes  les 
affaires  de  l'univers  ^  &  l'on  fçait  tout  ce  qu'il  faut  fçavoir 
pour  gouverner  les  hommes  ,  pour  fe  conduire  avec  eux  , 
pour  fe  gouverner  foi-même» 
M.  Enurn^*  De  U  laifon  &  des  Loix  découlent  les  règles  de  ce  que 
Tc'ïïes    fciJncci  nous  fommes  tenus  de  faire  comme  légitime  ou  jufte ,  &  d'é-> 

dont  rafTemblage      ,.  .i.-/ï>^i  i  i« 

forme  la  fcience  vitcr  commte  crmunel  ou  miufte.  Ces  règles  ont  leur  appli- 

du  Gouîcrnf-  ^  %  «-,  ^ 

j»^»»  cation  propre  a  cinq  différentes  fituations  ou  nous  pouvonç 

nous  trouver ,  &  qui  doivent  fixer  ici  notre  arçcntion» 


DU    GOUVERNEMENT.        15 

!•  Nous  naiffons  hommes ,  &  nous  avons ,  en  tant  qu  hom- 
mes )  notre  propre  raifon  pour  règle* 

II.  Nous  devenons  citoyens,  &  nos  devoirs  envers  nos 
concitoyens  nous  font  montrés  par  les  règles 'établies  dans  la 
fociété  civile  où  nous  vivons.  Nous  devons  refpeder  Tordre 
général  de  cette  fociété ,  &  obéir  aux  Loix  du  Souverain 
qui  le  maintient. 

III»  Nous  profeflbns  une  Religion  autorifée  par  TEtat , 
&  qui  a  des  rapports  effentiels  avec  l'Etat.  Comme  membres 
de  TEglife ,  indépendament  des  devoirs  intérieurs  qui  n  ont 
rapport  qu'à  notre  falut  particulier  ,  nous  en  avons  d'exté- 
rieurs à  remplir,  &  envers  TEglife,  &  envers  TEtatdans  le- 
quel TEglife  fe  trouve, 

I V.  Nous  appartenons  à  tout  le  genre  humain ,  &  il  eft 
des  devoirs  réciproques  entre  les  fociétés  civiles. 

V.  La  fociété  dont  nous  fommes  les  membres  eft  enfin 
un  corps  politique  qui  a  fes  befoins  généraux  ,  toujours  pré- 
férables aux  befoins  particuliers.  Les  Loix  elles-mêmes  doi- 
vent ,  dans  certaines  occafions  ,  garder  le  filence  ;  &  les 
intérêts  particuliers ,  céder  toujours  à  la  raifon  fuprême  du 
tien  public. 

De -là  ,  cinq  fcîences  diftinûes  dont  Taffemblage  forme 
la  fcience  du  Gouvernement. 

I.  Le  Droit  naturel  ,  qui  eft  le  même  partout ,  8c  quj 
cft  commun  à  tous  les  hommes. 

II.  Le  Droit  public ,  qui  eft  ou  peut  être  différent  dans 
chaque  pays ,  6c  qui  eft  commun  à  tous  les  citoyens  du  mê- 
me Etat. 

III.  Le  Droit  Eccléfiaftique ,  qui  eft  fondé  fur  la  Relî- 
ligion  &  autorifé  par  l'Etat ,  &  qui  règle  la  conduite  de  touç 
les  membres  de  TEtat ,  comme  fidéles« 


namrc 


i6  SCIENCE 

IV.  Le  Droit  des  Gens  ,  qui  efl  le  même  pour  toutes  les 
nations ,  &  qui  fixe  les  devoirs  d'un  peuple  envers  un  autre 
peuple ,  &  confcquemmcnt  ceux  des  particuliers  d'un  pays 
envers  les  membres  des  autres  Etats. 

V.  La  politique  ,  c'eft-à-dire  la  connoiflance  des  intérêts 
de  l'Etat ,  &  cette  prudence  qui  règle  les  démarches  du  Sou- 
verain &  les  dirige  vers  le  bonheur  commun  des  fujets. 

Telle  cft  l'idée  générale  des  fources  où  l'on  peut  puilbr  la 
connoiflance  des  devoirs  des  hommes  ,  &  celle  des  règles  * 
du  commandement  &  de  lobciflance.  Prenons  d'abord  une 
notion  particulière  de  chacune  de  ces  fciences  dont  la  réu- 
nion forme  la  fciencc  du  Gouvernement, 
1^.  Le  Droit      Le  Droit  naturel  efl  fondé  fur  la  convenance  &  le  rapport 
de  toutes  les  chofes  qui  exiftent  ;  il  renferme  le  difcernement 
du  bien  &  du  mal ,  commande  Tun  &  défend  l'autre  ;  il  ap;- 
prend  à  l'homme  à  être  jufle  ^  à  régler  fa  conduite  fur  fes  de* 
voirs  ,  à  vivre  en  homme.  C'eft  la  panie  pratique  de  la  Plii* 
lofophie  j  cette  partie  importante  que  nous  connoiflbns  fous 
le  nom  de  morale  humaine,  qui ,  par  les  connoiflances  qu'on 
y  acquiert  ,  donne  les  moyens  d'agir  &  devient  pratique  ; 
c'eft  la  fcience  des  mœurs.  C*eft  un  état  où  ,  faifant  abftrac- 
tion  de  tout  engagement  volontaire ,  l'on  confidere  les  hom- 
mes Amplement  comme  hommes  ,  qui  n'ont  de  dépendance 
les  uns  envers  les  autres ,  que  celle  que  la  raifon  leur  mon- 
tre à  tous. 

Ce  Droit  naturel  rcfulte  de  la  lumière  naturelle  qui  dé- 
couvre à  tous  les  hommes  leurs  obligations  envers  Dieu,  en- 
vers eux-mcmes,  &  envers  les  autres  hommes.  L'amour  de 
Dieu ,  l'amour  de  foi^même  ,  l'amour  du  prochain  ,  font  les 
trois  devoirs  eiîc  miels  que  la  Loi  naturelle  nous  prefcrit. 

Cet 


DU  GOUVERNEMENT.  17 
Cet  amour  ^  toujours  eflenticllemcnt  le  même ,  fe  partage 
en  ces  trois  objets  >  &  forme  les  engagemens  qui  nous  lient 
à  Dieu ,  à  nous-mêmes  >  à  notre  prochain. 

Ce  Droit  n'eft  point  une  partie  de  la  fcience  du  Gouver- 
nement ,  mais  il  eft  le  fondement  fur  lequel  cette  Icience  doit 
ctre  établie. 

Les  hommes  rfeurent  d'abord  pour  fe  conduire  que  les 
Loix  naturelles,  c'eft-à-dire  les  Loix  que  le  Créateur 
avoit  pris  plaifir  de  graver  dans  leurs  cœurs  ,  &  que  leur 
propre  raifon  leur  montroit  :  mais  à  mefure  qu'ils  fe  multi- 
plièrent ,  qu  un  feul  pays  ne  fut  plus  capable  de  les  nourrir  , 
qu'ils  fe  répandirent  dans  les  diverfes  parties  de  la  terre  , 
qu'ils  occupèrent  ces  grands  efpaces  qui  attendoient  des 
habitans ,  &  qu'ils  formèrent  des  fociétés  nombreufes ,  il 
fallut  donner  à  ces  corps  politiques  naiflans  des  règles  ac- 
commodées à  leurs  mœurs. 

Chaque  peuple  eft  gouverné  par  le  Droit  qu^il  s^eft  formé 
eu  qu'il  a  adopté  ;  il  y  a  par  conféquent  eu  autant  de  fortes 
de  Droits  civils  que  d'Etats.  Mats  les  Jurifconfultes  Ro- 
mains {a)  j  dont  Içrreur  eft  tous  les  jours  adoptée  par  les 
Jurifconfultes  niodernes ,  placent  fous  le  Droit  des  Gens  les 
laiStcs  de  mariage ,  de  dépôt ,  de  vente ,  de  prêt ,  &  tous  les 
lautres  contrats  dont  les  befoins  de  la  vie  ont  établi  l'ufage 
parmi  toutes  les  nations  ;  &  ils  ne  rapportent  au  Droit  ci- 
Vil  que  les  contrats  particuliers  à  quelques  peuples ,  c'eft-à- 
dire  que  les  Romains  cntendoient  par  le  Droit  des  Gens ,  1^ 
Proit  qui  a  pour  matière  les  chofes  qui  doivent  être  com- 
munes à  tous  les  hommes ,  à  la  différence  des  Droits  qui 
#3nt  paniculicrs  aux  Citoyens.  C'eft  fous  le  Droit  civil  qu'il 

ici)  L.i.  i.^  ff.de  Juftit,  G*  jure. 
Tome  U  C  - 


i8  SCIENCE 

faut  ranger  ces  fortes  d'a£les ,  parce  que  c'eft  le  Droit  crvîl 
qui  en  règle  la  forme  &  qui  en  autorife  Texccution  dans  cha- 
que pays.  Les  Loix  qui  règlent  la  forme  &  la  force  des  con-- 
trats  en  ufage  partout ,  ne  font  pas  les  mêmes  chez  toutes  les 
nations ,  &  quand  cela  feroit ,  qu*en  rcfulferoir-il ,  fi  ce  n'eft 
que  plufieurs  peuples  auroient  chacun  en  particulier  un  Droit 
femblable  ?  Jamais  le  Droit  de  Tun  ne  pourroit  être  appelle 
celui  de  Pautre ,  parce  qu'ils  n^émaneroient  pas  tous  deux  de 
Tautoritc  du  même  Lcgiflateur ,  &  que  c'eft  de  la  puiffance  du 
Lcgiflatcur  que  chaque  Droit  civil  tire  fa  force  &  fa  dénomi- 
nation. Dans  rhypothcle  que  nous  fuppofons  y  &  dont  nôtre- 
Europe  ne  fournit  point  d'exemple ,  il  ne  faudroit  pas  rap- 
porter cette  forme  &  cette  force  des  contrats  au  Droit  des- 
Gens ,  puifqu  elles  ne  feroient  pas  l'effet  de  la  conftitutioa 
générale  du  genre  humain  ;  il  faudroit  les  rapporter  au  Droit: 
civil  comme  émanées  de  la  volonté  particulière  du  Légifla- 
teur  de  chaque  Etat ,  qui  les  auroient  établies.  Les  Loix  d'un 
Etat  n'ont  aucune  autorité  au-delà  de  fes  frontières  ,  &  il  eft 
libre  à  chaque  nation  de  changer  fcs  Ordonnances  fans  con- 
fulter  les  autres  peuples  :  or  rien  de  ce  qui  établit  aucune 
forte  de  Droit  ni  aucune  force  de  convention  d'un  peuple  à 
un  autre  ,  ne  pût  paffer  pour  être  du  Droit  des  Gens.  La 
di(l:in£tion  qui  eut  toujours  lieu  entre  les  divers  Droits  civils 
fubfifte  encore  aujourd'hui ,  &  fubfiftera  éternellement. 
17.  Le  Droit  pu-      Le  Droit  civil  eft  donc  celui  que  la  puiffance  publique  a. 
formé  dans  chaque  Etat.  On  l'appelle  civil  ,  parce  qu'il  eft 
propre  à  une  nation ,  à  une  multitude  d'hommes  qui  forment 
une  fociétc ,  que  les  Latins  défignent  par  un  mot  qui  fignifie 
affemblage  de  citoyens  (^i).  Chaque  foeiété  civile  eft  en 
(a)  Gvitas  I  quafi  civium  unitau, 


Mie 


DU    GOUVERNEMENT/       i^ 

effet  une  foclctc  d'hommes  unis  par  les  mjmcs  Loix  Se  p^r 
ic  même  Gouvernement.  G ei  une  fituation  où  Ton  confi- 
dere  les  hommes  comme  ayant  renoncé  à  la  liberté  indéfinie 
de  TEtat  naturel ,  &  contraûé  des  engâgemcns  volontaires 
ies  uns  envers  les  autres. 

Le  Droit  civil  fe  divife  en  deux  efpeces ,  dont  Tune ,  qui 
s'appelle  Droit  privé  ,  fe  rapporte  à  Futilité  des  particuliers 
pris  féparement  ;  &,  l'autre  qu'on  nomme' Droit  public, règle 
i'ordre  général  de  TEtat  (4). 

La  première  defcend  aux  affaires  des  particuliers  ,  &  fcrt 
à  régler  les  conteftations  qu'ils  ont  les  uns  avec  les  autres. 
Elle  a  trois  objets ,  les  perfonncs ,  les  chofes  ,  &  les  aûions 
{^);  les  perfonnes  entre  lefqucUes  s'élèvent  les  procès  ;  les 
/chofes  pour  lefquelles  on  les  fait  ;  &  les  avions  par  lefquelles 
on  les  intente.  Ccft  de  ce  Droit  privé  qu'on  apprend  ce  que 
les  Citoyens  font  tenus  de  faire  les  uns  envers  les  autres. 
Ceft  dans  ce  Droit  qu'on  trouve  les  règles  des  prétentions 
yefpeftîves  des  hommes ,  pris  féparement  &  en  tant  que  vi* 
yant  fous  une  Loi  commune.  De-Ià  les  règles  de  la  conduite 
4e  chaque  particulier  confidéré  à  part. 

La  féconde  embraffe  tout  ce  qui  intéreflc  Tordre  général 
de  la  fociécé  ,  &  par  conféquent  l'exécution  des  reglemens 
généraux  &  la  manutention  des  Loix  paniculieres.  Elle  a 
pour  objet  la  fortune  publique  ^  &  regarde  la  nation  en  gé- 
néral &  tout  ce  qui  tend  à  conferver  l'Etat.  C'eft  au  Droit 
public  qu'eftfubordonnée  la  puiffance  économique  &  domef- 
tiquc  que  donne  le  mariage  au  mari  fur  la  femme ,  la  naif- 

<fl)  Uu]u$  fludii  du£  funt  pojitîones  9  publicum  (r  privatum.  Publicum  jus  ejl 
quod  ad  fi 2tum  Tel  Romand  fpt&at  j  privatum  quoi  ai  finguloTum  utilitatem,  Infiit. 
fie  Jufi.  èf  Jure.  $.  4. 

ib)  Omne  autem  jus >  quo  utimur ,  vel  ad  perjpnas peninet >  vel ad r«,  vel  ad CCr 
fiones.  Injl.  de  Jure  nat. gent.  &*  ciy.  J.  i ;?.  ^  ,. 


2»  S  C  I  Ê  N  C!  Ê 

fance  aux  pères  fur  les  enfans  9  la  convention  aux  maître^ 
fur  les  domeftiques.  Ceft  à  ce  Droit  que  fe  rapportent  les 
diverfes  fondions  de  la  Souveraineté ,  &  les  Loix  apellées 
par  excellence  y  Loix  de  r  Etat.  De -là  les  règles  de  la 
conduite  de  chaque  citoyen  confidéré  par  relation  au  bien 
général  de  la  République  entière. 

L'objet  du  Droit  civil  eft  d'obliger  les  citoyens  à  garder 
les  Loix  naturelles ,  &  de  faire  régner  dans  la  fociété  Tor- 
dre &  la  paix ,  en  terminant  avec  juftice  &  avec  prompti"* 
tude  les  différends  qui  s'élèvent  entre  eux* 

Ce  que  les  cas  particuliers  font  au  Droit  privé  9  les  événe- 
mens  généraux  le  font  au  Droit  public.  La  fureté  &  la  tran- 
quillité de  chaque  membre  de  l'Etat  eft  y  dans  tous  les  Gou- 
vernemens ,  l'objet  du  Droit  privé  ;  la  fureté  &  la  tranquil-* 
lité  du  Souverain ,  &  des  divers  corps  qui  compofent  l'Etat, 
eft  le  but  du  Droit  public. 

L'adminiftration  aduelle  de  la  juftice  par  des  Officiers  , 
ne  fait  point  partie  du  Gouvernement,  mais  elle  eft  foumifc 
au  Légiflateur  ;  &  il  eft  aufli  eflentiel  que  le  Souverain  veille 
à  l'adminiftration  de  la  juftice  quand  il  ne  la  rend  pas  lui-» 
même  ,  qu'il  eft  important  que  y  par  l'ordre  qu'il  établit  dan» 
fes  Etats  y  fes  lujets  reçoivent  les  fecours  dont  ils  ont  befoin 
dans  leurs  makdies  y  que  les  terres  foient  cultivées ,  &  que 
les  fciences  ,  les  arts  ,  &  le  commerce  fleuriflent.  Llnfpec* 
tion  fuprême  fur  les  diverfes  charges ,  fur  les  divers  emplois^ 
fur  les  diverfes  fondions  publiques  y  fait  une  partie  inté- 
grante de  la  Souveraineté* 

Je  ne  dois  point  traiter  du  Droit  privé  y  en  tant  qu'il  ne 
fait  que  régler  les  fortunes  particulières  ;  mais  il  eft  indifpen- 
fable  que  je  difcute  tout  ce  qui  appartient  au  Droit  public  j 


DU    GOUVERNEMENT.        ii 

or  le  Droit  public  fe  fubdivile  en  deux  parties ,  dont  Tune 
regarde  les  affaires  temporelles ,  &  Tautre  celles  de  la  Reli- 
gion ,  qui  eft  une  portion  précieufc  des  affaires  de  TEtat. 

Le  Droit  canonique  eft  la  jurifprudenceEcclcfiaftiquefon-  is.  lc  Droit 
dée  fur  l'Ecriture  ;  fur  la  tradition  qui  fe  conferve  dans  les 
Conciles  généraux  &  particuliers ,  dans  les  fentimens  des 
faints  Pères,  dans  les  Conftitutions  des  Papes  &  Ordon- 
nances des  Evêques^  &  dans  les  ufages  particuliers  des  Egli- 
fes  ;  &  fur  les  L^ix  des  Princes  :  c'eft  le  recueil  des  règles 
que ,  pour  la  confervation  de  la  foi  &  de  la  morale ,  &  pour 
la  difcipline  de  TEglife,  Jcfus-Chrift  lui-même  a  pofées  , 
que  fes  Apôtres  ,  fes  Difciples,  &  leurs  fucceflcurs  ont  éta- 
blies avec  le  confentement  de  ies  membres  :  &  auxquelles' 
les  Princes  tempoirels  ,  qui  tous  font  ou  fes  membres ,  ou 
invités  à  en  devenir  les  membres  ,  doivent  leur  protedîon. 

Les  mœurs  fouffrent  toujours  de  la  foiblefTe  des  Loix  : 
Toblervation  des  Loix  de  l'Etat  doit  faciliter  les  voyes  à 
celle  de  l'Evangile.  La  Religion  &  le  Gouvernement ,  qui 
fe  propofent  tous  deux  la  plus  grande  utilité  du  genre  hu- 
main j  ont  enfemble  une  écroitc  alliance.  La  Religion  unie 
les  cœurs  des  hommes  &  leurs  volontés  >  &  cette  union  eft  le 
moyen  principal  de  la  confervation  des  Etats  :  le  Gouver- 
nement ,  defon  côté,  protège  la  Religion  :  membre  lui-mê- 
me de  TEglife,  il  en  connoît  les  Loix;  il  en  dirige ,  par  fa 
feule  autorité,  la  police  extérieure;  il  contraint  à  leur  ob- 
fcrvatioh  par  l'impoiïtion  des  peines  ;  &  il  empêche  que  les 
hommes  ,  qui  ne  font  que  trop  portés  à  corrompre  ce  qu'il  y 
a  do  plus  facré ,  ne  prennent  des  armes  dans  le  Ciel  pour 
commettre  des  injuftices  fur  la  terre,  &  ne  fafTént  fervir  la 
Religion  à  une  fin  abfoiument.oppolée  àccile  d'un  ctablilTe* 
ment  tout  divin, 


-ak  SCIENCE 

Lorfqu'on  cfl  obligé  à  la  fin ,  on  eft  obligé  aux  moyens 
(ans  leiquels  on  ne  peut  y  parvenir.  Tout  ce  qui  contribue 
néccflairement  au  but  de  la  fociété  pour  laquelle  nous  fom- 
mes  nés ,  doit  par  conféquent  être'  tenu  poiir  prcfcrit  par  le 
Droit  naturel  ;  &  tout  ce  qui  la  trouble  ,  réputé  défendu  par 
le  même  Droit.  Il  n'eft  pas  befoin  d'être  Théologien  de  pro- 
fcflîon ,  pour  Içavoir  que  TEvangile  n  autorile  rien  de  con«» 
traire  à  Tordre  des  fociétés  civiles;  le  bonheur  des  peuples 
n'eft  pas  moins  cher  à  la  Religion  qu'au  Gouvernement. 
Sçavoir  ce  qui  convient  ou  ne  convient  pas  au  bien  de  TEtat, 
c'efl  fçavoir  ce  qui  eft ,  à  cet  égard  ,  autorifé  ou  défendu 
par  TEvangile.  Admettre  &  protéger  les  Canons ,  mainte»* 
nir  la  difcipline  de  TEglife ,  régler  tout  ce  cju'clle  a  d'ext^ 
rîcur ,  eft  l'objet  du  Gouvernement  civiK 
19.  Le  Droit  S'il  importe  à  chaquç  fociété  civile  que  les  citoyens  m 
^"^^  foient  point  troublés  dans  la  poffeflîon  de  leurs  héritages  9 
il  n'importe  pas  moins  à  la  fociété  générale  des  nations ,  que 
les  Etats  pofledent  tranquillement  les  terres  de  leur  domi-r 
nation.  Les  Juges  de  chaque  fociété  civile  doivent  la  juftice 
de  citoyen  à  citoyen;  &  chaque  peuple  la  doit  rendre  de  lui 
à  un  autre  peuple.  Le  but  général  du  Droit  civil ,  c'cft  de 
prévenir  ou  de  terminer  les  procès  ruineux  des  particuliers. 
Celui  du  Droit  des  Gens  y  dont  la  fin  eft  plus  relevée  ,  & 
dont  les  conféqucnccs  font  plus  étendues,  c'eft  de  terminer 
les  guerres  fanglantes'  dçs  nationi . 

Le  Droit  des  Gens  renferme  les  règles  de  la  conduite  des 
hommes  ,  conftdérés  de  peuple  à  peuple ,  en  tant  que  for-r 
mant  la  fociété  générale  des  nations  y  6c  une  République 
dans  laquelle  chaque  peuple  n'eft  que  comme  une  grande  fa- 
mille. C  eft  Je  Droit  des  hçmmcs  qui  ne  rcconnoill'cnt  pas  les 


DUGÔUVERNEMENT.        23 

mêmes  Loix  civiles;  des  Souverains  qui  jouiffcnt  les  uns 
envers  les  autres  de  la  liberté  indéfinie  de  TEtat  naturel  ; 
des  nations  qui  font  dans  la  même  indépendance  les  unes  à 
regard  des  autres  ;  des  fujcts  confîdérés  uniquement  comme 
membres  des  différens  Etats.  Il  s'appelle  le  Droit  des  Gensj 
ou  ,  ce  qui  eft  la  même  chofe  ,  le  Droit  des  nations  ;  &  il 
unit  par  des  liens  facrés  ,  ceux  que  féparent  la  diftance  des 
lieux  &  la  différence  des  Religions  ,  des  mœurs ,  des  lan- 
gues ,  des  Gouvernemens. 

Ici  fe  rapportent  les  conventions  faites  &  les  ufages  reçus 
de  nation  à  nation  ,  les  droits  de  la  guerre  &  de  la  paix  y  les 
règles  des  alliances  &  des  traites  :  la  fureté  &  la  tranquillité 
de  tous  les  Etats  policés  de  l'univers  efl  l'objet  du  Droit  des 
Gens. 

Le  Droit  des  Gens  ,  dont  je  parle  ici ,  a  fes  règles  parti- 
culières comme  les  autres  Droits ,  &  il  faut  bien  fe  garder 
de  le  confondre  avec  celui  qui  eft  purement  naturel ,  ainfî 
que  le  font  pluûcurs  Auteurs ,  qui  les  regardent  comme  un 
feul  &  même  Droit  >  par  une  erreur  que  je  démontrerai  dans 
le  volume  même  du  Droit  des  Gens. 

Le  commandement  a£luel  des  armes  tCcR.  pas  une  partie 
du  Gouvernement ,  lorfqu  il  eft  confié  à  des  Généraux ,  & 
que  le  Souverain  ne  fait  point  la  guerre  en  pcrfonne  ;  mais 
les  ordres  à  donner  aux  Généraux  y  l'art  de  mouvoir  les  ar-^ 
mecs ,  le  tems  &  le  lieu  de  leur  a£lîon ,  ne  peuvent  non  plus 
être  féparés  du  Gouvernement  que  les  motifs  de  faire  la  guerre 
&  le  foin  de  fortifier  l'Etat  par  des  alliances. 

L'art  de  policer  les  Etats,  d'y  former  les  bonnes  mœurs,  io.LaPciiAriiw 
d'y  faire  régner  l'ordre,  d'en  maintenir  la  fureté,  d'en  faire 
le  bonheur,  eft  ce  qu'on  appelle  la  politique  %  Je  parle  de  la 


14  SCIENCE 

Yraie,  car  il  eft  efl:  une  faufle  qui  >  écartant  la  vérité  pouf 
courir  au  devant  des  objets ,  ne  voit  que  ceux  que  Timagî-. 
nation  enfante  ;  qui  s'occupe  beaucoup  plus  de  la  fortune 
des  Princes  ,  que  du  bonheur  des  peuples  dont  elle  eft  infé- 
parable  ;  qui  ne  règne  que  dans  des  efprits  médiocres  &  fur 
des  cœurs  corrompus  ;  &  qui  eft  auffi  nuifible  que  peu  ho- 
norable. 

Là  fage  Politique  infpîrée  par  PEfprît  Saint ,  eft  louée 
même  dans  les  Gentils  (4).  Né  de  Pexpérience ,  ce  grand 
un  s*eft  formé  des  oblervations  qu'on  a  faites  fur  ce  qui  avoit 
été  ou  utile  ou  nuifible  au  Gouvernement ,  &  s'eft  perfeftion^ 
né  par  les  conféquences  qu'on  a  tirées  de  ces  obfervations  ^ 
&  par  les  règles  que  la  juftefle  d'efprit  &  la  philofophic  y 
ont  ajoutées. 

Le  Droit  &  l'hiftoire  font  les  gHÎdes  de  la  Politique.  Le 
Droit  inftruit  un  homme  d'Etat  de  ce  qui  eft  jufte  ou  in* 
jufte,  &  l'hiftoire  lui  fourniflant  des  exemples  ,  lui  préfente 
des  moyens  de  conduite  dont  il  peut  faire  un  très -grand 
iifage  j  pourvu  qu'il  les  employé  avec  difcernement.  Lort 
qu'il  eft  queftion  de  porter  une  Loi  ou  de  prendre  un  parti, 
l'Hiftorien  rapporte  des  faits  ;  le  Jurifconiulte  fait  des  rai-» 
fonnemens  fur  la  juftice  ;  le  Politique  péfe  les  exemples  de 
Tun  &  les  raifons  de  Tautre ,  en  examine  les  avantages  &  les 
înconvcnicns ,  &  fe  détermine  tantôt  par  l'exemple ,  tantôt 
par  le  raifonnemcnc,  quelquefois  par  l'un  &  par  l'autre  touç 
^nfemble. 

La  Politique  &  le  Droit  >  diftinéls  par  leur  nature ,  diffé^ 
rent  aufli  dans  leurs  vues.  Le  Droit  a  pour  objet  de  faire 

(a)  Dans  Tanden  Teftament ,  à  Foccafion  des  Madiabéei  ;  dao$  le  nouveau ,  au 
Hijec  des  Romains  ;  6c  dans  plufieurs  autrçs  pafTages, 

jouir 


l!] 


DU    GOUVERNEMENT;       ai 

^ouîr  chaque  citoyen  de  ce  qui  lui  appartient  ^  &  d*étd>lîr  en  t  \ 

toute  forte  d'adminiftration  ce  qui  eft  jufte  ;  le  but  de  la  Po- 
litique eft  d*aflurer  le  bonheur  public  ,  de  porter  des  Loîx 
convenables  au  bien  de  la  fociété,  &  de  procurer  ce  qui  eft 
«tile*  L'un  fe  propofe  1  équité  des  actions ,  par  rapport  aux 
Loix  î  l'autre  Ja  dire£tion  des  avions ,  relativement  à  Futi- 
lité publi(ii^et  Celui-là  cjoit  être  confulté  avec  Texa^litude  la  - 
plus  fcruppleufe  dans  les  ajflf^es  des  citoyens  :  celle-ci  s'çlevp 
au-  defliis  dç  Tintérêt  de  chaque  homme  confidéré  à  part  > 
mais  c'çft  fans  blefler  la  juftice  ,  que  la  Politique  fait  fou- 
vçnt  taire  Içs  Lojx  qui  règlent  les  fortunes  privées.  Si  elle 
perd  de  vue  la  juftice  particulière  due  au  citoyen  ,  ce  n'eft 
^ue  pour  rendre  la  juftice  générale  due  à  tout  l'Etat.  Si  elle 
s'écarte ,  pour  m'exprimer  ainfî ,  des  fentiers  de  la  juftice  , 
par  les  petits  maux  qu'elle  fait  à  quelques  membres  d'une 
(ociété  ,  elle  y  rentre  par  les  dédommagen>en$  qu'elle  ac- 
corde à  ces  membres  ,  &  par  les  grands  avantages  qu'elle 
jprocure  au  corps  entier. 

Heureux  les  peuples  gouvernés  par  des  Rois  qui  conful- 
>^ent  tour  à  tQur  le  Droit  &  la  Politique  ainfi  entendus  y  quî 
ne  trouvent  jamais  utile  pour  l'Etat  ce  qui  n'eft  pas  jufte  de 
la  part  de  l'Etat,  qui  eftjment  que  le  parti  le  plus  équitable 
eft  auflî  le  meilleur ,  &  qui  regardent  comme  impoffible  ce 
xjui  n'eft  pas  légitime  !  Des  Monarque?  fi  religieux  font  hon- 
neur à  Thumanité.  Leur  Politique  ,  accommodée  aux  plus 
pures  maximes  de  la  raifon  y  dç  la  Religion  &  du  Droit , 
fait  bénir  leur  Gouvernement  ;  elle  leur  conciliç ,  avec  l'a- 
mour de  toutes  les  nations ,  la  confiance  de  cous  les  Souve- 
rains ,  &  rend ,  par  un  heureux  retour ,  leurs  maximes  aufli 
ptiles  pour  eiuf-mêmcs^  que  pour  Icç  peuples  foumis  à  leuj 

Tçm^  L  D  - 


i6'        SCIENCE 

domination.  Il  fiait  auffipourfcs  intérêts  que  le  Politîqur 
foit  vertueux  ,  mais  il  faut  encore  que  fa  vertu  foit  une  verti» 
éclairée  &  prudente ,  qui  ne  foit  le  jouet ,  ni  de  l'impodure  ^ 
t.ntatcon-^idelafurprife. 
Snaion.ïifé^;li:      Il  eft  néceffaire  de  connoître  les  diftinaions  qui  feparenr 
Drohs&icfra^'  les  divers  Droits  ^  parce  que  chaque  Droit  prouve  fes  maxi- 
r>mqmie»uwr-  ^^^  ^  d'une  manière  qui  répond  àibn  principe  fondamental ,. 
&  n'a  de  force  qu'autant  qifc  Ton  objet  a  d'ctcnducr  II  im- 
porte d'appliquer  chaque  fcience  à  fon  propre  objet ,  &  de 
là  reflcrrer  dans  fes  juftes  bornes ,  pour  diftinguer  les  diffé- 
rens  Droits  &  les  différentes  fources  d'où  ils  émanent ,  & 
pour  parvenir ,  par  la  difl:in£tïon  des  Droits  ,  à  celle  des  de- 
voirs des  hommes  confidérés  dans  les  diverfes  fituations  où. 
ils  fe  trouvent* 

La  connoîflance  des  rapports  qui  uniflent  ces  mcmes' 
Droits  n'eft  pas' moins  néceffaire.  Les  Loîx  de  la  guerre  font 
du  Droit  des  Gens',  niais  la  police  militaire  de  chaque  Etat 
cft  du  Droit  public  ;  &  les  différends  qui  arrivent  entre  les* 
particuliers  du  même  pays ,  par  une  fuite  des  guerres,  des  re- 
préfailles  ,  des  trêves ,  des  Traités ,  font  du  Droit  privé» 
Les  Droits  des  Couronnés  &  les  libertés  dèe  Eglifes  des  dif- 
férens  Etats ,  font  en  même  tems  du  Droit  public  &  du  Droit 
Eccléfiaftique*.  Pour  bien  juger  de  toutes  ces  chofes  ,  il  eft 
néceffaire  de  puifcr  dafis  ces  diverfes  fources.  Ce  n'eft  que 
par  une  connoiflfance  exa£le  des  diftin£tions  qui  fcparcnt,  & 
des  rapports  qui  uniffent  les  divers  Droits  ,  qu'on  peut  ne 
point  mettre  de  confufion  dans  les  principes  qui  doivent 
•>    H     Kouverner'leshômiîiés* 

fti.  Dansrop-  ex  ....  4      ' 

JTiîl^ai^^îfciL^^^      ^^  ^^^^  toujours  diftinguer  les  reglemens  que  les  hommes 
font ,  d'avec  ce  que  la  nature  fait  elle-même.  Les  Loix  na- 


Dtj  gouvernement;      57 

turelîcs  font  fermes  &  immuables  comme  la  volonté  de  leur  &dans  icTiierce 

-,-,,  ^  .  ,  A  iin/v-  dcsLoi^:  civiles, 

auteur:  leur  jultice  cit  toujours  la  même,  &  elle  eit  eflen-  on  doit  ledéu:- 

11      V  1  1  11  miner  pardesra:- 

tielle  a  ions  les  cngagemens  «  dans  tous  les  lieux  &  dans  lonncmcns  ures 
tous  les  tcms ,  parce  que  ces  Loix  font  fuffifamment  con-  '^"^• 
nues  par  la  feule  lumière  naturelle ,  &  qu'on  ne  les  ignore  que 
lorfqu'on  eft  dépourvu  de  la  raifon  qui  les  enfeigne.  Les 

.  Loix  que  les  hommes  ont  établies ,  font  au  contraire  périfla- 
i)les  &  mortelles  comme  eux  ;  leur  jufticc^,  toujours  dépcn- 
idante  de  rutilité  particulière  qu'on:  trouve  aies  faire  ou  à  les 
iupprimcr ,  change  félon  que  les  circonftànces  variient.  El- 
hs  n'obligent  qu'après  qu'elles  ont  été  publiées  ,  &  n'obli- 
gent que  pour  l'avenir  ,  parce  quelles. font,  ou  des  confé- 
,quences  plus  éloignées  de  principes  nttturelîemcnt  connus. , 
X)u  des  déterminations  arbitraires  y  qui  ne  commencent  d'ê- 
tre que  lorfqu'elles  font  faites  ;  d'où  il  fuit  qu'on  peut  ignorer 
^'elles  exiftent ,  Ci  elles  n'ont  pas  été  publiées. 

De  cette  diftinûion  entre  les  Loix  naturelles  &  les  Loix 
civiles ,   réfulte  une  différence  entre  ks  chofes  permifei  ou.  j  -• 

'  défendues  par  le  Droit  naturel ,  &  celles  qui  ne  font  bonnes 
ou  mauvaifes ,  que  parce  qu'elles  font  pcrmifes  ou  défeçiduês 
par  le  Droit  pofîtif.  Les  chofes  défendues  par  la  Loi  natu- 
relle font  effentiellement  8ç  immuablement  mauvalles.  Il  n'en 
cft  pas  ainfi  de  ce  qui  n'cft  défendu  que  par  des  Loix  pofi-» 
tives ,  qui  eft  indifférent  en  lui-  même ,  &  que  la  défenfe 
feule  peut  rendre  mauvais.  Celui  qui, ignorant  que  certaines 
chofes  font  défendues  par  Iç  Droit  pofitif ,  les  approuve  , 
n'a  pas  une  volonté  contraire  à  la  juftice.  Il  peut ,  à  Fa  vé- 
rité ,  être  coupable  de  ne  s'être  point  inftruit  des  Loix  pofi- 
tives  qui  ont  défendu  ces  chofes  ;  mais  il  ne  fçauroit  l'être 
de  ne  pas  juger  ces  chpfes'jiaturcllemcnt  mauvaifes  en  elles-j 


t%  se  lE  N  CE 

mêmes  ,  parce  qu'en  effet  elles  ne  le  font  point. 

La  juftice  univerfelle  de  toutes  les  Loix   confille  dan» 
leur  rapport  à  Tordre  de  la  focicté  dont  elles  font  les  règles* 
hc^  maximes  d'un  Droit  n'ont  jamais  rien  de  contraire  à 
celles  d  un  autre  Droit ,  elles  fe  prêtent  un  mutuel  feccurs* 
Les  queftions  qui  naiifent  de  foppofition  apparente  de  deux 
Loix  naturelles  ou  de  deux  Loix  arbitraires ,  ou  d'une  Loi  na-  * 
turelle  &  d'une  Loi  arbitraire,  doivent  être  décidées  par  de» 
jraifonnemens  tirés  des  Loix  naturelles  ,  parce  que  ce  n'eft 
•que  par  les  principes  de  l'équité  naturelle  y  qu'on  peut  con- 
noître  fi  une  chofe  eft  en  elle-même  ou  légitime  ou  illicite^ 
Il  faut  auffi,  dans  le  filence  des  Loix  civiles,  confulter  la 
JLoi  naturelle,  Loi  dont  l'étendue  embraffe  toute  la  terre  , 
Loi  dont  l'évidence  eft  au-deffus  de  toute  preuve ,  &  la  du- 
rée au-delà  de  toutç  prefcription ,  Loi  aufli  ancienne  que  le 
monde ,  &  qui ,  ayant  commencé  avec  lui ,  ne  finira  qu'avec 
lui. 
%î.  te  Droit  fia- 1    Lôs  âutTcs  Drolts  ne  font  qu*un  écoulement  du  Droit  rla^ 

Hird  eft  le  fonde-  *  ,  , 

^s^^^^^^o-^siM.turel;  ils  s'y  rapportent  tous  ou  directement  ou  par  reduc-* 
tioh',  comme  on  parle  dans  l'école;  ils  ont  tous  leur  prin- 
cipe dans  le  Droit  naturel  appliqué  aux  hommes  avec  les 
ftiodificatidhs  convenables  à  leur  état  (a).  Les  hommes  ajou- 
tent divers  engagemens  particuliers  aux  obligations  généra- 
les qui  réfultent  de  la  Loi  primitive.  Ces  engagemens  parti- 
culiers ,  qui  naiifent  ou  de  quelque  convention  ou  de  quel- 
que Loi  pofitive  ,  entrent  dans  l'objet  de  la  Loi  naturelle  , 
en  tant  qu'elle  peut  y  être  appliquée.  Les  Loix  Grecques  , 
Romaines ,  Françoifes,  Efpagnoles ,  ne  font  que  l'image  & 
l'cxpreffion  de  la  Loi  naturelle  ;  elles  ne  font  que  des  ccn- 
:    (û)  Jusnaturale^  prç  ccTt$  rerumjlatu.  Gwius ,  de  princip.  Jur.  natur.  cap.  3. 


DU  GOUVER  x\  E.M  E  N  T.  2p 
Séquences  qui  ont  été  tirées  &  qui  ont  été  accommodées  aux 
diverfes  fituations  &  aux  divers  befoins  des  Romains  ,  des 
François ,  des  Efpagnols. 

La  Loi  naturelle  eft  la  plus  ancienne  de  toutes  les  Loix  , 
puifque  la  lumière  précède  toutes  fortes  de  Loix.  Elle  eft  la 
plus  générale ,  car  quoique  la  connoiffance  &  la  tradition  de 
la  Divinité  fe  foient  répandues  partout  ^  il  y  a  eu  beaucoup 
d'hommes  qui  n  ont  point  entendu  parler  du  Droit  révélé  Ça)  ; 
mais  il  n'en  cft  aucun  qui  foit  venu  au  monde  fans  la  lumière 
naturelle.  Elle  eft  la  plus  eflcnticlle ,  car  ce  n'eft  point  ici 
la  Loi  du  Juif  ni  la  Loi  du  Chrétien  fimplement ,  c'cft  la 
Loi  de  riiomme ,  elle  appartient  non-feulement  à  TEvan- 
gile  j  mais  à  la  nature,  dans  quelque  Etat  qu'elle  fe  trouve. 

Comme  la  raifon  eft  le  grand  &  le  premier  fondement  de 
toutes  fortes  de  Droits ,  la  Loi  naturelle  eft  le  fondement,  la 
règle  primitive,  la  fourcedc  toutes  les  autres  Loix. 

Les  Loix  civiles  font  ainfî  appellées  ou  relativement  à 
leur  origine ,  ou  par  rapport  à  leur  autorité. 

Celles  qui  ont  cette  dénomination  par  rapport  a  leur  ori- 
gine ,  renferment  des  maximes  du  Droit  naturel ,  &  ne  font  \- 
appellées  civiles ,  qUé  parce  que  c  eft  de  la  puiffance  civile 
qu'elles  tirent  leur  force.  Les  maximes  du  Droit  naturel  mon- 
trent aux  hommes  les  fources  pures  de  la  raifon ,  &  celles 
de  la  Religion  ;  elles  élèvent  l'ame  à  la  connoiffance  des  vé- 
rités primitives  qui  doivent  régler  notre  conduite ,  indépen- 
damment de  tout  établiflèment  humain  ,  mais  elles  ne  déter- 
minent pas  les  peines  dont  le  violcment  de  leurs  préceptes 
doit  être  puni.  Elles  laiftent  cette  détermination  aux  Puif- 

(a)  Il  eft  écrit  que  Dieu  n'a  pas  rëvélé  fes  Jugemen»  aux  Gentils  ;  qu'il  Ici  a  j.**^ 

faiffés  errer  dans  leurs  voycs ,  ^  qu'ils  ooc  ixi  ab^dooiA^S  d^f  Içs  lén^bra^  ^ 
4iinii 'ombre  delà  mox  u 


30  SCIENCE 

fances  à  qui  elles  prefcrivent  cette  règle ,  que  les  peines  doî- 
v^nt  être  proportionnées  à  Tutilitc  des  corps  politiques  pour 
lefquels  elles  font  établies.  C'efl  aux  Souverains  à  détermî-r 
ner  les  obligations  naturelles  pour  lefquelles  on  puiffe  avoir 
a£lion  en  Juftice  ,  &  celles  dont  raccompliflement  eft  aban^ 
donné  à  l'honneur  &  à  la  confcience  de  chacun.  La  feule 
puiflance  publique  a  pu  donner  à  ces  obligations  force  de 
Loi  ;  ce  font ,  par  rapport  à  cette  puiflance  qu'on  appelle  G-- 
t'ile  9  les  Loix  naturelles  que  le  Légillateur  a  fortifiées  de 
fon  autorité. 

Les  Loix  civiles  ,  ainfi  appellées  par  rapport  à  leur  auto-? 

rite ,  portent  leur  nom  a  double  titre  ,  &  parce  que  c'eft  lo 

Souverain  qui  les  autorife  ,  &  parce  qu'il  leur  donne  l'être» 

Elles  ont  uniquement  pour  principe  la  volonté  du  Prince  à 

qui  elles  on«  paru  néceflaires  pour  le  bien  particulier  de  TE? 

tat ,  &  elles  deviennent  comme  des  fupplemens  du  Droit 

naturel  dont  elles  fonç  l'application  à  des  cas  fixes  ou  acci-? 

dentels. 

Le  Droit  pu-     Chaquc  nation  a  une  forme  de  Gouvernement  différente, 

k%foifn;i^rd'  ^ccommodée  à  fes  mœurs  ;  mais  toutes  les  fociétés  civiles 

3"nt  ir&aji  font  foumifes  au  Droit  naturel ,  qui  eft  le  droit  commun  de 

nrr?3m^ffnî"ic  tous  les  peuples  ;  &  c'eft  du  Droit  naturel  que  chaque  Droit 

Civil  tire  Ion  origine. 


n 


Les  maximes  générales  du  Droit  civil  de  chaque  peuple  , 
le  rapportent  à  ces  grands  préceptes  du  Droit  naturel  :  vivrç 
honnêtement  :  ne  faire  tort  à  perfonne  ;  rendre  à  chacun  ce 
qui  lui  appartient  {a).  Le  premier  nous  montre  une  reg^e 
pour  nous  mêmes  ;  les  deux  derniers ,  qui  femblent  renfer- 

[a\  Juris  pr£ceptafunthdc  :  honejle  vivcTC  :  alterum  non  Udcfe  ^fuum  cui^ui 
thùuerc.  Injiif.  deJuft.  Çtjure. }.  j. 


DU    GOUVERNEMENT.        jr 

mes  Tun  dans  Pautre  j  nous  enfeignent  nos  devoirs  envers 
les  autres  ;  les  trois  comprennent  entièrement  &  le  bien  que 
nous  devons  faire  &  le  mal  que  nous  devons  éviter ,  &  peu- 
vent encore  être  réduits  à  cette  belle  règle  qui  efl  le  fonde- 
ment de  toute  juflice  ,  de  ne  pas  faire  aux  autres  ce  que  nous 
ne  voudrions  pas  qui  nous  fût  fait  (a). 

Ces  trois  préceptes  du  Droit  naturel  font  le  plan  de  Pc- 
tabliffement  de  chaque  fociété  civile  ;  &  plus  les  règles  d'un 
peuple  y  font  conformes ,  plus  le  droit  de  ce  peuple  appro- 
che de  la  perfedionr  Comme  chaque  Loi  arbitraire  a  deux 
caractères  y  8c  qu'une  partie  de  ce  qu  elle  ordonne  eft  de  Droit 
naturel  &  l'autre  de  Droit  arbitraire ,  il  eft  évident  que  le 
Droit  civil  doit  tirer  fa  gloire  du  Droit  naturel ,  &  que  les 
Loix  arbitraires  font  plus  ou  moins  parfaites ,  lelon  qu'elles 
font  plus  ou  moins  conformes  aux  Loix  naturelles ,  dont  el- 
ks  doivent  avoir  les  juftes  conféquences  pour  objet. 

Les  deux  caraâeres  =qu*a  chaque  Loi  arbitraire  font  aifés 
à  reconnoître.  Les  reglemens  du  Droit  purement  civil  ne* 
confiftent  qu  à  fixer  certains  points  que  le  Droit  naturel ,  qui 
n'indique  beaucoup  de  chofes  que  d'une  manière  générale  & 
indéterminée  j  a  laiiTés  à  la  difpofition  des  Légillateurs  de 
chaque  Etat  ;  qu'à  prefcrire  en  général  certaines  formalités  , 
que  les  citoyens  doivent  obferver^  pour  rendre  valables  dans 
les  Tribunaux  dejudicature  les  engagemens  qu'ils  prenncn 
les  uns  envers  les  autres  j  qu'à  marquer  les  procédures  par 
lefquelles  ils  doivent  pourfuivre  leur  droit  en  juftice  j  &  qu'à 
déterminer  le  tems ,  la  forme ,  le  lieu,  l'application  aux  per- 
fonnes.  Tout  le  relie  des  Loix  civiles  ne  renferme  que  des 
principes  de  Droit  naturel ,  aufquels  les  Légiflateurs  don- 

[ff]  Quoi  tibiferi  non  vis  dteri  nefecerisw 


32  SCIENCE  • 

nent  force  de  Loi ,  ainfi  proprement  noqfimée  y  en  prônon^ 
çant  fouverainement  fur  le  fonds  des  chofes  y  fur  leurs  pro* 
priétés ,  &  fur  leurs  différences.  Par  exemple ,  la  Loi  qui 
règle  la  légitime  des  enfans  fur  les  biens  de  leur  père  ,  ren- 
ferme deux  difpofitions.  L'une  ordonne  que  les  enfans  ayent 
une  part  dans  la  fucceflion  paternelle;&  celle-là  eft  de  Droit 
naturel  y  car  les  biens  des  pères  doivent  paffer  naturellement 
aux  enfans ,  parce  que  la  nature  ,  en  les  fubftituant  à  leurs 
pères ,  les  appelle  à  la  pofleflion  de  leurs  biens.  L'autre  fixe 
cette  portion  à  un  tiers ,  à  une  moitié  j  aux  trois  quarts  ;  & 
celle-ci  eft  de  Droit  arbitraire  ,  puifque  le  Légiflateur  pou- 
voir ordonner  qu'elle  fut  plus  ou  moins  grande.  La  première 
partie  eft  jufte  ^  d'une  juftîce  naturelle  ;  la  féconde  n  eft  jufte 
que  d'une  juftiçe  dépendante  des  Loix  pofitives. 

De  ce  principe  du  Droit  naturel  y  il  ne  faut  tromper  fer-^ 
[onney  le  Droit  civil  4  tiré  celui-ci ,  tout  vendeur  doit  ga^-i 
rantir  ce  quil  d  vendu.  De  cet  autre  principe  du  Droit  na-! 
turel  y  il  faut  rendre  k  chacun  ce  quil  lui  appartient  y  le  Droit 
civil  prononce  que  celui  qui  a  emprunté  une  fomme  doit  la  payer* 
De  ce  que  fuivant  la  Loi  naturelle  y  on  doit  être  fidèle  k  fes 
engagemens  ,  les  Loix  civiles  ont  établi  que  chaque  Affocié  eft 
iomptable  des  effets  de  la  fociêté  quil  a  adminifirés  y  &  doi^ 
Participer  k  fes  pertes  comme  k  fes  avantages. 

Les  Loix  civiles  y  pour  le  dire  en  un  mot  y  expliquent  ^ 
étendent ,  appliquent  aux  cas  particuliers  les  maximes  géné- 
rales du  Droit  naturel  y  elles  marquent  l'étendue  &  les  bor- 
nes des  Droits  des  citoyens  y  elles  font  les  regîemens  que 
demande  le  bien  de  l'Etat  ;  &  elles  modifient  &  reftraignenc 
auffi  quelquefois  le  Droit  naturel ,  par  une  fuite  néceflaire  de 
la  formation  dcsfoci.'tés  ciy  |-S  c'ont -e  donneraiicif  1  ^fenrs 
exemples.  Cette 


DU  G  O  ?J  V  E  Tl  ^  ET  M  E  N  T..  ^j 
-  Cette  lueur  de  raiforï  que  la'ftature 'a'jrriprîmée  dâtis  tous 
iès  hommes  /s'appelle  équité.  Cette  équité  haturelte  efl:  le 
fonds  de  ta  Tahî^^jurifiJnidén'ée  (d|&'t6ù^  léi  TribuhaW  de  Ju- 
dicature^;  niais' cette 'lueût  j)l)ùyaht  dégéhéret  eiî  illiifion'^i 
&  fouvent  même  devénînirbîtraîre,'àu  pé  du. caprice  ou 
de  Pintérct  des  hommes ,  les  Légiflâteurs  eft' ofît  fagem^ 
îîxé  lés  régies  paf  '^es'd&iTA^fhs  t^fléchîe^  &  méditeçs  /&  ces 
Téglés^  lis  lesorita^ï/eH^e^"^^^^^^^^  ^'i^^ 

4iotls>  dîaë:  qiië' toïft  pbffcïfôii  3^  fi^irfîdfé'  d*àii^ruî'y  do^^^^^ 


tenir  là-  ptopri&Bé-dei'tfKxifes'^^^  fuf|xèns',  âfe 

f)«  côJnféquerit  troùbîèy^^Iàf^fdfc^  ^^^Ônc  été  oéceflai'rc 
-d'y  apporter  ce  tempérament:,  qu*au  bout  d\iri  certain,  nom- 
-bre  d^ànnees  ^  le-  pôflefleur '  rie  J)ût  être  inquiété  à  ce  fujet. 
©e-1àî  font  '  veriués  les  f  èglésf  de  la*  prefcription  que  lés  Loîx 
civilesiontétablîe!?.^'  "  ^  ,i  • ':.  a -J  r;  :i  '—^y^'^^^  'y^ï;  ^' 
: .  -  Gîs"  'Loix  orit'^ .  interdît'  MiërtatidÀ  dû  '  certains  biens ,  la 
:^énte  "de*  fonds  dotaux ,  les  donatiofts  entre  mari  &  femme. 
-Ce  font  dei  reglemens  qui  tendent  feulement  à  empêcher 
:  qu'on  ne  puiffe  regarder  comme  fienne  une.chofe  qu'on  n'a 
'pu  acquérir , &  étendre  Poblîgatiôn  naturelle  à  une  conven- 
:tion  ,  qui  n'en  eft  plus  fttfceptible  depuis  la  défcnle  portée 
j)ar  les  Loix  pofitives. 

Rien  n'eft  plus  recommandé  par  la  Loi  de  nature,  que  de 
garder  la  foi  promife  ,  &  d'exécuter  les  conventions  qu'on 
a  faites.  Mais  cela  fuppofe  un  confentemént  &  un  confen- 
tement  libre  ;  car  où  il  y  a  de  la  force  &  du  dol ,  il  n'y  a 
pas  de  vraie  volonté.  Il  faut  dire  la  même  chofe  des  pro- 
TomeL  £ 


54  n  '  .  S-tCJ  en  C  E 
méfies  faites  p^  erreur  ,>jt«;ndu  qu'un  confentemenc  erroné 
n'ert  pas  un  véritable  CQnfentçmçn.t.  .JL.es  Loix  civiles  inva- 
lident  ces  J^pv^çs,  de,  çrpuipffes.. Elles  iny^lident  .auffi  celle* 
des  furieyx  &.de?iinbéâUe?,,pa^^ç!,jque.lçscitoy  911 
ont  eu  le  malheur 'de  tomber  .dans  cet  ét>at«  ne  fbntpoinç 
cenfes  avoir  dj;,y6lQpte^  ,  ,.i  .,,-^^  .  . 
y  Ùji.ienfant  parye^ipîi  Tâgç^jîç-çi^  ^  pourroit  ufer  de 
îâ  liperté  naturel|e  j^xj^ç^r  s'^çta^  les  hen?^ 

du  'inarîage  ;  mais  à^  jnift|iîsj  q^'il  .p?ait  ^  confentement  d§  fes 
pafcns^  lès  Loix  civiles  ne  lui  permet;«u:  rexerciçede  cette 
îil^erté ,  que  d^s  Tâgp  pu  .ki  raifem  ^  tjttjL,  dqit  nous  éclairer 
Tiïr  un  choix  de  ceçte  importance  ,  eft  formée  &  cefle  -d'êcir 
obfcurcie  fie  captivée  par.ia  fQ^^.ldfc  <^^9^  org^esr  Elb» 
hc  laiilent  pas  non  plus ,  ai^  mifieivs.  ;la  Jib^rtc  d^^ 
dé  leur" fortune^  ÎG  ce  n'eft,.4yec,ceri;ajtnes.ibrH[ialit€s  ^-quôî^ 
que  chacun  ait  droit  naturellement  d'acheter  ;ou  d'emprunter 
le  bien  d'autrui  >  de  ven^pe,  ou  dp  prêter  le>fiei)»:Ç<îftrpaiWfe 
qu^il  ne  convient  ni  à  la  nation,  m  par  confëqusnt.  aiW:|)ài> 
qculiers  qui.  la  cpmpo^çjat  ^  qwej  ceux,4  q^  1%^  A'a  point 
encore  donné  la  maturii;é  du  jugement  ^  puiiïem  ccintraûer 
des  engagemcns  dont  ils  ne  connoiffent  pas  les  conféquen*- 
ces.  Il  eft  >  à  la  vérité  ^  des  génies  heureux  qui  préviennent 
le  tems  ordinaire  de  la  prudence  ;;  maiS;  tous  les  mineurs  ne  ^ 
font  pas  en  état  de  fe  pafler  jdesXefX)urs  que  kur  raifon  doit 
trouver ,  par  la  fuite ,  dans  lé  fçavoir  ou  dans  rcxpérienccr 
On  n'a  pas  pu  faire  une  Lot  particulière  pour  chacun  ;  & 
Ton  en  a  fait  une  commune  qui  fixe  poiiar  tous  le  moment  de 
Tâge  où  le  Droit  civil  permet  de  prendre  des  engagemeos. 
On  a  attaché  les  règles  de  la  majorité  qui  donne  la  capacité 
d'agir  à  rage  &  non  aux  perfonnesit.        '  .    - 


DU    G  OU  V  E  R  ]vr>SîM  E  N  T.       ^ç 

De  ces  exemples  6c  de  mille  autres:. qui  Teftraignenr  la  H- 
Jberté  natureljiéi^  gardoiasrnous  Heii  de3Conclprèque*le;Droît 
civil  foit  contraire  au  Droit  naturci;  LesXiOix  divilesfuWent 
h  nmaSA&  né  k  combattent  jamais',  elles perfeÛibrinent  le 
Droit  naturel,  &  le  rendent,  pour  airifi  dire',  praticable  , 
bien  loin  de  le  détruire.  Soit  qu'elles  invitent  à  Tobéilïance 
par  Tattrait  fédtiilant  des  promefTes  ,.  foit  qu'elles  y  obligent 
|)âr  la  crainte  fervile  des  menaces,  elles  onD* toujours  pouir 
•^bjet  Tùcilité  des  citoyens  :  or  ceux  qui^fohtentrds^ansyne 
ù>ciécé  ont  promis ,  ou  exprefTcment ,  ou  par  un  engagement 
lacite  que  la  nature  de  la  chofe  fait  prélumer ,  d'acquiefcer  à 
ire  qui  ieroîi:  réglé ,  pour  Tintérêt  commun ,  par  la  plus  gran- 
jde  panie  du  corps  ou  par  le  Prince  qui  lui  donne  des  Loix. 
;La  neceiSté  de  fe  conformer  à  xme  défenfe  qui  paroît  con- 
traire m  DrioitJiatureI,n'eft  donc  dans  le  fonds  qu'une  fuite 
4o  cette  Loi  naturelle  ,  qui  veut  que  chacun  remplifle  les 
^gagemens  qu'il  a  pris^ 

J^  DroixEorlëfiafliquécircluÎT^même^^^^  »5.LcDro£tEc- 

^turel.  Il  cft  une.appUcatida  partioi^iere  de  ce  l>oit  di- fof^^^^ellî 
vin ,  faite  par  les  Canonp  fcpar  les  Loix  civiles  aux  fidèles,   """"^  • 
«ntant  quenfans  de  l'Eglife 8c fujetsde  l'Etat. 

fjnj&q  le  Droit  xles  Gens ,  qui  a -lieu  de  peuple  à  peuple  ,  i^.LcDroîtdcs 
dans  la  guerre  ainft  que  dans  la  paix  ,.&  qui  aftraint  la  vie-  foS?cc*<bi«  \t 
ioire  fous  des  Loix  ^xomme  il  entionoe  à  toutes  les  aftions   ^*'""^"' 
|)acifiques,  trouve  aufli  fa  fource  dans  le  Droit  naturel.  Le 
Droit  des  Gens  n'eft  que  le  Droit  civil  des  nations, formant 
jupe  foçiçté  générale;  c'eft^  fi  l'on  veut, le  Droit  public  uni- 
i/çrfoj  des  peuples.  Il  eft  le  Droit  propre  de  la  focieté  gcr- 
nérale  des  nations ,  comme  le  Droit  privé  &  le  Droit  public 
font  les  Droits  propres  des  fociétés  particulières  ,.&  comme 


le  Droit  EccMfiaftkjurt^fl:  cks  fociétds  Chrctiennes  ;  ëi  îl 
n'eftipar  confcquentjqiie  le  Droit  naturel  appliqué  à.  cette  ib- 
.çiéi;4  géoërale  desoiatioM/:.     ':    '  ^  i  ^ 

Le.  Droit  des;  Gens  xi'â  pas  toujours  refpeacle  Droit  ïia- 
turel ,  &  la  fervitude  qu'il  avoit  établie  à  la  guerre  ^  y  ctoit 
abfolliment  bien  contraire  (a).  Mais  cette  barbarie  a  dif^ 
paru  de  rEurope>mieu^  pic^licée.  Aujourd'hui.  Je  Droit  des 
Gens ,  quLa:fcs  règles  çonmie  le  Droit  civil  a  les  (lennes , 
expUqueies  maxinlés  du  Droit  naturel  ^  &  en  fait  Tapplica- 
tion  à  fa  manière  p  comme  4e  Droit  civil  à  la  Tienne.  Il  les 
étend  auffi  >  &  c'efl  ce  que  Ton  peut  voir  dans  ce  fcul  exem- 
ple. La  Loi  naturelle  défend  de  faire  du  mal  à  autrui,  8t 
ordonne  qu'on  réparie  celui  qu'on  a  fait  ;  mais  pour  tirer  rai- 
fon  du  domage  qu'un  homme  a  fouffert ,  &  de  l'injure  qu'îl 
a.  reçue  dun  autre  horimie.,  vivant  dans  une  fociété  civile 
différente ,  la  Loi  naturelle  ne  permet  pas  qu'on  s'en  prenne 
à  l'un  de  fes  parens  ,  de  fes  amis ,  de.  fes  compatriotes ,  qui 
n'a  eu  téerllement aucune  pàrtàraâiQn;  d'aii.eft-  venu  le  do- 
inage  caufé,  ou  l'injuré  faite^.  Ce  qu'on  ne  peut  à  cet  égard 
en  vertu  du  Droit  naturel ,  on.le  peut  très-légitimement  en 
vertu  du  Droit  des  Gens  y. qui  a  établi  l'ufage  des  repréfail- 
Ics  ,  par  une  conféqucnce  qui  réfulte  nècefTairement  de  la 
diftindion  des  fociétés  civiles^ 
î7.t)îvî«onrfcs  Après  avoir  donné  ime  idée  générale  de  la  Politique  6k 
X^iiclrÂu^^^^  ^^5  différens  Droits  ,  il  ne  me  refte  qu'à  expliquer  le  plan 

«renfermé  toute  s  *•»    •    r  •     •  ai  j  n  n»  1  '  rr 

ks  matières  de  que  j  ai  luivi  >  pour  tachct  de  perfectionner  la  connomance 
des  matières  de  Gouvernement  ,  &  pour  les  réduire  en  un 
feul  corps  de  fcience.  L'ordre  le  plus  naturel  m'a  paru  être 

(a)  SeTvitus  efl  conjlitutîo  Juris  Gentîum ,  qui  quis  dominio  alieno  contra  naturam 
JubjicituT.  IfiHit.  de  Jureferforuirunu  J.  Pe       . 


du  Gouverne- 


DU    GOUVERNEMENT.        37 

de  divifer  TOuvrage  en  fcpt  parties  ,  dont  chacune  coni- 
pofe  un  volume,&  efl:  fubdiviféc  en  Chapitres  &  en  Scdions. 
Annoncer  un  Ouvrage  dogmatique  de  fept  volumes  ,  c'cfl 
fans  doute  annoncer  un  Ouvrage  bien  long  ;  mais  ne  puis-je 
pas  ,  avec  plus  de  fondement  encore ,  employer  la  raifon 
dont  rOrateur  Romain  fe  fervit  ,  en  écrivant  fur  Tun  des 
fujets  que  j'ai  traitvfs?  »  Si  Ton  mefure  (difoit-il)  mon  dif- 
»  cours  à  la  grandeur  de  mon  cntrcprife ,  peut-être  le  trou- 
ât^ vcra-t-on  trop  court  {a).n 

Dans  ce  premier  volume  ,  qui  doit  fervîr  dUîntroducfion  à  PwM.fMiTit; 
tous  les  autres,  j'explique ,  en  remontant  jufqu'à  la  naiflance  ûoh  il"f«fncc 
des  fiécles ,  comment  de  ces  premières  fociétés  humaines ,  que  ^^* 
Famour  conjugal  &  la  paternité  ont  formées ,  font  forties  ces 
fociétés  plus  nombreufcs  qu'on  appelle  civiles  ;  quelle  a  été 
l'origine  des  arts  ,  &  quels  progrès  ils  ont  fait.  J'expofe  les 
plans  des  anciens  Légiflateurs  &  les  formes  des  anciens 
Gouvernemens ,  dont  je  marque  &  les  avantages  &  les  dé- 
fauts. J'entre  dans  un  grand  détail  au  fujet  des  nouvelles 
conftitutions  d'Etat  qui  fe  trouvent  dans  les  quatre  parties 
du  monde.  Je  rapporte  furtout  les  mœurs ,  les  Loix  tant 
fondamentales  que  civiles  ,  la  force  ou  la  foihlefle  des  na- 
tions de  notre  Europe.  Enfin ,  après  avoir  montré  quelle  eft 
aftuellement  la  fituation  politique  de  cette  panîe  de  la  terre, 
qui  femble  être  un  monde  féparé  &  différent  des  trois  au- 
tres', je  traite  la  queflion  de  la  meilleure  forme  de  Gouver- 
nement :  queflion  toujours  mal  agitée  &  toujours  mal  enten- 
due. Ce  premier  volume  contient  Thifloire ,  &  efl  comme 
le  tableau  de  tout  \z  monde  politique  ;  il  renferme  des  con- 

(.î)  Qua  filonga  fuerit  Orâtio ,  cum  magniiudine  comparetur ,  ita  fortajjis  erioMi 
ireyior  vidtbituT.  Cicer.  Ojf. 


3»  SCIENCE 

noiflances  prclîminaires ,  importantes  en  elles-mêmes  ,  &  né- 
ceflaires  à  rintelligcnce  des  volumes  qui  fuivenc. 
pakttciî.       Le  fécond  traite  du  Droit  naturel.  J*en  montre  Tulàge 
piltt^I^***  pour  les  Souverains  comme  pour  les  fujets«  J'en  explique 
les  grandes  maximes ,  ces  maximes  qui  élèvent  l'homme  à 
Dieu  y  qui  fixent  l'attention  de  Thomme  fiir  lui-même  ,  fiç 
qui ,  du  culte  divin  &  de  Tamour  propre  bien  réglé  ,  font 
paflcr  rhommc  à  l'exercice  des  devoirs  de  la  fociété.  Ce 
Droit  naturel  dont  je  traite  ici  ^  tige  des  autres  Droits  ,  ré» 
paroîr  aflcz  fouvent  dans  les  volumes  qui  fuivent ,  où  des 
raifonnemens  y  qui  ont  un  rappon  tout  particulier  à  ces  au» 
très  volumes  y  le  ramènent  nécefTairement. 
Partie  III.       Le  troîfiéme,  du  Droit  public.  Je  difcute  d'abord  ce  qui 
picû  puww.     a  rapport  au  Gouvernement  économique.  Je  confidére  ea- 
fuitc  la  fouveraineté  par  rapport  à  fon  origine ,  à  fes  objets  , 
à  fes  caractères  ^  à  fes  modifications ,  à  fes  effets.  J'établis  les 
divers  pouvoirs  qui  la  conftituent  ^  les  diverles  manières  de 
l'acquérir  &  de  la  perdre  ^  les  dif^rens  ordres  de  fucceflion, 
les  droits  des  charges  ^  les  fonctions  des  Compagnies  ^  U 
Police  militaire,  les Loix fondamentales  des  Etats ,  ks  droits 
&  les  devoirs  refpedifs  des  Souverains  &  des  fujcts ,  tous  les 
grands  principes  de  Gouvernement» 
p  A  R  T I E  I V.       Le  quatrième ,  du  Droit  Eccléfîaftique.  Il  n'a  pas  été  quef- 
urlu  Ewîl&ifai  tion  de  faire  ici  un  Ttaité  général  de  ce  Droit  pour  expliquer 
*^""  la  conduite  qui  doit  être  tenue ,  &  les  motifs  de  décifion  qui 

peuvent  erre  fui  vis  dans  les  affaires  particulières  de  fa  dépens 
dance.  La  partie  que  j'ai  &  traitée  &  approfondie,  c'eft  celle 
qui  a  rapport  aux  Princes  ,  aux  Minifbres,  &  aux  Magiflrats, 
pour  l'ufage  qu'ils  doivent  faire  ,  à  cet  égard  ,  du  pouvoir 
fouvcrain  ;  les  uns ,  parce  qu'ils  en  font  revêtus  j  les  autres , 


DU    GOUVERNEMENT.        39 

parce  qu'ils  en  fonc  les  dépofîtaires.  Je  me  luis  borné  à  la 

Police  extérieure  &  générale  de  TEglife  ^  Police  dont  le  foin 

-entre  dans  le  corps  des  matières  de  Gouvernement ,  comme 

■la  pahie  dans  fon  tout.  J*ai  dît  de  la  difcîpline  Eccléfiaftîquc 

tout  ce  que  j*ai  cru  néceffaîre  d'en  conhoître  pour  TadminiUra- 

tien  civile.  Ce  quatrième  volume  difcute  tous  les  rapports 

-du  Droit  Eccicfiaftique  au  Gouvernement ,  fôn  autprité^fon 

Rendue ,  &  f&s  bornes  ;  les  droits  de  la  puiflance  temporelle 

■for  Pe*ercrce  extérieur  de  f autorité  Eccléfiafliqifc  ^  la  part 

que  les  Princes  doivent  prendre  au  Gouvernement ,  à  la  dif- 

cipline ,  à  la  Police  de  TEglife ,  les  libertés  &  les  ufages  de 

tous  les  pays  Catholiques, 

Le  cinquième ,  du  Droit  des  Gen*l  J'y  explique  Torigine ,  partie  v. 
les  différens  ufages ,  &  les  règles  des  Ambaflades  ,  les  privi-  Drwid«  Gum 
léges  des  Miniflres  publics  des  nations ,  le  Droit  &  les  Loix 
de  la  guerre ,  les  principes  des  Traités  y  les  qucftions  qui  ont 
rapport  à  ces  différens  objets ,  &  les  maximes  qui  doivent 
être  obfervées  de  peuple  à  peuple  ^  ou  entre  les  particuliers 
qui  vivent  dans  différens  pays  ,  &  qui  font ,  les  uns  envers 
les  autres ,  dans  un  état  d'égalité  naturelle. 

Le  fixiémc  ,  de  la  Politique  y  ainfi  proprement  nommée,  parti-  vt. 
Ici  y  je  marque  les  foljdes  principes  &  les  vrayes  maximes  uFoUtJucf  *^' 
d'une  faine  Politique.  J'en  montre  le  légitime  ufage.  Je  pré- 
fente fes  préceptes  dans  une  étendue  y  non-feulement  par 
rapport  au  dedans  de  l'Etat,  mais  par  rapport  au  dehors.  Je 
dévélope  les  intérêts  refpedifs  des  diverfes  nations  de  l'Eu- 
rope.  Il  paroît  difficile ,  mais  il  n'a  pas  été  impofTible  de 
donner  une  liaifon  &  une  fuite  à  cette  multitude  d'axiomes  j 
de  raifonnemens ,  &  de  faits  qui  doivent  néceffaircment  en- 
trer dans  la  coippoûtion  d'un  Traité  particulier  de  Politique, 


40  SCIENCE 

propre  à  conduire  les  Princes  8c   les  hommes  d'Etat  dans 

les  routes  de  ce  labyrinthe. 
Parti»  vn.      Lc  dernier  volume  contient  Pexamen  des  prîncipayx  Ou- 
prmcii^r^^o^*  vrages  compofés  fur  les  matières  de  Gouvernement.  On,  ap- 
iurtesmadcresdc  peTçoit  d'abord  quel  en  pourra  être  le  fruit.  Il  fera  connoî- 

GuHverncineiK» 

tre  les  livres  politiques  ^  fixera  Tidée  qu'on  doit  avoir  de  ces 
livres ,  &  aidera  les  hommes  d'Etat ,  &  ceux  qui  afpircnt  à 
le  devenir,  à  confulter  ,  quand  ilslefouhaiteront,  les  divers 
ouvrages ,  à  en  faire  un  jufle  difcernement  >  &  à  puiierdanas 
les  meilleures  fources» 


0000 


0 


INTRODUCTION. 


DU    GOUVERNEMENT.        41 


INTRODUCTION. 


CHAPITRE     PREMIER. 

Formation  à*  avantages  des  Sociétés  Civiles  % 

Section   P  RE  M  1ER  i. 

Du  Droit  primitif  qui  fut  d^  abord  commun  k  tous  les  hommes 
fur  toutes    les  chofes  de  la  terre  j  &  de  celui  réfultant  des 
conventions  qui  lui  fut  dans  la  fuite  fubflitué  ^^  &  qt^i  établit 
la  diflin^ion  des  domaines.  » 

IL  faut  ncceflairement  remonter  jufqu'à  Tenfance  du  inonde  ^    1.  ï>«  l'orisînc 
pour  connoître  la  manière  dont  les  premières  focictés  ci-  figntrq'îî^s'ont 

•  •%        c     r  r  f  eus: des  langue* 

Viles  le  lont  formées.  ou-iisom pariées; 

Dieu  parle  ;  &  Tunivers  fort  du  néant.  II  forme  Thomme ,  oni^j^irp'î^''u  ic'r- 
&  imprime  en  lui  le  caradere  de  la  divinité  ;  mais  cette  créa- 
ture défobéit  &  perd  fon  innocence.  La  défobéiflance  d'A- 
dam fut  fuivie  de  la  révolte  du  premier  fils  qui  lui  naquît 
d'Eve.  Caïn  montra  au  monde  naiflant  la  première  injuftice, 
fa  poflérité  imita  l'exemple  de  méchanceté  qu'elle  en  avoit 
reçu  ,  la  terre  fut  couvene  de  crimes -j  &  Dieu  extermina  , 
par  un  déluge  univerfel ,  le  genre  humain  cju'il  'aVoît  créé. 
Noé  feul  trouva  grâce  devant  le  Seigneur;  &c'eft  fa  famille, 
divifée  en  trois  branches,  qui  a  donné  des  chefs  à  toutes 
les  nations.  Ce  font  des  vérités  révélées  que  perfonne  n'i- 
gnore ,  &  dont  il  fuffit  de  rappeller  ici  l'idée  pour  le  deffein 
de  cet  Ouvrage. 

TomeL  F       * 


42  SCIENCE 

Les  hommes ,  déchus  de  l'état  heureux  dans  lequel  Dieu 
les  avoit  créés  ,  fentirent  des  befoins  8t  cherchèrent  ^  chacun 
dans  fes  femblables^  des  fecours  que  Texcellence  de  leur  na- 
ture leur  fît  imaginer ,  &  fe  communiquer  refpeaivement, 
.  Ces  befoins  formèrent  entre  eux  la  focîété  à  laquelle  ils  étoient 
deftinés.  Les  fignes  étoient  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  propre  à 
l'entretenir.  Il  y  en  avoit  de  naturels  ;  l'aurore  efl  le"fignc 
naturel  du  lever  du  foleil  ;  la  fumée  ^  le  figne  naturel  qu'il  y 
â  du  feu  î  la  cendre  ,  le  figne  naturel  qu'il  y  en  a  eu  ;  &c* 
A  ces  fignes  naturels ,  les  hommes  en  ajouteront  d'autres. 
Les  fanaux  allumés  la  nuit  dans  des  lieux  élevés ,  pour  gui- 
der les  vaifleaux  ;  les  balizes  qui  fervent  à  en  diriger  la  na* 
vigation  pendant  le  jour  ;  les  poteaux  qu'on  met  fur  les  grands 
chemins  ,  pour  indiquer  aux  voyageurs  leur  route  ;  les  ca- 
drans ;  les  enfeignes  ;  le  fon  des  cloches  ;  &  mille  autres 
ufagcs  font  parmi  les  hommes  des  fignçs  d'inflitution.  De 
tous  ces  fignes  arbitraires ,  le  plus  général  &  le  plus  utile  , 
cft  celui  des  mots  prononcés  ou  écrits,  à  caufe  de  l'attache 
qui  y  a  été  faite  des  idées  &  des  penfées.  Par  des  fons  arti- 
culés &  par  des  fignes  fenfibles  à  la  vue,  &  tracés  fur  un 
corps  folide  ,  l'homme  fait  connoîtrc  à  l'homme  les  idées  de 
fon  cfprit  &  les  fentimens  de  fon  cœur.  Le  don  de  la  pa- 
role &  l'invention  de  l'écriture  font  deu^t  avantages  particu- 
liers que  le  Créateur  a  bien  voulu  accorder  à  Fhomme ,  en  le 
deftinant  à  la  fociété  ;  mais  la  liaifon  des  fons,  des  carafte- 
res ,  avec  certaines  idées ,  ne  vient  que  de  l'inftitution  des 
hommes  qui  les  y  ont  attachées  (4).  Fondés  fur  l'autorité 
inconteftable  de  l'Ecriture  fainte ,  nous  croyons  que  nos  pre- 
miers pcrcs  reçurent  par  infufion  la  première  langue  ,  immç. 


DU  GOUVERNEMENT.  43 
dîatement  de  Dieu  même.  Les  defccndans  de  ces  premiers 
hommes  l'apprirent  par  Tufage  ;  &  il  y  a  lieu  de  croire  qu'elle 
demeura  fans  mêlangç  &  lans  altération  jufqu'au  déluge.  Si 
la  confufion  des  langues  arrivée  à  Babylone  fut  Teffet  de  la 
divifion  qui  fe  mit  parmi  les  hommes  &  de  leur  difperiîon  , 
ou  fi  le  Seigneur  confondit  leur  langage ,  lorfqu'ils  voulu- 
rent bâtir  la  Tour  de  Babel  contre  fa  volonté ,  c'eft  ce  qu'on 
peut  apprendre  ailleurs  (a).  La  plupart  des  langues  ont  été  , 
dans  leurs  commencemens ,  groflîeres  y  imparfaites  9  pauvres  ; 
elles  n'ont  été  enrichies  &  perfeâionnées  qu'avec  le  tems  ; 
elles  ont  eflliyé  de  grandes  révolutions ,  &  leur  mélange  a 
formé ,  dans  ces  derniers  fiécles ,  plufieurs  langues  nouvel- 
les 9  auxquelles  dans  la  fuite  d'autres  pourront  fuccéder  : 
elles  fuiyent  d'ordinaire  la  fortune  des  Etats.  Chaque  langue 
s'eft  confervée  plus  ou  moins  exempte  du  mélange  d'une  au- 
tre y  fuivant  le  degré  de  commerce  que  le  peuple  qui  la  pgr- 
loit  a  eu  avec  les  autres  nations.  Elle  s'eft  pareillement  plus 
ou  moins  répandue  parmi  les  autres  peuples ,  félon  que  cha-^ 
que  nation  y  a  étendu  plus  ou  moins  fon  commerce  ,  fon 
goût  pour  les  ans  &  pour  les  fciences ,  fa  Religion ,  fon 
Empire. 

Les  enfans  qui  fortirent  des  trois  branches  de  la  famille 
de  Noé  ,  fe  multiplièrent  en  plufieurs  familles ,  fe  répandi- 
rent fur  la  terre ,  la  partagèrent  entre  eux ,  &  devinrent  cha- 
cun père  d'une  nation  différente.  La  poflérité  de  Sem  peu- 
pla l'Afie  ;  celle  de  Cham,  F  Afrique  ;  celle  de  Japhet ,  1  Eu- 
rope. C'eft  ce  que  nous  trouvons  dansMoyfe,  Hiftcrien  fa- 
cré,  qui ,  indépendamment  de  la  foi  qu'on  ne  peut  refufer  à 

(a)  DifTertatîon  de  Calmée  danifei  Prol^gomènei  de  rFcritvre;  Scelle  de 
Lamy ,  dam  &  Rhétorique ,  depuis  la  page  ^y  jidqu'à  U  page  ^3  édition  de  Paris» 

Fij 


44  *         SCIENCE 

TEcriture  faintc  ,  eft  le  plus  ancien  des  Hiflorîens  ^  comme 
le  plus  fage  des  Légiflateurs,  Les  Grecs  nous  donnent  la 
même  idée  que  Moyfe ,  de  Torigine  des  nations  &  de  la 
propagation  du  genre  humain.  Il  impone  peu  d'examiner 
par  laquelle  des  trois  parties  du  monde  que  je  viens  de  nom- 
mer  ,  TAmérique  nouvellement  découvene  a  été  peuplée. 
C'eft  un  point  abandonné  aux  conjeâurcs  des  Ecrivains  ,  & 
il  nous  fuffit  de  fçavoir ,  par  les  Hiftoriens  de  tous  les  tcms 
&  de  tous  les  pays  ,  que  les  difFérens  peuples  font  defcendus 
de  divers  enfans  d  un  même  père ,  &  que  toutes  les  nations 
fc  font  formées  de  la  multiplication  d'un  même  tronc  en  plu- 
fîeurs  branches. 
1. Droit primi-  .  Immédiatement  après  la  création  du  monde.  Dieu  donna 

liftonimunàtoui    '  -  .  i«//ir  iirii 

ks  honiiiics  lur  ^u  ffcnrc  humaui  un  droit  général  iur  toutes  les  choies  de  la 

'  nues  les  chofes  ^  ^ 

aciatcrrc;&ma-  fcrrc ,  &  il  renouvclla  cette  concellion  ,  en  renouvellant  le 

'  nicrc  dont  les  prc-  ' 

l'ic  "cm?''*'^'  déluge.  Croijfez, ,  multipliez,  ,  ér  remplijfez,  U  terre  ,  dit  le 
Seigneur  à  tous  les  hommes  (4).  Il  leur  donna  à  tous  indif- 
tinâement  toute  herbe  qui  porte  fon  germe  fur  la  terre,  & 
tous  les  bois  qui  y  naiflent  {b). 

jf ,  De  droit  naturel >  tout  étoit  pour  les  hommes  dans  une. 
communauté  négative.  Rien  n'appartenoit  à  Tun  plutôt  qu  à 
l'autre.  Chaque  homme  pouvoit  prendre  ce  qu'il  vouloit  , 
s*en  fcrvir ,  &  même  confumer  ce  qui  étoit  de  nature  à  1  erre. 
Dès  qu'il  s'étoit  emparé  d  une  chofo,  perfonne  ne  pouvoit  la 
lui  ôter  fans  injuftice  ,  s'il  en  refloit  affez  pour  les  autres. 
On  jouifFoit  en  commun  de  tous  les  biens  ,  comme  du  foleil 
&  des  élémens.  La  terre ,  aujourd'hui  le  fujet  des  guerres 
entre  les  Princes  8c  des  procès  entre  les  particuliers ,  étoit 


(a)Genef.  1.28. 7*  9. 
(i)  Gcacf.  I.  2p, 


DU    GOUVERNEMENT;        ijj 

le  patrimoine  univerfel  des  hommes ,  tous  y  avoient  un  droit 
égal ,  chacun  y  avoit  part.  Les  fruits  fauvages  firent  la  nour- 
riture des  premiers  habitans  du  monde  ;  le  creux  des  arbres 
&  des  rochers  ,  leur  habitation  ;  les  peaux  des  bctes  ou  les 
écorces  des  arbres ,  leur  habillement  (4). 

L'ufage  que  chaque  homme  faifoit  du  droit  commun  à  tous 
les  hommes  ,  lui  tenoit  lieu  de  propriété.  Ceft  ainfi  qu'au-, 
jourd'hui  un  théâtre  eft  commun ,  &  que  chaque  place  appar- 
tient à  celui  qui  la  remplit-  Ceft  ainfi  que  les  lieux  deftincs 
à  l'exercice  des  fondions  publiques  font  communs  à  toutes  ' 
les  perfonnes  propofées  à  ces  fondions  ,  &  que  néanmoins  ' 
chaque  place  eft  à  celui  qui  l'occupe  ,  tant  qu'il  l'occupe* 
Des  Tartares  deTAne ,  des  Sauvages  de  l'Afrique  &  de  l'A- 
mérique ,  vivent  encore  à  préfent  dans  une  communauté  qui, 
toute  imparfaite  qu'elle  eft  9  nous  retrace  l'image  de  celle  qui 
a  été  parmi  les  premiers,  habitans  de  la  terre.  Nos  fociétés 
religieufes  nous  en  donnent  auflî  quelque  idée.  Qui  pourroit 
fe  pppcller  fans  horreur  ces  tems  &  ces  lieux  où  les  hommes 
vivoient  féparcs  les  uns  des  autres ,  ennemis  de  la  dépendan-  ' 
ce  y  ilsneconnoifToient  d'autre  vertu  qu'une  brutalité  féroce  j 
ni  d'autres  moyens  de  fubfiftcr  que  la  fraude,  la  trahifon, 
la  violence ,  les  meurtres  !  Eh  combien  devoient-ils  fe  livrer 
à  ces  crimes  af&eux ,  puifqu'ils  y  avoient  attaché  la  néceflîtc 
même  de  vivre  !  II  n'y  avoit  parmi  eux  nimaîtres ,  ni  fujets , 
ni  bienfcances  ,  ni  devoirs  y  ni  fentimcns.  Chacun  d'eux 
jérrangcr  parmi  fes  femblables ,  l'étoit  pcut-ctre  aufiTi  au  mi- 
lieu même  de  fes  proches.  Pour  tout  dire  en  un  mot ,  il  n  en 
étoit  peut-ccre  point  qui  ne  parut  erre  né  pour  détruire  toute 
l'efpece  humaine. 

<ii)  Lucien, 


4tf  SCIENCE 

i.chMeniem      A  mcfure  que  les  premiers  hommes  fe  multiplièrent  >  la 

4ans  la  manière      -  i//^  ii/*         i*    '   i  •••  «ri 

de  vivre,  quiaon- plupart  dégénérèrent   de  la  iimplicite  primitive.  Ils  vou- 
tinaion  des  do-  lurent  vivre  d'une  manière  plus  commode  &  plus  agréable  : 

mnincs  ,   &  pat  *  *  o 

ronféquem    au  jij  commencèrent  à  pcrfedionner  leur  culture  &  leur  nour- 

droit  de  propné-  * 

feîi1U^7!Iîu>n  riture,à  filer  la  laine  pour  fe  vêtir,  &  à  bâtir  des  maifons 

f  fimiûfc        p^yj.  fg  iQgej.^  Le  changement  dans  la  manière  de  vivre  des 

hommes  demanda  du  travail  &  de  Tinduflrie  ;  &  il  n'y  eut 

plus  moyen  alors ,  ni  de  partager  le  travail  également ,  ni  de 

mettre  en  commun  les  récoltes* 

De-là  vint  Tintrodudion  des  propriétés  particulières  ,fourcc 
duDroitparticulier.il  eft  premièrement  des  chofes  qui,  fe 
confumant  par  le  boire  &  le  manger ,  font  converties  en  la 
fubftance  de  celui  qui  s'en  fert  ;  Tufage  de  ces  chofes  donna 
peu  à  peu  des  idées  de  propriété.  En  fécond  lieu,  il  y  en  a 
d'autres  qui,  par  Tufage  commun  ,  de  viennent  moins  propres 
à  leur  première  deftination ,  comme  les  habits  &  certains  meu- 
bles ;  il  réfuka  auflî  une  efpece  de  propriété  de  la  jouifïance 
qu'on  en  avoit.  Enfin ,  fi  les  chofes  immobiliaires  ne  fe  con- 
lument  point  par  l'ufage ,  oh  ne  les  cultive  que  pour  en  tirer 
ce  qui  fe  confume  ;  les  bleds  des  terres,  les  fruits  des  arbres^ 
les  pâturages  ppur  les  animaux ,  dont  les  peaux  fervoient  à 
vêtir  les  hommes  ,  toutes  ces  chofes ,  quand  elles  fervoient 
aux  uns,  ne  pouvoient  fervir  aux  autres  ;  l'ufage  qu'on  en  fit, 
introduifit  encore  un  droit  de  propriété.  Voilà  les  trois  four- 
ces  de  l'acquiiîtion  primitive  ,  ou  de  la  diftindion  du  mie» 
6c  du  tie^i. 

Les  hommes  entrèrent  infenfiblement  dans  les  vues  d'un 
parcage  que  leur  multiplication  ^  leur  éioignement  de  la 
première  fimplicité  ,  avoient  rendu  abfolument  néceflaire. 
Les  terres  ne  furent  d'abord  divifées  que  par  nations  j  on  en 


DV    GOUVERNEMENT.        47 

afligna  dans  la  fuite  une  portion  à  chaque  famille  ;  &  pour 
cette  propriété  nouvellement  trouvée ,  il  fallut  établir  une 
Loi  qui  imita  la  nature.  Comme  Puiage  s'acquéroit  dans  les 
commencemens  par  une  application  perfonnelle  qui  produî* 
foit  la  propriété  y  on  voulut  que  toutes  les  chofes  devinffent 
propres  par  une  pareille  application  j  &  c  eft  ce  qu'on  ap- 
pelle Occufdtion.CcWe  des  chofes  mobilîaires  fc  fit  par  la  Am- 
ple appréhenfion  ;  &  celle  des  immobiliaires ,  par  la  cul- 
ture, par  la  pofition  des  bornes^ par  la  conftruftion  desmai- 
fons. 

Il  feroît  difficile  de  juftifier  le  fentîment  des  Ecrivains  qui    ^  j^  ^j^.^^. 
ont  prétendu  que  ces  termes  mien  8c  tien  ont  été  la  four  ce  „«  a'^^é'^iS 
des  xraaux  publics.  Cette  idée  eft  bonne  dans  des  plans  de  Jûuà*-u^.    ^ 
Républiques  imaginaires  ,  telles  que  celles  de  Platon ,  de 
Morus ,  de  Campanella  j  dans  la  bouche  d'un  Déclamateur 
qui  n'employé  que  des  mots  ,  dans  celle  d'un  Poëte  qui  veut 
répandre  du  merveilleux  (if)  ;  partout  ailleurs  ,  elle  ne  vaut 
rien.  Dans  la  forme  qu'ont  prife  les  focictés  civiles  ,  &  au 
point  que  le  genre  hymain   s'eft  multiplié,  la  communauté 
des  biens  eft  devenue  une  de  o^^  belles  chimères  nées  de  l'i* 
magînation  des  Poctes. 

Ils  ont  feint  que  le  premier  âge  du  monde ,  fous  les  Loix 
4eSatuj:neoud'Aftrée,  avoitétéun  âge  d'or.  Ils  ont  ajouté  que 
/'^j;^^4r^^»/avoitfuccédé  à  l'âge  d'or  ,  c'eft- à-dire  que,  dans 
le  fécond  âge  du  monde,  les  hommes  vivaient  avec  moins  de 
juftice ,  &  étoient  p^r  confçquent  moins  heureux  que  dans 
le  pf emier,  IJs  ont  dir  que  Page  d'airain ,  moins  heureux  en- 
core ,  avoit  fuccédé  à  l'âge  d'argent.  Le  dernier  âge  où  ces 
Poètes  ont  vécu,  ils  l'ont  appelle  Uge  de  fer  ,  c'eft-àdire  le 

(  a  )  Ovid.  Mécamorph.  U  U 


4»  SCIENCE 

tems  où  regnoîent  rinjûftice  &  la  pauvreté  (a) .  Quelles  idées  l 
Imaginer  des  fiécles  où  les  hommes  ont  uni  la  félicité  à  Tirt- 
nocencc  !  Cet  âge  d'or  dont  on  fe  forme  des  idées  fi  riantes  , 
n'a  jamais  exifté  que  dans  ces  courts  momens  deFinnoccnce 
de  notre  premier  père  ;  depuis  la  chute  d'Adam ,  il  n'exîfle 
que  dans  la  fable  :  le  premier  homme  qui  naquit  au  monde  y 
tua  le  fécond.  Si  Ton  veut  entrer  dans  ces  diftinûions  chi- 
mériques, il  faut  fuppofer  au  contraire  que  les  premiers  hom- 
mes qui  n'eurent  ni  connoiflance  des  arts ,  ni  fureté  contre 
rinjûftice ,  vécurent  dans  \eJ/ccU  de  fer  :  les  nations  un  peu 
plus  policées  ont  vu  hjiécle  d'airain  :  plus  induftrieux  ,  nous 
vivons  dans  le  (iécle  d'argent  :  qu'on  inftruife  les  hommes  des 
grands  principes  de  la  Religion  ;  qu'on  les  éclaire  fur  tous 
leurs  devoirs  ;  qu'on  les  forme  infenfiblement  à  l'habitude 
d'un  culte  fincere  envers  Dieu,  &  à  des  principes  d'équité  & 
de  bonne  foi  ^ntre  eux  ,  l'on  verra  naître  Xzfiécle  d'or. 

Ce  n'eft  point  la  divifion  des  domaines  particuliers  qui  efl 
la  caufe  des  querelles  àts  hommes.  Cette  divifion  a  été  né- 
ceflaire  au  contraire  pour  les  éviter  ;  &  elle  eft  utile  à  fa 
manière ,  comme  les  fociétés  civiles  le  font  à  la  leur.  Il  a 
fallu  que  la diftindion  du  mien  8c  du  tien  fût  lune  des  bafes 
du  Gouvernement  civil  ;  &  il  n'y  a  pas  plus  de  raifon  de  nous 
renvoyer  à  l'ancienne  communauté  des  biens,  qu'il  y  en  au- 
roitàêtre  aflez  amoureux  de  l'antiquité,  pour  entreprendre 
de  nous  ramener  aux  glands  de  nos  premiers  pères. 

Seroit-il  poffible  que,  fans  avoir  de  difcuffîons  infinies  , 
tant  de  millions  d'hommes  fe  ferviflTent  aujourd'hui  égale- 
ment &  en  même  tems  des  chofes  qui  leur  feroîent  communes? 

(a)  Mtas  parentunij  pejor  avis  ,  tulit  nos  nequîores  ,  mox  daturos  progâniem 
vitiûfioTem.  Horat.  Quotidii  efi  deterior  poprior  dits.  Publius  Sirus. 

L accord 


DU    GOUVERNEMENT;         ^^       ' 

L'accord  qu  on  remarque  entre  les  membres  de  quelques 

Communautés  particulières ,  ne  tire  pas  à  conféquence ,  je 

ne  dis  pas  feulement  pour  la  fociété  de  tout  un  peuple,  je  dis 

même  pour  la  fociété  d'une  feule  ville ,  d'un  feul  bourg. 
Par  quel  canal  l'abondance  couleroit-elle  dans  un  Etat  oà 

les  biens  feroient  communs  ?  Tous  les  habitans  fuiroient  le 

travail ,  perfonne  ne  prendront  foin  des  biens  publics ,  les  re- 
venus communs  négligés  dépériroient ,  &  Ton  manqueroic 

alors  non-feulement  des  chofes  utiles ,  mais  des  néceflaires^ 

Les  arts  &  les  fciences  difparoîtroient  ;  l'égalité  dans  les 

conditions ,  fuite  néceflaire  de  la  communauté  des  biens  > 

banniflant  toute  fiibordination  ,  priveroit  les  hommes  des 

fecours  qu'ils  reçoivent  les  uns  des  autres  ;  Se  rendant  les 

Loix  inutiles  ,   entraîneroit  une  anarchie  univerfelle  ,  & 

attireroit ,  avec  l'impunité  des  injures  y  toutes  fortes  de  vio- 
lences. 

Les  hommes  n'auroient  pu  vivre  en  commun  qu'autant 
qu'ils  auroïent  été  fociables,  défintérefles  ,  pleins  d'amitié 
les  uns  pour  les  autres ,  &  qu'il  aurôient  habité  le  même  pays. 
Confidérons-les  ce  qu'ils  font  :  les  hommes  y  tels  qu'ils  r^ 

font ,  multipliés  au  point  qu'ils  le  font ,  habitans  difFcrens  .  -'^^ 

pays ,  &  voulant  vivre  d'une  manière  plus  agréable  y  ont  dû  ';^| 

nécefTairement  introduire  la  propriété.  Elle  leur  a  été  indif-  '| 

penfable,  tant  par  le  défaut  déquité  qui  eût  fait  un  obftaclefe 
à  l'égalité  du  travail  &  à  celle  de  la  confommation  des  fruits  , 
qu'à  caule  de  la  diftance  des  lieux.  Elle  leur  a  été  utile  en  ce 
qu'elle  a  donné  à  chacun  la  connoiflance  de  ce  qui^lui  appar- 
tenoit  y  a  fait  régner  la  paix  entre  eux ,  &  a  animé  leur  induf^ 
trie,  en  les  réduifant  tous  à  la  néceflité  de  travailler  pour 
leur  fubfiftancei 

Tome  L  G 


■'■'ie. 


p  •  ^^^  E  N  C  E 

^. Bornes appc.  r i  J^fiîi  qu6  chacuii  jfe  coiitentât  de  fôn  bien,  fans  ufurper 
waincpJucuUer.  cêli»i  d'auttui ,  Numa  ordonna  à  fes  fujets  d'arpenter  leurs 
terres  &  d'y  planter  des  pierres  qui  fuffcnt  confacrées  à  Ju- 
piter Terminal*  Jls  dévoient  tous  s'aflcmbler  chaque  année, 
un  certain  jour  ^  pour  lui  d&ïr  des  facrifices;  &  iî  quelqu'un 
ôtoit  ou  4:ranfportoit  ces  porres,  fa  tête  étoit  dévouée  au 
Dieu  des  bornes  :  enfoixe  que  le  premier  venu  pouvoit  le  tuer 
impunémerït  -,  comme  coupable  de  facriléges.  Les  bornes  qui 
R'parent  les  ^héritages ,  &  qui  étoient  ainfi  un  point  de  re- 
ligion parmi  tes  Romains  ,'ont  toujours  été  regardées  comme 
lacrées  dans  toutes  les  fociétés  civiles. 
6.Deccttedif-      Le  mien  &  le  //V»  ont  introduit  néceffairement  les  con- 
lï»^nM  eft  né  r^  vendons.  Dh^  que  ce  droit  primitif  de  propriété  a  été  connu 
tio^ns;"/ena^dc  pampti  Ics  hommcs ,  il  a  fallu  qu'ils  aycnt  pu  acquérir  des 

différentes  efpé-  \  r,  ^i 

ces  ;  &  combien  droîts  patticulicrs  les  lïns  fur  les  autres.  Ce  que  les  uns  pou- 

elles  doivent  être  •'  *  "^ 

innoiaWcs,        voiciit  faire ,  les  autres  n'avoient  pas  droit  de  l'exiger ,  &  il 
eft  des  oflices  qu'on  ne  pouvoit  efperer  fans  un  retour  aftucL 
L'intérêt  commun  a  donc  demandé  qu^on  fixât  les  cas  où  l'on 
fe  rendroit  des  fervices  réciproques  j  qu'on  rétablit  les  rela-^ 
tionsque  les  querelles  particulières  avoient  interrompues  ;  & 
qu'enfin  on  pût  faire  cefler  les  engagemqns  par  la  même  A^oye 
qu'on  les  auroït  contraâés.  Tous  ces  motifs  ont.  porté  les 
hommes  à  convenir  dos  chofcs  qui  dévoient  entrer  dans  le 
commerce ,  ils  ont  pris  des  engagemens  volontaires.  Ceft 
de  la  diftin£lion  du  mien  8c  du  tien  8c  des  conventions ,  que 
dérive  tout  droit  acquis  ,  &  par  coniéqucnt  l'injuftice  oppo- 
fée  à  ce  droit.  Il  eft  évidem  que  lorfqu'il  n'y  a  point  de  pro- 
priété d'un  côté  ,  il  ne  fçaufoit  y  avoir  d'injuftice  de  l'autre* 
-    Ceft  fur  la  foi  des  conventions  que  roulent  toutes  les  af- 
faires humaines ,  publiques  &  particulières.  Ne  pas  Icsexé-^ 


% 


DU  G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.  51 
cuter,  ce  feroit  violer  la  Loi  naturelle  qui  oblige  de  tenir 
les  paroles  qu'on  a  données  ,  ce  feroit  rompre  tpus  les,  liens 
de  la  fociété.  Les  conventions  doivent  donc  être  inviola-* 
blés  ,  &  rien  n'eft  plus  propre  à  le  prouver  que  la  coutume 
où  font  les  peuples  barbares  d'en  conclure  &  de  les  obferver 
exaûement.  Il  n'y  a  pas  jufqu'aux  brigands  qui  n'en  recon-  ' 
noiffent  la  néceffité ,  qui  n'en  faflent  entre  eux ,  &  qui  ne 
les  obfervent  ^  pour  maintenir  leurs  infâmes  fociétés. 

S.  E  c  T  I  O  N     I  I> 

Nécejfite  y  càufes  ^  tems  ^  ér  mmiere  de  U  formation  des  pre^ 
miercs  fociiiis  civiles. 

Si  les  particuliers  qid  prennent  des  engagemens  n'étoient    %\Jttt^Htti-> 

P  ^  A  dons  feules  n'au- 

pas.  fournis  à  un  Juge  commun  «  revêtu  de  la  force  de  tous  •  ^^^"^^  p?  ^abur 

*  .  ^    }D  ^  .  *  le  repos  des  focié- 

les  conventions  laifferoient ,  parmi  ceux  qui  les  font  ,  cette  [fnjbndcmcm'c^ 
égalité  de  puifTance  qui  fe  trouve  naturellement  entre  tous  les  vcmt^cnu^^^ 
hommes ,  &  par  conféquent  une  pleine  liberté  à  chacun  de 
fe  conduire  au  gré  de  fes  paffions.  Quelle  fureté  auroir-oa  •    ■ 

contre  la  mauvaife  foi  ?  L'offenfé  fe  rendroit  l'adminiflratcur 
de  la  Loi  naturelle ,  &  le  même  principe  qui  porteroit  l'ag- 
grefleur  à  l'enfreindre ,  engageroit  fouvent  l'offenfé  à  en  fran- 
chir les  bornes  dans  la  réparation  qui  lui  feroit  due.  À  le 
fuppofer  même  équitable  ^  il  n'auroit  pas  toujours  le  pouvoir 
néceflaire ,  pour  mettre  la  Loi  naturelle  en  exécution.  Des 
hommes  qui  ne  ie  feroient  liés  que  par  des  conventions  d'é- 
gal à  égal ,  n'auroient  vêcii  en  bonne  intelligence  qu'autant  de 
tems  qu'ils  les  auroient  religiëufement  oblêrvées.  Dès  qu'un 
feul  auroit  manqué  de. parole,  l'alliance  auroit  été  rompue^ 
&  Tinfidélité  auroit  doinné  lieu  à  la.  guerre,  Envain  auroic-^ 

Gij 


j2  SCIENCE 

on  mis  dans  la  convention  cette  claufe  :  qu'aufîîtôt  que  quef- 
qu'un  vîoleroit  fcs  engagemens ,  tous  les  autres  feraient  obli- 
gés de  fe  liguer  contre  lui.  Cette  condition  eût  ctc  inutile^ 
lorfque  plufieurs  aurotent'  en.  même  tems  enfreint  Taccord. 
Il  auroit  fallu  une  autre  convention  qui  réglât  la  manière  de 
punir  ceux  qui  refiifer'oient  de  réprimer  les  infradeurs  de 
raccord,  &  une  autre  encore ,  pour  appuyer  celle-ci  ;  8c 
puis  encore  un  autre,  &  il  y  auroit  eu  un  progrès  à  Pinfinia 
Dire  qu*on  auroit  pu  convenir  d'arbitres  pour  juger  les  diffé- 
rends de  ceux  qui  n'iauroient  été  liés  que  par  de  fimples  a£les  , 
ce  n'eft  rien  imaginer  qui  eût  rendu  les  contrats  efficaces , 
parce  que  Tune  des  parties  auroit  pu ,  ou  rejetter  la  voye  des 
arbitres ,  ou  rcfufer  de  fe  foumettre  au  jugement  arbitral.  Les 
conventions  feules  auroient  donc  été  impuiflantes  pour  établir 
le  repos  des  fociétés^  &  il  a  fallu  néceffairement  que  ce  repos 
fut  établi  par  le  Gouvernement  civil ,  où  la  volonté  d'un  fcul 
efl  la  règle  de  tous* 

Le  Gouvernement  civil  forme  une  liaifon  plus  forte  &  plus 
ftablé  que  celle  qui  réfulte  des  conventions ,  parce  que  ceux 
qui  font  gouvernés  ne  demeurent  pas  égaux  à  celui  qui  gou- 
verne. Le  Souverain ,  avec  le  droit  de  commander ,  a  le  pou- 
voir de  punir ,  &  chaque  fujet  eft  dans  la  nécertîté  de  fe  con- 
tenir dans  Tordre  de  fes  engagemens.  On  ne  peut  fe  fouftraire 
à  l'autorité  publique ,  &  la  fcumiffion  eft  un  devoir  dont  oa 
n'ofe  s'écarter. 

Si  les  hommes  avoîent  toujours  fuivi  Timpreffion  des  Loix' 
naturelles ,  liés  par  l'unité  du  culte  divin ,  ils  n'auroient  for- 
mé qu'une  feule  nation ,  parlé  qu'une  même  langue ,  obfervc 
que  les  mêmes  Loix ,  ils  auroient  fait ,  par  l'amour  de  la  ver- 
tu ,  ce  qu'ils  font  par  crainte  ou  par  intérêt  ;  mais  on  n'clt 


DU  GOÙVERN  E  M  E  N  T.  Jj 
pas  attentif  à  cette  voix  intérieure  qui  fe  fait  entendre  au 
fond  du  coeur;  6c  Ton  trouve  peu  de  ces  momens  tranquillei 
où  lame  y  Vil  -eft  permis  de  s'exprimer  airifi ,  fe  rend  compte 
à  elle-même  ,  &  s'écoute*  dans  lè  filencè  des  paffiôhs.  Les 
efpritâ ,  lès  goûtJs,  lès  fentirncns ,  lés  inclinations  dès^  honl-^ 
mes  font  différens  ;  on  honore  lespafïîpns  du  nom  delà  rai- 
fon  y  &  Pon  eft  ingénieux  à  les  faire  fervir  à  juftlfîer  le  parti 
de  Tinclinatlon.  Ghaqiié  homme  voudroît  êtte  lé  maître  de? 
tous  les  autres  hommes  ;  i&  comme  il  èft  împoffiblequetoust 
rcuffîflent  dans  èé  deffein-,  il  à  fdhi  m  que- la  raîfoii'com-^ 
mune  apportât  quelque  ordre,  ou  que  la  force  le  fît  ;  que 
l'autorité  du  Gouvernement  appuyât  Texcciltion  de  toutes* 
les  conventions;  &  que  les  offerifes  faites  aux-  particuliers^ 
puffent  être  punies  comme  des  crimes  contré  ï^tât.  C'éft^ 
par  Taurorité  dû  -Gotiverhement^  civil ,  qui  armé  les  foibW 
de  toute  la  force  ptiblîque  contre  leurs  oppréffeursf ,-  que  Tu-^ 
nion  eft  établie  parmi  les  hommes  y  que  les  entreprifes  font- 
r^itrtées,  &  qiîe'^e  repo^>abfcc  èft-aff^^  •-   .        «• 


qui 

fur  la  terre ,  fe  Têtre  partagée ,  &  avoir  introduit:  Tùfagé  des^"/^*^j*^^^«^^^ 
conventibhs  ,  lés  Tiommes  parvinrent  "à  •Tétablifréinent  des  [u^cracTaJ^M 
fociétés  civiles'.' Eés Ecrivains''  àtit  eudiflférentes  ojnnions wj^Jn^/kaS 
for  les  caufes  qui  ont  eonctlurii^  a  former  les  corps  politiqùes^3"en^^^^^^ 
•  Quelques  Ecrivains  ont  <:hérëhë4es  caufes  de  là  forriiatîon-     *"^'*' 
des  fociétés  "civiles  y  dans  là  nature  mêmfe  '4e  Phéikmé',  dans  ' 
fon  penchant  pour  là  fociété ,  dans  les  avantages  qu*îl  trouve  ' 

(a) ........  Abfifierebello^       ' 

Oppida  capermtmunirefO'ponèréLegeSp  ^    r 

ife  quis  fur  ejfet  p  ncu  Uuro  ^  neu  .quis  adulter^ 


5^  se  I  E  N  C  E 

à  communiquer  avec  Tes  femblables.  Cette  opinion  n*a  aucun 
fondemenç.  X-hpmme  ,  il  efl  vrai ,  eft  deftiné  par  fa  nature 
à  vivre  en  focicté  avec  fes  femblables  :  Futilité  &  les  agré- 
inens  qu  il  y  trouve  ,  juftifient  pleinement  le  penchant  qui 
Xy  porte.;  mtais  il  n^e  faut  pas  conclure  de  là  qu'il  eût  eu  une 
inclination  naturelle  pour  le  Gouvernement  civil.  Ce  Droit 
naturel  4e  focicté  qui  eft  en  lui  eut  pu  être  rempli  par  le 
rooyenxip  cç^fe^^é^^s  primitives  que  le  lien  conjugal  &  la. 
gaf  crnixç  étal^li^  de  ces  liaifons  d'amitié  que 

Unaturcjfonçfe  çntr-e>  ies;  égaux.,  L'homme  eft  encore  plus 
fait  pour  le  mariage  que.  pour  la  fociété  civile  ;  &  la  première 
de  ces  liaifons  çft  bien  plus  ancienne  >  plus  naturelle ,  &  plus 
facile  que  Tauuç-!.  L'éducation^  il  faut  Tavouer,  nous  rend 
propres  à  laiôcijçté  civilç;  elle  a  pû^  dans  tous  les  tems,  eh 
i^e  çonnpîtrç  «les  ayanf^gÇS^  comme  elle  leQ  a  fait  fentir  la 
néccffké  )  depuis  la  multiplication  du  genre  humain  ;  mais  il 
ne  faut  pas  eo  corjcluro  que  la  naçure  toute  feule  falTeune  Loi 
à  Thomme  de  çeite  fçrjDe,  d'twipA  :  ellp  le  difpofe  feulement. 
1  à,  recevoir  y  ^ar  j^^ducatipp;  y  ç^lrtaines  perfeâions  dont  Ja  na- 
!  '    îtwrgle pjppcrfe^de^lîp^ç^hir^i 0U;;qu eU^  lui 

'    'étant  convenables^    n-  ;  • 

!  D'autres  Auteurs  .prétendent  que  Tamour  .conjugal  ayant 
[produit rie  genrç  hjurpfi^ ,  la^  tçndrefle  paternelle  forma  une 
'    ;autrç  Haifpny;qMç-dec€;tt€,ppuyelleîUàifo^^  des  fa- 

•  ^  n^illesïîorol^jeqfesî  dç  cçB  Gpiwlles,rde?-çolo^  &  de  ces 
colonie§a:4€?focié4:és<:ivilçs»  L'ioflinatio/i  que  les  hommes 
ont  pour' la  fociété^  fut  augmentée  (dit-on)  par  celle  que 
les  proches  parensqui  vivoient  enfemble  ^  ayoient  les  uns 
pour  les  autres  ;  &  les  fociét-és  civiles  formées  uniquement 
par  cet  enchaînement  n^tticd»;  Cette  féconde  opinion  qui 


DU    GOUVERNEMENT.        55 

rapporte ,  comme  Ton  voit ,  Torigine  des  focictés  civiles  à 
une  longue  gradation  de  caufes  &  de  fuites  naturelles  ,  rie 
paroît  pas  avoir  plus  de  fondement  que  la  première.  Elle  eft 
vicieufe  ,  en  ce  qu'elle  exclut  les  motifs  des  fociétés  civiles  , 
les  conventions  qu'elles  fuppofent  &  les  Loix  qui  les  ont 
formées.  Comment  concevoir  que  d'un  feul  homme  &  d'une 
feule  femme,  ou  fi  Ton  veut ,  de  trois  branches  de  la  même 
famille  qui  refterent  après  le  déluge.  Ton  ait  vu  fortir  des 
fociétés  civiles ,  fans  aucune  raifon  qui  obligeât  les  hommes 
à  en  faire  rétabliffement ,  fans  qu'il  y  intervînt  aucune  con- 
vention ,  fans  qu'on  donnât  des  règles  à  la  fociété  que  l'on 
formoit  ?  Les  enfans  demeiiroient  fous  la  puiffance  paternelle 
jufqu'à  l'âge  de  raifon;  mais  dans  les  premiers fiécles,  l'agri- 
culture &  la  vie  paftorale  étoient  prefque  les  feuls  arts  d  où 
l'on  tirât,  de  quoi  fubfifter,  &  par  conféquent  rien  n'obli- 
geoit  les  pères  de  garder  auprès  d'eux  leurs  enfans  après  les 
avoir  mariés.  Il  paroît ,  par  l'Hiftoire  Sainte,  que  lès  enfans:, 
furtout  ceux  qui  étoient  frères  de  pères, alloient  chercher 
fortune  hors  de  la  maifon  paternelle ,  lo'rfqu'lis  fe  trcuvoierit 
en  état  de  faire  eux-mêmes  les  fondions  de  pères  de  famille^ 
Ils  s  y  portoient  avec  d'autant  moins  de  répugnance  ,  qu'ils 
trouvoient  partout  des  terres  inhabitées  ,  &  que  les  pays 
éloignés  étoient  fouvent  plus  agréaibles  que  ceux  où  ils  avoieht 
reçu  le  jour  ( /x  )•  Voilà  d'abord  une  première  Icparation  des 
enfans  d'avec  leurs  percs.  Il  a  pu.  y  avoir  d'ailleurs  bien  des 
fujets  de  divifion  entré  les  frères.  L'amitié  eft  rare  parmi 
eux,  &  l'intérêt  en  rompt-  aifémcht  lès  nœuds,  il  dcfuhît 
prefque  toujours  ce  que  la  nature  a  voulu  joindre.  Plus  les 
hommes  font  liés  p^-  à&s  Woeuds  étroits  &  fdcrés  >  plus  les 

(aj  Genef.  ij.  ^,  &  fuiv. 


:^6      r^       ^    'S'C  lE  N'C  E •     : 

/haines  deviennent  violentes  ,'  lorfque  ces  nœuds- font  ûhë 
fois  rompus.  Les.liâifons  de  familles  ont  formé  les  fociétés 
humaines  primitive^ ,  mais  ce  n'étoît  pas  un  lien  durable,  & 
ces  liaifohs  n'ont  pas  été  le  motif  de  la  formation  des  fociétcs 
civiles.  La  multiplication  du  genre  humain  toute  feule  étoit 
plus  propre  à  difperfer  les  familles  en  divers  endroits  ,  qu'à 
former  des  focictésnombrcufes. 

Quelques  autres  Ecrivains  ont  crû  trouver  la  fource  des 

fociétés  civiles  dans,  les  befoins  de  la  vie  &  dans  le  defir  de 

la  rendre  plus  agréable.  Ceft  encore  une  opinion  erronée. 

Un  grand  homme ,  parmi  les  anciens ,  a  foutenu  qu'il  n'eft 

tpas  vrai  que  les  hommes  ne  foient  entrés  en  fociétc ,  que 

-parce  que  y  preffés  par  leurs  befoins ,  ils  fentoient  que,  fan$ 

:1e  fecours  les  uns  des  autres ,  ils  ne  pou  voient  venir  à  bout, 

ni  d'avoir  ni  de  fabriquer  les  chofes  qui  leur  étoient  néccflai- 

res  (4).  Les  hommes  n'ont  penfc  aux  commodités  de  la  vie, 

.qu'après  l'établiffeinefit  des  fociétés  civiles.  L'art  del'agri- 

^culture,  celui  de  la  vie paflorale ,  celui  dé  la  vigne,  celui  de 

Je  vctir  ,ces  arts,  dis- je,  fuffifoient  à  nos  premiers  parens  , 

.&  ils  les  a  voient.  Nos  pères  ne  fongerent  à  rendre  leur  vie 

,<loucc ,  qu'après  avoir  pourvu  à  leurs  befoins  indifpenfables  , 

augmentés  par  la  multiplication  des  hommes.  Ils  n'ont  cher^ 

:ché  le  néceffaire ,  l'utile,. &  Tagréable,  que  dans  l'ordre  où 

tout  cela  fe  piréfcnte  encore  tous  les  jours  au  cœur  humain; 

Ce  n'efl  que  par  degrés  que  nous  allons  de  defir  en  defir.  Si 

<haque  homme  ,.  content  du  fien,  eût  pu  s'abftenir  du.  bien 

de  fes   voifins^tous  les. hommes  euffent  vraifcmblablement 

.^êcu.  dans  là  Jibené  de  l'JEtat  naturel.  La  perfedion  des  arts 

^  dçs  fcienices.  qu'on  ne  pQUVoic  trouver  que  dans  hs  fociétés 

(i)  Cic.  OJf.  îib.  i.  cap.  4+  .. 

civiles  , 


DU    GOUVERNEMENT.        57 

civiles ,  la  fplendeur  &  ragrandiffement  des  Etats  y  mille  corn* 
modités  qui  en  font  les  fuites ,  ne  feroient  fe  pas  préfentées 
à  Timagination  des  hommes ,  ou  les  hommes  ne  fe  feroient 
pas  portés  à  les  rechercher.  Il  falloit  quelque  chofe  de  plus , 
c'étoit  la  néceffité  qui  devoit  le  faire  trouver.  Nous  fommes 
froids  ,  lorfqu'il  n'y  a  que  la  raifon.qui  nous  pouffe  ;  &  de 
la  manière  que  nous  fommes  faits  y  nous  ne  fommes  conduits 
que  par  voye  de  fcntiment  à  inventer,  à  établir,  à  perfec- 
tionner. 

Ces  trois  opinions  fur  les  motifs  de  la  formation  des  fo- 
ciétés  civiles ,  font  encore  vicieufes  ,  en  ce  que  chacune  fup- 
pofe  une  caufe  unique  de  cette  formation.  Rapporter  l'ori- 
gine des  focictés  civiles  à  un  principe  feul ,  général ,  &  uni- 
forme ,  c'eft  démentir  les  monumens  que  Thifloire  nous  a 
confervés  ,  &  les  connoiffances  que  l'expérience  commune 
nous  fournit. 

La  crainte  dans  les  uns  &  l'ambition  dans  les  autres  ont 
également  contribué  à  fonder  les  fociétés  civiles.  Chaque 
homme  a  appréhendé  d'être  opprimé  ,  &  a  fcnti  le  befoifi 
qu'il  avoit  d'une  fureté  contre  les  injuflices  des  autres  hom- 
mes. Voilà  la  première  caufe  de  la  formation  de  ces  fociétés. 
La  force  jointe  à  l'ambition  a  été  la  féconde  ;  &  c'eft  ce  qu'il 
faut  expliquer  par  ordre. 

Tout  homme  aime  la  domination ,  mais  il  aime  encore 
plus  la  vie ,  &  le  defîr  de  dominer  a  cédé  à  la  crainte  de  la 
mort.  Chacun  a  vu  clairement  que  les  autres  étoient  beau- 
coup plus  portés  à  lui  ôter  les  biens  qu'il  aime  le  plus ,  que 
difpofés  à  fe  laiffer  dominer  ;  chacun  a  reconnu  fon  impuit 
fance  à  réuflîr  par  la  force  dans  les  deffeins  que  fon  ambi- 
tion lui  fuggéroit,  parce  que  le  pouvoir  qu'un  feul  a  de 

Tqwc  I.  •        H 


5«  SCIENCE 

nuire  aux  autiw ,  cft  furpafTé  de  beaucoup  par  celui  que  tous 
ou  plufîeurs  auroient  de  s'en  venger  ;  &  chacun  a  appré- 
hendé de  perdre  par  la  violence  ,  les  biens  effentiels  qu  il 
poffédoir.  On  a  cherdié  dans  Tunion  un  fecours  qu'on  ne 
pouvoir  trouver  en  particulier  ;  8c  pour  retenir  chaque  hom- 
me dans  fon  devoir,  on  a  montré  à  tous  les  hommes  un  ven- 
geur armé  de  toutes  les  formes  de  la  fociété  ;  on  a  fait  des 
Loix ,  &  Ton  a  ordonné  des  châtimens  contre  ceux  qui  les 
violeroient.  Par  les  précautions  qu  on  a  prifes  en  commun , 
on  a  réprimé  les  deffeins  tyranniques  de  chaque  particulier  : 
ainfi  j  les  paffions  déréglées  des  hommes  qui  faifoient  leur 
union  ,  font  devenues  la  fource  de  leur  bonheur  ,  en  jettant 
les  premiers  fondemens  de  la  fubordination, 

C'eft  afin  que  chacun  fut  en  état  de  conferver  ce  qui  lui 
appartenoit ,  &  afin  que  la  juftice  régnât  parmi  les  hommes 
que  les  fociétés  civiles  ont  été  formées.  L'hiftoire  (^)  le  dit 
clairement  des  Médes. 

Le  grand  homme  que  j'ai  déjà  cité  (^)  penfe  auffi  que  ce 
fut  Tobjet  de  ceux  qui  fondèrent  TEtat  Romain.  Il  conjefture 
que  9  dans  les  premiers  tems ,  la  multitude,  foible  8c  pauvre, 
fc  trouvant  opprimée  par  la  puiflance  des  riches ,  recouroit 
à  quelque  homme  diftingué  par  fa  vertu ,  qui  faifant  régner 
l'équité ,  garantiffbit  les  foibles  de  finjuilice  &  de  la  vio- 
lence ,  contenoît  les  grands  &  les  petits ,  8c  faifoit  fubir  à 
tous  la  même  Loi. 

Si  vous  voulez  (  dît  un  auprc  Romain  )  parcourir  les  an- 
nales du  ponde  &  remonter  aux  premiers  fiécles ,  vous  ferez 
forcé  d'avouer  que  les  Loix  n'ont  été  inventées  que  pour 

(a)  Herodot. 

(*)  Gcer.  Of.  /.  a.  Citp.  i2i 


DU     GOUVERNEMENT,        5^ 

garantir  les  hommes  contre  une  injufte  violence  (4). 

La  crainte  a  été  dans  le  Paganifme  la  première  fource  du 
culte  des  faux  Dieux  ;  mais  ce  que  Ton  a  fait  dans  les  fauffes 
Religions  (^)  ,  ce  qu'on  nefçauroit  dire  du  vrai  Dieu  fans 
impiété  ,  on  peut  le  dire  des  Rois,  c'eft  la  crainte  qui  a  fait 
les  premiers  Rois  &  qui  a  établi  les  premiers  Gouvernemens* 
Elle  a  infpiré  le  defir  de  fe  mettre  en  fureté  fous  la  protec- 
tion d'un  maître.  L'image  du  bien  public ,  d'où  devoit  naître 
le  bonheur  particulier  ,  frappa  l'efprit  &  détermina  la  vo- 
lonté des  hommes  qui  entrèrent  dans  ce  deflein. 

A  ce  premier  motif  de  la  formation  des  fociétés  civiles  i 
s'en  cfl  joint  un  autre.  L'ambition  qui ,.  appuyée  de  la  force , 
a  fait  des  Conquérans ,  a  été  une  féconde  caiife  de  la  forma- 
tion de  ces  fociétés.  C'efl/  le  fentiment  de  prefque  tous  les 
Ecrivains  (c)  &  un  point  .qu'on  ne  peut  révoquer  en  doute. 

Quelque  effort  d'imagination  qu'on  faffe  ^•on  ne  retrou- 
vera point  d'autres  caufes  de  l'établiflbment  de  la  Souverai- 
neté que  les  deux^que  je  viens  de  rapporter  ;  &  de  ces  deux 
caufes  uniques,  nous  apprenons  que  toute  Souveraineté  vient 
immédiatement  du  peuple.  Il  n'en  efl  point  qui  ne  remonte 
à  Tune  de  ces  deux  caufes ,  la  violence  de  celui  qui  s'en  efl 
emparé  ou  le  confemement  de  ceux  qui  s'y  font  foumis  par 
un  contrat  fait  ou  fuppofé  entre  eux  ,  celui  en  qui  ils  ont 
4éféré  la  puiflance» 

L'autorité  qui  s'acquiert  par  la  violence  n'efl  qu'une  ufur- 

fa)  Jura  inventa  metu  înjujli  fatearê  necejje  ejl , 
Temporaji  fafios  que  velis  tvolvire  mundù     H  orat.  Satyr, 

(&)  Primus  in  tH-le  Dios fiât timor ,  arduncœla. 
Fulmina  dum  caàertnt •  .Petron. 

(f  )  Hobbes;  Machiavel  1. 1.  c.  i.  des  Difcours  ;  Bt)dîn  I.  i.  c.  tf.  de  fa  RépU» 
blique  ;  Caboc  1. 1.  c.  i.  de  la  Politique;  Bayle  5c  sûUc:  autres  Auteurs. 

Hij 


(Î6  SCIENCE 

pation  ,  &  ne  dure  qu'autant  que  la  force  de  celui  qui  com- 
mande,remporte  fur  celle  de  ceux  qui  obéiffent ,  enforte  que 
fï  CCS  derniers  deviennent  à  leur  tour  les  plus  forts  &  qu'ils 
fccouent  le  joug ,  ils  le  font  avec  plus  de  droit  &  de  juflicc 
que  celui  qui  le  leur  avoir  impofé  j  mais  quelquefois  la  puif- 
fance  qui  s'efl  établie  par  la  violence  change  de  nature ,  c'eil 
lorfqu'elle  continue  &  fe  maintient  du  confentement  ex- 
près ou  tacite  de  ceux  qu'on  avoit  fournis.  Elle  rentre  par-là 
dans  la  féconde  efpèce  dont  je  vais  parler» 

La  puifTance  qui  vient  de  réleftion  des  peuples ,  fuppofe 
néceffairement  des  conditions  qui  en  rendent  Tufage  légi- 
time ,  utile  à  la  fociété  &  avantageux  à  la  République.  C'efl 
à  cet  engagement  primitif  des  Souverains  que  fe  rapporte  le 
ferment  que  les  plus  abfolus  font  à  leurs  fujets  lorfqu'ils  font 
facrés  ou  couronnés.  Dans  les  deux  cas ,  le  Prince  tient  donc 
de  fes  Sujets  ra^me  Tautorité  qu'il  a  fur  eux,  &  cette  autorité 
eft  bornée  par  les  Loix  de  la  nature  &  de  l'Etat.  C'eft  à  la 
condition  fous  laquelle  le  peuple  s'eft  foumis  ou  eft  cenfé 
s'être  foumis  à  fon  Gouvernement.  Chaque  nation  a  un  droit 
inné  de  fe  gouverner  elle-même,  elle  a  pu  le  céder ,  &  lors- 
qu'elle l'a  fait ,  c'eft  fans  retour ,  mais  dans  les  conditions  8c 
dans  l'étendue  qu'elle  même  a  donné  à  fon  élection  ou  à  foa 
confentement. 

Ces  deux  caufes ,  la  crainte  &  l'ambition ,  qui  ont  donné 
des  maîtres  aux  hommes ,  ont  concouru  prefque  dans  le 
même  tems  ;  &  nous  allons  tâcher  de  découvrir  ,  fi  c'eft  le 
plus  fage  qui  a  été  le  premier  élevé  à  la  Souveraineté  ,  par 
le  confentement  des  hommes  agités  de  crainte ,  ou  fi  c'eft  le 
plus  fort  qui  a  été  le  premier  Roi ,  en  fubjuguant  les  autres 
hommes  par  les  armes> 


DU    GOUVERN  E  M  É  N  T.        ^i 

Il  n'y  a  aucune  force  d'apparence  qu avant  le  déluge,  les    ç-Tems  oùîc 

^  r^  Gouvernement 

foriécés  fe  foient  réunies  fous  un  Gouvernement  public.  Un  civiiaéiéfoimd. 
Père  de  TEglife  {a)  dit  précifément  que  le  barbarifme ,  c'eft- 
à-dire  TEtat  où  les  hommes  ont  vécu  fans  compofer  une 
Eglife  &  fans  former  des  corps  politiques  (  foit  que  ceux 
qui  vi voient  ainfi  dans  les  premiers  tems  &  avant  Noé ,  re- 
connuflcnt  &  adoraflent  le  vrai  Dieu ,  foit  qu'ils  fuffent  ido- 
lâtres )  a  duré  depuis  Adam  jufqu'à  Noé.  On  ne  trouve  rien 
en  effet  dans  Thiftoire  ancienne ,  qui  puiffe  faire  conjefturer 
qu'il  y  ait  eu  aucune  forte  de  Souveraineté  dans  le  monde 
avant  le  déluge.  Il  eft  évident  que  la  terre  n'eût  point  été 
couverte  de  crimes,  &  qu'il  n'eût  pas  été  néceffaire  que  Dieu 
la  fubmergeât ,  fi  les  hommes  avoient  vécu  fous  des  Loix 
communes  ;  l'autorité  du  Gouvernement  les  eût  contenus  ; 
mais  tout  cédoit  à  la  violence  &  à  l'injuftice.  S'il  a  été  com- 
mis moins  de  brigandages  dans  la  fuite  j  ce  n'eft  pas  qu'il 
n'y  ait  eu  &  qu'il  n'y  ait  encore  le  même  fonds  de  corrup- 
tion ,  c'eft  qu'il  y  a  fur  la  terre  un  ordre  qui  n'y  étoit  pas  au- 
paravant ,  un  frein  qui  retient ,  une  Puiffance  à  laquelle  tous 
les  Citoyens  fontfoumis.  La  divifion  des  domaines  particu- 
liers commença  vraifemblablement  bientôt  après  le  déluge. 
Les  Souverainetés  ne  s'introduifirent  pas  tout-â-fait  fitôt  ;  & 
il  efl:  probable  qu'il  n'y  en  eut  qu'environ  cent  ans  après  , 
vers  le  tems  où  Nemrod  jetta  les  premiers  fondemens  de 
l'Empire  des  Affyriens. 

Le  Créateur  a  trouvé  dans  fa  fagefTe  un  moyen  pour  main-  ,^.  vEmpitç 
tenir  l'ordre  parmi  les  hommes  y  malgré  leur  égalité  natu-  S^r^luq^/ei^S 
relie,  C'eft  de  les  foumcttre  les  uns  aux  autres  ^  par  la  voye  fi2^?  ^^^  ^ 
la  plus  douce ,  la  plus  forte  ,  &  la  plus  facile  à  reconnoître  y 

(fi)  s.  Jean  Damafcèna 


62  SCIENCE 

celle  du  fang  &  du  fentimenc.  Les  hommes  ne  vécurent  af- 
furcmcnt  pas  dans  une  pure  anarchie ,  ni  avant  le  déluge , 
ni  d  abord  après  y  ni  durant  le  petit  intervalle  qu'il  y  eut 
entre  rétabliffement  des  domaines  paniculiers  &  la  forma- 
tion des  fociétés  civiles.  Chaque  père  ctoit  le  chef  de  fa  fa- 
mille ,  le  Juge  des  différends  qui  y  naiflbient ,  le  Lcgifla- 
teur  de  la  petite  fociétc  qui  lui  ctoit  foumife  ,  le  proteûeur 
de  ceux  que  la  naiflance  ,  Téducation  ,  &  leur  foiblefle  met- 
toient  fous  fa  fauvegarde ,  &  dont  fa  tendreffe  lui  rendoit 
les  intérêts  aufli  chers  que  les  fiens  propres. 

Peu  jaloux  de  leur  autorité ,  ces  chefs  de  famille  ne  fon- 
geoient  fans  doute  pas  à  dominer  avec  hauteur ,  ni  à  déci- 
der avec  empire  ;  ils  n'en  ufoient  qu'en  pères ,  c'efl-à-dirc 
avec  modération.  Comme  ils  avoient  befoin  d'être  aidés  dans 
leurs  travaux  domeftiques  parleurs  enfans,ils  les  aflbcioient 
aufli  à  leurs  délibérations ,  &  les  confultoient  dans  leurs  af- 
faires ;  &  néanmoins  ils  en  décidoient  en  maîtres.  Les  Loix 
que  la  vigilance  paternelle  établiflbit  dans  ce  petit  Sénat  do- 
ineftique  ,  diûées  par  le  feul  motif  de  l'utilité  commune , 
concertées  avec  les  enfans  les  plus  âgés ,  acceptées  avec  joie 
par  les  inférieurs ,  étoient  gardées  religieufement  &  fe  confer- 
voient  dans  les  familles,  comme  une  police  héréditaire  qui 
en  faifoit  la  paix  &  la  fureté. 

Ce  n'cft  qu'aux  pères  de  famille  qu'il  pouvoit  appartenir 
de  gouverner  leurs  enfans  &  leurs  domeftiques ,  &  de  châ- 
tier les  malfaiteurs.  Comment  imaginer  que  les  familles  ayent 
pu  être  gouvernées  autrement  que  par  l'autorité  de  ceux  qui 
en  étoient  les  chefs  !  Le  premier  Empire  parmi  les  hommes 
a  donc  inconteftablement  été  l'Empire  paternel.  On  ne  peut 
douter  que  pendant  tous  le  tems  qu'Adam  vécut ,  Scth  que 


DU  GOUVERNEMENT.  6^ 
Dieu  lui  donna  à  la  place  d'Abd  ,  ne  lui  rendit  avec  toute 
fa  famille  une  entière  obéiflance.  Gain ,  qui  viola  le  premier 
!a  fraternité  par  un  meurtre  ,  fut  auffi  le  premier  à  fe  fouf- 
traire  à  Tempire  paternel.  Haï  de  tous  les  hommes  &  ^con- 
traint de  chercher  un  afile ,  il  bâtit  la  première  Ville  ,  & 
lui  donna  le  nom  de  fon  fils  Henoch  (a).  Les  autres  hom- 
mes vivoient  à  la  campagne  dans  la  première  fimplicité  ;  ils 
avoîent  pour  règle  la  volonté  de  leurs  parens  8c  les  coutu** 
mes  anciennes. 

Telle  fut  encore  après  le  déluge ,  la  conduite  de  pluficurs 
familles ,  furtout  parmi  les  enfans  de  Sem  qui  conferverent 
plus  long-tems  les  anciennes  traditions  du  genre  humain  : 
ainfi  Abraham,  Ifaac  &  Jacob,  menèrent  toujours  une  vie 
fimple  &  pafloralc.  Ils  étoient  avec  leurs  familles,  libres  & 
indépendans,  &  traitoient  avec  les  Rois  d'égal  à  égal.  Abî- 
melec ,  Roi  de  Gerare ,  vint  trouver  Abraham  ,  &  ils  firent 
un  Traité  enïemble  (h).  Il  fe  fit  un  pareil  Traité  avec  un 
autre  Abimelec  fils  de  celui-ci, &  Ifaac  fils  d'Abraham.  Nous 
avons  va  (dit  Abimelec  (r)  )  que  le  Seigneur  et  oit  avec  vous  , 
&  four  cela  nous  avons  dit  :  Qjiil  y  ait  un  accord  entre  nous 
confirmé  par  ferment.  Abraham  fit  la  guerre  de  fon  chef  aux 
Rois  qui  avoient  pillé  Sodome  ,  &  les  défit  {d). 

L'autorité  paternelle  ne  doit  fon  origine  ni  aux  conven- 
tions ,  ni  au  droit  de  la  guerre  :  elle  les  a  précédées ,  &  elle 
a  fon  fondement  dans  la  nature.  Chaque  père  de  famille,  fe 
faififlant  d'abord  d'une  portion  de  terre  qui  n'étoit  encore  à 
perfonne ,  la  diftribuoit  à  fes  enfans  ^  &  ks  enfans  s'emparant 

(a)  Genef.  4.  17. 

(b)  Ibid,  21.  2)1.  1%, 
(r)  Ikid.  z6.  28. 

\d)  Ibid,  14.  8c  fui V. 


4^  SCIENCE 

de  nouvelles  poffeffions  ,  à  mefure  que  la  famille  fe  multî- 
plioit ,  acqucroient  de  nouvelles  pofleflîons ,  avec  Tâge  fur 
leur  pofleritc  ,  &  la  même  autorité  par  laquelle  leur  père  les 
avoit  gouvernés ,  &  tous  les  pères  étoient  fournis  au  perc 
commun.  Un  grand  nombre  de  familles  fe  voyoient,  parce 
moyen ,  réunies  fous  Tautorité  d'un  feul  ayeul. 

Les  avantages  attachés  à  Taînefle  portèrent  Jacob  à  en 
acheter  le  droit  d'Efaii  (4).  L'une  des  fuites  de  cette  aîneffc 
fut  la  domination  promife  aux  enfans  de  Jacob  neveux  d'Efaii 
(h).  Le  Patriarche  Ruben ,  étant  déchu  de  fon  droit  par  fa 
violence  &  par  fa  mauvaife  foi  à  Tégard  de  ceux  de  Sichcm , 
les  privilèges  de  TaînefTe  furent  transférés  à  Juda  fon  frère 
(c).  L'autorité  demeura  attachée  pour  toujours  dans  la  fa- 
mille de  Juda  ,  fes  defcendans  dominèrent  ceux  de  Ruben 
&  ceux  de  tous  les  autres  fils  de  Jacob  puînés  de  Juda  &  de 
Ruben, 

Les  enfans  de  Heth  avec  qui  Abraham  avoit  fait  un  accord, 
l'appellent  Seigneur  ,  &  le  traitent  de  Prince.  Ecoùtez-nousy 
Seigneur  ,  lui  difent  -  ils  ,  vous  êtes  parmi  nous  un  Prince  de 
Dieu^  c'eft-à  dire  qu  il  ne  relevoit  que  de  Dieu  (^), 

Un  Roi  pouvant  être  comparé  à  un  père  ,  on  peut  réci- 
proquement comparer  un  père  à  un  Roi ,  &  déterminer  ainfi 
les  devoirs  du  Monarque  par  ceux  du  Chef  de  famille  &  les 
obligations  d'un  père  par  celles  d'un  Souverain.  Aimer, 
gouverner ,  récompenfer  &:  punir  ,  voilà  tout  ce  qu'ont  à 
faire  un  père  &  un  Roi.  Un  père  qui  n'aime  point  fes  enfans, 
ell  un  monflre  :  un  Roi  qui  n'aime  point  fes  fujets ,  eft  un 

(a)  Genef.  ^j*.  31.  (4. 
\h)  Ibid.  17.  2p. 
(r)  Ibid.  4p.  3.  lO. 
{d)  Ibid.  23.  tf, 

Tiran. 


DU    GOUVERNEMENT.        6^ 

Tiran.  Le  perc  &  le  Roi  font  4\in  8c  Pautre  des  images  vi- 
vantes de  Dieu  ,  dont  TEmpire  eft  fondé  fur  Tamour.  La  na- 
ture a  fait  les  pères  pour  l'avantage  des  enfans  :  la  Police  a 
fait  les  Rois  pour  la  félicité  des  peuples.  De  même  que 
l'homme,  dans  fon  enfance  ,  ignore  fes  véritables  intérêts, 
&  ne  fçauroit  pourvoir  lui-même  à  fon  bonheur  ou  à  fa  fan- 
té  ;  ainfi  le  peuple  aveugle ,  téméraire  &  turbulent ,  ne  for- 
me ,  quand  il  eil  fans  Chef,  que  des  projets  vains  &  bizar- 
res ,  n'a  que  des  vues  confufes,  ne  fçait  ni  ce  qu'il  doit  vou- 
loir ,  ni  ce  qu'il  doit  aimer  ou  craindre  ;  &  quelques  mefu- 
rcs  qu'il  prenne  ,  il  n'en  prend  jamais  guère  aucunes  qui 
ne  tournent  à  fa  ruine.  Il  faut  donc  néccffairement  un  Chef 
dans  une  famille  &  dans  un  Etat ,  comme  il  faut  au  faîte 
d'une  voûte  une  pierre  principale  ,  qui  dominant  fur  les  au- 
très  ,  termine  le  centre  ,  &  en  affermiffe  l'aflemblage.  Mais 
fi  ce  Chef  eft  indifférent  pour  les  membres,  ce  qui  ne  peut 
venir  que  d'un  amour  ex ceflîf  pour  lui-même,  il  rapportera 
tout  à  lui  ;  leur  avantage  fera  toujours  facrific  au  fien  ;  par 
leurs  travaux  ,  par  leurs  fueurs,  il  accroîtra  fon  opulence  ; 
pour  aflurer  fon  defpotifme ,  il  les  tiendra  dans  Tefclavage  ; 
ils  ne  feront  autre  chofe  à  fes  yeux  ,  que  des  inftrumens  faits 
pour  fervir  à  le  rendre  heureux.  Lorsqu'au  contraire  ce  font 
la  bienveillance  &  l'amour  qui  règlent  les  volontés  du  Chef 
&  diâentfes  ordonnances,  il  fe  fait  entre  lui  &  les  membres 
une  circulation  libre  &  volontaire  ,  qui  porte  à  tous  égale- 
ment la  fanté ,  la  vigueur  &  l'embonpoint  :  tout  alors  concourt 
avec  zèle  au  bien  commun  du  corps  entier.  Le  Chef  lui-mê- 
me y  trouve  un  folide  avantage.  Traiter  avec  bonté  un  Père, 
fa  famille,  un  Prince,  fes  fujets,  c'eft  pourvoir  à  fon  intérêt 
propre.  Quoique  fiége  principal  de  la  vie  &.  dufentimenti^ 
Tome  L  X 


66  SCIENCE 

la  tcte  efl  toujours  mal  aflifc  fur  un  tronc  maîgre  &  déchar- 
né. Il  y  a  même  parité  entre  le  Gouvernemenc  d'un  Etat  & 
celui  d'une  famii.c  :  le  maître  qu  rJg.t  l'une  ou  Tautrc  ,  a 
deux  objets  à  remplir: Tua  d'y  faire  régner  les  bonnes  mœurs, 
la  vertu  &  la  piété:  Tautre  d'en  écarter  le  trouble,  les  défor- 
dres  &  l'indigence.  C'efl  l'amour  de  l'ordre  qui  le  doit  con- 
duire ,  &  non  pas .  cette  fureur  de  dominer  qui  fe  plaît  à 
pouffer  à  bout  la  docilité  la  mieux  éprouvée.  L'enfant  &  le 
fujet  ont  des  vues  trop  bornées  pour  fe  gouverner  par  eux- 
mêmes  5  mais  ils  font  affez  clairvoyans  pour  découvrir  les 
fautes  de  ceux  qui  les  gouvernent  mal. 

Platon  cft  de  ce  fentiment,  que  chaque  Chef  de  famille  en 
étoit  le  Roi.  S.  Jérôme ,  appliquant  un  paffage  de  la  Ge- 
nefe  (^a)  ,  dit  que  le  premier  né  de  la  famille  des  anciens  Pa- 
triarches ,  en  étoit  tout  enfemble  &  le  Roi  &  le  Prêtre  ;  & 
Nicolas  de  Damas  ,  curieux  obfervateur  des  anciennes  Cou- 
tumes, traite  auffi  Abraham  de  Roi  (^).  Noé,  Abraham  , 
Ifaac  &  Jacob  furent  tout  enfemble  les  Prêtres ,  les  Princes  , 
les  Seigneurs  de  leur  nombrcufc  famille  ;  mais  il  ne  faut  pas 
leur  donner  les  titres  de  Rois  &  de  Souverains  proprement 
dits  ,  ils  ne  l'ont  pas  été.  Abraham  n'avoit  ni  peuples  ,  ni 
Sujets  ,  il  ne  voyoit  fous  fon  obéiffance  que  fa  femme ,  fes 
en&ns ,  &  fes  efclaves  ;  &  la  multitude  des  enfans  ou  des  ef- 
clâves  ne  change  pas  la  nature  du  pouvoir.  Les  318  hom- 
mes qui  le  fuivirent  dans  fon  expédition  contre  les  Rois  , 
qui  âvoient  pillé  Sodome,  ou  étoient  des  efclaves  achetés 
lelon  la  coutume  de  c^  tems*lâ  y  bu  étoient  les  enfans  de  fes 
lenriteurs  nés  dans  fa  m^ifon»  Sa  vie  étoit  paflorale  ,  il  étoic 

(a)  Ce  verfrc  i  du  quarante^  neuvième  Chapitre  de  la  Genèfe:  Ruben  primée» 
nitus  meus, 
^  ib)  l^koL  Dmu^fn  4ifuà  Jofiglu  Aaxiq.  UL  i,  cap.  j. 


DU    GOUVERNEMENT^        ^7 

étranger  &  voya  eur  ,  il  ne  pofledoit  pas  un  pouce  de  ter- 
re ,  &  il  fut  olligé  d'acheter  un  champ  pour  y  enterrer  fes 
morts.  Abraham  n'étoît  donc  pas  Roi  ;  fes  pavillons  &  fes 
tentes  étoient  fes  Palais  ;  fes  pâturages  y  fes  Etats  ;  &  fa  fa- 
mille )  fon  Royaume.  Il  exercoit  fimplcment  Pempire  pater- 
nel &  domeftique  ,  à  Texemplc  des  premiers  hommes. 

L'autorité  paternelle  avoit  donné  la  première  idée  du  rj,^J;^^,^^^Î 
pouvoir  fuprême,  elle  n'en  a  pas  été  la  fource,  mais  locca-  ^J^J^î^^^ei 
fion  ;  c'eft  le  premier  canal  par  où  il  a  découlé.  Quelle  ap-  ^s%icm  leî 
parence  n'y  a-t-il  pas  que  les  pères  conferverent  l'autorité  usS^v"raiS«é. 
qu'ils  avoient  déjà  ,  lorfqu'on  forma  volontairement  ces  fo- 
cictés  plus  nombreufes  qu'on  a  appellées  Etats  !  L'habitude 
d  obéifTance  où  étoient  les  enfans  ,  les  porta  fans  doute  à 
quelques  foins ,  pour  faire  paffer  le  Gouvernement  civil  en- 
tre les  mains  des  pères.  C'eft  ainfi  qu'Abimelec  ,  fils  de 
Gedeon ,  fit  confentir  ceux  de  Sîchem  à  le  prendre  pour  leur 
Souverain.  »  Lequel  aimez-vous  mieux  (  leur  dit41  )  d'avoir 
»  pour  maîtres  foixante-dix  hommes  enfans  de  Jeroboal ,  ou 
*>  de  n'en  avoir  qu'un  feul ,  qui  eft  encore  de  votre  Ville  & 
7>  de  votre  parenté  ?  Et  ceux  de  Sichem  tournèrent  leur 
»  cœur  vers  Abimelec  (a). 

L'autorité  des  pères  n'eft  pas  pareille  à  celle  des  Souve- 
rains y  cela  eft  certain  ;  mais  la  diftance  n'eft  pas  infinie  ^  8c 
le  paffagç  a  pu  être  prefque  infenfible  (è).  Si  nous  fuppo- 
fions  y  par  exemple  y  qu'un  père  de  famille  y  ayant  un  grand 
nombre  d'enfens  &  d'efclaves  y  eût  émancipé ,  pour  parler 
ainfi ,  les  premiers  &  affranchi  les  autres  y  leur  permettaftt 
de  vivf e  déformais  en  leur  particulier  &  de  former  des  fe- 

(a)  Jud.$.  2.  S-j. 

(5)  Rkgia  potejlas  êjl  gentis  unius  quajî  im^ica  fuêjiam  gukrnatio*  Aqfl* 
voliu  2. 


^8  'SCIENCE 

milles  fcparées  y  à  condition  qu  elles  feroîent  foumifes  à  fon 
Gouvernement,  &  quil  donneroic  des  Loix  à  toutes  les  fa- 
milles fcparccs  &  ne  formant  néanmoins  qu'un  corps  :  qu  au- 
roit-il  manqué  à  un  tel  homme  pour  avoir  le  rang  &  l'auto- 
rite  de  Souverain,  pourvu  quil  eût  eu  en  main  les  forces  né- 
celfaires  pour  le  but  des  fociétcs  civiles  ?  Quoiqu  ilen  foit 
de  cette  fuppofîtion ,  tout  nous  doit  porter  à  recormoître  que 
les  pères  ont  été  les  premiers  hommes  élevés  à  la  Souverai- 
neté, 

A  mefure  que  les  familles  augmentoient ,  leur  petit  do- 
maine devenoit  plus  confîdérable.  Elles  formèrent  peu  à  peu 
des  bourgs  &  des  villes.  Plus  nombreufcs  encore ,  les  familles 
fe  partagèrent  en  diverfes  branches  ,  qui  avoient  chacune 
fon  Chef.  Les  intérêts  &  les  caraderes  n  croient  pas  les  mê- 
mes ;  rinjuftice  &  les  paflions  particulières  troublèrent  Tor- 
dre public  j  il  fut  néceflaire  de  confier  le  Gouvernement  à  un 
feul  pour  réunir  tous  les  Chefs  de  famille  fous  une  même  au- 
torité ,  &  pour  maintenir  le  repos  public  par  une  conduite 
uniforme.  On  fe  donna  des  Princes  ,  mais  des  Princes  dont 
l'autorité  étoit  très-bornée» 

L'idée  qu'on  avoir  du  Gouvernement  paternel  &  Theureufe 
expérience  qu'on  en  avoir  faite ,  infpirerent  fans  doute  de 
choifir  ,  dans  chaque  canton ,  &  parmi  les  plus  gens  de  bien 
&  les  plus  fages^  celui  en  qui  l'on  reconnut  davantage  Tefprît 
&  les  fentimens  de  père.  Pour  relever  l'éclat  de  leur  place  , 
&  pour  les  mettre  en  état  de  garantir  la  fociété ,  &  des  crimes 
des  Citoyens ,  &  des  infultes  des  Etrangers ,  on  leur  donna 
le  nom  de  Roi,  on  leur  érigea  un  trône  ,  on  leur  aflîgna  des 
Officiers  ,  on  leur  accorda  des  tributs,  on  leur  confia  le  pou- 
voir d'adminiftrer  la  jullice,  &on  lesanna  du  glaive,  il 


DU  GOUVERNEMENT.  6^ 
paroît  par  rEcriture  {a)  ,  que  prelque  chaque  Ville  &  chaque 
Contrée  avoit  fon  Roi  (^).  La  même  chofe  fe  voit  danq  rnnc 
les  Auteurs  anciens  {c)  qui  rapportent  la  tradition  commune 
du  genre  humain. 

Ce  ne  furent  ni  les  faâions  ni  les  brigues  qui  élevèrent 
d'abord  les  Rois  fur  le  trône.  La  probité  feule  &  la  réputa- 
tion de  vertu  &  Téquité  en  décidoient  &  faifoient  donner  la 
préférence  aux  plus  dignes  {£).  Suivant  la  tradition  com* 
mune  ,  il  n'y  avoit  au  commencement  que  de  petits  Rois  , 
chaque  Ville  avoit  le  fien  qui  >  plus  attentif  à  conferver  fon 
domaine  qu  à  l'étendre  ,  renfermoit  fon  ambition  dans  les 
bornes  du  pays  qui  l'avoit  vy  naître  {e).  Gouvernement  heu- 
reux, établi  avec  douceur , à  l'exemple  de  celui  des  pères, 
imité  lui-même  de  celui  de  Dieu  qui,  conduifant  les  hommes 
par  fon  amour  ,  ne  laiffe  pas  de  fe  les  attacher  encore  par  les 
motifs  de  Tefperance  &  de  la  crainte  (/). 

C'eft  ainfi  que  les  Juifs  tranfmirent  toute  l'autorité  de  la 
nation  à  Simon  &  à  fa  poftérité  (g).  L'aûe  en  fut  dreflc  au 
nom  de  tout  le  peuple  qui  confentit  à  le  faire  Prince,  Déjo* 
ces  fut  fait  Roi  des  Médes,  de  la  même  manière  {h).  On 
voit,  du  tems  d'Abraham ,  c'eft-à-dire  environ  quatre  cens 
ans  après  le  déluge,  des  Royaumes  formés  &  établis  depuis 

(a)  Cenef.  14. 3c  en  plufîeurs  autres  endroits* 

(3)  Jofué ,  12.  2. 4. 7.  14. 

(lO  Juilin  9  Homère,  &  autres. 

(d)  Principio  rerum  9  gentium  9  nationum  que  imperium  ftnè^  RegiS  erât.  Quos 
Md  fajiigium  hujus  majejiatis  non  ambitio  popularis  9  fed  fptÛaza  inter  bonos  modt* 
ratio  provehebat  :  populus  nuUis  legibus  ttntbatuT  :  arhima  Principum  pro  legibus 
tranu  Jufiin.  lïb.  1.  cap.  i. 

(0  Fines  imptrii  tuerimagis  quam proferre  mos  trot,  intrajuamcuiquepatrkm 
régna  fixabantur,  Jujlin.  lib.  i.  cap,  i. 

(/)Reg.8.J- 

(g)  Machab.  14%  27.  41^ 

{h)  Herodoc* 


70  SCIENCE 

long-tems  (a);  quatre  Rois  faire  la  guerre  contre  cinq ,  Mel. 
cVûfadech  Pontife  du  Dieu  Très-Haut  ^  être  appelle  Roi  de 
Salem ,  Pharaon  régner  en  Egypte ,  &  Abimelec  du  tems 
dlfaac,  régner  à  Gerare  (^)*  Tous  ces  Rois  ont  des  Offi- 
cîers  réglés ,  une  Cour  qui  les  environne ,  une  armée  y  8c  un 
Général  pour  la  commander.  Qui  touchera ,  dit  Abimelec  y 
lu.  femme  de  cet  homme  y  mourra,  de  mort  (f).  Audi  le  peuple 
de  Dieu  ,  de  fon  propre  mouvement ,  demanda-t-îl  dans  la 
fuite  des  tems ,  à  Samuel ,  un  Roi  pour  le  juger  &  pour  mar- 
cher  à  la  tête  des  armées,  à  Texempledes  Rois  des  autres 
nations. 

Les  hommes  qui  avoient  vu  une  image  de  Royaume  dans 
l'union  de  plufieurs  familles ,  fous  la  conduite  d  un  père  com- 
mun ,  &  qui  avoient  trouvé  de  la  douceur  dans  ce  genre  de 
vie,  fe  poncrcnt  aifément  à  faire  des  fcciétés  de  familles 
fous  des  Rois  qui  leur  tinflent  lieu  de  pères  ,  lorfque  les  in- 
juftices  qu'ils  foufFroient  leur  eurent  fait  fentir  que  Tautorité 
purement  paternelle  n'étoit  ni  affez  étendue ,  ni  affez  auto- 
rifée  pour  les  en  mettre  à  couvert.  Ceft  pour  cela  apparem- 
ment que  les  anciens  peuples  de  la  Palefline  appelloient  leurs 
Rois  Abimelec ,  ceft-à-dire  dans  la  langue  Hébraïque,  mon 
ferc  &  mon  Roi.  L'on  donnoir  ce  nom  à  tous  les  Rois  de 
Gerare ,  comme  Ton  donnoit  celui  de  Pharaon  à  tous  les 
Rois  d'Egypte. 
,1.  Il  s'Atbiu     A  cette  manière  légitime  de  régner  par  le  confentement 
m«pTu8con2dé-du  pcuple ,  TambitioD  en  ajouta  une  autre  ,  fi  ce  ne  fut  pas 
dcj  conquêies.    dans  Ic  même  tems  ,  ce  fut  bientôt  après.  Elle  enfanta  des 
Conquerans» 

(a)  Genef.  14.  ta.  p.  Ibîi.  x8.  20.  tbïi.  !»•  Ijf.  20.  2* 
(fi)  Gcnef.  II.  If.  M*  %i.  ii» 
(c)  Ibii*  ».  6.  !• 


DU  GOUVERNEMENT.  71 
Les  conquêtes  font  très-anciennes  ;  &  cette  voie  de  donr 
ner  des  Rois  à  la  terre  a  dû  fuivre  de  près  celle  de  Télec-r 
tion.  Il  femble  que  Ton  doive  pcnfcr  que  le  pouvoir  fouve- 
rain  ne  doit  pas  fon  origine  aux  guerres ,  parce  que  les  guer- 
res fuppolent  les  focictcs  civiles  déjà  établies  ;  mais  les  pè- 
res qui  ne  vivoient  dans  aucune  fociété,aidés  de  leur  famille, 
ont  pu  s*en  foumettrc  d'autres  ,  &  peu  à  peu  former  un 
Etat  :  Un  feul  homme  même  ,  aj)puyé  par  ceux  qu'il  auroît 
intimides  ,  auroit  pu  fc  faire  infenfiblement  une  Souve- 
raineté. 

Quoiqu'il  en  foit ,  dès  que  les  fociétés  civiles  eurent  été 
établies ,  les  démêlés  prefqu  inévitables  entie  des  voifins ,  la 
jaloufie  contre  un  Prince  plus  puiflant ,  un  efprit  remuant  y 
des  inclinations  Martiales  &  le  défîr  de  s'aggrandir  ,  don- 
nèrent occafion  à  des  guerres  qui  fe  terminoient  fouvent  par 
l'entier  affujettiffement  des  vaincus  ,  dont  les  villes  paflbient 
fous  le  pouvoir  du  Conquérant ,  &  grofliflbient  peu  à  peu 
fon  domaine.  De  cette  forte ,  une  première  vidoirc  fer- 
vant  de  degré  à  la  féconde,  &  rendant  le  vainqueur  plus 
entreprenant ,  plufiëurs  Provinces  réunies  fous  un  feul  Mo- 
narque y  formèrent  des  Royaumes  plus  ou  moins  étendus , 
félon  que  le  vainqueur  avoir  pouffé  fes  conquêtes  avec  plus 
ou  moins  de  fuccès  (a). 

La  preuve  des  Empires  fondés  par  des  conquêtes  eft  bien 
plus  certaine^que  celle  des  Etats  établis  parle  confentement 
libre  des  hommes.  Ce  qui  s'efl  pafTé  dans  des  tems  fi  reculés, 
n'eft  venu  à  notre  connoiffancc  ,  qu'à  proportion  de  Téclac 

(a)  Domitis  proxbnb  càm  accejîone  virium  fortior  ai  (dios  tTanJiTet  ^tf  jToxïma 
quétcpit  viâioTkinfirumcmumfequentUeJpn^totiuiOTientiifpfuksfobt^^  JuJt,U 

f.  C»   K 


72  SCIENCE 

qu'il  a  eu  dans  le  inonde  :  or  les  Traités  par  lefquels  les 
peuples  fe  font  choifîs  des  maîtres  ,  ont  cté  ou  des  conven- 
tions verbales  ou  des  écrits  obfeurs  y  qui ,  n'intéreffant  qu'un 
petit  nombre  d'hommes  ,  ont  pu  former  fans  bruit  de  petits 
Etats  ;  au  lieu  que  tous  les  grands  Empires  anciens  &  mo- 
'  dernes  ont  été  formés  par  des  guerres  fanglantes  y  qui  ont 
attiré  l'attention  du  monde  entier. 

Nemrod  fut  le  premier  qui  foumit  les  hommes  par  la  voie 
des  armes  ;  l'Ecriture  en  parle  comme  du  premier  conqué- 
rant &  comme  d'un  ardent  chafleur  devant  le  Seigneur  (a) . 
Cet  homme  ambitieux  eut  apparement  deux  vues  ,  en  s'ap- 
pliquantau  pénible  &  dangereux  exercice  de  la  chaffe.L'une, 
de  s'attirer  l'afFeâion  des  peuples  en  les  délivrant  de  la  crain*  • 
te  des  bêtes  féroces:  l'autre,  d'endurcir  à  la  fatigue  &  d'ac* 
coûtumer  à  une  efpece  de  difcipline  beaucoup  de  jeunes 
gens  ,  en  les  exerçant  à  la  chafTe ,  pour  les  employer  à  des 
dcffeins  plus  férieux  ,  après  les  avoir  aguerris  &  accoutumés 
à  lui  obéir.  C'eft  ainfi  que  cet  homme  féroce ,  qui  avoir  ar- 
mé un  grand  nombre  de  fes  fçrviteurs  ,  fous  prétexte  de  la 
chafle  y  fît  des  armes  du  fer  qui  avoit  fervi  au  labourage  , 
tourna  contre  les  hommes  les  armes  qu'ils  avoient  préparées 
contre  les  bêtes ,  &  jetta  les  premiers  fondemens  de  l'Em-^ 
pire  des  Affyriens }  car  Belus ,  fondateur  de  cet  Empire ,  cft  ' 
le  même  horome  que  ce  Nejhrodt  Telle  eft  l'origine  du  droit 
de  conquête. 

Les  Royaumes  fondés  par  les  conquêtes ,  font  anciens  , 
puifqu  ils  ont  commencé  fî  près  du  déluge  fous  Nçmrod 
fixiéme  fils  de  Chus,  petit  fils  de  Cham ,  le  plus  jeune  des  fils 

(«'  ^pfi  cœ^t  effepotifj  in  terra ,  robujlus  venaxor  corûm  Domino,  Geoef.  xq« 

Noe 


DU  GOUVERNEMENT.  73 
Noé  9  &  celui  qu'il  avoir  maudit.  Ce  Tyran  commença  à  être 
puiflant  fur  la  terre,il  y  établit  fon  autorité ,  il  y  bâtit  de  grandes 
villes  (je  dis  de  grandes  villes  ,,  car  il  y  eut  des  villes  avant  le 
déluge,  &  TEcriture nous  parle  (a)  d'une  ville  bâtie  par  lui 
depuis  fon  fratricide)  ilfubjuguafesvoifms  les  plus  proches  , 
il  les  réunit  fous  une  Loi  commune  ,  &  il  forma  un  Etat  de 
quatre  villes  qu'il  avoit  conquifes  :  il  régna  fur  Babylone  , 
Erech  ,  Arcal ,  &  Calnc,  dans  le  pays  deSchinhard. 

On  ne  peut  chercher  dans  Thiftoire  l'origine  des  fociétés    ,j.  ^^  ,^ 
civiles ,  fans  reconnoître  qu'au  commencement  tout  a  été  ^Tommc!!^é 
foumis  au  Gouvernement  d'un  feul.  Des  Auteurs ,  favorables  aue;i\yl7x!à'2 
d'ailleurs  au  Gouvernement   Républicain,  le  reconnoif-dwcfpé^csdc'R^ 

^  ,    .  publiques  ;  maif 

lent  (oj9  cen*eikqucrabui 

^   '  de  PautoriiéMo^ 

Dès  que  les  hommes  eurent  fenti  la  néceffité  de  fe  don-  n*Khiquc  qui  a 

A  donné  lieu  à  lét  j« 

ner  des  maîtres  ,  les  pères ,  accoutumés  à  un  Gouvernement  ^i^iJ^r  Répuâ" 
domellique  qui  avoit  montré  le  premier  modèle  de  la  Sou-  ^"**' 
veraineté ,  voulurent  en  avoir  un  plus  étendu.  Ces  Monar- 
chies furent  plus  ou  moins  informes  ,  félon  le  tems  &  félon 
l'habileté  des  Fondateurs.  Un  tel  corps  politique  ayant  été 
une  fois  formé  ,  ceux  qui  avoient  vécu  jufques-Ià  hors  des 
fociétés  civiles ,  &  à  qui  cette  forme  de  Gouvernement  étoic 
préfente  ,  en  établirent  de  femblables  ,  pour  n  être  pas  op- 
primés par  ces  petits  Etats  naiflans. 

Les  premiers  Gouvernemens  furent  Monarchiques ,  cela 
paroît  inconteftable  ;  &  ce  que  dit  Juftin  ,  que  dès  le  com- 
mencement du  monde ,  les  Rois  ont  commandé  aux  peuples 
&  aux  nations  ,  eft  exadlement  vrai  (c).  Que  la  Monarchie 
foit  la  forme  de  Gouvernement  la  plus  naturelle ,  cela  paroîc 

(à)  Genef.  4.  17. 

(b)  Paruta  »  noble  Vénitien  ,  de  la  perfeAioa  de  la  vie  Politique  »  lir.  |. 

(i  )  Voyez  le  paflàge  de  cet  Auteur  que  je  viens  de  rapporter. 

Tome  L  K 


74  SCIENCE 

encore  aujourd'hui  réfulter  de  ces  fociétés  naiflantes  de  TA- 
friquc  &  de  TAmcrique ,  où  Ton  remarque  prefque  partout 
de  petites  Monarchies ,  &  bien  rarement  des  Ariftocraties 
&  des  Démocraties.  L'Empire  paternel  qui  avoit  accoutumé 
les  hommes  à  obéir  ,  les  avoit  en  m^me  tems  accoutumés  à 
n'avoir  qu'un  Chef.  Il  eft  vraifemblabic  que,  lorfque  les  fa- 
milles s'unirent  pour  former  un  Corps  d'Etat ,  elles  fe  ran- 
gèrent comme  d'elles-mêmes  à  un  Gouvernement  qui  leur 
étoit  propre ,  &  dont  la  forme  ctoit  expofée  à  leur  yeux  ;  & 
nous  venons  de  voir  que  les  Ambitieux ,  favôrifés  par  les 
circonftances ,  élevèrent  leur  autorité  fur  la  ruine  de  la  liber- 
té des  autres  hommes  :  ainH ,  le  choix  des  peuples  &  la  voie 
des  conquêtes  établirent  également  le  Gouvernement  Mo- 
narchique. 

Ce  n*eft  pas  qu'il  n*y  ait  eu  d'aifez  bonne  heure  quelques 
efpéces  de  Répub^ques.  On  voit ,  en  quelques  endroits  de 
l'Ecriture,  l'autorité  réfider  dans  une  Communauté.  Abraham 
demande  le  droit  de  fépulture  à  tout  le  peuple ,  &  c'ert:  l'af- 
femblée  qui  l'accorde  (a).  Il  paroît  qu'au  commencement  les 
Ifraclites  vivoientdans  une  forte  de'République  :  fur  quelque 
fujet  de  plainte  arrivée  du  tems  de  Jofué  contre  ceux  deRu- 
ben  &  de  Gad ,  /âs  enfuns  d*lfraél  s/iJfembUrent  tous  fout 
les  combattre  ;  mais  ils  envoyèrent  dupar avant  dix  Anthajfa^ 
deurs  four  écouter  leurs  raifons  ,  ceux  de  Rulen  &  de  Gad  don- 
nerent  fatisfailion^  ér  tout  le  peuple  d*Ifracl  sappaifa  {b).  La 
femme  d'un  Lévite  ayant  été  violée  par  quelques  Scélérats  de 
la  Tribu  de  Benjamin  ,  fans  qu  on  eut  fait  aucune  juftice  , 
toutes  les  Tribus  s'affcmblerent  pour  punir  cet  attentat ,  & 

(fl)  Genef.  25.  5.  jr. 

{b)  Jof.  2,%*  11.  la.  13..  14.  %i^ 


DU    GOUVERNEMENT.        75 

les  Ifraêlitcs  fe  difoîent  l'uni  l'autre  dans  cette  affemblce  : 
jântAÎs  il  ne  sefi  fdt  telle  chofe  en  Ifraél  y  jugez,  ^  ordonnez,  in 
commun  ce  qu  il  faut  faire  {a).  C  etoit  en  effet  une  efpéce  de 
République  ,  mais  qui  avoit  Dieu  pour  Roi. 

Ce  ne  fut  que  par  la  fuccclÏÏon  des  fiécles  que  les  Repu* 
bliques  fe  formèrent.  L'origine  des  Etats  qui  ont  une  vraie 
forme  de  République  eft  connue.  L'abus  feul  que  les  Rois  fi- 
rent du  pouvoir  Monarchique  ,  introduifît  le  Gouvernement 
Républicain.  L  on  n  en  peut  prefquc  pas  douter,  à  confîdé- 
rer  la  manière  dont  les  Gouvernemcns  Monarchiques  ont  pu 
setablir.  Cette  voie  fe  préfente  naturellement  à  Tefprit ,  & 
cen'eft  que  l'abus  qu'on  a  fait  du  pouvoir  Monarchique,  qui 
a  pu  faire  chercher  d'autres  voies  plus  éloignées.  On  en  dou- 
tera encore  moins ,  fi  Ton  confidere  la  fondation  des  plus 
anciennes  Republiques  dont  l'établiflcment  foit  connu.  La 
Çréce  ayant  été  lubmergée  par  le  déluge  de  Deucalion ,  de 
nouveaux  Habitans  vinrent  la  peupler.  Elle  tira  prefque  des 
colonies  d'Egypte  &  des  contrées  de  l' Afie  les  plus  voifines  ; 
&  comme  tous  ces  pays  étoient  gouvernés  par  des  Rois ,  les 
peuples  qui  en  fortirent ,  furent  gouvernés  de  même.  Mais 
ces  Princes  ayant  abufé  de  leur  puiflance  ,  en  fecouerent  le 
Joug  ;  &  des  débris  de  tant  de  Royaumes  ,  s  elévereni 
ces  Républiques ,  qui  firent  fi  fort  fleurîr^a  Grèce ,  feule 
polie  au  milieu  des  Barbares.  Il  y  auroit  eu  moins  de  Répu- 
bliques ,  peut-être  même  n'y  en  auroit-il  jamais  eu ,  s'il  y 
avoit  eu  plus  d'hommes  dignes  d'être  Rois. 

L'humeur  ambitieufe  &  violente  qui -avoit  agité  Nemrod,    ^   ^^    ^ 
(e répandit  bientôt  parmi  les  hommes.  Moyfe  rapporte  {h)  "^^^^^^^i^^^ 

grands   Empires 
(a)  Jiid.  ip.  %0. 
\h)  Gcnçf.  ly.  r.  2. 

Kij 


^6  SCIENCE 

fc  formèrent  &fc  quc ,  du  tcms  d'Annaphcl  Roi  de  Babylone  ^  Chedorlaho- 
fnr  ks  dcbm  du  mcr  %  Roi  d'Elam  ,  c  eft-à-dire  de  Pcrfe  «  accompagné  de 

éeruiif    de     CCS  '  ^  i         t^  .      r>      f  i 

Emmrtrs  oni  été  ^jrois  autics  Roîs ,  marcha  contre  les  Rois  deSodome,  de 

fondées  les  gran-  *  ' 

^?c  n^T^oN^^nî  Gomorrhe  ,  d'Adma ,  de  Theboïn  ,  &  de  Bêla  qui  lui  étoient 
Afief STen  Àfr"  iouiTiis ,  &  qu  il  vainquit  :  par  où  il  paroît  que  le  Roi  de 
SouvUu  mimdea  Pcffc  ctoit  Ic  plus  puiffant  dc  tous  ,  puifqu  il  avoit  des  Rois 
cknr"^    *"'  à  fa  fuite  &  des  fujcts  affcz  loin  des  bords  Occidentaux  de 
TEuphrate.  L'ambition  des  Conquerans  fe  trouvant  trop  ref- 
ferrée  dans  les  limites  d'une  Monarchie  ,  fe  répandit  partout 
comme  un  torrent ,  engloutit  les  Royaumes  ,  &  fit  confifter 
Li  gloire  à  dépouiller  de  leurs  Etats ,  des  Princes  qui  ne  leur 
avoicnt  fait  aucun  tort ,  à  porter  au  loin  les  ravages  &  les  in- 
cendies ,  &:  à  laifler  partout  des  traces  fanglantes  de  leur 
paflage.  Tel  a  été  le  fondement  de  ces  fameux  Empires  qui 
embraflbient  une  grande  partie  du  monde. 

Le  lieu  où  les  premiers  hommes  avoient  pris  naiffance  , 
devoir  être  naturellement  celui  où  fe  devoit  formerle  premier  & 
le  plus  puiffant  Empire,  Audi  T Afie  en  a-t-elle  été  le  riége,par- 
ce  que  cette  contrée  qui  renfermoit  la  demeure  délicieule  de 
nos  premiers  parens ,  étoit  remplie  de  tout  ce  qui  peut  flatter 
Tambition  de  Conquerans,  L'Affyrien  ,  le  Babylonien  ,  le 
Méde ,  &  le  Perle  pcfféderent  tour  à  tour  des  richeffes  im- 
menfes  de  cette  Ptrtie  du  monde. 

Comme  dans  Tordre  des  chofes  naturelles ,  la  deftruftion 
dc  Tune  fert  à  la  produftion  d'une  ou  de  plufieurs  autres ,  de 
même  la  décadence  d'un  Empire  donne  la  naiffance  à  d'autres 
Etats  {a).  Sans  parler  de  l'ancien  &  premier  Royaume  d'E- 
gypte &  quelques  Etats  féparés  des  autres  &  comme  ifolés, 

(^) Sic  omnh  rertu 

Cernimus  ,  atque  alias  in  celfum  ajjurgere  gentes: 
Concidere  h(u.  Perf. 


DU    GOUVERNEMENT.        ^j 

quatre  grands  Empires  fe  fuccéderent,  fe  ruinèrent ,  &  dit 
parurent  tour  à  tour  :  TEmpire  des  Aflyriens  &  des  Babylo* 
niens  :  TEmpire  des  Mcdes  &  des  Perfes  :  TEmpire  des  Ma- 
cédoniens &  des  Princes  Grecs  fucceffeurs  d'Alexandre  : 
enfin  TEmpire  des  Romains. 

Ce  dernier  Empire ,  après  avoir  tout  foumis  à  fon  pouvoir 
par  la  force  des  armes  &  par  fa  Politique ,  fiit  comme  déchiré 
en  difFcrens  morceaux,  &  ce  démembrement  donna  lieu  à 
Fétabliffement  de  prefque  tous  les  Royaumes  qui  partagent 
maintenant  l'Europe ,  T  Afie  ,  &  T Afrique.  Le  defpotifme 
fut  établi  dans  prefque  toutes  les  Contrées  deTAfie  &  de  TA-, 
frique  j  &  un  Gouvernement  modéré  dans  la  plupart  des  Etats, 
de  notre  Europe.  C'efl  ce  qu'on  verra  par  les  détails  où  j'en-. 
trerai>  lorfque  j'expliquerai  l'Etat  des  Gouvernemens  qu'il  y 
a  a£luellement  fur  la  terre. 

Des  Royaumes  qui  fe  font  élevés  dans  notre  Europe,  à 
mefure  que  les  parties  de  l'Empire  d'Occident  les  plus  éloi- 
gnées s'en  dctachoient,  le  plus  ancien  de  tous  eft  celui  qui 
fut  fondé  dans  les  Gaules  par  les  Francs ,  &dans  lequel  nous 
avons  le  bonheur  de  vivre.  Cela  eft  inconteftable ,  puifque  fa 
naiffance  concourt  avec  la  huitième  année  de  l'Empire  d'Ho- 
norius. 

C'eft  des  débris  (Je  l'Empire  d'Orient  que  s'étoît  auffi  for- 
mé l'Empire  fondé  par  Mahomet,  lequel,  après  s'être  élevé 
dans  l'efpace  d'enviroQ  8 1  ans ,  à  un  degré  éminent  de  gloi- 
re &  de  grandeur ,  fut  détruit  -j  mais  fes  débris  ont  formé 
trois  puiffantes  Monarchies  qui  fubfiftent  encore  aujourd'hui, 
le  Mogol ,  la  Perfe  &  la  Turquie. 

C*&ft  encore  par  la  même  voie  des  conquêtes  que  le.  morv^ 


7»  SCIENCE 

de  nouvellement  découveit  a  été  fournis  à  Tancien  ,  comme 
je  l'expliquerai  ailleurs  (a). 

Section    II  L 

Arts  qui  ont  précède  y  dccompAgnê ,  ou  fuivi  le  Gouvernement 

Civil. 

M.udiftinc-      L^s  produÔîons  de  U  terre' font  les  feuk  biens  réels,  elles 
du  TiEM  r"nd^  fuffifent  à  tous  nos  befoins.  L'induflrîe  humaine  rend  ces 
J^g^dc.  dcn-  produ£lions  propres  à  tous  les  ufages  ;  mais  toute  terre  ne 
produit  pas  tout  ;  &  il  fallut ,  depuis  la  diftinâion  du  Mien 
&  du  Tien ,  que  chaque  homme  fe  procurât  ce  qui  lui  man- 
quoit  pair  des  échanges ,  avec  le  fuperflu  de  ce  qu'il  récueil- 
foît*  Les  échanges  introduits  furent  le  grand  mobile  de  Ta- 
b$mdance  )  &  ils  ne  purent  fe  faire  entre  les  premiers  hom- 
mes  que  de  denrée  à  denrée*  C  eft  ainfi  qu'ils  fe  font  encore 
aujourd'hui  chez  les  Sauvages  ,  mais  les  Nations  policées  ont 
fenti  &  reparé  les  défauts  de  cette  forte  d'échange. 
i«,L*or&ra^      Le  commerce,  par  la  voie  des  échanges  ,  étôit  embaraffant 
'^k'hMgc"^&  &  fujet  à  mille  incônvéniens.  Chacun  n'avoit  pas  précifement 
ce  qui  pouvoit  accommoder  celui  avec  lequel  il  vouloit  faire 
l'échange.  La  valeur  des  denrées  n'eft  pas  ftabîc ,  on  ne  peut 
les  tranfporter  fans  dépenfc  ,  les  diftribuer  fans  peine ,  nr 
les  coflferver  longtems  fans  altér^on.  A  mefure  que  les  fo- 
cîétés  font  devenues  plus  nombreufes  &  plus  peuplées  ,  les 
befoins  de  détail  ont  augmenté  ,  &:  les»  incommodités  de  ces 
premiers  échanges  fe  font  multipliées, 
L  Pour  éviter  ces  incommodités  &  poui:  faciliter  les  échan- 
ges ,  on  a  eu  befoin  d'un  gage. ou  dtin^ équivalent  général* 

*(tf>  ban<  cette  même  IntrodudlioA  ,  Ch.  VI.  SeA.  première  &  féconde. 


CCI 

«aoiuceouJicu, 


D  U    G  O  U,V  E  R  N  E  M  E  N  T.        7^     ' 

dont  le  prix  fut  certain,  qui  fut  aifc  à  tranfporter,  &  qui  de- 
vînt la  mefure  commune  des  effets  ,  de  rinduflrie,&  detout 
ce  qui  peut  entrfer  daris  le  commerce.  Les  métaux  parurent 
propres  à  cet  ufage.  On  y  employa  fans,  doute  d'abord  les. 
pièces  de  cuivïe  j  mais  la  conflitution  de  Tor  &  de  l'argent , 
Iblide ,  malléable,  flexible ,  fufceptibles  de  toutes  fortes  d'im- 
prelfions,  fidèle  à  les  confèrver  avec  la  derrière  exa£litude , 
ècj  pour  le  dire  en  un  mot,  dégagée  de  toutes  les  imjperfeçr 
tions  des  autres  métaux ,  qui  font  ou  trop  durs  pu  trop  mois , 
ou  d'un  maniement  dcfàgréàble  &  neme  dangereux ,  déter- 
mina enfuite  toutes  les  nations  à  leur  donner  la  préférence. 

Au  moyen  de  cette  convention  générale  des  hoirvmjf s^.çjçs 
deux  fôfFilès  font  devenus  la  'mèfurê  commune  des*' echafisés  : 
mefure  fixe  ,  incoitûp'tible ,  portative ,  diVl/^blè  en  pluIieurS 
parties ,  &  par  conféquèû*  p A)près  à  tous  te's'détâils  du  com-'* 
merce. 

L'or  &  Pargent  circulant  prpduifent  dans,  lé  corps  polîti-. 
que  le  même  efifet  que  là  circulation  diilangaans  le  corps  ^ 
Humain.  Lefang,pàr  un  niouvênient  réjgulier ,  vivifie  tous 
lès  membres  du  corps  humain  ;  Tor  &  rargeht  par  un  iembïa- 
ble  mouvement ,  animent  toutes  les  parties  du  commerce. 

L^augmcntatîon  continuelle  du  comimerce  ,&  celle  des  i-^:  j.e  eré^h 
beloms  qui  en  a  cte  la  iuite,  ont  cte  caule  que  ces  métaux^  ivrgtm  qui  (bm 
qu'on  appelle  monnoye  ,  jTohp  devenus  inluïïilans.  On  y.a  rc-|<*«""^^;  ^^  »^y 
medié.  Il  fe  fait  de  ces  métaux  iitic  efpece  de  hiultiplication  %  .«^«"^  &  ^^ 

^  ^*  ^.richcflcs    d'on- 

par  la  confiance  des  particuliers  qui  a  établi  le  prêt  &  le  cré-.""**»' 
dit.  Tandis  que  Tor  &  Targènç  qui  repréfentent  les.prcducr/ 
tions  de- la  tèfre,  continuent  îe  cïrdiïer  aTuîâgé  du  çom-" 
merce,  ils  font  reprcfentés  par  dé§  fetrfes  dé  ch'aiïgé  &  par 
des  billets.  Un  morceau  de  papier  de  deux  doi^  tient  licb 


io  SCIENCE 

d'une  fomme  confidérable  d'argent  qui  fe  trouve ,  je  ne  dîJ 
pas  feulement  dans  le  même  lieu  ,  dans  la  même  Province  ^ 
dans  le  même  Royaume,  mais  au  bout  de  la  terre  habitable. 

De-là  y  deux  fortes  de  richeffes  parmi  les  hommes ,  les 
r/elUs ,  Çc  celles  àiofinion. 

Les  richeffes  réelles  font  les  fonds  de  terre  ,  les  denrées  ^ 
les  marchandifes ,  les  bâtimens  ^  les  meubles. 

Lès  richeffes  ai  opinion  font  Tor  ,  l'argent ,  les  lettres  de 
change  ,  &  les  autres  écrits  que  la  confiance  a  introduits. 
enVénSS.  ^^  '  Ce  ne  fiit  d'abord  que  par  quelques  effais  foibles  &  impar- 
faits y  que  les  premiers  arts  prirent  naiffance  y  mais  dans  la 
fuite  ,  chacun  profitant  des, idées  de  ceux  qui  lavoient  pré- 
cédé*, 5ç  les  fucceffeurs  de  ces  premiers  inventeurs  des  arts  y 
a^oûtân^  leurs  propres  lumières  aux  connoiffances  qui  leur 
avoient  été  tranfinifes ,  les  ont  portées  au  point  où  nous  les 
voyons  préfentement. 

JLes  hommes  apprirent  d'abord  ,  &  apparemment  de  leur 
Créateur ,  Tagriçulture  {a)  ^  l'art  paftoral  {b)  ,  celui  de  fe 
vêtir  {c)  y  .&  peut-être  celui  de  fe  loger.  Avec  le  genre  hu- 
main y  Noé  avoît  confervé  les  arts ,  tant  ceux  qui  fervoient 
de  fondement  à  la  vie  humaine  &  que  les  hommes  fçavoicnt 
dès  leur  origine  ,  que  ceux  qu'ils  avoient  inventés  depuis  ; 
mais  le  terris  qui  avoit  perfedionné  beaucoup  de  chofes ,  de- 
voit  au(E  en  faire  oi4:)lier  d'autres  y  du  moins  à  la  plupart  des 
hommes.  Ces  premiers  arts  que  Noé  avoit  confervés  &  qu'on 
vit  auffi  toujours  en  vigueur  dans  les  Contrées  où  fe  fit  le 
premier  établiffement  du  genre  humain ,  fe  perdirent  à  mefure 
qu*on  s'éloigna  de  ces  piays.  Il  ÊiUut  ou  qu'on  les  apprît  de 

(c)  Geaeir.  i.  ij«  17,  iZ.  tg*  4.  a. 
ic)  Uid  }.  %U 

nouveau 


DU    GOUVERNEMENT.        St 

tîouveau  avec  le  tems ,  ou  que  ceux  qui  les  avoient  confer- 
vés  y  les  reportaffent  aux  autres.  Ceft  pourquoi  on  a  vu  ve- 
nir toutes  les  connoiflances  de  ces  terres  toujours  habitées  ^ 
eu  les  fondemens  demeurèrent  en  leur  entier* 

L'Agriculture  a ,  fur  tous  les  autres  arts ,  l'avantage  &  de    ï«.irtJcPA« 
l'antiquité  &  de  l'utilité.  L'on  peut  dire  qu'elle  eft  auflî  an-  ment  S^Htédî. 
cienne  que  le  monde ,  puifque  c'eft  dans  le  Paradis  terreftre  ^omi  <icpw«i  ^ 
même  qu'elle  a  pris  naiflance ,  lorfqu'Adam  >  forti  tout  ré- 
cemment   des  mains  de  fon  Créateur  ,  poffédoit  encore  le 
précieux ,  mais  fragile  tréfor  de  fon  innocence.  Dieu  l'ayant 
placé  dans  ce  jardin  de  délices ,  lui  en  ordonna  la  culture  (a)  ^ 
non  une  culture  pénible  &  laborieufe  ,  mais  facile  &  agréa- 
ble ,  qui  devoit  lui  tenir  lieu  d'amufement ,  &  lui  faire  con- 
templer de  plus  près ,  dans  les  produdions  de  la  terre ,  la  fa- 
geflc  &  la  libéralité  du  Maître  de  l'Univers. 

Adam  ayant  été  condamné  ^  pour  fa  defobéiffancc  ,  à  man- 
ger fon  pain  à  la  fueur  de  fon  vifâge  ,  Dieu  l'affujettit  à  ce 
travail  qu'il  n'eût  jamais  connu  >  s'il  avoît  toujours  ignoré  le  ,^ 

mal.  La  terre ,  devenue  rebelle  aux  ordres  du  premier  hom- 
me y  en  punition  de  fa  révolte  contre  Dieu  ,  fe  couvrit  de 
ronces  &  d'épines.  Il  fallut  lui  faire  violence  pour  la  con- 
traindre de  payer  à  l'homme  un  tribut  dont  fon  ingratitude 
Tavoit  rendu  indigne  ^  &  la  forcer ,  par  h  labourage  {b)  ^  à 
lui  fournir  tous  les  ans  une  nourriture  qui  lui  étoit  aupara- 
vant donnée  gratuitement  &  fans  peine. 

Telle  eft  l'origine  de  l'agriculture  qui ,  de  punition  qu'elle 

(tf)  Ut  operaretur  Ulum.  Genef.  II ,  i  ç. 

(^)  Primas  ardtra  manu  folertifecU  Ofiris^ 
Et  terieram  fcrro  follicitavit  humum. 

TibuU,  Lib.  L  Eleg.  S. 

Tome  L  h 


Si  SCIENCE 

étoit  au  commencement ,  efl  devenue  ,  par  un  fihgulîer  Bîen^ 
fait  de  Dieu  ^  comme  la  mère  &  la^  nourricière  du  genre  hu-- 
snain.  Elle  eft  en  effet  la  fource  des  véritables  biens ,  des  ri- 
ehefles  qui  ont  un  prix  rcel  &  qui  font  indépendantes  de  To*- 
pinion  des  hommes.. 

L'art  de  F  Agriculture  s'eft  perfedîonné  comme  tous  les-, 
autres  dont  les  progrès  ont  toujours  été  proportionnés  à  la 
police  des  Etats.  Il  n'eft  à  préfent^fur  la  furfacc  du  globe 
i^e  nous  habitons^^  aucun  terroir  aiTcz  ingrat  y  ou  donc  la 
nature  foitafTezpeu  connue,  pour  être  infru6hieux  entre  les 
mains  d'un  maître  attentif  &  intelligent.  Il  fort  >  pour  ainfi 
dire  ,, du  fein  des   cailloux  &  des  pierres  ,  des  plantes  d'un- 
ufage  univerfel  ;  les  meilleurs  vins  viennent  dans  le  gravier; 
et  le  fàinfoin ,  dans  des  terres  à  peine  capables  de  produire 
du  gazon.  Dans  plufieurs  pays  y  on  fait  même  rapporter  fuc- 
ccffivement  aux  terres  différentes  fortes  de  fruits  ,  fans  qu  ij; 
foît  béfoin  de.  multipliep  les  travaux ,  à  proportion  du  pro- 
duit. 
if^AftdePAr.      Le  foin  de  bâtir  dès  maifons  a  fuivî  de  près  celui  de  cul- 
mcntiiure^tédv  tiveT  lès  ferfes  >  &  rArchîtedure  n*eft  pas  de  beaucoup  ,pof-' 
tiwuildcpuu*     térîcure  à  T Agriculture,  Les  chaleurs  exceflives  de  Tété  ,  les- 
rigueurs  de  Thyver  ,  ^incommodité  des  pluyes  ,  la  violence^ 
des  vents  '  avertirent  bien-tôt  ITiomme  de  fe  procurer  desro: 
tfaîtes  qui  lui  fèrviffent  d'afile  contre  les  injures  de  Tair» 

Ce  n'étôit  d'abord  que  de  fimples  cabanes  ^  conflruite»- 
fôrt  grofliércment  de  branchages  d'arbres  &  affez  mal  couver-- 
tes.  Du  tems  de  Vîtruve  (  j)  >  on  montroit  encore  à  Athe'»«' 
neSi  comme  une  chofe  curieufë  pour  fon  antiquité  ^  les  tCHts^ 
de  r Aréopage  faits  de  terres  grafles  ;  &  à  Rome  ^  dans  Irr 

(tf)  Fîtmv.  Lib.  J.  Cap.  L 


DU    GOUVERNEMENT.        «j 

ITcmple  du  Capicole  ,  la  cabane  de  Romulus  couverte  4e 
çhaume« 

On  vit  enfuite  des  bâtimens  de  bois  ^  qui  donnèrent  Pidée 
tdcs  colonnes  &  des  architraves.  De  jour  en  jour  ^  à  force  de 
travailler  aux  bâtimens  ^  les  ouvriers  deviprent  plus  induf- 
trieux ,  &  leurs  mains  plus  habiles.  Au  lieu  de  ces  frêles  ca« 
;banes  dont  on  s'écoit  d'abord  contenté  j  ils  commencèrent  à 
^élever ,  fur  des  fondemens  folidcs  ^  des  murailles  de  pierre  de 
brique  ;  &  ils  les  couvrirent  de  bois  &  de  tuile.  Leurs  réfle- 
xions 9  fondées  fur  l'expérience  ^  les  conduisent  alors  à  U 
^onnoilfance  des  règles  cenaines  de  la  proportion ,  dont  le 
jgoût  eft  naturel  à  Thomme. 

Ceft  donc  par  degrés  que  TArchitedure  eft  parvenue  à  ce 
point  de  perfedion  où  les  maîtres  de  Part  Tont  conduite*  Elle 
fe  renferma  d'abord  dans  ce  qui  étoit  néceflaîre  à  Thomme 
pour  Tufage  de  la  vie  9  ne  cherchant  dans  les  bâtimens  que 
Ja  folidité ,  la  falubrité  ,  la  commodité.  Elle  travailla  enfuite 
À  Tornement  &  à  la  décoration  des  édifices ,  &  appella  pour 
.cela  d'autres  profeflîons  à  fon  fe<:ours.  Enfin ,  font  venues  U 
pompe  j  la  grandeur ,  la  magnificence^ 

J'ai  déjà  dit  que  l'Ecriture  fainte  avoit  {a)  parlé  d'une  \ille 
bâtie  par  Gain  depuis  fon  fratricide  ;  c'eft  la  première  fois  qu'il 
eft  fait  mention  d'édifices  dans  l'hiftoire.  Par-là  ,  nous  appre- 
nons le  tems  &  le  lieu  où  l'Architeâure  a  pris  fon  origine* 
Les  Defccndans  de  Caïn ,  à  qui  la  même  Ecriture  attribue 
l'invention  de  prefquc  tous  les  arts  ,  portèrent  fans  doute  ce- 
lui-ci à  une  affez  grande  perfeûion.  Ce  qui  eft  certain ,  c^eft 
qu'après  le  déluge  ,  les  hommes ,  avant  que  de  #s  féparer  les 
nns  des  autres  ,  pour  fe  difperfer  en  diflférens  pays  ^  voulu- 

ia)  Gtfief.IV.  17. 


«4  SCIENCE 

rent  fe  fîgnaler  par  un  fuperbe  bâtiment  qui  attira*  encore  fur 
eux  la  colère  de  Dieu.  Il  eft  donc  vrai  que  TAfic  fut  comme^ 
le  berceau  de  rArchitefliure  ;  que  c'eft-là  qu  elle  s'cft  répandue- 
dans  les  autres  parties  de  la  terre. 

Babylonc  &  Ninive  ,  les  plus  vaftes  &  les  plus  magnifi--î 
ques  Villes  dont  il  foit  parlé  dans  THiftoire  facrée  &  pro- 
fane y  furent  Touvrage  de  Nemrod.  Vraifcmblablement ,  elles 
ne  furent  pas  portées  d'abord  à  cette  prodrgieule  magnificence 
qui  fit  depuis  l'admiration  de  l'Univers  ,  mais  elles  ctoient 
fort  grandes  &  fort  étendues  dès-lors  y  comme  le  témoignent 
les  noms  desautres  Villes  (a)  bâties  en  même  tems  fur  le  modèle 
de  la  Capitale. 

La  con{lru£Uon  du  labyrinthe  ,  des  fàmeufcs  pyramides, 
de  ce  nombre  prefque  infini  de  tombeaux  ,  de  Palais  répan- 
dus dans  l'Egypte  y  de  ces  obélifquos  dont  les  ruines  font  en* 
cote  l'étonnemcnt  des^  voyageurs  ,  marque  avec  quelle  ar- 
deur &  avec  quel  fuccès  les  Egyptiens  s'étoient  appliqués  à 
TArchitedlure  ;  mais  après  avoir  lu  tout  ce  qui  acte  écrit  poup 
exciter,  l'admiration  au  fujet  de  ces  ouvrages  fiiperbes  >  on  de-* 
meure  perfuadé  que  la-  plupart  /de  ces  monumens  avoient  au 
moins,  le  défaut  d'^étaler  une  magnificence  abfolument  vaine. 
Ce  ne  font  que  des  fpeftacles  de  luxe  ,  de  vanité  ,  &  de  fo- 
Ke  (&).  Les  grands  Princes  n'ornent  que  ce  qui  eft  utile ,  &  ud 
homme  fenfé  fera  plus  de  cas  de  THôtel  Royal  des  Invalides 
de  Paris  ,  que  de  toutes  les  pyramides  d'Egypte. 

Ce  n^eft  cependant  ni  à  TAfie ,  ni  a  rEgypte ,  que  l'Archî- 
teâure  eft  redevable  de  ce  degré  de  perfeûion  où  elle  eft  par- 
Tenue.  Il  y^  lieu  de  douter  ^  fi  les  bâiimens  renommés  da 

f<2^  Cenef.  X ,  verf.  ii  ,  &  la. 

{^)  Rcgum  pecunia  otioja  acftuUa  ojléntatio.  Plin,  Hift.  Nat...  Lib,  XXX^ 


DUGOUVERNEMENT         8^ 

Tune  &  de  Tautre  croient  autant  eftimablcs  par  la  juftefle 
&  par  la  régularité ,  que  par  l'énorme  grandeur  qui  en  faifoit 
peut-être  le  principal  mérite.  Les  deffeins  que  nous  avons 
des  ruines  de  Perfepolis  ,  font  voir  que  les  Rois  de  Perfe  j 
dont  THiftoire  ancienne  nous  vante  fi  fort  Topulence  ,  n'a- 
voient  à  leurs  gages  que  des  ouvriers  d'une  habileté  médio- 
cre. Quoiqu'il  en  foit  ,  il  paroît  ,  par  les  noms  même  des 
trois  principaux  ordres  qui  compofent  rArchite£ture  ,  que 
*^c*efl  la  Grèce  qui  en  a  prefcrit  Iqs  règles  &  fourni  Iqs  mo- 
dèles« 

Les  mers ,  les  fleuves ,  les  rivières  qui  mettoient  un  grand     ao.  Art  <îe  la 
empêchement  au  commerce,  le  facilitèrent,  dès  que  Part  de  mentinvcnîéd'a- 

1       Ct  /    /    ,/  ,  bord  ,  &  peiicc- 

la  Navigation  eut  etc  découvert.  Les  premiers  peuples  fe  fu- ûonnédcpuu. 
renr  à  peine  formés  ^  qu^ils  eflayerent  de  traverfer  les  rivier 
res  qui  s'oppofoîent  à  leur  parfTage.  Les  hommes  fe  fervirent 
d'abord  de  lîmples  radeaux  ,  avec  lefquels  ils  fe  laifToient 
couler  groflîérement  fur  les  rivières  &  le  long  des  côtes. 
Cette  navigation  lente  &  incommode  fe  faifoit ,  en  fondant 
avec  des  perches  armées  de  fer  la  profondeur  de  Peau  à  cha- 
que inftant  (a).  La  navigation  ayant  par-là  commencé  d*être 
connue ,  bientôt  les  hommes  oferent  tenter  de  s'cxpofcr  à  la 
fortune  des  mers  (  &  ) ,  &  ils  en  vinrent ,  par  fucceffion  de 
tems ,  à  les  parcourir ,  à  fonder  des  colonies  fur  leurs  rivages  , 
à  y  bâtir  des  villes ,  à  leur  donner  des  Loix.  La  célèbre  ville 
de  Tyr ,  prife  &  faccagée  par  Alexandre ,  fe  vantoit  d'avoir 
la  première  inventé  la  Navigation ,  &  enfeigné  aux  hommes 
Part  d'affronter  les  vagues  &  les  tempêtes  >  par  le  fccours 
d'un  frêle  vaifïeau  j  &  le  Poète  Latin  donne  un  cœur  de 

(a)  Fejius. 

(b)  Si  ncmo  plus  tffiscijfet  eo  qwm  fiqiubatur  ^  ratibus  adhuc  nayi§€rcmusu  QuintU^. 


S6  SCIENCE 

bronze  à  Thomme  audacieux  qui  s'abandonna  le  premier  a  la 
merci  des  flots  (a).  Lqs  routes  de  ces  premiers  Navigateurs 
font  peu  connues  j  parce  qu  ils  n'ont  eu  pour  Hiftoriens  que 
des  Poètes  qui  ont  converti  en  merveilles  inutiles ,  des  na- 
vigations dont  le  détail  le  plus  fimple  feroit  aujourd'hui  in- 
finiment précieux.  Nous  trouvons  dans  THiftoire  Grecque  .& 
Romaine  des  détails  d'expéditions  maritimes  aflcz  bien  cir- 
conftanciés  ;  mais  l'idée  que  les  anciens  nous  donnent  de 
leur  marine ,  efl  fi  obfcure  ,  qu  il  faut  deviner  aujourd'hui  juf-^ 
gu'à  la  forme  de  leurs  vaiffeaux ,  &  que  Ton  n'eft  pas  même 
d'accord  fur  la  fimple  difpofition  de  leur«  rames- 

La  Navigation  a  eu  des  fuccès  merveilleux.  La  marine  des 
peuples  modernes  çft  fort  fupérieure  à  celle  des  anciens^  C'eft 
la  fcience  que  nous  avons  le  plus  perfeûionnée. 

Les  Anciens  qui  n'avoient  ^fiShh  bouITole ,  ne  pouvoient 
guères  naviguer  que  le  long  des  côtes.  Auflî  ne  fe  fervoient- 
îls  que  de  bâtimens  à  rames ,  petits  &  plats^  Prefque  toutes 
les  rades  étoient  pour  eux  des  ports.  La  manœuvre  des  Pi<- 
lotes  étoit  très  -  peu  de  chofe ,  &  leur  art  fi  imparfait , 
qu'ils  ne  faifoient  pas  avec  mille  rames  ce  qu'on  fait  à  pré»» 
fent  avec  cent.  Les  grands  vaiffeaux  >  aujourd'hui  fi  utiles  , 
létoient  alors  défavantageux  ,  en  ce  qu'étant  difficilement  mus 
par  la  chlourme  ^  ils  ne  pouvoient  pas  faire  les  évolutions  né" 
cefTaires.  Antoine  en  fit  à  A£lium  une  funefle  expérience* 
Ses  navires  ne  pouvoient  fe  remuer ,  pendant  que  ceux  d*Auf 
gufle  plus  légers  les  attaquoient  de  tous  les  côtés.  Les  vaif^ 
(eaux  étant  à  rames  ^  les  plus  légers  brifoient  aifément  les 

(tf)  im  rohitr  6»  éts  triplex 
firca  pcéius  crat ,  quifragUem  truci 

Commifit  pclagp  ratent.  Horat.  Od* 


DU    GOUVERNEMENT.        87 

Jïmes  des  plus  grands,  qui  devenoient  les  machines  immo- 
biles ,  comme  font  nos  vaifleaux  démâtés. 

Depuis  Tinvention  de  la  bouflble  ^on  a  changé  de  manière, 
on  a  quitté  Tufage  des  rames  ,  on  s'éft  éloigné  des  côtes ,  on  a 
conftruit  de  gros  vaifleaux  ,  la  machine  eft  devenue  plus  corn- 
pofée  ,  &  les  manœuvres  fe  font  multipliées  ;  &  en  cela ,  Ton 
lieut  juger  de  Timperfcdion  de  la  marine  des  Anciens,  puifque 
nous  avons  abandonné  une  pratique  >  dans  laquelle  nous  aurions 
tant  de  fupériorité  fur  eux. 

L'invention  même  de  la  poudre  ,  qqi  fembloit  devoir  rcn*^ 
dre  Tart  moins  néceflaire ,  a  plus  que  jamais  fait  confifler  la 
force  des  armées  navales  dans  l'art.  Pour  réfifter  à  la  violence 
du  canon  >  &  pour  ne  pas  effuyer  un  feu  fupérieur  >  il  a  fallu 
conftruire  de  gros  navires  ,  &  proportionner  la  puiiTance  de 
Part  à  la  grandeur  de  la  machine.  Les  petits  vaifleaux  des  An-- 
ciens  alloient  d'abord  à  Tabordage  ;  on  mettoit  fur  une  flotte 
toute  une  grande  armée  de  terrre ,  &  les  foldats  décidoient 
pendant  que  les  matelots  étoicnt  prefque  inutiles.  Aujourd'hui 
les  foldats  fervent  peu ,  ce  font  les  gens  de  Tart  qui  décident 
prefque  entièrement. 
-  La  viâx>ire  que  gagna  te  Conful  Dùillius  efl:  une  grande 
preuve  de  la  différence  de  la  marine  des  Anciens  &  de  la' 
nôtre.  Les  Romains  n'avoient  aucune  connoiflainre  fur  la  Na-- 
Vigation ,  un  vaifleau  Carthaginois  échoua  fur  leurs  côtes  >  il  y 
leur  fervit  de   modèle.     En  trois  mois  les  matelots  furent 
drefles,  leur  flotte  fut  conftruit^  &  équipée^  elle  mit  à  la 
mer ,  trouva  Tarmée  navale  des  Carthaginois  y  &  la  battit* 
Aujourd'hui ,  la  vie  d'un  Prince  fufiit  à  peine  pour  former 
une  armée  navale  capable  de  paroître  devant  ^une  Puiflfance 
i)ul  a  déjà  TEmpire  de  la  mer^  Ceft  peut-être  la  feule  chofe 


88  SCIENCE 

que  l'argent  ne  fçauroit  faire.  Le  feu  Roî,  il  eft  vraî>  réuffîc 
dans  fort  peu  d'années ,  mais  cet  exemple  eft  unique.  Ni  le 
Czar  Pierre  Premier  ,  qui  a  fait  de  fi  grandes  chofes  dans  le 
commencement  de  ce  fiecle ,  nifes  fucccffeurs  »  n'ont  pu  jufqu'à 
préfent  former  une  bonne  marine,  UEfpagne  Ta  entrepris  plu*- 
fieurs  fois  inutilement, 

La  réputation  des  Egyptiens ,  le  degré  de  puiflance  où 
parvinrent  tout  d'un  coup  les  Phéniciens  ,  la  magnificence  de 
Salomon  ,  &  la  prodigieufe  quantité  d'or  qu'il  raflembla  ,  le' 
luxe  &  la  fierté  de  Canhage ,  laccompliffement  de  la  puiflance 
Romaine ,  la  décadence  de  l'Empire  d'Orient ,  &  le  mépris  & 
la  fervitude  où  tombèrent  peu  à  peu  les  Grecs ,  &  tant  d'autres 
grands  événemens  n'ont  été  parmi  les  Anciens  que  les  tScts 
d'une  marine  cultivée  dififcremment. 

Section    IV. 

Multitude  de  Loix  y  dHUfages  6*  de  Droits  cliei  toutes  les  Na^ 
tions  ;  inégalités  dans  les  conditions  des  hommes  ^  &•  biens  qus 
leur  procure  le  Gouvernement  Civil 

ai.  Quelles  font.    Lcs  Loîx  les  plus  célébres  de  Tantlquîté  font  celles  de 

les  Loix  les  plus  *  * 

célèbres  de  laii-  Lvcurgue  )  de  Dracon  •  deSolon  ,  des  douze  Tables. 

oquité^ôc  les  plqs        /  O        ^  y  ^ 

Êimeufes  des  fié-      £)ans  les  tcms  moins  éloignés ,  les  Loix  fameufes  font  les 

.ele%  mous  reçu-  O  ' 

^  Loix  des  Angliens  ,  Wermes  ou  Thuvingiens  ;  la  Loi  des 

Allemands  ;  les  Loix  Angloifes  î  la  Loi  des  Boyens  ou  Bava- 
rois ;  les  Loix  Bourguignones  ;  la  Loi  des  Danois  ou  Nor- 
végiens ;  les  Loix  des  Francs  j  celles  des  Frifons  ;  les  Loîx 
Gothiques  s  celles  des  Lombards  ;  la  Loix  Mariane  ou  des  Mur* 
ciens  i  la  L<ji  Molionitine ,  la  Loi  d'Oleron ,  les  Loix  Rî^ 
puaires  ;  la  Loi  Salique;  la  Loi  des  Saxons  ^  des  Scots  ou 

des 


DU    GOUVERNEMENT. 
des  Ecoffois,  des  Siciliens ,  des  Vifigoths,  la  Loi  Gombette. 

La  Loi  Gombette  étoit  dans  Tancien  Royaume  de  Bour- 
gogne ce  qu'étoit  la  Loi  Salique  parmi  les  Francs,  elle  fut 
ainfi  appellée  de  Gombaut ,  mot  abrégé  de  Gondebaut  Roi 
de  Bourgogne.  Cefl  en  effet  Gondebaut  qui  la  porta  au  com- 
mencement du  fixicme  fiécle  ;  elle  fut  exécutée  dans  la  Bour- 
gogne ,  devenue  Province  de  France ,  &  maintenue  par  les 
Rois  François  qui  y  commandèrent ,  comme  les  Loix  Ro- 
maines fubfifterent  dans  le  pays  où  les  Rois  Vifigoths  avoient 
régné  &  dont  il  furent  chaiïes»  ^ 

Les  Loix  Ripuaircs  (a)  durent  leur  origine  ,  comme  plu- 
fieurs  le  penfent,à  Thcodoric  fils  de  Clovis  ;  le  nom  de 
Ripuaires  a  été  donné  à  ces  peuples  qui  habitoient  entre  le 
Rhin ,  la  Mofelle  &  la  Meufe  ,  &  fur  le  bord  de  ces  fleuves* 
Quelques  Auteurs  croyent  que  les  Ripuaires  font  les  anciens 
Francs ,  ainfi  nommés  parce  qu'ils  habitoient  les  rivages  du 
Sol  &  du  Main.  D'autres  difent  enfin  qu'on  appelloit  ainfi 
les  peuples  qui  habitoient  en  deçà  derrière  du  Rhin  de  TEf- 
caut  &  de  la  Meufe. 

Aucun  peuple  n'a  été  renommé  par  fes  Loix  que  les  Lom« 
bards  ,  qui  fondèrent  en  Italie  (i)  une  puiflante  Monarchie 
que  Charlcmagne  détruifit  (c).  Les  Loix  Lombardes  étoient 
équitables^  claires  &  précifes  ,&  elles  furent  toujours  exac- 
tement exécutées  p^  les  Rois  &  par  les  fujets.  C'eft  Rothe- 
ric ,  Roi  des  liombards ,  Arien ,  Prince  jufte  ,  d*une  pru- 
dence confommée  &  d'une  valeur  extraordinaire  ^  qui  le  pre- 
mier donna  des  Loix  écrites  aux  Lombards  (/).  Ses  fucceC- 

(a)  Ripuarius  à  ripa  y  tlyc  y  bord  d^unttïyïcTe. 
(i)  En  f6B  y  fous  leur  chef  Alboin. 

(c)  En  774 ,  qui  eft  l'année  que  Charlemagne  prît  Didier ,  Roi  Lombard»  qu*jl 
emmena  en  France» 

Cl)  V.n  66.^,  ■  . 


jo  SCIENCE 

leurs  rimîterent ,  &  de  leurs  Edits  fe  forma  înfenfiblement 
un  volume  qu'on  appella  les  Loix  Lombardes.  Les  droits  des 
fiefs  en  lulie  prirent  naiifance  dans  ces  Loix  que  quelques 
Villes  de  cette  belle  région  ^  &  principalement  le  Royaume 
de  Naples ,  fuivent  encore  aujourd'hui  préférablement  aux 
Loix  Romaines  ;  on  en  a  même  inféré  quelques-unes  dans  le 
Droit  canonique.  C'eft  vers  la  fin  du  quinzième  fiécle  que  le 
Droit  féodal  des  Lombards  s'introduifit  en  Allemagne  ;  & 
depuis  ce  tems-làîl  a  été  regarde  dans  le  Corps  Germanique 
comme  un  Droit  coûtumier  pour  les  Fiefs. 

Aujourd'hui  les  Souverains  font  les  feuls  Légiflateurs  de 

leurs  Etats,  &  chaque  Prince  fait  ou  abroge  les  Loix ,  adopte 

des  Loix  étrangères  ^  ou  en  donne  à  fes  peuples  y  qui  leur 

font  propres. 

34.  Lcf  divers     Les  terres  ne  font  pas  propres  aux  mêmes  chofes,  tous 

peuples  n*om  eu  ia  .1..  , 

fii  Ici  mêmes  oc- les  climats  ne  donncnt  pas  les  mêmes  mchnations,  &  les 

•upaiions  ni  les  *  * 

"viiTe'Sdwcr*  P^^P'^s  tfcurent  auffi  ni  les  mêmes  occupations  ni  les  mêmes 
def"ommcV'°&  ^^œurs.  Lcs  uns  s^adonnerent  à  Tagriculture  ;  les  autres  ,  à 
ToLdoïTttTriî^  1^  navigation  &  au  commerce  ;  d*autres ,  aux  armes  ou  à  Té- 
uri^lTqîv^^t^  ^^àQ.  Quélques-i  ns  furent  groffiers  &  fidèles ,  quelques  au- 
aesLois  civiles,  ttes  fubtils  &  trorr^curs  ;  il  y  en  eût  de  vaillans  &  d'orgueil* 

qui  ibriHtm  au-  r  '        /  «? 

jUird'hui  un  af.  leux  ;  il  y. en  eut  d'efféminés  &  de  pareffeux.  Ilfiit  néceflfaire 

lembUge  irrégu-  '        *  ^^  r 

-SSLïïtout****  4^  chaque  nation  eût  des  Loix  propres ,  ou  pour  régler  les 
occupations  aufquelles  elle  fe  livroit ,  ou  pour  réprimer  les 
vices  pour  fefquels  elle  âvoit  pîus  de  penchant. 

Parmi  les  particuliers ,  Pun ,  fenfible  à  ta  joie  de  la  naifTance 
d'un  premier  fils,  fongea  à  le  diflinguer  de  fes  frères ^  par 
ime  portion  plus  confîdérable  dans  fes  biens  ^  8c  par  uneaUf 
torité  plus  grande  dans  fa  famille  ;  un  autre,  attentif  aux 
térêts  d'une  fille  tendrement  aimée  qu'il  vouloit  établir  ^s*oc- 


DU    GOUVERNEMENT.        87 

james  des  plus  grands ,  qui  devenoîent  les  machines  immo- 
biles ,  comme  font  nos  vaifleaux  démâtés. 

Depuis  rinvention  de  la  bouflble  ^on  a  changé  de  manière, 
on  a  quitté  lufage  des  rames  y,  on  s'éft  éloigné  des  côtes,  on  a 
conftruit  de  gros  vaifleaux  ,  la  machine  cft  devenue  plus  corn- 
pofée  ,  &  les  manœuvres  fe  font  multipliées  ;  &  en  cela ,  Ton 
peut  juger  de  Timperfcdion  de  la  marine  des  Anciens,  puifque 
nous  avons  abandonné  une  pratique  y  dans  laquelle  nous  aurions 
tant  de  fupériorité  fur  eux. 

L'invention  même  de  la  poud^re  ,  qui  {embloit  devoir  rcn*^ 
dre  Part  moins  néceflaire ,  a  plus  que  jamais  fait  confifter  la 
force  des  armées  navales  dans  l'art.  Pour  réfifter  à  la  violence 
du  canon,  &  pour  ne  pas  effuyer  un  feu  fapérieur\,  il  a  fallu 
conftruire  de  gros  navires ,  &  proportionner  la  puifTance  de 
Tart  à  la  grandeur  de  la  machine.  Les  petits  vaifleaux  des  An-^- 
dens  alloient  d'abord  à  Tabordage  ;  on  mettoit  fur  une  flotte 
toute  une  grande  armée  de  terrre ,  &  les  foldats  décidoient 
pendant  que  les  matelots  étoicnt  prefque  inutiles.  Aujourd'hui 
les  foldats  fervent  peu ,  ce  font  les  gens  de  l'art  qMÎ  décident 
prefque  entièrement. 
•  La  viâoire  que  gagna  le  Conful  Duillius  efl:  une  grande 
preuve  de  la  diflerence  de  la  marine  des  Anciens  Se  de  la' 
nôtre.  Les  Romains  n'avoient  aucune  connoiflance  fur  la  Na-- 
Vigation  y  un  vaifleau  Carthaginois  échoua  fur  leurs  côtes  y  il 
leur  fervit  de  modèle.  En  trois  mois  les  matelots  furent 
drefles,  leur  flotte  fut  conftruitc  &  équipée^  elle  mit  à  la 
mer  y  trouva  l'armée  navale  des  Carthaginois  >  &  la  battit» 
Aujourd'hui ,  la  vie  d'un  Prince  fufiit  à  peine  pour  former 
une  armée  navale  capable  de  paroître  devant  ^une  Puiflfance 
i)jil  a  déjà  TEmpire  de  la  mer^  Ceft  peut-être  la  feule  chofe 


jo  SCIENCE 

feurs  riiiiîterent ,  &  de  leurs  Edits  fe  forma  înfenfiblement 
un  volume  qu'on  appella  les  Loix  Lombardes.  Les  droits  des 
fiefs  en  Itdie  prirent  naiifance  dans  ces  Loix  que  quelques 
Villes  de  cette  belle  région  ,  &  principalement  le  Royaume 
de  Naples ,  fuivent  encore  aujourd*liui  préférablement  aux 
Loix  Romaines  ;  on  en  a  même  inféré  quelques-unes  dans  le 
Droit  canonique.  Ceft  vers  la  fin  du  quinzième  fiécle  que  le 
Droit  féodal  des  Lombards  s'introduifit  en  Allemagne  ;  & 
depuis  ce  tems-làil  a  été  regarde  dans  le  Corps  Germanique 
comme  un  Droit  coûtumier  pour  les  Fiefs. 

Aujourd'hui  les  Souverains  font  les  feuls  Légiflateurs  de 

leurs  Etats,  &  chaque  Prince  fait  ou  abroge  les  Loix ,  adopte 

des  Loix  étrangères  ^  ou  en  donne  à  fes  peuples  y  qui  leur 

font  propres. 

,4.  Lcfdîvcrt     Les  terres  ne  font  pas  propres  aux  mêmes  chofes,  tous 

peuples  n*oiu  eu  1  a 

fii  icf  mêmes  oc- les  cumats  ne  donnent  pas  les  mêmes  inclinations,  &  les 

•upations  ni  les  *  *  ^ 

^TltT^l^Ê-  P^^P^^^  n'eurent  aufli  ni  les  mêmes  occupations  ni  les  mêmes 
£s"ommeV'°&  ^o^uts.  Lcs  uns  s^adonncrcnt  à  Tagriculture  ;  les  autres  ,  à 
ToLdoSlTr"  la  navigation  &  au  commerce  ;  d'autres ,  aux  armes  ou  à  Té- 
u^?rqi?ctt^  tude.  Quèlques-i  ns  furent  groffiers  &  fidèles ,  quelques  au* 
aesLoix  civiles,  trcs  fubtils  &  tronr: peurs  ;  il  y  en  eût  de  vaillans  &  d'orgueil* 

qui  ibr.mni  au- ■  1:  ^        /  ^    «? 

jourd'hui  un  af.  leux  ;  il  v  en  eut  d'efféminés  &  de  parefTeux.  Il  fut  néceffaire 
•SSIiCTiLt'***^^  chaque  nation  eût  des  Loix  propres ,  ou  pour  régler  les 
occupations  aufquellçs  elle  fe  livroit ,  ou  pour  réprimer  les 
vices  pour  fefquels  elle  âvôit  plus  de  penchant. 

Parmi  les  particuliers,  Tun ,  fenfîble  à  ta  ^oie  de  h  naifTance 
d'un  premier  fils ,  fongea  à  le  diflinguer  de  fes  frères ,  par 
âme  portion  plus  confidérable  dans  fes  biens ,  8c  par  une  au* 
torité  plus  grande  dans  fa  famille  ;  un  autre,  attentif  aux  in- 
térêts d'une  fille  tendrement  aimée  qu'il  vouloit  établir  ^s'oc- 


DU    GOUVERNEMENT-        ^i 

cupa  du  foin  d'augmenter  les  droits.  Uabandon  d^uneépoufe 
chérie  qui  pou  voit  devenir  veuve  ^  toucha  davantage  un  troî- 
fiéme  ;  &  il  pourvût  de  loin  à  (a  fubfiftance  Se  au  repos  d'une 
perfonne  qui  faifoit  le  bonheur  de  fa  vie.  De  ces  différentes 
vues  &  d'autres  pareilles  y  font  nées  diverfes  Coutumes.  Les 
Loix  pour  la  confervation  des  biens  des  Mineurs^  les  fubfli*^ 
tutions  ,  les  Droits  féodaux ,  les  fervitudes  des  terres ,  tous 
CCS  ùfages  doivent  leur  naiffance  à  des  vues  ou  a  des  circonf^ 
tances  particulières. 

Les  mœurs  ont  changé  ^  &  dans  quelques  Etats  ,  les  Loix 
font  demeurées  les  mêmes.  En  d'autres  pays  ^  dont  les  fron- 
tières ont  été  ou  rapprochées  ou  reculées  ^  les  révolutions 
dans  l'Etat  en  ont  produit  dans  les  Loix.  Prefqu'en  tous  ^ 
on  a  adopté  des  Loix  étrangères.  La  fîtuation  d'un  pays  y 
les  révolutions  qui  y  font  arrivées  ,  les  changemens  dans  la 
conftitution  de  l'Etat ,  les  divers  befoins  ont  varié  les  Loix 
&  les  Coutumes  à  l'infini  ;  &  tout  cela  a  fait  avec  le  tems  un 
affemblage  irrégulier  &  une  lifte  trop  nombreufe  de  Statuts  > 
d^'Ordonnances  &  de  Reglemens.  Il  en  eft  de  la  plupart  des 
Loix  civiles  introduites  dans  les  divers  Etats  de  l'Europe  ^ 
comme  de  ces  grands  bâtimens  élevés,  à  différentes  reprifes  ^ 
fur  les  ruines  de  plufieurs  petites  maifons.  Les  mœurs  &  les 
ufages  des  Provinces  &  des  Royaumes  ^  ont  fervi  de  fonde- 
ment à  l'édifiice  des  Loix  ;  &  les  Grecs  &  les  Romains  ont 
fourni  la  plupart  des  matériaux  dont  chaque  Jurifconfulte  a 
fait  une  difpofition  particulière.  Tout  le  corps ,  affujetti  tour 
à  tour  à  différentes  idées ,  &  gêné  d'ailleurs  par  les  fonde- 
mens  placés  d'une  manière  bifarre  ^  eft  devenu  informe  & 
fcmblable  à  un  labyrinthe  qui  n'offre  d'ordinaire  que  des 
routes  obfcures ,  où  il  n'eft  pas  aifé  de  marcher  fans  rifquer 
de  s'égarer.  M  ij 


.^2  SCIENCE 

Il  ne  faut  porter  qu'une  main  tremblante  aux  grands  chan- 
gemens  ;  mais  les  Princes  habiles  faififfent  des  circoijftances 
favorables  pour  fimplificr  les  Loix,  &  s'en  faire  de  propres, 
accommodées  aux  mœurs  préfentes  >  à  la  forme  de  Gouver- 
nement ,  &  aux  befoins  des  peuples.  Cette  grande  entreprife, 
commencée  en  France,  en  Piémont,  &  enPruffe,  fera  vrai- 
femblablemènt  portée  un  jour  plus  loin  dans  tous  les  Etats. 
îç.Hiftoîredtt     Ici ,  je  dois  quelques  détails  au  Leâeur  fur  les  Loix  Ro- 
dJ'^DioTFiV  maincs  fie  fur  les  Loix  Franççifcs  ;  de  celles-là,  parce  qu'el- 
^'*'  les  font  célèbres  dans  toute  TEurope  8c  fuivies  prefque  par- 

tout} de  celles-ci,  parce  qu'elles  nous  intér^rUent  paràcu- 
lierement.  L'hiftoire  des  unes  8c  des  autres  doit  d'ailleurs 
trouver  fa  place  dans  les  récits  que  je  fuis  cbligé  de  tracer. 
îé.Muitipiîdté'     La  multiplicité  des  Loix  Romaines  eft  bien  moins  une 
«M^dîsuixdSSl  preuve  de  la  félicite  ,  que  des  malheurs  du  Gouvernement 
Romïntr*  "^*  Romain.  Pour  connoître  l'origine  de  ces  Loix  ,  &  pour  en 
avoir  une  idée  générale ,  écoutons  d'abord  ce  qu'en  rapporte 
un  Hillorien  célèbre ,  qui  ne  poùvoit  point  n'en  être  pas 
inftruît. 

'>  Les  premiers  hommes  [  dit  cet  Hiftorien  ]  vivant  fans 

y>  ambition  &  fans  en  vie,  n'avoient  que  faire  de  Loix  ni  de 

>>.Magifl:rats  pour  erre  contenus  dans  le  devoir,  ils  fe  por- 

»  toient  naturellement  au  bien,  &  n'avoient  pas  befoin  d'y 

"  »  être  excités  par  des  réccmpenfes.  Comme  ils  ne  defiroient 

»  rien  qui  ne  fut  permis ,  rien  ne  leur  étoit  défendu  ;  mais  à 

»  la  fin  l'égalité  étant  bannie ,  l'orgueil  &  la  violence  prirent 

,      »  la  place  de  h  modcftie  &  de  la  pudeur.  Il  s'éleva  des  Em- 

"»  pires ,  dont  quelques-^oins  durèrent  plufieurs  fiécles.  Ily  eut 

*  »  des  peuples  qui  aimèrent  mieux  d'abord  le  Gouvernement 

»  des  Loix ,  ou  qui  y  curent  recours  après  une  longne  domî- 


DU    GOUVERNEMENT.        ^3 

»  nation.  Elles  écoienc  fimples  au  commencement  ^  &  fem« 

»  blâbles  à  celles  que  la  renommée  a  rendues  célèbres  y  com- 

»  me  les  Loix  de  Crète  9  de  Sparte  ^  d'Athènes ,  établies  par 

»  Minos^  par  Lycurgue  &  par  Solon  ;  celles-ci  néanmoins 

»  étoient  plus  fubtiles  &  en  plus  grand  nombre.  Rome  ^  foui 

»  le  Gouvernement  de  Romulus,  n'eut  point  d*autres  Loix 

1^  que  la  volonté  du  Prince.  Numa  en  établit  pour  la  Reli- 

»  gion.  Tullus  &  Ancus  firent  quelques  Reglemens  politi- 

»  ques  ;  mais  notre  grand  Légiflateur  eft  Servius  Tullius  ^ 

»  qui  foumit  même  le  Prince  à  fes  Loix.  Depuis  le  bannifle- 

>>  ment  des  Tarquins  ^  le  peuple  en  inventa  quelques-unes 

»  pour  fe  défendre  de  Toppreffion  des  Grands ,  &  maintenir 

»  la  concorde  &  la  liberté.  Enfuite  les  Decemvirs  furent 

*>  créés  &  les  différentes  Loix  de  la  Grèce  compilées.  On  en 

»  compofa  douze  tables ,  &  ce  fut  la  fin  des  bpnnes  Loix  ^ 

»  car  )  quoiqu'on  ait  fait  depuis  quelques  Reglemens  ^  à  me- 

9>  furc  que  les  vices  qu'ils  dévoient  réformer ,  fc  font  mani- 

»  feflcs  9  la  plupart  ont  été  fruits  des  diffenfions  du  peuple 

3>  &  du  Sénat ,  ou  même  ont  été  faites  pour  Tétabliflement 

»  violent  de  quelques  perfonnes  dans  les  dignités  ou  pour  le 

»  baniflfement  de  quelques  têtes  illuftres ,  &  par  d'autres  Re- 

»  glemens  femblables.  De-là  ont  pris  naififance  les  Loix  fér 

»  ditieufes  de  Gracchus  &  de  Saturninus  y  &  les  largeffes  de 

»  Drufus  au  nom  du  Sénat  9  après  avoir  corrompu  les  uns  par 

»  d'ambitieufes  efpérances  ^  &  arrêté  les  autres  par  Toppofi- 

»  tion  des  Magiftrats.  D'abord  les  guerres  dltalie  &  enfuîte 

»  les  guerres  civiles  produifirent  diverfes  Ordonnances  qui 

»  fe  détruifoient  réciproquement  ;  mais  à  la  fin  le  Diélateur 

»  Sylla  changea  ou  abolit  les  précédentes ,  afin  d'établir  les 

»  ficnnes.  Elles  ne  furent  pas  d'une  plus  longue  durée  ^  quoi* 


j>4  SCIENCE 

»  qu*elles  fuflent  en  plus  grand  nombre,  car  auffitôt  le  peu- 
n  pie  fiit  agité  comme  auparavant  par  les  Loix  turbulentes 
»  de  Lepîdus  &  par  la  licence  effrénée  des  Tribuns.  Ce  ne 
1^  furent  depuis  que  nouveaux  Reglemens  fur  chaque  crime, 
•>  fe  la  République  étant  corrompue ,  le  nombre  des  Loix^ 
i>  devint  infini.  Enfin  Pompée,  éiûpour  Réformateur  des 
»  mœurs ,  après  avoir  înv«ité  pendant  fon  troifiéme  Confu-- 
•>  lat ,  des  remèdes  pires  que  les  maux ,  &  changé  diverfes 
»  fois  les  premiers  établiffemens ,  perdit  par  les  armes  ce  qu'il 
n  avoit  confervé  avec  les  armes ,  &  vit  périr  fes  Loix  avec 
»  lui.  Enfuite ,  pendant  Tefpace  de  vingt-cinq  ans  que  du- 
»  rerent  les  guerres  civiles ,  il  n'y  eut  ni  Droit  ni  Coutume, 
»  les  vices  fiircnt  autorifés  publiquement  &  pluficurs  bonnes 
»  aftions  condamnées.  Mais  Augufte  voyant  dans  fon  fi* 
•  xiéme  Corfulat  fa  domination  établie ,  abolit  les  Loix  qu  il 
»  âvoit  faîtes  pendant  une  puiflanceillcgitimejil  nousen  donna 
»  d'autres  pour  vivre  en  paix  fous  fon  Empire  ;  &  curieux  de 
»  les  faire  obferver ,  il  invita  les  déclamateùrs  par  des  ré* 
»>  compenfes.  Parmi  ces  Loix ,  il  établit  celle  du  mariage  qui 
»  donnoit  au  peuple  Romain  ,  comme  à  un  père  commun  , 
»  les  legs  qu*on  faifoit  à  ceux  qui  n'avoient  point  d'enfans  j 
»  mais  cela  alloit  plus  avant ,  &  troubloit  toute  ritalie&  les 
a>  Provinces  ;  plufieurs  familles  en  étoient  ruinées ,  &  tout  le 
»  monde  étoit  épouvanté ,  lorfque  Tibère ,  jaloux  du  repos 
»  de  TEmpire  fous  fon  règne ,  abandonna  au  fort  la  nomî» 
j>  nation  de  vingt  Sénateurs  ,  dont  cinq  étoient  Prétoriens 
»  &  cinq  Confulaires ,  par  le  foin  defquels  plufieurs  articles 
i>  de  là  Loi  forent  adoucis ,  &  la  République  foulagée  pour 
>>  quelque  tcms  (^)  »• 

C*)Tacit.hiil.L5. 


DU    GOUVERNEMENT.        55 

Ce  portrait  n'eft  pas  avantageux  ;  mais  de  cette  idée  gé- 
nérale ,  defccndons  dans  le  détail. 

La  puiflance  Légiflative  a  dû  nécefTairement  exifter  avant   ^r-Romenair- 
les  Loix.  Rome  naiilante  n'eût  point  de  Loix  fixes  ^  elle  treJregi^ quc"â 
n'eût  d'autres  règles  que  la  volonté  de  fes  Princes,  Les  Rois  ^^"* 
de  Rome  prononçoient  ce  qu'ils  eftimoient  jufte  fur  chaque 
cas  qui  fe  prcfentoit  (a).  Auffi  les  anciens  Hifloriens  (^) 
ont-ils  obfervé  que  dans  les  premiers  tems  j  la  Loi  n'ctoit 
que  le  jugement  prononcé  par  le  Souverain  ;  mais,  peu  à  peu 
il  fe  forma  des  Coutumes  à  Rome  ^  &  cette  Ville  eût  auffi 
des  Loix  écrites. 

Romulus  fit  des  Loix  fur  la  puiflance  paternelle,  fur  les 
mariages ,  &  fur  la  manière  dont  les  Patrons  doivent  traiter 
leurs  cliens. 

Numa  jetta  les  fondemens  du  Droit  que  les  Romains  dé- 
voient obferver  avec  les  nations  voifines  ;  il  fit  des  Règle- 
mens  fur  les  cérémonies  de  la  Religion  ^  fur  les  funérailles  ^ 
&  fur  les  bornes  des  terres  ;  &  il  en  publia  d'autres  pour  faire 
régner  la  frugalité  &  la  tempérance ,  &  pour  infpirer  Ta- 
mour  de  la  juftice. 

Les  trois  Rois  fuccefleurs  de  Numa  publièrent  peu  de 
Loix.  Le  règne  guerrier  de  Tullus  Hoftilius  fit  même  né- 
gliger plufîeurs  de  celles  qui  avoient  été  faites  ;  mais  Ancus 
Martius ,  marchant  fur  les  traces  de  Numa,  rétablit  les  Loix 
fur  la  culture  des  terres ,  &  blâma  avec  févérité ,  comme 
mauvais  Citoyens ,  les  perfonnes  qui  les  négligeoient.  Il  fit 
graver  ces  Loix  fur  des  tables  ,  &  les  expofa  dans  la  place 
publique  ,  afin  que  chacun  pût  les  lire. 

•  (  fl  )  Inith  cmtatis  noJlr£  populus  ^Jine  Lege  cm  A  y  fine  Jure  certo  >  prbnum  agere 
injihuitj  omnia  que  manu  à  Regibus  gubernahmiuT.  h^n2^  i*  i»ff.  de  Origvu  Jun 
(A)  Juilinl.  I.  Denis  d'Halicanaflè  1.101 


j>4  SCIENCE 

»  qu*elles  fuflent  en  plus  grand  nombre,  car  auffitôt  le  peu- 
»  pie  fiit  agité  comme  auparavant  par  les  Loix  turbulentes 
»  de  Lepidus  &  par  la  licence  effrénée  des  Tribuns.  Ce  ne 
1^  furent  depuis  que  nouveaux  Reglemens  fur  chaque  crime, 
•>  fe  la  République  étant  corrompue  y  le  nombre  des  Loix^ 
i>  devint  infini.  Enfin  Pompée ,  éiû  pour  Réformateur  des 
»  mœurs ,  après  avoir  inventé  pendant  fon  troifiéme  Confu-- 
•>  lat  j  des  remèdes  pires  que  les  maux ,  &  changé  diverfes 
B  fois  les  premiers  établiffemens ,  perdit  par  les  armes  ce  qu'il 
M  avoit  confervé  avec  les  armes ,  &  vit  périr  fes  Loix  avec 
»  lui.  Enfuite ,  pendant  Tefpace  de  vingt-cinq  ans  que  du- 
»  rerent  les  guerres  civiles ,  il  n'y  eut  ni  Droit  ni  Coutume, 
»  les  vices  fiircnt  autorifés  publiquement  &  pluficurs  bonnes 
»  aftions  condamnées.  Mais  Augufte  voyant  dans  fon  fi* 
•  xiéme  Corfulat  fa  domination  établie ,  abolit  les  Loix  qu'il 
»  avoit  faites  pendant  une  puiflance  illcgitimejil  nous  en  donna 
i>  d'autres  pour  vivre  en  paix  fous  fon  Empire  ;  &  curieux  de 
»>  les  faire  obferver ,  il  invita  les  déclamateùrs  par  des  ré* 
j>  compenfes.  Parmi  ces  Loix ,  il  établit  celle  du  mariage  qui 
a»  donnoit  au  peuple  Romain  ,  comme  à  un  père  commun  , 
»  les  legs  qu*on  faifoit  à  ceux  qui  n'avoient  point  d'enfans  j 
»  mais  cela  alloit  plus  avant,  &  troubloit  toute  l'Italie  &  les 
a>  Provinces  ;  plufieurs  familles  en  étoient  ruinées ,  &  tout  le 
»  monde  étoit  épouvanté ,  lorfque  Tibère ,  jaloux  du  repos 
»  de  l'Empire  fous  fon  règne ,  abandonna  au  fort  la  nomi* 
j>  nation  de  vingt  Sénateurs  ,  dont  cinq  étoient  Prétoriens 
i>  &  cinq  Confulaires ,  par  le  foin  defqucls  plufieurs  articles 
7}  de  là  Loi  forent  adoucis ,  &  la  République  foulagée  pour 
»  quelque  tcms  (a)  »• 

C*)Tacit.hiil.L5. 


DU    GOUVERNEMENT.        55 

Ce  portrait  n'eft  pas  avantageux  ;  mais  de  cette  idée  gé- 
nérale ,  defcendons  dans  le  détail. 

La  puiflance  Légiflative  a  dû  nécefTairement  exifter  avant   ^r-Romenair- 
les  Loix.  Rome  naiilante  n'eût  point  de  Loix  fixes  ^  elle  tr^s^gi^ que "I 
n'eût  d'autres  règles  que  la  volonté  de  fes  Princes.  Les  Rois  ^^"* 
de  Rome  prononçoient  ce  qu'ils  eflimoient  jufle  fur  chaque 
cas  qui  fe  prcfentoit  (a).  Auffi  les  anciens  Hifloriens  (^) 
ont-ils  obfervé  que  dans  les  premiers  tems  y  la  Loi  n'ctoit 
que  le  jugement  prononcé  par  le  Souverain  ;  mais,  peu  à  peu 
il  fe  forma  des  Coutumes  à  Rome  ^  &  cette  Ville  eût  auffi 
des  Loix  écrites. 

Romulus  fit  des  Loix  fur  la  puiflance  paternelle  ^  fur  les 
mariages  ^  &  fur  la  manière  dont  les  Patrons  doivent  traiter 
leurs  cliens. 

Numa  jetta  les  fondemens  du  Droit  que  les  Romains  dé- 
voient obferver  avec  les  nations  voifînes  ;  il  fit  des  Regle- 
mens  fur  les  cérémonies  de  la  Religion  ^  fur  les  funérailles  , 
&  fur  les  bornes  des  terres  ;  &  il  en  publia  d'autres  pour  faire 
régner  la  frugalité  &  la  tempérance  ^  &  pour  infpirer  l'a- 
mour de  la  juflice. 

Les  trois  Rois  fucceffeurs  de  Numa  publièrent  peu  de 
Loix.  Le  règne  guerrier  de  Tullus  Hoftilius  Ht  même  né- 
gliger plufieurs  de  celles  qui  avoient  été  faites  ;  mais  Ancus 
Martius ,  marchant  fur  les  traces  de  Numa^  rétablit  les  Loix 
fur  la  culture  des  terres ,  &  blâma  avec  févérité ,  comme 
mauvais  Citoyens  y  les  perfonnes  qui  les  négligeoient.  Il  fit 
graver  ces  Loix  fur  des  tables  j  8c  les  expofa  dans  la  place 
publique  ,  afin  que  chacun  pût  les  lire. 


m 


^8  SCIE  N*C  E 

Servîus  Tullius  regardé  avec  raifon  comme  le  principal 
Auteur  du  Droit  civil  chez  les  Romains  (a) ,  fit  une  collec- 
tion de  Loix  ,  dont  la  plupart  n'étoient  que  les  anciennes 
Loix  deRomulus  &  de  Numa,  qu'on  avoit  négligées  &  qu'il 
remit  en  vigueur.  Il  y  en  ajouta  enfuite  cinquante  autres  tou- 
tes nouvelles,  fur  les  dettes  ,  les  vivres  ,  les  contrat^^ ,  &  les 
injuftices  ;  &  elles  furent  confirmées  dans  un^  affemblée 
des  Dccurics  y  gravées  fur  des  tables ,  8c  affichées  ..ans  la  place 
publique, 
^s.  Droit  pap!-     Les  Jugemcns ,  les  Ordonnances,  le'  Reglemcns,  les 

^''r<^/*  "  Loix  de  Rome ,  furent  dans  la  fuite  raffemblés  par  Papirius, 
&  Ton  appclla  Droit  Papirien,  la  compilation  quil  fit  des 
Loix  que  ces  Princes  avoient  portées  iufqu'à  fon  tems.  Quel- 
ques Auteurs  ont  prétendu  que  le  Droit  Papiricn  ne  fut  pas 
•  long-tcms  en  ufage ,  ils  ont  fuppofé  que  les  Loix  Royales  fu- 
rent abolies  avec  la  Royauté ,  &  ne  furvêcurent  pas  àTarquin 
le  Superbe.  Il  eft  vrai  que ,  depuis  la  révolution  qui  fit  de  la 
Monarchie  Romaine  une  République ,  les  Loix  qui  favorî- 
foient  TEtat  Monarchique ,  furent  abolies  ,  mais  celles  qui 
avoient  policé  Rome  ,  furent  toujours  en  vigueur.  Les  Loix 
de  Romulus ,  de  Numa ,  de  Servius  Tullius ,  8c  des  autres 
Rois  y  ne  ceflerent  pas  d'être  refpedées  (^)  j  &  fijrent  dans 
tous  les  tems  une  partie  du  Droit  Romain. 
59.  La  R^      ^^  tyrannie  de  Tarquin  le  Superbe  fit  chaffer  les  Rois  , 

J]L^"feit^rf  ^^^^  le  Gouvernement  dura  deujc  cens  quarante-fept  ans  ; 

Swcf.lSex^^na^^  leur  expulfion  ,  la  concorde  des  Patriciens  &  des 

Hséi^T^'    Plébéiens  fut.hientôt  troublée.  L'anifnofité  de  deux  partis 
qui  avoit  commencé  .fous  Jes  Rois  ,  fe  renouvela  ,  &  Iqs 


(a)  Pr4cip\vsSertijujTuUim.fanchorLegumfuk.  Tacît.  annale h^, 
{h)  Denis  d'Hilicarnairci.  J,&  ;•  .    . 


CXCCS 


DU    GOUVERNEMENT.       yj 

'excès  où  Ton  fe  porta  de  part  &  d'autre ,  font  une  grande 
partie  de  ThiUpire  Romaine.  Les  Patriciens  ^  en  créant  des 
Confuls  9  n*avoient  pas  prétendu  abolir  ce  qu'il  y  avoit  de 
réel  dans  le  pouvoir  des  Rois ,  ils  ne  vouloient  en  retrancher 
que  ce  qui  pouvoic  paroître  odieux  au  peuple ,  1  extérieur 
de  la  Royauté ,  le  fceptre  ^  la  couronne  d'or  ,  &  d'autres 
omemens  (4).  Ils  demandèrent  que  la  République  n'eût  pour 
Loi  que  l'équité  des  Magiflrats  qui  la  gouverneroient  ;  mais 
le  peuple  voulut  avoir  des  Loix  écrites  dont  les  Magiflrats 
ne  flifTent  que  les  Miniflres. 

La  réputation  de  la  Grèce ,  plus  célèbre  encore  par  fon 
Gouvernement  que  par  fes  viâoires^  porta  les  Romiains  à 
confulter  fes  Loix.  Ils  y  envoyèrent  (^)  trois  Députés  {c) 
pour  rechercher  &  extraire  les  Loix  les  plus  célèbres  d'A- 
thènes 9  &  pour  s'informer  exaâement  des  Loix  ^  des  Re- 
glemens,  &  des  Coutumes  des  autres  Villes  Grecques ,  afin 
qu'on  pût  accommoder  aux  mœurs  Romaines  celles  qu'on 
jugeroit  à  propos  d'adopter. 

Au  retour  de  leurs  Députés  ^  les  Romains  créèrent  (^ 
dix  Magiftrats  abfolus ,  fous  le  nom  de  Décemvîrs  ,  les  trois 
Députés  )  &  fept  autres  Patriciens.  On  leur  laiffa  la  difpofî- 
tion  des  Coutumes  &  des  Loix  Romaines ,  &  on  leur  con« 
fia  celles  qui  avoient  été  apportées  de  la  Grèce  ,  pour  en 
partager  les  matières  entre  eux,  &  pour  rapporter  à  certains 
chefs  ce  qui  concernoit  le  droit  des  familles  particulières  & 
ce  qui  appartenoit  aux  rits  de  la  Religion  &  au  culte  des 

<a)  Ubertatis  autem  $riginem  inie  mugis  quia  anmium  Imperium  ConfularefaSum 
ejl  9  quant  quod  deminutum  quicquamjit  ex  Regii  poteftate  numerts.  Tir*  Liy,  décade 
I.  L  2. 

(b)  L'an  de  Rome  )00» 

<r)  Spurius  Pofthumius  Albus  ,  Aulus  Manlius  ,  &  S.  Sulpidus  CaflierinuSt;        i 

id)  L'an  de  Romt  30X  pour  entrer  em  exercice  en  jo).  , 

Tome  L  N 


^8  SCIENCE 

pieux.  On  ordonna  que  toute  autre  autorité  que  celle  de  ces 
dix  Légiflateurs  cefferoit  dans  Rome  ;  que  la  République 
feroit  fans  Confuls  ,  fans  Tribuns ,  fans  Ediles ,  fans  Qtief- 
teurs  }  &  que  pendant  leur  adminiftration  ,  les  Décemviri 
feroient  les  feuls  arbitres  de  la  paix ,  de  la  guerre  ^  &  de  la 
juflice.  Les  Dccemyirs  gouvernèrent  Rome  avec  une  autorité 
Souveraine  ^  rendirent  la  juflice  avec  promptitude  &  inté- 
grité ,  &  compoferent  de  nouvelles  Loix  prifes  tant  des 
mœurs  antiques  &  des  Coutumes  des  Romains ,  que  des  LoIx 
de  Lycurgue  &  de  Solon,  Ils  gravèrent  ces  Loix  fur  dix 
tables  d  airain  qu  ils  expoferent  en  public ,  afin  que  chacun 
pût  les  lire  &  fût  en  état  de  propofer  fes  difficultés,  avant 
qu'on  les  confirmât.  Aux  dix  tables ,  dont  chacune  étoit 
Touvrage  d  un  Décemvir ,  ces  Magiflrats  en  ajoutèrent  Tan- 
née fûivante  deux' autres,  dont  ils  avoient  dreffé  les  articles 
en  commun  j  Se  c'eft  ce  qui  compofales  douze  Tables  R  célè- 
bres chez  les  Anciens ,  &  qui  dans  cette  multitude  immcnfe 
de  Loix  entafTccs  les  unes  fur  les  autres  qu'eurent  les  Ro- 
mains ,.  furent  la  fource  ,  la  bafe  ,  &  le  fondement  de  toute 
la  Jurifprudcnce  tant  publique  que  particulière  (a). 

Ravi  de  Téquité  avec  laquelle  les  Déccmvirs  les  avoient 
compofées  ,  le  peuple  leur  laiffa  le  pouvoir  fuprême  ;  mais 
bientôt  ils  en  uferent  tyranniquement  &  ils  furent  chaffés 
(h).  Comme  le  crime  qui  avoir  forcé  Lucrèce  à  fe  poignarder 
elle-même ,  pour  ne  pas  furvivre  à  la  perte  de  fon  honneur  » 
avoit  fait  fubflituer  des  Confuls  aux  Rois  ,  les  rufes  qu'Ap-» 
pius ,  Tun  des  Décemvirs  ,  mit  en  pratique  pour  fe  rendre 

(^)  Nunçquoque  in  hoc4mmeriJoaliaTumfuper  alias  aceTvatarumtegumcumulo^ 
fons  Qmni$  puùiici  privatique  ç/ï  Juris,  lïr.  Liv,  Dccad.  i.L  3.  > 

(3)  L'an  de  Roi»;?  3 oj- 

X 


DU    GOUVERNEMENT.  ^p 

!e  maître  de  la  jeune  Virginie  ,  firent  rétablir  les  Confuls  à 
la  place  des  Décemvirs  (a). 

Sous  les  Confuls  ^  les  Loîx  des  douze  Tables  trouvées 
dures  &  conçues  en  termes  obfcurs ,  furent  adoucies  &  ex- 
pliquées par  de  nouvelles  Loix  accommodées  à  la  fituation 
aûuelle  des  Romains  ,  propofées  au  Sénat  par  les  Confuls  , 
&  autorifées  par  Taflemblée  générale  du  peuple,  félon  Tufagc 
obfervé  fous  les  Rois  mêmes.  Cette  Coutume  dura  jufqu'à  la 
fin  de  la  République  (h)  &  au  commencement  du  règne 
d'Augufte. 

Cet  Empereur  fit  publier  fes  nouvelles  Loix  dans  les  af-    ^g  con/un»; 
femblées  du  peuble  ,  pour  conferver  ,  par  cette  formalité  ,  fers(fo«^"SS; 
quelque  image  de  la  République  ;  les  Loix  de  ce  Prince  paf-  de  ^^m"!co^ 
ferent  pour  des  Flebifcites.  Tibère  abolit  ces  affemblées  ,  acr/urifcoiiluS 
fous  prétexte  que  le  grand  nombre  de  peuple  les  rendoit 
trop  difficiles  ;  mais  il  propofoit  fes  Ordonnances  au  Sénat 
qui  ne  manquoit  pas  de  les  confirmer.  Ses  fucceffeurs  gar- 
dèrent les  mêmes  mefures  avec  cette  Compagnie  ,  enfortc 
que  les  Loix  des  Empereurs  pafTerent  pour  des  ScnAtm-Con^ 
fuites  y  comjne  elles  avoient  pafle  auparavant  pour  des  P/r- 
bifches. 

Des  hommes  qui  faifoient  profeflîon  de  Tétude  du  Droit  ^ 
tinterprétoient  &  répondoient  à  toutes  les  confultations 
qu'on  leur  faifoit  fur  les  divers  fens  des  Loix.  Papirius  fiit 
le  premier  de  ces  Jurifconfultes  après  Texpulfion  des  Rois  ^ 
&  Modeflinus  a  été  le  dernier ,  c'étoit  de  fimples  avis  &  con- 
feils  qu'ils  donnoient.  Les  Magiftrats  .&  furtout  le  Préteur  , 

(«)  Voyez  THifloire  des  Décemvirs  &  les  Loix  des  douze  Ta))Ies  que  de  I^ur 
nom  on  appelle  Décemvirales  ,  dans  Tite-Livè  >  première  Décad.  1.  5.  dans  De< 
Dis d'Halica^nafle  U.10. daosFlorus L  /•  ch«  a^dans  Ckeron.l.  i*  de  Finibus.. 

{b)  L'an  de  Rome/ip, 

Nij 


,02  SCIENCE 

dence  Romaine,  &  il  en  confia  le  foin  à  Trîbonîen Ton 
Chancelier.  Il  fit  recueillir  un  grand  nombre  de  Loix ,  de 
Conflitutions,  &de  refcrits  des  Empereurs  Romains  fes  pré- 
deceffeurs  ,  depuis  Adrien  jufqu'à  fon  tems,  C*eft  ce  qu'on 
appelle  le  Code  par  excellence  {a). 

Il  fit  compiler  divers  firagmens  d'ouvrages  de  Jurifconful* 
tes  Romains  dont  les  écrits  compofoient  deux  mille  volumes, 
&  il  donna  à  ces  firagmens  fi^rce  de  Loi ,  parTEpître  quieft 
au-devant  de  Fouvrage.  C'eft  ce  qu'on  appelle  le  Di^ 
gefte{h). 

Content  d'avoir  dépofé  dans  le  Code  &  dans  le  Dîgefte  , 

les  Loix  félon  lefquelles  les  peuples  foumis  à  fa  domination 

dévoient  être  jugés  ,  Juftinien  en  avoit  négligé  abfolument 

.Tordre ,  &  il  avoit  néanmoins  défendu  de  commenter  ni  l'un 

ni  l'autre  de  ces  Recueils.  Ses  défenfes  fiirent  mal  gardées  : 

le  monde  fut  inondé  d'un  fi  grand  nombre  d'ouvrages  fur  le 

Droit  Romain,  que  l'étude  de  ce  Droit  a  été  dans  tous  les 

tems  extrêmement  longue  &  diflicile. 

itwîkSf^**^     Juftinien  fit  faire  tout  de  fuite  un  abrégé  du  Code  &  du 

Digefte  qui  contient  les  premiers  principes ,  les  premiers  élé- 

jnens  de  la  Jurifprudence*  Il  le  publia  (  ^  )  fous  le  titrç 

éilnJUtutes. 

Le  même  Empereur  fit  dans  la  fuite  cent  ioixante  -  trois 
.Conftitutions  &  treize  Edits  qui  changèrent  beaucoup  la  Ju- 
rifprudence  fur  des  points  peu  effentiels  :  variation  qui  ne 
fait  pas  honneur  à  ce  Prince ,  &  qui  eft  caufe  qu'on  eft  tenté 
d'ajouter  foi  à  l'hiftoirc  fecrette  que  Procope  a  faite  des  déi- 
Xordres   de  fon  règne.  Ce  font  là  les  dernières  Loix  que 

( a  )  Publié  en  j-iS.  corrigé ,  je  publié  de  nouveau  c»  5  J4» 

(3)Enj3j. 
(c  )/«(/. 


D  U    G  OU  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      loj 

Juftinîen  ait  portées  (i^).  On  les  appcUa  Novell  es. 

Le  Code ,  le  Digefte ,  les  Inftitutcs  ,  &  les  Novelles  for-  j,.  au  boutde 
merent  donc  le  corps  du  Droit  Romain  compofé  par  les  or-  Srmqu«^  ftienî 
dres  de  Juftinien.  Pendant  trois  cens  ans ,  il  fut  obfervé  fans  Droitdej^S'cn 

.      f  ^        n.        .  ,  <iansrOricnt;& 

aucune  innovation  ;  mais  les  Conuitutions  des  Empereurs  *'^.^'^."  ^^  J»^- 

*  "*  nicn  devint  celui 

ayant  apporté  quelque  changement,  FEmpereur  Bafile  &  fon  NattotS^n'oH 
fils  l'Empereur  Léon ,  furnommé  le  Philofophe ,  refondirent  "^"^ 
toutes  les  Loix  Romaines  &  en  firent  une  nouvelle  compi-  [  • 

lation  qui  fiit  écrite  en  Grec  en  foixante  Livres  ,  &  depuis 
traduite  en  Latin.  On  les  appella  les  BafiUques  (^  )  ;  &  il 
nous  en  refte  la  plus  grande  partie.  Depuis  ce  tems  -  là,  le 
Droit  de  Juftinien  n'eut  plus  de  cours  dans  FOrient ,  &  les 
feuls  Livres  des  Bafîliques  y  fiirent  en  ufage.  Il  a  eu  une  meil? 
leure  fortune  en  Occident. 

Les  peuples  de  l'Europe  font  la  première  étude  de  la  Ju- 
rifprudence  dans  les  Livres  du  Droit  Romain.  Il  fert  de 
Droit  civil  à  plufieurs  d'entre  ces  peuples.  J'expliquerai  dans 
un  moment  l'événement  fingulier  qui  en  a  été  la  caufc.  C'eft 
.  ainfî  que  ces  anciens  maîtres  du  monde  inftruifent  encore  au- 
jourd'hui par  leurs  Loix  la  plupart  des  peuples  qu'ils  avoient 
foumis  par  leurs  armes  ;  que  vaincus  à  leiïr  tour ,  ils  difpofent 
•des  biens  &  de  la  vie  des  peuples  vainqueurs  ;  &  qu'ils  ré- 
gnent encore  par  leur  Jurifprudence  où  ils  ne  régnent  plus 
par  leur  force. 

D'autres  Nations  décident  •  félon  les  principes  de  ce  me-    u-  Q«ciqii«. 

*  *  *  unes  de  ces  Na- 

me  Droit,  les  cas  qui  ne  font  pas  décidés  par  leurs  Loix  par-  ;j°"*jj^°"^' 
ticulieres  :  déférence  libre  qui  a  fon  origine ,  non  dans  l'au-  ««• 
torité  du  Droit  Romain  qui  n'en  a  aucune  (r),  fi  le  pays  ne 

(«)  En  ;î4. 

(4)  Publiées  vers  l'an  877. 

(c)  Voyez  dans  le  Traité  du  Droit  des  Gens  l'idée  d«  ce  Droit  au  Sommaire. 


104  SCIENCE- 

Ta  adopté  pour  fou  Droit  propre  ou  pour  fon  Droit  com* 
mun  ;  mais  dans  Tautorité  de  la  raifon  dont  on  croit  que  les 
anciens  Romains  avoient  recueilli  les  règles. 

Quelques  autres  enfin  fe  font  établis  un  Droit  particulier  | 
différent  de  celui  des  Romains. 

Le  tems  9  juge  fevere  des  établiffemens ,  n'a  pu  affoiblir  la 

jj.  Idée  qu*îl  '    *^  . 

fiMuanrwduDroit  féputation  des  Loix  Romaines ,  &  la  prévention  pour  ce 
Droit  a  été  fi  grande,  qu'il  eft  encore  aujourd'hui  appelle  dans 
toute  TEurope  le  Droit  par  excellence.  Les  Livres  du  Droit 
Romain  renferment  les  Loix  les  plus  faines  de  la  fçavante 
Antiquité,  parce  que  ceux  qui  les  ont  faites,  ont  perfeûionné 
les  ufages  des  Grecs.  C'eft  la  raifon  écrite.  Ceft  Tunique  dé- 
pôt des  Loix  naturelles  que  Rome,  pour  former  un  corps 
de  Droit  à  fes  peuples  ,  confulta  ,  autant  que  la  Philofophie 
de  ces  tems-là  put  le  découvrir ,  &  que  les  troubles  qui  agi- 
tèrent fi  fouvent  cette  ville  célèbre  purent  le  permettre.  Les 
morceaux  que  nous  avons  du  Droit  Romain  ,  nous  font  re- 
gretter les  ouvrages  d'où  ils  font  tirés  ,  &  où  ils  avoient  fans 
doute  plus  de  beauté  qu  ils  n'en  ont ,  déplacés  ,  tronqués ,  8c 
peutêtre  détournes  de  leur  vrai  fens.  Mais  au  fond  ce  n'efl: 
qu'un  ouvrage  de  hazard  compofé  en  différens  tems  ,  à  di^ 
verfcs  occafions  ,  &  par  diverfes  mains.  Il  fait  gémir  la  juf- 
tice  fous  le  joug  des  formalités.  Auflî  a-t-on  reproché  aux 
Romains  que  leurs  Loix  tendoient  plus  de  pièges  aux  gens 
de  bien ,  qu'elles  ne  leur  procuroient  de  fecours  (^r).  Lts 
divers  Droits  y  font  mal  diftingués  ,  &  de  vaines  fubtilités  y 
occupent  fouvent  la  place  de  la  raifon.  Les  Anciens  n'avoîent 
ni  autant  de  connoiflance  que  les  Modernes ,  ni  cet  efprît 
d'ordre  ,  de  difcernement ,  de  critique  qui  apprend  à  rai-r 
(J)  Aucupio  Syllabarum  infidiantUm 

fonner 


laciceiit 


DU  GOUVERENMENT.  105 
fonner  jufte.  A  dire  vrai,  la  méthode  de  pofer  des  principes, 
d'en  tirer  des  conféqucnces ,  &  de  marcher  cnfuite  de  con- 
fcquence  en  conféquence  9  n'cft  due  qu*au  dernier  fiécle* 

Le  Droit  Romain  avoît  fuivi  la  fortune  de  TEmpire ,  ^^^^çS'^^^'t^ 
était  obfervé  dans  les  Gaules  avant  que  les  Francs  en  euffent  C^^  ^ 
fait  la  conquête  ;  mais  ce  Droit  Romain  n'étoit  point  celui  de  a^iS!iîï?okft 
Juftinien  ,  car  celui-ci  n'avoit  Ueu  que  dans  les  pays  où  cet  cm  m 
Empereur  commandoit ,  &  il  n'avoit  été  fait  qu'environ  cent 
ans  après  l'entrée  des  Francs. 

Celui  qui  fiit  reçu  dans  les  Gaules ,  étoît  contenu  dans  le* 
Conftitutions  des  Empereurs  Romains  prédcceffeurs  de  Juf- 
tinien ,  recueillies  dans  les  Codes  Grégorien  ^  Hermogenien  & 
^héodofien ,  dans  les  Novelles  de  Théodofe  le  Jeune  &  deg 
Princes  qui  avoient  régné  après  lui ,  8c  dans  les  Livres  des 
Jurifconfultes  que  le  même  Théodofe  avoit  autorifés.  Le  Drpic 
renfermé  dans  ces  divers  écrits  continua  d'être  obfervé  en 
France ,  fous  les  Rois  de  la  première  &  de  la  féconde  race , 
avec  les  Loix  barbares  des  Francs ,  des  Bourguignêns  ,  &  les 
Ordonnances  des  Rois  qu'on  appella  CdfituUires ,  &  qui  ne 
portent  le  nom  d'Ordonnances  que  fous  les  Rois  de  la  troî- 
iîéme  race.  Les  François  les  ont  encore,  ces  Ordonnances, 
ibus  le  titre  de  Loix  antiques ,  recueillies  en  un  feul  volume 
qui  contient  les  Loix  des  Vifigoths ,  un  Edit  de  Théodoric  ^ 
Roi  d'Italie,  les  Loix  des  Bourguignons,  les  Loix Saliques,: 
&  les  Loix  des  Ripuariens ,  la  Loi  dés  Allemands ,  cVft-^ 
dire  des  peuples  d' Alface  &  du  haut  Falatinat ,  les  Loix  dc^ 
Bavarois,  des  Saxons ,  des  Anglois ,  &  des  Frifons,  la  Loi 
des  Lombards  beaucoup  plus  confîdéràble  ique  les  précéden- 
tes ,  les  Capitulaires  de  Charlemagne  ,  &  les  ConffituâOnaF 
des  Rois  de  jNaples  Se  de  Sicile»  .  ' 

Ton:  l.  '  O 


lo^  -SCIENCE 

X.es  dcfordres  du  dixième  fiécle  confondirent  toutes  les 

Loix  9  enibrce  qu  «lu  commencement  de  la  troificme  race ,  il 

n'y  avoit  gueres  d'autre  Droit  en  France  qu'un  ufage  incer- 

-     tain.  Tout  étoît  redevenu  Coutume» 

37*  iou  Droit      Lesulkges  &  les  décifions  des  fçavans,  qui  s'appliquèrent 

ÏZ\  trô?âémc  ^  1'^^^  d"  Droit  Romain  ,  mêlces  avec  ces  ufages ,  forme— 

S*'fi£^t*'ïïrw!2è  ^^^^  ^^^  Coutumes  fous  la  troificme  race^&  nos  Rois  établi- 

0)u^ilîSi'c?"  *^"  ï?^^  plufieurs  Droits  nouveaux  par  leurs  Ordonnarces.  If 

faut  entrer  dans  quelque  détail  pour  connoître  Tulage  que 

(los  pères  firent  du  Droit  Romain  dans  ce  tems-là. 

Sur  la  fin  de  la  féconde  race  des  Rois  de  France  ,  &  vers 
le  commencement  de  la  troifiéme ,  Tltalie  &  les  Gaulea 
croient  tombées  dans  une  anarchie  univerfelle  par  la  divifion 
des  enfans.  de  Louis  le  Débonnaire ,  par  le  ravage  des  Hon- 
grois &  des  Normands  ,  &  par  les  ferres  particulières.  L'i-^ 
gnorance  &  la  violence  abolirent  infenfiblement  ces  ancien- 
nes Loix ,  &  les  François  retombèrent  peu  à  peu  dans  urt 
état  approchant  de  celui  des  Barbares  qui  n*ont  ni.  Loi  nï 
Police.  L'ancien  Droit  cefla  d'ctre  étudié,  &  continua  ^tou- 
tefois d'être  pratiqué.  On  ne  diftinguoit  plus  entre  les  dif- 
f^érentes  Loix ,  parce  qu'il  n'y  avoit  plus  de  diilinftion  entre 
les  peuples..  Cet  ancien  Droit  reçut  un  grand  changement 
par  les  nouvea(ux  Droits  qui- s'établirent ,  principalement  en 
cequiregardoit  la  piiiffance  publique  y.  '8c  par  l'étendue  de: 
U;  Jurifdiaion  EccléHaftique!  qui  s'accrut  confidérablement- 
Ce  cbangemeçit  augmenta  avec  le  tcms,  &  l'ulage  fut  L'uni- 
que, Droif. 
«8.  On  renonce  •  tj.Françeîctcît  dans  cet  état  ,.Jorfqu'on  recommença  d'é- 
Sit  îb^nc"  ^^^P^  le  Droit  Romain ,  mais  ce  ne  fut  pas  le  Droit  contenu 
fl^vl  ^**  kî  dans  le  Code  Théodofien  qyi,;  ayant  le  tqras  des  délbrdres  ^ 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  s  M  E  N  T.      107 

étoît  appelle  le  t)roit  Romain  dans  les  Gaules  &  dans  les  Etattiieï»Eiiroi  h 

T-r  Ti      t>      .       j/-  1  1  1  ^        .  maîf  ce  n*cft  pas 

rLlpagnes.  Il  necoit  déjà  plus  connu  que  de  quelques  Sça-  i^^ron  comcnn 
vans ,  &  il  demeura  dans  l'oubli  jufqu'au  commencement  du  ^jj;^"'^"!^^  ,^ 
feiziéme  fiécle.  On  Timprima  (a)  fur  trois  Manufcrits  tr<>u-|^J  ^^  ^"^* 
vis  en  Allemagne.  Cette  édition  eft  celle  de  Charlemagne  , 
Ou  pour  mieux  dire  celle  d'Alaric.  On  a  trouve  depuis  une 
partie  de  ce  Code  telle  que  Théodofe  Tavoit  fait. 

Le  Droit  Romain  qu'on  commença  d'étudier  au  teins  donc 
7e  parlt,  que  l'on  étudie  encore  aujourd'hui  ert  France  ,  & 
fur  lequel  on  prend  des  degréis*  dans  les  Univerfités ,  pour 
entrer  au  Barreau  ,  ou  pour  être  reçu  dans  les  Offices  de 
Judicature  ,  eft  le  Droit  de  Juftinien  qui  avoir  été  jufques-là 
peu  connu  en  Occident ,  car  dan^  le  tems  que  cet  Empereut 
4e  fît  publier  (ty^  H  n'étoitobfervé  que  dans  les  deux  Pro- 
vinces de  l'Europe  qui  lui  obéîffbient  paifiblement ,  la  Grèce 
-&  la  plus  grande  partie  de  l'Illyrie,  &  dans  la  partie  de  l'I- 
xalie  où  les  Romains  fe  maintenoient  encore  par  les  armes. 
Cette  partie  eft  ce  qtfon  appelle  aujourd'hui  la  Romagrie^, 
ravec  lerefte  des  terres  de  l'Eglife  ,  le  Royaumfe-de  Naples 
&:  la  Sicile- 

Il  eft  aflez  ordinaire  que  le  peuplé  conquérant  donne  des 
I.0ÎX  au  peuple  vaincu  y  il  ne  l'eft  pas  qu'il  en  reçoive  ^  & 
c'eft  Ain  grand  fujet  d'étonrteiftent  ^ue  ces  Livres  de  Jufti- 
nien compofés ,  il  y  avoir  dix  (îécles  y  à  Conftaritinople  où 
ils  n'étoient  point  fuivîs  ,  ayent  été  reçus  dans  des  pays  où 
cet  Empereur  rfavoit  jamais  commandé ,  tels  que  font  la 
France  ,  l'Efpagnê  ,  l'Allemagne  ,  &  l'Angleterre.  Ils  n'y 
pou  voient  pas  être  d'un  grand  ufage|  vu  la  différence  dès 

la)  En  i;i8.  ,       '     '     • 

<y  Vejsraî;j^ 


io8  SCIENCE^ 

Gottvemenens,  du  Droit  des  perfonncs  ^  de  la  nature  &de 
la  qualité  des  chofes  »  &  de  la  manière  même  d'enfcîgner» 
Tout  cela  n'empêcha  pas  qu'ils  ne  fiiffent  reçus  avec  vénéra- 
tion j  fans  que  les  PuiJQlances  les  autorifaflent  par  aucune 
Conilitutlon.  On  s'accoutuma  à  les  nommer  le  Droit  ^it  ^ 
U  Droit  civil  ^  ou  Amplement  le  Droite  Voici  quelle  en  fut 
rcccafion. 

Un  Auteur  que  lës^  uns  difent  Allemand  y  8c  que  d'autres 

font  Mtlanc:a>  nommé  Irnier  ou  Wurnier  y  Irnerius  ou  Wdr* 

^erius  y  qui  avoit  étudié  à  *  Conflantinople  y   enfeignoit  a 

Ravenne.  Il  s'émut  entre  lui  &  fes  confrères  une  difpute  fur 

le  mot  As  y  (mot  qui  fignifîe  une  livre  Romaine  de  douze 

onces  y  une  monnoye  de  cuivre  valant  un  foû  y  un  tout  qu'on 

divife  en  douze  parties  ou  en  douze  onces»  )  Il  en  chercha  la 

(ignification  dans  les  Livres  du  Droit  Romain  >  &  y  ayant 

fris  goût ,  ^  s'apliqua  à  l'étudier.  Il  l'enfeîgna  publiquement 

à  Bologne  (4).  Il  eut  beaucoup  de  difciples^  &  devint  le 

j)€re  de  tous  les  Gloffateurs  {b).  Dc-là  >  l'étudié  du  Droit 

Romain  de  Juflinien  paifa  dans  la  fuite  en  France»  On  l'en- 

feigna  d'abord  à  Montpellier  &  à  Touloufe  y  8c  peu  après 

dans  plufîeurs  autres  Villes  de  cette  Monarchie.  Barthok  en 

fit  des  Leçons  publiques  à  Pife  8c  à  Peroufe  y  Balde  fon  difci- 

-pie  ^  à  Bologne  8c  à  Favie  ;  Auguftin  8c  Covarruvias  y  en 

Efpiagne  ;  Z^ius  >  Lichardius  y  Vigilius  y  en  Allemagne» 

Plufîeurs  autres  ProMêurs  Penfei^oerent  y  tant  dans  ces 

pay&-Ià  que  dans  \at  pli^»» t  des  autres  Etats  de  TEurope* 

Les  François  8t  les  autres  peuples  vainqueurs  avoient 
alors  un  grand  mépris  pou;  cew^qui  ie  difoknt  Romains^ 

(<>Eii  iiiS. 

ib)  Ob  Tappella  Luctrna  Juriu 


DU    GOUVERNEMENT.        lop 

c'eft-à-dire  pour  les  fujets  de  TEmpereûr  de  Conflantînople. 
Il  refioit  néanmoins  dans  les  efprits  une  idce  avantageufe 
des  chofes  que  les  Romains  avoient  faites  autrefois ,  &  Ton 
étoit  perfuadé  en  général  que  les  loîx  qu'ils  avoient  établies, 
étoîent  fort  fages  ,  quoique  les  Livres  de  ces  Loix  fuflent 
rares  &  peu  connus.  A  la  faveur  de  cette  idée ,  le  Droit  de 
Juftinien  fat  bien  reçu  comme  s'il  eût  été  l'ancien  Droit  Roî 
main ,  car  les  plus  doôes  de  Ce  tems-là  n'étoieht  pas  aflcz 
habiles  pour  le  diftinguer  d'avec  leur  véritable  Droit  Ro- 
main, qui  étoit  le  Code  Théodofien  ,  ni  pour  fçavoir  où  & 
en  quel  tems  Juftinien  avoit  commandé  ,  &  de  quelle  auto- 
rité étoicnt  fes  Conftitutions.  Le  nom  d'Empereur  Romain 
les  induifît  en  erreur. 

Les  paniculiers  trouvoient  ^  fur  la  plupart  des  cas  ^  des 
principes  de  décifion  dans  ces  Loix,  dont  l'efprit  tendoit  à 
rendre  les  hommes  plus  doux ,  plus  fociables ,  plus  foumis 
aux  Puiffances ,  &  à  réunir  les  Coutumes  injuftes  &  tyranni- 
ques  que  la  barbarie  avoit  introduite  parmi  eux.  Les  Prin- 
ces ,  de  leur  côté,  penfoient  que  ces  Loix  étoient  avantageu- 
fes  à  leurs  intérêts  ,  parce  qu'ils  y  voyoient  l'idée  de  la  Puif- 
fance  Souveraine  dans  fa  fplendeur ,  exempte  des  atteintes 
mortelles  qu'elle  avoit  reçues  dans  les  derniers  fiécles.  Quel- 
ques Dodeurs  applîquoient  à  l'Empereur  d'Allemagne  tout 
ce  qui  étoit  écrit  de  la  puiffance  dès  Empereurs  Romains , 
&  fembloient  vouloir  lui  donner  un  droit  à  la  Monarchie 
Univerfelle.  Quelqaes  autres  difoient  aux  Rois  qu'ils  étoient 
Empereurs  dans  leurs  Royaumes.  Ceft  ainfi  que  le  Droit  de 
Juftinien ,  mis  d'abord  au  jour  par  la  curiofité  de  quelques 
paniculiers  ,  s'établit  infenfiblement,  par  l'intérêt  des  Frin^ 
ces  8c  par  le  confencement  des  peuples» 


iio  SCIENCE 

Les  rtalîens  rembrafferent  avec  ardeur ,  des  qu'il  parut , 
dans  un  tems  où  laflcs  de  la  domination  des  Allemands  qu  ils 
appelloient  barbares,  ils  s'efforçoient  de  rétablir  le  nom  Ro- 
main, &  de  rappeller  la  mémoire  de  leurs  Ancêtres ,  ou  plu- 
tôt des  anciens  Italiens.  Ils  ne  craignoient  plus  ,  en  deve- 
nant Romains ,  de  devenir  fujets  de  l'Empereur  de  Conflaa- 
tinople ,  parce  que  vers  ce  tems-là ,  ^cette  Ville^  avoir  été 
'  prife  par  les  .François^ 

Les  deux  Empires  d'Orient  &  d'Occident  fc  trouvoîent 
alors  entre  les  mains  de  ceux  qu'on  appelloit  du  nom  géné- 
ral Francs  ou  Latins ,  pour  les  diilinguer  d^s  Levantins  & 
des  Grecs.  Ce  fut  un  puiflant  motif  pour  étendre  le  Droit 
Romain  dans  tous  les  Etats  qui  compofoient  les  deux  Em- 
pires, 

Cette  Jurifprudence  ne  s'introduîfit  pourtant  en  Allemagne 
que  vers  le  quinzième  fiécle.  Les  Empereurs  de  ce  pays-là 
fuivirent  dans  cet  intervalle  les  Loix  desLombards. Frédéric 
Premier  furnommé  BarberouflTe  (4),  Frédéric  II  (^),  &  quel- 
ques autres  Empereurs  publièrent  divcrfes  Loix  des  Lom- 
bards ;  mais  la  Jurifprudence  Romaine  n'eut  pas  plutôt  pé- 
nétré en  Allemagne  ,  que  le  nom  de  TEmpire  y  répandit 
univerfellementfon  autorité.  Tacite,  qui  connoiflbit  bien  les 
Germains  de  fon  tems,  &  qui  nous  en  a  laiffé  un  fi  beau  por- 
trait, nous  apprend  que  parmi  eux  les  exemples  avoient  plus 
de  force  que  Içs  meilleures  Loix  chez  les  autres  peuples. 
L  on  ne  connoiflbit  en  Allemagne  avant  Lothaire  ,  ni  Inf- 
titutes ,  ni  Code ,  ni  Digefle ,  &  Ton  ignoroit  jufqu  au  nom 
de  Doflçur^   dç  Procufcur  &ç  de  Notaire.  La  République 

ift)  QiiT  régna  dî  ni5s  1 1  f  i  jufqu*cn  T  Tpo. 

ib)  Qui  fut  fur  le  trône  dfpuîi  1218  juf^u'oi  ItfW^ 


DU    GOUVERNEMENT.       m 

d'Allemagne  n'avoir  bclcin  que  de  très-peu  de  Loix%  &  fe 
paffoit  aifément  de  tout  ce  que  Ton  appelle  GcnsTde  Judica* 
ture.  Il  Te  formoic  peu  de  procès  entre  les  particuliers.  La 
foi  publique  étoit  inviolable ,  tout  le  monde  aimoit  la  liber- 
té ,  &  chacun  s'appliquoit  uniquement  à  la  conferver  ;  mais 
dès  que  Ton  eût  porté  en  Allemagne  les  Ordonnances  &  les 
collerions  de  Juilinien ,  &  que  les  Jurifccnfultes  s'y  furent 
introduits  j.  peu  content  de  n'avoir  à  travailler  qu'aux  pro- 
cès des  particuliers  ,  ils  fe  mêlèrent  des  affaires  publiques  , 
ils  s'introduifirent  dans  les  Confeils  >  &  l'Allemagne  fe  trou* 
va  bientôt  moins  fouillée  de  crimes  qu'embarraflce  de  Loix 
&  de  Jurifconfultes,  Tout  cela  ne  fervit  qu'à  difpofer  tous 
les  Allemands  à  fe  foumettre  infenfiblement  à  l'autorité  des^ 
Empereurs.  Ce  font  les  JurifconfuWïs  qui  ont  introduit  dans 
les  affaires  publiques  d'Allemagne  ,  Içs  formules  des  An- 
ciens, les  claufes,  les  exceptions,  les  défenfes,les  répli- 
ques ,  les  dupliques ,  les  proteftations ,  les  appellations ,  & 
une  infinité  d'autres  formalités  également  nuifibles  aux  inté- 
rêts du  public  &  à  ceux  des  particuliers.  Toutes  les  fois  qu'il 
s'agit  des  droits  de  l'Empereur ,  ils  citent  l'autorité  de  Bar- 
thole  ^  de  Balde  ,  &  de  quelques  autres  Jurifconfultes  étran- 
gers f  qui  n'ont  aucune  connoiffance  des  affaires  d'Allema- 
gne ;  &  ils  croyent  devoir  donner  à  l'Empereur  &  appli- 
quer à  l'Empire  tout  ce  qu'ils  trouvent  dans  les  Loix  Romai- 
nes de  favorable  à  l'un  &  de  contraire  à  l'autre ,  fans  pren-» 
dre  garde  que  les  Loix  qu'ils  citent  ont  été  faites  pour  un 
Etat  purement  Monarchique  y  &  que  le  Corps  Germanique 
compofe  uniquement  une  République  dont  il  faut  juger  par 
ks  ConfVitutîons  modernes  de  ce  Corps. 
En  France  >  au  contraire  y  le  Droit  Rofflsin  ne  fut  confî- 


na  SCI  EN  C  E 

déré  comme  Loi  qui  oblige ,  qu  en  Languedoc ,  en  Proven- 
ce,  &  dans  le  Lyonnois«  Ces  pays  qui  avoient  été  fournis 
les  premiers  à  TEmpire  Romain ,  furent  les  dernières  con- 
quêtes des  François  ;  la  plus  grande  partie  de  ces  Erovinces. 
reconnoiflbit  alors  le  Corps  Germanique  comme  Souverain 
direâ ,  &  le  voifinage  d'Italie  facilitoit  aux  François  l'étude 
du  Droit  Romain.  De  là  vient  qu  encore  que  dans  ces  Pro- 
vinces il  foit  relié  beaucoup  de  courûmes  différentes  de  ce 
Droit ,  elles  ont  peu  d'ctendue.  Les  ufages  ont  prévalu  dans 
les  autres  Provinces  de  France ,  &  le  Droit  Romain  n'y  efl 
obfcrvé  dans  les  cas  où  la  coutume  cfl  contraire  à  ces  Loix. 
Dans  ceux  mêmes  où  la  coutume  n'e^  pas  contraire,  le  Droit 
Romain  n'a  d'autorité  qu'autant  que  lai'ageflé  de  fes  difpofî* 
rions  lui  en  donne,  au  liH  qu'il  a  force  de  loi  dans  la  plupart 
des  Etats  de  TEutope. 
îç.cequcc'^      Je  placerai  ici  la  Loi  que  les  Romains  appelloient  Royétb 
Roya?c"%cj  r2  OU  dc  V Empire ^  Il  importe  que  cette  loi  foit  bien  connue  ^ 
parce  qu'elle  eft  dans  le  Droit  public  une  fource  fikronde 
d  argumens  fur  la  queftion  des  Droits  <k  Prince  êc  de  ceux 
du  peuple. 

Par  la  loi  Royale  de  Romains^  il  fiuit  entendre  une  Or* 
donnance ,  un  Ecrit ,  un  A£le  public ,  comenant  h%  condi- 
tions auxquelles  quelquXin  établi  Roi ,  par  délibération  du 
Sénat  &  avec  Tapprobation  du  peuple,  de  forte  que  l'épi- 
thete  de  Royale  étoit  tirée  de  ce  qui  faifoit  la  matière  de  là 
Loi ,  au  même,  fens  que  les  Jurifconfukes  &  les  Hiftoriens 
Romains  xjnt  dit  :  U  Loi  Ann^U  {a)  ,  U  Loi  dt  Location  (})  ^ 

(a)  Ltx  A nnalîs  ou.  Aunqfia.  c'eft-i-^peULoicimr^lQit  Tige  fù^onderoif 
aveîr  pour  pr<f  cendre  aux  Charges. 
Xb)  Lxx  Lvctttiçnk  9  V-fA-tHèm les^ceodîtiooc 4c  cette  f<»r(e4eCoatr«c. 

/4 


suins. 


DU    GOUVERNEMENT*      in 

td  Loi  des  hnfots  (d)  j  id  Loi  Commijfoire  {})% 
Il  y  a  eu  diverfes  opinions  fur  la  Loi  Royale* 
Un  Jurîfconfulte  François  {c)  s*eft  vanté  de  Tavoir  décoiH 
verte  dans  Tite-Live  (rf) ,  mds  la  Loi  dont  parle  cet  Hiflo-i 
rien  eft  une  Loi  faite  par  un  Roi  de  Rome  y  Se  non  pas  une 
Loi  qui  établiffe  le  pouvoir  Royal  y  au  lieu  que  le  Jurifcon- 
fuite  Ulpien  (e)  &  l'Empereur  Juftinien  (/}  difent  formelle- 
ment que  la  Loi  Royale  roulpit  fur  Tautorîté  du  Prince  >  8e 
que  c'eft  en  vertu  de  cette  Loi  que  le  pouvoir  Souveraiiï 
paffa  entre  les  mains  des  Céfars.  Elle  efl  appellée  Loi  de 
rEmpiredan$  un  Refcrit  d* Alexandre  Sévère  (^). 

Quelques  Jurifconfultes  (h)  ont  remarqué  que  ni  parmi 
les  Auteurs  qui  ont  écrit  ou  THiftoire  Univerfelle  ou  les  vies 
des  Empereurs  ,  ni  parmi  ceux  qui  ont  traité  foit  exprefle-- 
ment  y  foit  par  occafion  ,  des  Loix  y  des  mœurs ,  &  des  Coû-^ 
tûmes  remarquables  du  peuple  Romain ,  aucun  n^a  fait  men- 
tion de  la  Loi  Royale  y  quoique  la  plupart  ayent  parlé  avec 
étendue  fur  des  chofes  d'une  bien  moindre  importante.  Ces 
Jurifconfultes  ont  inféré  de-là  que  la  Loi  Royale  n'avoir  ja- 
mais çxifté  ;  ils  ont  foupçonné  Ulpien  ou  Tribonien  dVn 

(a)  Lix  cujufque  publici  :  ExprdEon  de  Tadce  en  fes  Annal,  pour  juftifier  l€ 
Tarif  des  Droits  que  pouvoiçnc  exercer  les  Fermiers  de  la  République. 

(i)  Lex  Commijforia  >  c'eft-à-dire  une  condition  mife  dans  un  Contrat  »  fanS 
l'exécutioû  de  laquelle  le  Contrat  devenoit  Inutile:  conditiojine  qui  non*  Ua 
Traité  entier  du  Digefte  &  du  Code,  traite  de  LigeCrnnmiJfonf,. 

(r)  François  Hptman  dans  iês  No(e«  fur  leslnftitutes  de  ^uHinieft-L  i.  tit*  lii 
Se  dans  fesAnûq-Rom*  L  /» 

(d)  Lib,  SA'  cap'  ^*  ^^t^  7« 

ie)  L.  1.  tit.  4.ff.  d&ConJlitutionib.  Princip, 

(/)  Sed  &  quodPrincipiplacuity  Legis  hahet  vigorfm  ^  cuniljtge  Regii  qud  dû 
ijus  Imperio  hua  efi ,  populus  ti  &  in  eum ,  omne  mperiumjpmm  &  pot^axem  côn*. 
çedat,  Infiit.  l*  f,  tit.  à.  f.  ft  .'-i 

(g)  Licet  enim  Lex  Impcriifolemnïbus  Juris  Imperatorem  folverit.  Ex  imperfeSo^ 
h  j.   Cod,  de  Tenant. 

(h)  Tel  eft  François  de  Conan ,  Jurifconfulte  François  du  fci^^me  fiécle  daa# 
fts  Commentaire^  ^uffs  Civilis  lib.  /.  caj.  /ft 

ÏQmel  t 


na  SCI  EN  C  E 

déré  comme  Loi  qui  oblîge ,  qu  en  Languedoc ,  en  Proven- 
ce,  &  dans  le  Lyonnois*  Ces  pays  qui  avoient  été  fournis 
les  premiers  à  TErapire  Romain  ,  furent  les  dernières  con- 
quêtes des  François  ;  la  plus  grande  partie  de  cq$  Erovinces 
reconnoilToit  alors  le  Corps  Germanique  comme  Souverain 
direû ,  &  le  voifinage  d'Italie  facilitoit  aux  François  Tétudc 
du  Droit  Romain.  De  là  vient  qu  encore  que  dans  ces  Pro- 
vinces il  foit  reftê  beaucoup  de  coutumes  différentes  de  ce 
Droit ,  elles  ont  peu  dVtendue,  Les  ufagcs  ont  prévalu  dans 
les  autres  Provinces  de  France ,  &  le  Droit  Romain  n'y  eft 
obfervé  dans  les  cas  où  la  coutume  cft  contraire  à  ces  Loix, 
Dans  ceux  mêmes  où  la  coutume  n'e^  pas  contraire,  le  Droit 
Romain  n'a  d'autorité  qu'autant  que  lai'agefle  de  lès  difpofi- 
rions  lui  en  donne,  au  liH  qu'il  a  force  de  loi  dans  la  plupart 
des  Etats  de  l'Europe. 
îç.cequcc'^  Je  placerai  ici  la  Loi  que  les  Romains  appelloîent  RoydU 
Ro>a?c"%cj  Roi  ou  de  YEmj^tre^  Il  importe  que  cette  loi  foit  bien  connue, 
parce  quelle  eft  dans  le  Droit  public  une  fource  féconde 
•  d'argumens  fur  la  queftion  des  Droits  du  Prince  &  de  ceux 
du  peuple. 

Par  la  loi  Royale  de  Romains,  il  fiuit  entendre  une  Or* 
donnance ,  im  Ecrit ,  un  A£le  public ,  contenant  les  condî- 
tions  auxquelles  quelquXin  établi  Roi ,  par  délibération  du 
Sénat  &  avec  Tapprobation  du  peuple,  de  forte  que  Yépi^ 
thete  de  Royale  étoit  tirée  de  ce  qui  faifoit  la  matière  de  la 
Loi ,  au  même,  fens  que  les  Jurifconfultes  &  les  Hifloriens 
Romains  xjnt  dit  :  U  Loi  Annalt  {d)  ,  U  Loi  dt  Location  (t)  , 

{a)  Lex  Annalisou  Auntffia.  c'eft-i-^dmULoi^r^loit  Tige  fû^onderoif 
avoir  .pour  précendre  aux  Charges. 
xf)  ixx  Lvaithnky  i:*-fA-lHlmlefi<eiKiîtioo(^cencf<»r(e4eComr»c, 

U 


DU  GOUVERNEMENT*  in 
td  Loi  des  hnfots  (d)  j  U  Loi  Commijfoire  {})% 
Il  y  a  eu  diverfes  opinions  fur  la  Loi  Royale* 
Un  Jurîfconfulte  François  {c)  s*eft  vanté  de  l'avoir  décoiH 
verte  dans  Tite-Live  (^ ,  mais  la  Loi  dont  parle  cet  Hiflo-i 
rien  eft  une  Loi  faite  par  un  Roi  de  Rome  »  &  non  pas  une 
Loi  qui  établifle  le  pouvoir  Royal  y  au  lieu  que  le  Jurifcon-. 
fiilte  Ulpien  {e)  &  TEmpereur  Juftinien  (/}  difent  formelle- 
ment que  la  Loi  Royale rouloit  fur  Tautorîté  du  Prince,  Se 
que  c'eft  en  vertu  de  cette  Loi  que  le  pouvoir  Souveraiiï 
pafTa  entre  les  mains  des  Céfars.  Elle  eft  appellée  Loi  de 
f  Empire  dan$  un  Refcrit  d'Alexandre  Sévère  (^). 

Quelques  Jurifconfultes  (h)  ont  remarqué  que  ni  parmi 
les  Auteurs  qui  ont  écrit  ou  THiftoire  Univerfelle  ou  les  vies 
des  Empereurs  ,  ni  parmi  ceux  qui  ont  traité  foit  exprefle-- 
ment ,  foit  par  occafîon  y  des  Loix, des  mœurs ,  &  des  Cou- 
tumes remarquables  du  peuple  Romain ,  aucun  n^a  fait  men- 
tion de  la  Loi  Royale  j  quoique  la  plupart  ayent  parlé  avec 
étendue  fur  des  chofes  d'une  bien  moindre  importante.  Ces* 
Jurifconfultes  ont  inféré  de-là  que  la  Loi  Royale  n'avoir  ja- 
mais çxifté  ;  ils  ont  foupçonné  Ulpien  ou  Tribonien  dVn 

(a)  Lix  cujufque  publici  :  Expreffion  de  Tadce  en  fes  Annal,  pour  juilifier  l€ 
Tarifées  Droits  ^ue  pouvoiçnc  exercer  les  Fermiers  de  la  République. 

(i)  Lex  Commijforia  >  c'eft-à-dire  une  condition  mife  d^ns  un  Contrat  »  fani 
Texécutioû  de  laquelle  le  Contrat  devenoit  iwtïLezconditioJine  qui  non.  Ua 
Traité  entier  du  Digefte  &  du  Code  traite  de  LigeCmmifforifi. 

{c)  François  Hptman  dans  U^  Notes  fur  les  Inftitutes  de  ^uftinleiV-L  i.  tit*  /  /j 
Se  dans  fes  An(iq«  Rom.  1.  /» 

(d)  Lib,  54.  cap.  6.  nunu  7. 

ie)  L.  1.  rit.  ^.ff.  d&CônJlitutionib.  Princip, 

(/)  Sed  &  quodPrincipiplacuity  Legis  hahet vigorfm ^  cwnLfgt  Regii  qud  dû 
ijus  Imperio  lata  efi ,  popmus  ti  &  in  eum ,  omne  mperiumfuum  &  pot^axem  ccin"*. 
çedat.  Infiit.  L  h  tit.  2.  j.  ft  ..5 

{g)  Licet  enim  Lex  Impenifolemnibus  Juris  Imperatorem  folveriuBx  imperfeSo^ 
h  j.   Cod.  de  Tenant» 

{h)  Tel  eft  François  de  Conan  ^  Jurifconfulte  François  dufcméme  fiécie  daaH 
fes  Commentaire^ /ar?J  Civilislib.  t.çap.  /ft 

Tçmcl,  ?• 


<i4  S.C  I  E  N  C  E 

avoir  fait  mention  pour  faire  leur  Cour  à  Alexandre  Sévère 
ou  à  Juflinien,  &  ils  ont  prétendu  que  ce  que  ces  Auteurs 
eii  ont  dit,  avoit  eu  pour  but  de  faire  cohfidérer  Tautoritë  de 
ces  Princes  comme  fondée  ,  non  pas  feulement  fur  la  force  , 
mais  fur  les  Loix  &  fur  un  établiffement  légitime.  La  Loi 
Royale  n'a  pas  été  faite  tout  d'un  coup ,  &  ce  qu'on  appelle 
de  ce  nom ,  ne  Ta  reçu  que  longrtems  après  Texiflence  de  la 
diofe  ;  ainfl  on  a  eu  beau  porter  des  regards  curieux  de 
t»us  les  côtés  j  il  étoit  impoflîble  qu  on  trouvât  une  Loi  for- 
melle. Si  Ton  eût  cherché ,  non  pas  le  nom  y  mais  la  chofe 
elle-même ,  non  pas  la  chofe  établie  en  un  feul  infiant ,  mais 
k  chofe  établie  infenfiblement  ,  on  Teût  trouvée  dans  tous 
les  Livres. 

..  P'autres  Auteurs  (a)  s^accordant  entr'eux  en  ce  point  que 
la  Loi  Royale  a  exifté  ^  fe  font  partagés  en  differens  fenti- 
mens  fur  fon  origine  &  fur  ce  qui  en  faifoît  le  fujet.  Leurs 
diverfcs  opinions  ont  été  réfutées  par  un  Sçavant  (h)  qui  le 
prejtnièi^a  établi  &  développé  un  fyflême  raifonnable  fur  la 
Loi  Royale. 

Lorfque  la  puiffance  des  Empereurs  commença  à  fe  for- 
mer ,  on  ne  fit  aucune  Loi  en  un  inftant ,  par  laquelle  le 
peuple  fe  dépouillant  expreflement  de  tout  le  Droit  qu  il 
àvoît  fur  lui-même  ,  le  transférât  folemnellement  au  Prince» 
Les  Romains  qui  avoient  chaflTé  leurs  Rois ,  ne  croyoient  pas 
que  la  liberté  des  peuples  pût  fubfifter  avec  la  Royauté.  Plein 
d'horreur  pour  te  ut  ce  qu'on  nommoit  Roi  y  Royaume  y  Ro- 
y  si  y  le  peupe  n'auroit  pas  voulu  alors  entendre  parler 
d'une  telle  loi  en  faveur  d'un  Romain ,  &  les  Princes  n'au- 

(a)  Manuce ,  dans  fon  Traité  des  Loix  Romaines  ;  Cujas  y  dans  fes  Notes  fur  les 
loftitutes;  Gifanius,  dans  tes  Notes  fur  le  Corps  de  Droit  Civil;  de  plufieurs  autres. 

(b)  Gronovius.  Voyez  la  mention  de  fon  ouvrage  dans  mon  Examen ,  à  TArticle 
dcBarbey/ac^ 


DU    GOUVERNEMENT.      ny 

roient  ofé  la  propofer.  Les  termes  de  Royal ,  de  Royaume  ^  de 
Roij  étoient  également  évités,  &  par  ceux  qui  avoient  ufurpé 
la  domination ,  &  par  ceux  qui  en  fubiflbient  pcUiemioenc 
le  joug*  Les  premiers  Empereurs  eurent  un  foin  extrême  de 
cacher  au  peuple  que  la  puifTance  qu'ils  exerçoient ,  étoîc 
royale  ;  ils  fe  firent  conférer  fucceflîvement  divers  titres ,  & 
s'emparèrent  ainfi  de  toute  Tautorité.  Les  peuples  libres  s'ao 
coûtument  aifémentà  la  fervitude ,  pourvu  qu'on  ne  la  nom- 
me pas  ainfi  ;  &  dès  que  la  flatterie  a  donné  atteinte  à  leurs 
libertés  ,  il  efl  bien  difficile  que  les  flatteurs  gardçnt  quel--» 
ques  mefures  &  qu'ils  trouvent  où  s'arrêter.  Les  Empereurs 
laiflbient  une  image  de  liberté  dans  la  République ,  par  les 
charges  de  Confuls  ,  par  la  continuation  du  Sénat ,  &  par 
d'autres  Tribunaux  {a).  Mais  &  les  Confuls ,  &  le  Sénat , 
&  les  Tribunaux  n'avoient  aucune  puiflance  réelle,  ils  n'é- 
toicnt  en  effet  que  les  exécuteurs  de  la  volonté  des  £mpe« 
reurs.  Les  divers  pouvoirs  donnés  ,  les  divers  honneurs  dé- 
férés ^  les  diverfes  diflindions  accordées  à  Jules-Céfar  de- 
puis la  bataille  de  Pharfale ,  les  difFerenjj  titres  de  la  puiflan- 
ce confiée  à  Augufte ,  toutes  ces  chofes  prifes  féparémenc 
n'étoient  pas  la  loi  Royale ,  mais  prifes  colleûivement ,  el- 
les la  renfermoient  fi  bien  qu'il  n'eft  point  dç  prérogative 
dont  Jules-Céfar  &  Augufte  n'ayentjoui ,  à  la  faveur  ^des  di- 
Verfes  conceffions  faites  4  ces  Princes  par  le  peuple  Romain^ 
Les  noms  changent- ils  la  nature  dé  la  chofe  ? 

Jules-Céfar  regnaTi  bien  en  Monarque  ,  qu'il  difpofoît  du 
Confulat  &  de  tous  les  autres  emplois  en  maître  ahfolu  , 
qu'il  fut  nommé  Didateurperpétuel ,  que  le  Sénat  ordoM» 

(d)  PToprimiiTihriofuUfcelnanuferrqmàpTi^^^^  Tocîfi 

Pij 


ii6  SCIENCE 

que  le  mot  â^Imfcrator  y  non  plus  comme  iurnom ,  mais  com- 
me prénom  &  comme  un  titre  d'autorité  ^  pafTerok  à  lui  ^  à 
fes  fils,  &  à  fes  petit-fils  à  perpétuité.  N'en  eft-ce  pas  aflez  ? 
Céfar  fiit  mis  au  rang  des  Dieux  (/)  ,  &  une  loi  infâme  prête 
à  être  portée,  lorfqu'il  fut  tué,  devoit  ordonner  que  toutes 
les  femmes  dont  il  voudroit  dvoir  lignée  ,  lui  feraient  foumifes  ^ 
f^  qu  aucune  nefourroitfe  refufer  ufes  déÇirs  (t). 

Augufle  ,  fous  le  titre  d'Empereur ,  écoit  fi  bien  le  Roi  & 
le  Souverain  de  Rome,  qull  avoir  même  été  élevé  au-deflus 
des  loix ,  &  que  fa  feule  volonté  étoit  un  moyen  légitime 
d'étouffer  leur  voix.  Il  avoir  été  debarafle  de  tous  les  liens 
^uî  gênoieht  les  Magiftrats  dont  il  avoit  rafîemblé  les  char- 
ges &  les  emplois  fur  fa  tête  (r).  Sous  le  nom  d'Empereur, 
Augufle  avoit  droit  de  guerre  &  de  paix ,  étoit  le  Général 
de  toutes  les  armées ,  &  jouiffoit  de  tous  les  privilèges  de 
kDiâature  dont  le  nom  étoit  devenu  odieux.  Comme  Cen- 
fcur  ,  il  n'y  avoit  aucun  Citoyen  qui  ne  lui  fut  foumis  ,  &  il 
étoit  auflî  puiffant  fur  la  Noblcffe  que  fur  le  peuple.  Initié  à 
tous  les  Sacerdoces ,  il  avoit  l'intendance  de  la  Religion* 
Son  titre  de  Tribun  du  peuple  le  rendoit  inviolable.  L'alFem* 
blage  de  toutes  les  Magiflratures  donnoit  à  Augufle  une 
puiSàncc  ahfolue* 

'  (aj  Cétôît  bién'ane  Coficume^es  peuples  de  h  Grèce  Se  deTASCf  de  bfitirdef 
Teàplei  aiix  Rob  &  même  aux  Proconfuls  qui  les  avoienc  gouvernés.  Voyez  les 
Lettres  à  Atcicusl.  5.  On  leur  faifoit  faire  cesoiofes  f  comme  le  témoignage  le 
]dus  fort  qalh  pulTent  donner  de  leur  fervitude«  Les  Romains  même  avoient  la 
liberté  de  rendre  à^s  honneurs  divins  à  leurs  Ancêtres  dans  des  Laraires  ouTem» 
pies  paniculiers  ;  mais  depuis  Romulus  jufqu'â  Cé&r ,  aucun  Romain  n*avoit  été 
fiis  au  pombre  des  Divinités  publiques.  Dion  >  liv.  47  f  dit  que  les  Triumvirs  qui 
efpéroient  tous  d!av.oir  quelque  jour  la  place  de  Céfàr ,  firent  tout  ce  qù^Is  purent 
^ur  mpaenter  If  sfionnéun  qi^on  lus  rendoir. 

(A)  nelvius  Cnnxy  Triiunus  pUbis  ^  jlerifque  confejfîis  ejl  habuijfe  fe/criptam 
fotacmque  LepM  qoâm  CMfarferr^fuJfiJfetiqtturn.ipft  âhefftî,  uti  uxores,  fifc- 
roruTi  qudm  crom  caujà^  quoai  &•  quod  vtllet  ducerf  lictret,  Suet.  U  1.  cap*  51. 

(0  Dion  Caffiui» 


DU    GOUVERNE  M  EN  T.      117 

Tout  ce  que  Jules  -  Céfar  &  Augufle  avoîent  obtenu  de 
prérogatiyes  Royales  j  infenfiblement  &  à  diverfes  reprifes  > 
tantôt  par  la  confidération  de  leurs  fervices  ^  quelquefois  par 
une  impreflîon  de  crainte ,  Tibère  &  leurs  autres  fuccef- 
feurs  j  jufqu'à  Romulus-^Auguflule  le  dernier  des  Empereurs^' 
lobtinrcnt  tout  à  la  fois  par  un  fcul  Arrêt  du  Sénat.  Il  n'y 
eût  que  quelques  Icgeres  différences ,  &  elles  ne  roulaient 
que  fur  les  divers  titres  dont  on  honoroit  les  Empereurs  ^ 
litres  que  les  uns  prirent  un  peu  plutôt  &  les  autres  un  peu 
plus  tard.  Se  que  quelques  Empereurs  ne  voulurent  même 
jamais  prendre  ;  mais  tous  s'emparèrent  delautorité  que  ces 
titres  défignoient.  Les  Livres  font  pleins  des  titres  ,  des 
droits ,  Se  des  honneurs  attribués  aux  Empereurs  par  le  Sé- 
nat. On  voit  partout  que  ce  corps  déféra  aux  fucceffeurs 
d' Augufle  tout  ce  qu'on  avoit  accoutumé  de  déférer  aux 
Chefs  de  TEtat.Le  même  ferment  de  fidélité  que  Rome  avoit 
prêté  à  Romulus  8c  à  fes  fucceffeurs  Rois ,  Rome  le  prêta  à 
Augufle^à  Tibère,  &  à  leurs  fucceffeurs  Empereurs»  Jufqua 
Tibère ,  Tufage  avoit  été  qu'un  feul  Sénateur ,  au  nom  &  en 
prélence  de  la  Compagnie  entière  ,  jurât  fur  les  aûes  du 
Souverain  ,  c'efl-à-dire  qu'elle  s'engageât  à  recevoir  &  à 
exécuter  tous  fes  ordres ,  &  c'efl  ainfi  que  le  Sénat  en  ufa 
avec  Tibère  même ,  dès  le  commencement  de  fon  règne  ; 
mais  dans  la  fuite ,  les  Sénateurs ,  l'un  après  l'autre ,  compa- 
rurent fucceflivement  devant  ce  troifiéme  Empereur  de 
Rome ,  &  prêtèrent  ferment  d'acquiefcer  à  toutes  fes  volon* 
tés.  Dion  Caflîus  énonce  fonnellement  qu'on  donna  à  Ti- 
bère ,  avec  les  autres  noms ,  celui  d'Empereur.  Le  même 
Auteur  parle  encore  plus  nettement  de  Caligula.  Il  dit  que 
ce  Prince  ,  en  un  feul  jour  ^  fe  ùif"-  He  tous  les  titres  donc 


ii8  SCIENCE 

on  s'étoît  avifé  pour  honorer  Augufte ,  peu  à  peu ,  en  divers 
tems ,  &  pendant  un  long  règne.  Il  nous  apprend  auffi ,  à 
regard  de  Claude ,  que  les  Confuls  fe  voyant  contraints 
d'entrer  dans  le  fentiment  des  Soldats  qui  Pavoient  élu  Em- 
pereur ,  lui  firent  décerner  les  honneurs  &  les  droits  qu'on 
dvoit  accoutume  de  donner  aux  Chefs  de  l'Etat.  Tacite  (a)  , 
parlant  du  commencement  du  règne  de  Néron ,  raconte  que 
l'avis  des  Soldats  fiit  fuivi  de  délibérations  du  Sénat.  Sué- 
tone (h)  dit  que  ce  Prince  étant  allé  dans  le  Scnat,  après 
s'être  fait  reconnoître  par  les  Soldats,  accepta  les  honneurs 
les  plus  relevés  dont  on  le  combloit ,  à  la  referve  du  titre 
de  pcre  de  la  patrie ,  qu'il  reflifa  à  caufe  de  fa  jeuncfle.  Dion 
rapporte  à  peu  près  les  mêmes  chofes  de  Galba  (c)  ;  Tacite  , 
d'Othon  (//)  &  de  Vîtellius  (/).  Le  même  Tacite  aflure  pré- 
cifement  que  le  Sénat  décerna  à  Vefpafien  tout  ce  qu'on  avoit 
accoutumé  de  déférer  aux  Chefs  de  l'Etat  (/). 

Ce  que  Tacite  a  dit  à  l'occafion  de  Vefpafien  eft  pleine- 
ment  juftifié  par  une  Table  de  cuivre  qui  a  été  trouvée  à  Ro-» 
me ,  dans  l'endroit  où  ctoit  autrefois  le  Capitole  &  qui  eft 
encore  aujourd'hui  confer  .ce  dans  la  Bafilique  de  S.  Jean  de 
Latran.  Ce  monument  hiftorique,  modèle  de  l'inveftiture 
des  Empereurs ,  a  fait  pafler  jufqu'à  nous  la  manière  dont  le 
Sénat  élifoit  celui  qui  étoit  élevé  à  l'Empire  de  l'Univers ,  8c 

(a)  Sententiaip  miluumffcutj.  Patrum  confulta.  Annal  Lih  li.  Cap.  €$.  n.  64^ 

( J)  Et  inàè  raptum  appellatis  militibus  in  Curiam  delatus  ejl...  ex  immenjis  quibui 

cumulabatur  kênoribuSf  tantum  patris  patriét  ncmine  recujato  propter  ataxm.  AnnaU 

Çap*  B» 

(c)  Dans  r  Abrégé  de  Xiphilhi  in  fine  vit  et  Neronis. 

(i)  Accurrunt  Patres  »  dccernicur  Otkoni  tiibunhia  potejlas ,  O  fwmen  Augujti  » 
&  omnium  Principum  honores.  Tacit.  Hi^.  1  ib.  i .  Cap.  47-  . 

ie)  In  Stnatu  'ciinôd  longis  aliorum  Principatibus  ccmpofita  >  fiatm  iecernuntuv. 

Hifi.  Lib.  Cap.   55.  ,         rr  n     r  J  '       tJ/l     T  'ï.    ^ 

"  (/)  -4.  Kom^i;  Senatus  cunua  Principibus fohta  Vnjpajiano  afcermt.  tiijU  Lio.  ft 
Cap.  3, 


DU    GOUVERNEMENT.       119 

à  qui  Ton  formoît  un  manteau  Royal  fait ,  pour  aînfî  dire  , 
de  pièces  rapportées  y  &  compofé  de  difFcrens  morceaux  de 
la  pourpre  des  Céfars  que  Ton  avoir  peu  à  peu  coufus  enfem- 
ble.  L'injure  des  tems  a  détruit  ce  qui  étoit  gravé  au  com- 
mencement de  cette  Table.  Voici  ce  qu'on  lit  dans  ce  qui 
nousenrefl:e(^). 

»  Qu'il  lui  foit  permis  (  à  Vefpafien  )  de  faire  alliance  avec 
»  qui  il  voudra  ,  comme  il  a  été  permis  à  Augufte ,  à  Tibère  ^ 
&  à  Claude. 

»  Qu'il  lui  foit  permis  de  convoquer  le  Sénat ,  d'y  propo- 
»fer  ce  qu'il  voudra,  de  le  congédier,  &  de  faire  des  Or- 
^  donnances  du  Sénat ,  en  propofant  les  affaires  &  deman- 
»  dant  les  fuffrages ,  comme  il  a  été  permis  à  Augufte ,  à 
»  Tibère ,  &  à  Claude. 

»Que  lorfque  le  Sénat  fe  tiendra  à  fa  volonté  ou  par  îbh 
»  ordre  8c  en  fa  préfence  ,  tout  ce  qui  s'y  paffera ,  ait  la  me- 
»  me  force  &  foit  obfervé  comme  fi  le  Sénat  avoit  été  con- 
»  voqué  &  fe  tenoit  félon  les  Loix. 

»  Que  lorfqu'il  aura  recommandé  au  Sénat  &  au  peuple 
»  Romain  quelques-uns  de  ceux  qui  demandent  une  charge, 
»  une  dignité ,  un  commandement,  l'adminiftration  de  quel- 
»  que  chofe  que  ce  foit ,  ou  qu'il  leur  aura  donné  ou  promis 
»  fon  fuffrage ,  on  y  ait  égard  extraordinairement  dans  tou- 
»  tes  les  affemblées. 

»  Qu'il  lui  foit  permis  d'étendre  les  bornes  de  l'enceinte  de 

(a)  Francifcus  de  Albertinis  eft  le  premier  qui  a  publié  ce  morceau  dans  TOu- 
vrage  qui  a  pour  titre  :  De  mirandis  vel  urb,  Roniét  Lib.  2.  Ed.  de  Rom.  i|io^ 
Plufîeurs  autres  Ecrivains  Font  auffi  rapporté  tout  au  long,  comme  Anton.  Au- 
guilin  de  Legibus  ^  &  Setis  au  mot  Regia,  On  le  trouve  dans  l'Ouvrage  de  Martin 
Schoocejus  de  Lige  Regia  Cap.  14.  Num.  i.  Dans  le  Recueil  des  Infcriptîons  de 
Gruter ,  pag.  242.  Dans  Gronovîus  ,  dont  on  peut  voir  Tarticle  dans  mon  £xa« 
men.  Dans  le  Recueil  des  anciens  Traités  fait  par  Baibeyrac  ^  pag.  17»  de  la  fe-* 
conde  partie ,  &  dans  plufieurs  autres  LiYres« 


120  SCIENCE 

7>  la  ville  ,  aufli  loin  qu'il  le  trouvera  à  propos  pour  le  bien 

»  de  la  République  y  comme  il  a  été  permis  à  Claude. 

»  Qu  il  ait  le  pouvoir  &  Fautorité  de  faire  tout  ce  qu'il  ju- 
»  géra  avantageux  à  la  République  &  convenable  à  la  majefté 
«des  chofes  divines  &  humaines,  publiques  &  particulier 
»  res  j  comme  l'ont  eu  Augufte,  Tibère  &  Claude. 

»  Que  l'Empereur  Vefpafien  foit  exempt  de  fe  conformer 
»  aux  Loix  &  aux  Ordonnances  du  peuple  dont  il  a  été  or- 
»  donné  qu'Augufte,  Tibère  9  &  Claude  ,feroient  difpenfés, 
»  &  qu  il  foit  permis  à  Velpafien  de  faire  tout  ce  qu' Augufte, 
»  Tibère  &  Claude  ont  pu  faire  en  vertu  de  quelque  Loi. 

»  Que  tout  ce  qui  aura  été  fait  j  exécuté ,  ordonné ,  com* 
»  mandé  par  Vefparien,&  que  tout  ce  que  quelqu'un  aura  fait 
>>  par  fon  ordre  avant  Tétabliffement  de  la  préfente  Loi,  foit 
»  cenS^  dûement  &  légitimement  fait,  tout  comme  û  cela  avoit 
»  été  fait  par  ordre  du  peuple, 

SANCTION     (O- 

»  Si  quelqu'un ,  pour  fatisfaire  à  cette  Loi ,  fait  quelque 

(a)  Du  mot  Grec  qui  veut  dire  Negotium ,  font  venus  les  mots  Pratique  fiç 
Praticien  ,  le  mot  Latin  Prugmatium  qui  fignifie  un  Edit  de  l'Empereur  ,  le  mot 
Efpagnol  Pragmacion  qui  veut  dire  Ordonnance  >  fie  notre  mot  François  Pragma^ 
tique.  On  conçoit  dans  toute  Loi  deux  parties.  L*une ,  qui  détermine  ce  qu'il  faut 
ou  faire  ou  ne  pas  faire.  C'eft  ce  qu'on  appelle  le  Règlement.   L'autre  y  qui  dé- 
clare la  peine  qu'on  s'attirera  en  ne  faifant  pas  ce  que  la  Loi  ordonne  »  ou  ea 
faifant  ce  qu'elle  défend.  C'efl  ce  qui  s'appelle  la  Sanâtion.  Aînfî  ,  la  Pragmatique 
&  la  Sandlion  font  deux  parties  d'une  même  Loi  ,  &  non  pas  deux  différentes 
fortes  de  Loix.  L  une  &  l'autre  de  ces  parties  font  également  néceflaires.  Il  ne 
ferviroit  de  rien  de  dire  :  Faites  cela  j  ft  Ton  n'ajoutoit  autre  chofe.  Il  ne  feroit  pas 
moins  déraifonnable  de  dire  y  Vous  fubire^  une  telle  peine  ,  fi  cette  menace  n'étoil 
précédée  de  la  raifon  pourquoi  on  fera  foumis  à  un  tel  châtiment.  En  France  »  nous 
appelions  du  nom  de  Pragmatique  Sanâion ,  les  Edits  faits  par  le  |lpi  fur  les  Re^ 
montrances  des  peuples  ,  ou  les  Arrêtés  faits  par  les  peuples  ôc  qui  font  auiorifés 
par  le  Roi  ,  fous  le  bon  plaifir  de  qui  ils  avoient  été  faits.  Cette  dénomination 
dillingue  ces  fortes  d'Edits ,  de  ceux  faits  par  le  Pyince  de  fcn  propre  mouvet* 
ment.   Pragmatique ^Sanâîion  de  S.  Louist  Pragmatique^ SanSion  de  Bourges  ,  ou 
¥ragmAtiqne^S§nSion  paj  excellence  »  Pra^natique^San^ion  de  Vicnnet 

»  chofg 


DU    GOUVERNEMENT.       121 

•  chofe  contre  les  Loix^  contre  les  Ordonnances  du  peuple, 
»  contre  les  Arrêts  du  Sénat ,  ou  au  contraire  ne  fait  pas 
»  quelque  chofe  ^  qu'il  étoit  tenu  de  faire  par  une  Loi  y  par 
»  une  Ordonnance  du  peuple,  par  un  Arrêt  du  Sénat  5  que 
V  cela  ne  lui  porte  aucun  préjudice  ,  qu'il  ne  foit  pas  obligé 
n  de  rien  donner  au  peuple  y  à  caufe  de  cela,  que,  perfonne 
»  n'en  prenne  connoiflance,  &  ne  fouffre  qu'on  le  cite  pour 
»  ce  fujet  devant  lui.  <c 

Telle  eft  la  Loi  Royale  ou  de  l'Empire.  On  a  remarqué. 
(4)  que  voulant  égaler  dans  chaque  Article  le  pouvoir  de 
Vefpafien  à  celui  des  précédens  Empereurs  ,  le  Sénat  ne 
nomme  jamais  qu'Augufle  ,  Tibère ,  &  Claude. 

Rome  fe  fiit  offenfée  du  nom  de  Roi ,  elle  qui  ne  s'offen- 
foit  pas  de  l'autorité  Royale  ;  la  qualité  de  Roi  étoit  abolie^ 
mais  l'autorité  attachée  à  ce  titre  fubfiftoit  en  entier.  Oa 
jouoit  une  pareille  comédie  ,  toutes  les  fois  que  le  Couver* 
nement  changeoit  de  main.  On  répétoit  la  même  Ordon* 
nance  du  Sénat  avec  quelques  petites  différences  dans  l'inau-^ 
guratipn  de, chaque  Empereur.  Il  y  a  apparence  que  le  Se-* 
natus-Confulte ,  par  lequel  les  Empereurs  étoient  revêtus  de 
l'autorité  Souveraine  ,  ne  fut  appelle  par  les  Jùrifconfultes 
Loi  Royale ,  que  lorfque  le  peuple  Romain ,  accoutumé  de- 
puis long-tems  au  joug  d'une  domination  Monarchique  » 
n'eut  plus  la  moindre  ombre  d'utie  liberté,  en* eut  perdu 
jufqu'à  la  mémoire,  lorfque  perfonne  n'avoit  honte  decraio. 
dre  l'Empereur  ,  lorfque  le  Prince  pouvoit  tout  Se  que  le 
peuple  ne  pouvoit  rien. 

Chaque  Etat  a  une  Loi  fondamentale  différente  de  celle  rautne  lom  r» 

^  le*  mtmtt  dan* 

d'un  autre  Etat.  On  peut  dire  en  particulier,  de  ces  Loix  S^^'^'^'jâtt 

.■   (<t)Tilleinont^Hiibif^d«^perww.  ^       5ïn;'^"'îlTK 


n2.  S  C  i  E  N  0  È 

fondamentales  ,  ce  que  j'ai  dit  en  général  des  Loîx  civiles  f 
qu'elles  ne  font  pas  les  mêmes  partout.  Dans  certains  pays  ,• 
la  Loi  de  TEtat  a  fondé  un  Gouvernement  populaire  dans' 
quelques  Auteurs  ,  un  Gouvernement  Ariftotrarique  ;  dfens? 
les  uns,  une  Monarchie abfolue ;  dans  les  autres  ,  une  Mo-^ 
narchie  tempérée.  L'ordre  de  la  fucceffion  aux  Couronnes 
éft  de  même  inégal ,  félon  la  Loi  particulière  de  chaque  pays. 
Quelques  Couronnes  font  éleilivcs ,  quelques  autres  fonr 
héréditaires.  Dans  le  Royaume  où  J'écris,  la  LoiSalique 
exclut  abfolument  les  filles  de  la  fucceffion  ,  &  fuit  le  cours 
du  Sang  Royal  dans  les  mâles,  au  lieii  que  dans  d'autres  les 
femmes  font  appellées  à  la  fucceffion  au  défaut  de  mâles. 
•  La  première  8c  la  principale  règle  du  Droit  public  de 
chaque  fociété  civile  ,  c'eft  la  Loi  qû*on  nomme  de  rEtat 
par  excellence ,  parce  quelle  en  eft  la  Loi  fondamentale  , 
qu  elle  le  conftitue  ,  qu'elle  détermine  la  forme  de  fon  Gour 
vernemcnt ,  &  qu'elle  règle  la  manière  dont  le  Monarque  y 
cft  appelle ,  foit  par  éledion ,  folt  par  fucceffion ,  celle  dont 
il  doit  gouverner  ou  celle  dont  la  Republique  doit  être  ré- 
gie. Telle  étoît  à  Rome  la  Loi  Royale  dont  je  viens  de  par- 
ler ;  telle  eften  France  la  Loi  Salique  ;  telles  font  eh  Aile-» 
magne  la  Bulle  d'Or  ;  en  Portugal ,  la  Loi  Lamego  ;  en  An* 
gleterre  ,  la  Grande  Charte  ;  en  Pologne  ,  les  PaBa,  Con^ 
iventayçïi  Curlande^les  Fada  SubjeSlicms  ;  en  Dannenïafc, 
la  Loi  Royale  ;  en  Hollande,  l'Union  d'Utrecht  ;  &  ainfi 
de  toutes  les  autres  Loix  confticiitivcs  de  quelque  Gouverne^ 
ment  que  ce  foit ,  &  dont  on  verra  les  détails  dans  la  fuite 
de  cette  Introdudlion* 
4i.LeDr«taoît  Deux  points  font  à  çonlîdérer  dans  le  Droit.  L*un  con^ 
•î^^'aî'toSi  fifte  en  l'examen  du  Droit  ea  foi^  teLjqu-U  appartient  à  I4 


D  U    G  OU  V  E  R  N  B  M  E  N  T.     ,113 
rpèrfonné  dui  .veiit  rexercer.  L  autre  ,  en  la  manière  de  ren^  &  wr  wppon  à 
-are  à  chacun  ce  qui  lui  appartient.  C  eftisc  que  les  Praticiens  4^^p.j'|5"f^*ïfJ^^^ 
appellent  le  fonds  &  la  forme-  ,  BR^^if: 

La  forme  ,  çeft-à-dire  la  manière  de  faire  les  procédures  "^•*^*"^'**^ 
dans  les  Tribunaux;  de  Judicature ,  réfulte  d'un  nombre  in- 
fini de  détails  qui  ne  font  pas  de  mon  fujet.  La  chicane  ,  cp 
monftre  inventé  &  entretenu  par  Ja  lubtilivé  des-  Plaideurs 
pour  anéantir  la  juftice ,  n'a  que  trop  multiplié  ces  détails* 
Cette  forme  des  procédures  eft  réglée  dans  tous  les  Etats 
.par  les  Ordonnances  des  Souverains  ,  &  ils  ont  établi  des 
Officiers  pour  en  faire  obferver  les  règles. 

Le  fonds  du  Droit  regarde  les  perfonnes  ou  les  chofes.  4».  n^fînitiv» 
Nous  acquérons  un  Droit  furies  perfonnes,  lorfqiiç  .,.paf  p^rfonncf."  *"* 
une  convention  foit  exprefle  ,  foit  tacite ,  quelqu'un  nous 
confère  l'autorité  de  lui  ordonner  les  chofes  qu'il  doit  faire  ^ 
&  de  lui  défendre  celles  dont  il  doit  s  abftenir  ,  &  qu'il  fe 
foumet  à  fe  conformer  à  notre  volonté  &  à  être  puni  d'unç 
certaine  peine,  s'il  s'en  éloigne.  De  toutes  les  fociétés  bu  fim- 
ples  &  primitives ,  ou  compofées  &  dérivées,  dont  j'ai  parlé 
en  donnant  l'idée  de  la  Science  du  Gouvernement ,  il  n'en 
eft  aucune  où  l'on  ne  trouve  des  exemples  de  ce  Droit  fur 
les  perfonnes.  J'en  traiterai  dans  le  volume  du  Droit  Public, 

Le  Droit  fur  les  chofes  eft  originaire  ou  défiré.  Nous  y  ^5.  Définîiîon 
avons  acquis  un  Droit  originaire  ,  lorfque  ceux  qui  y  avoient  chofest'diw  fonî 
un  Droit  commun  y  ont  renoncé  en  notre  faveur  expreffe-  S^owîliSU^ 
ment  ou  tacitement.  Nous  y  acquérons  un  Droit  défiré ,  lorf-  homiMs  y*^onï^f 
que  ceux  auxquels  elles  étoient  propres  en  difpofcnt  &  nouas^'g*  «*  *«• 
les  cèdent  à  nous  ,  qui  n'y  pouvions  rien  prétendre  aupa- 
yavant» 

La  différence  cffcntielle  adoptée  par  tous  les  Tribunaux  de 

Qij 


«4  SCIENCE 

France  entre  les  meubles  &  les  immeubles  y  c'eft  que  les 
meubles  fuîvent  la  perfonne ,  &  font  régis  par  les  Loix  du  do- 
micile j  au  lieu  que  les  immeubles  font  réglés  par  celles  de  la 
fituation.  En  meubles ,  il  n'y  a  point  de  reftitution  à  caufe 
de  la  lézion  d'outre  moitié  du  jufle  prix  ;  mais  en  immeubles, 
cette  reftitution  a  lieu  (a).  Le  meuble  n'a  point  de  fuite  par 
hypothèque  ;  mais  Timmeuble  reçoit  Timpreffion  de  l'hy- 
pothèque. 

C'eft  par  la  voie  des  conventions  ou  par  celle  des  fucceC* 
fions ,  que  fe  fait  Tacquifirion  des  chofes.  L'ordre  des  focié- 
tés  civiles  fe  conferve  dans  tous  les  lieux ,  par  les  engage- 
mens  que  les  hommes  ont  naturellement  ou  qu'ils  prennent 
les  uns  envers  les  autres  ;  &  îlfe  perpétue  dans  tous  les  tems  , 
par  les  fucceffions  qui  appellent  certaines  perfonnes  à  la  pla- 
ce de  celles  qui  meurent  y  pour  ce  qui  peut  paffer  à  des  Suc- 
ceffeurs.  Les  fucceffions  forment  un  engagement ,  en  ce  que 
ceux  qui  les  recueillent ,  entrent  dans  les  mêmes  obligations 
où  ctoient  les  perfonnes  dont  ils  héritent.  Ce  n'eft  pas  néan- 
moins fous  l'idée  d'engagement  qu'il  faut  confidérer  les  fuc- 
ceffions ;  elles  doivent  être  regardées  du  côté  du  changement 
qui  fait  paffer  les  biens ,  les  droits ,  les  chargés ,  de  ceux  qui 
meurent,  à  leurs  fucceffeurs. 
f  II  eft  des  engagement  de  deux  efpeces. 

Les  uns  fe  forment  par  la  volonté  mutuelle  de  deux  ou 

44.  Deux  et  *  ^r  . 

gcw  d'engigc-  plufîeurs  perfonnes  y  dans  les  ventes ,  dans  les  échanges  ^ 
dans  les  louages  y  dans  les  tranfaâions  y  dans  les  compro^ 
mis  &  dans  les  conventions  de  toute  nature. 

Les  autres  font  pris  1^.  fans  le  confentement  mutuel ,  par 
la  volonté  d'une  feule  perfonne.  C'eft  ainfi  que  celui  qui  con-» 

"  (fi)  l'fg'  a.  Cod.  de  Refc.  vend. 


DU    GOUVERNEMENT,       125 

duit  TafFaire  de  fon  ami  abfent ,  s'engage  ,  par  fa  volonté 
feule ,  fans  le  concours  de  celle  de  cet  abfent.  Il  eft  préfumé 
avoir  promis  d'en  ufer  en  bon  père  de  famille  j  8c  celui  dont  il 
fait  les  affaires,  eft  cenfé  s'être  obligé  de  Tindemnifer  des  frais 
qu'il  feroît  utilement.  2^ .Sans  Consentement  expre's.  Ccft 
ainfi  que  ceux  qui  entrent  dans  des  Cliarges  Municipales  ou 
dans  quelques  Offices  de  Judicarure  ,  font  engagés  d'en  rcm« 
plir  les  fondions  ;  que  ceux  que  les  Loix  du  pays  appellent 
à  une  tutelle ,  font  obligés  de  prendre  foin  de  la  perfonne  âç 
des  biens  des  Pupilles  ou  des  Mineurs  confiés  à  leurs  foins  j 
&  que  ceux  qui  exercent  des  emplois  publics  doivent  pro^ 
tégcr  les  perfonnes  foumifcs  à  leurs  emplois. 

Tous  ces  engagemcns  j  tant  volontaires  qu'involontaires  ^ 
ont  des  fuites ,  comme  les  hypothèques  ^  les  privilèges  des 
créanciers ,  les  obligations  fubfidiaircs ,  le^  cautionncmens , 
&  les  autres  a£les  dont  le  caraâère  eft  d'ajouter  aux  engage* 
mens  ou  de  les  affermir  ;  pu  comme  les  payemens  ,  lesçom^ 
penfations  ,  les  novations  ,  les  refcifions  ,  &  les  reftitution$ 
en  entier ,  qui  changent  ^  diminuent  ^  ou  anéanciffent  les 
cngagemens. 

Ces  deux  efpeces  de  fuites  qu'ils  ont ,  réduifent  donc 
cette  matière  i^.  Aux  conventions  qui  font  les  cngdgci^ens 
volontaires  &  mutuels.  2^.  Aux  engagemens  qui  le  forment 
fans  conventions.  3^.  Aux  fuites  qui  ajoutent  aux  engage- 
mens ou  qui  les  affermiffent.  4^.  Aux  fuites  qui  ançantiifent , 
diminuent,  ou  changent  les  engagemens,. 

Il  y  a  une  différence  effenticUe  entre  les  devoirs  de  l'hu-    4^,  Troi*  fti... 
manité,  &  ceux  de  la  juftice  proprement  ainfi  nommée.  Les  Mwîdfcr«J5cî 
devoirs  de  l'humanité  ne  fuppofent  aucune  convention  ex- 
prefle  ou  tacite  ;  ils  font  uniquement  fondés  fur  les  obliga- 
tions que  la  nature  impole  à  tous  les  hommes  :  au  lieu  qu& 


i2<$  SCIENCE 

les  devoirs  de  la  juftice  y  de  Droit  étroit  y  découlent  d'une 
convention  par  laquelle  on  a  acquis  fur  nous  un  droit  parti- 
culier )  de  notre  propre  confentement.  Il  eft  abfolument  li- 
bre à  chacun  de  faire  &  de  ne  pas  faire  des  conventions  ; 
mais  il  eft  de  droit  naturel  ,  que  les  conventions  faites  foient 
exécutées.  Toute  convention  exprefle  produit  quelque  obli- 
gation dont  on  n'étoit  pas  tenu  par  la  Loi  naturelle ,  du 
moins  d*une  manière  précife  &  déterminée. 

Il  eft  des  obligations  purement  naturelles  >  il  en  eft  de 
purement  civiles ,  il  en  eft  de  mixtes* 

L'obligation  purement  naturelle  ne  donne  point  d'ac- 
tion en  juftice.  Tel  eft  l'engagement  dun  Mineur,  à  qui 
Ton  a  prêté  de  l'argent  fans  le  confentement  de  fon  Tuteur. 
Le  créancier  ne  peut  en  obtenir  le  rembourfement  par  la 
voie  des  Tribunaux  de  Judicature  ;  mais  le  Mineur  ne  laifTe 
pas  d'ctre  obligé  en  confcience  de  rendre  ce  qu'il  a  em- 
prunté. 

L'obligation  purement  civile  n'eft  fondée  que  furies  Loîx 
civiles.  Elle  donne  une  aftion  en  juftice  j  c'eft-à-dire  que 
celui  qui  refufe  de  nous  rendre  ce  qu'il  nous  doit  en  vertu 
d'un  tel  engagement ,  peut  y  être  contraint  par  leMagiftrat; 
&  c'eft  pour  cela  que  l'hypothèque ,  qui  dans  le  Droit  Ro- 
main ,  eft  appellée  Droû  Réel  (  /t  )  ,  eft  définie  parmi  nous 
une  obligation  des  immeubles ,  laquelle  afliire  l'exécution  des 
engcigcmcns  contra£lés. 

L'obligation  mixte  renferme  un  engagement  appuyé  &  fur 
l'équité  naturelle  &  fur  l'autorité  du  Droit  Civil. 
^reîir^r5:"cn      L'obligatlob  &  le  droit  qui  en  naît ,  font  relatifs.  Par  les 
conventions  qu  ils  font ,  les  hommes  contractent  des  enga- 
gcmens  accclToires  aux  engagemens  naturels;  les  uns  entrent 

ia)  Juj  in  rc  jftvc  Jus  Ttolc 


4«.  PehHf  arîon 


DU    GOUVERNEMENT.      127 

dans  un  engagement  obligatoire,  &. les  autres  acquièrent  un 
droit.  Dès  qu'une  perfonne  contrade  quelque  engagement 
par  ces  conventions  volontaires  ,  une  autre  acquiert  nécef- 
fairement  un  droit  qui  en  efl  le  corrélatif.  On  ne  fçauroit  être 
tenu  par  les  Loix  humaines  de  faire  une  chofc ,  fans  que  quel- 
qu'un n'ait  droit  de  l'exiger. 

Les  promeffes  font  abfolues  ou  conditionnelles.  47.  ut  prwief* 

Les  abfolues  font  celles  par  lefquelles  on  prend  quelque  <»«  conaidoanri. 
engagement ,  indépendamment  de  toute  condition.  ^"  gwwi^». 

Les  conditionnelles  font  relatives  à  certaine^  conditions 
attachées  à  la  promeflc.  Quoique  ces  conditions  donnent 
toujours  le  droit  de  contraindre  à  les  exécuter ,  l'engage- 
ment auquel  elles  ont  été  ajoutées ,  n*en  dépend  pas  toujours; 
.  mais  d'ordinaire ,  celui  qui  s'efl  fournis  à  la  condition  ne  peut 
exiger  l'exécution  de  la  promeffe ,  s'il  ne  remplit  la  condi- 
tion à  laquelle  la  promeffe  a  été  attachée  (4). 

Les  obligations  font  produites  par  des  actes  qui  lient  tou- 
tes les  perfonnes  qui  les  font ,  ou  qui  n'en  lient  qu'une.  Dans 
le  premier  cas ,  l'aûe  eft  une  convention ,  une  promeflc  ré- 
ciproque ;  dans  le  fécond ,  il  n'eft  qu'un  contrat  gratuit. 

Les  promeflcs  réciproques  renferment  une  obligation  de 
part  &  d'autre  ,  où  chacune  des  parties  eft  obligée  de  don- 
ner ou  de  faire  quelque  chofe ,  &  où  l'obligation  contra£lce 
par  Tun  eft  le  prix  de  l'obligation  contradlée  par  l'autre. 

Le  contrat  gratuit  peut  être  conçu  de  l'une  de  ces  trois 
manières. 

i^.  D'une  manière  qui  déclare  la  volonté  où  Ton  eft  de 
faire  quelque  chofe  ,  fans  qu'on  prétende  s'impofer  la  nécef. 
fitc  de  perfifter  dans  cette  volonté.  Cette  (impie  déclara- 

(a)  Cdt  ce  ^ue  Ici  JurifconfiiltCi  appellent  conditio  Jine  qui  non. 


,28  SCIENCE 

tion  de  là  volonté  aôuelle  n'oblige  pas  9  &  elle  n^acquîeit 
aucun  droit  à  perfonne*  Dire  qu'on  fera ,  qu'on  a  intention 
de  faire ,  ce  n'eft  pas  faire  aftuellemenr. 

2^.  D*une  manière  qui  annonce  à  quelqu'un  la  réfolutîon 
qu  on  prend  en  fa  faveur ,  &  Tintention  où  Ton  cft  d'y  per- 
fiftcr  irrévocablement ,  fans  qu'on  prétende  attribuer  à  celui 
envers  qui  l'on  prend  cette  rciblution  ,  le  pouvoir  d'exiger  à 
la  rigueur  ce  qu*on  lui  fait  efpcrer.  C'eft  une  promefTe  im- 
parfaite qui  oblige  celui  qui  la  fait ,  mais  qui  ne  donne  au- 
cun droit  à  celui  à  qui  elle  eft  faite.  Il  en  cft  de  cette  pro- 
meffe  comme  de  la  rcconnoiffance  qui  lie  celui  qui  a  reçu  le 
bienfait  y  fans  attribuer  aucun  droit  à  celui  de  qui  il  l'a  reçu» 
Ici  y  fe  rapportent  les  promeffes  qu'un  Souverain  fait  à  fon 
fujet  y  un  père  à  fon  fils  non-émancipé,  un  maître  à  fon  fer* 
vitcur.  Le  Souverain ,  le  père  y  le  maître  font  obligés ,  par 
le  Droit  naturel  y  de  tenir  leur  parole  ;  mais  comme  il  n'y  a 
point  de  Tribunal  devant  lequel  ils  puifTent  être  pourfuivis  y 
le  fujet,  le  fils,  le  ferviteur ,  nont  pas  droit,  à  la  rigueur  ^ 
de  pourfuivre  l'exécution  de  ce  qui  leur  a  été  promis.  La 
qualité  des  perfonnes ,  parmi  lefquelles  le  droit  doit  répon- 
dre à  l'obligation ,  empêche  l'efTet  extérieur  de  l'obligation. 
3^.  D'une  manière   qui  ne  contienne  pas  une  fimple  ef- 
pérance  ,  mais  un  engagement  aâucl,  qui  ne  regarde  point 
l'avenir  mais  le  préfent ,  &  où  Ton  ne  dit  pas  :  Je  donnerai  , 
mais/V  donne.  Lorfqu'on  marque  fimpîcment  qu'on  eft  dans 
l'intention  de  faire ,  on  eft  cenfé  délibérer  encore  &  fe  ré- 
ferver  le  droit  de  varier  ;  mais  fi  l'on  affure  qu'on  fait ,  qu'on 
promet,  qu'on  s'oblige,  qu'on  donne,  ces  termes  cxclucnç 
toute  délibération  future ,  &  lient  irrévocablement  dans  tou- 
tes ks  promeffes.  Il  en  faut  excepter  le$  teftamens ,  où  c^uand 

"^  on 


DU  GOUVERNEMENT^  12^ 
on  dit ,  QUtm  tel  foit  mon  héritier  ^  on  fous-entend  toujours  ^ 
Si  far  un  tefiàment  fofiérieur  je  nen  nomme  pas  un  autre  • 

Pour  rendre  la  donation  parfaite  ,  il  n*eft  pas  néceffaîre 
que  la  tradition  de  la  chofc  qu'on  donne,  fe  faffe  fur  le  champ  , 
iljuffit  que  la  donation  foit  conçue  en  termes  qui  ne  per- 
mettent pas  au  Donateur  de  varier.  Le  droit  d'exiger  eft  alors 
parfait ,  quoique  l'exercice  de  ce  droit  ne  foit  pas  préfcnt. 
Le  retardement  à  exiger  la  choie  donnée ,  eft  renfermé  dans 
h  donation;  &  loin  d'y  être  contraire  ,  il  en  eft  rcxécution» 

Les  engagemens  volontaires  doivent  être  proportionnés  48.LcfpfOfiirf. 
aux  difFcrens  befoins,  qui  en  rendent  l'ufage  néceffaire  aux  tiônsiu?<SlSfoïi 
hommes--  Chacun  peut  fe  lier  par  des  conventions ,  &  les  '^"^ 
diverfifier  au  gré  des  combinaifons  que  les  circonftances 
mettent  dans  Jes  affaires  ;  mais  il  faut  que  les  engagemens 
foient  conformes  à  l'ordre  de  lafociété,  car  ceux  qui  blef- 
fent  les  Loix  civiles  font  illicites.  On  ne  peut  rien  promettre 
contre  la  volonté  du  fuprême  Légiflateur, 

Tout  engageiTient  eft  nul ,  s'il  eft  impoffible  d'en  remplir 
l'exécution ,  s  il  eft  contraire  aux  Loix  &  aux  bonnes  moeurs^ 
s'il  blefle  des  devoirs  plus  effentiels.  Un  engagement ,  mar- 
qué à  ces  cara£tcres ,  eft  impuiffant  à  produire  l'effet  qu'on  a 
voulu  lui  donner  ,  &  il  peut  même  foumettre  à  des  peines 
ceux  qui  l'ont  contraÔé.  La  raifon  nous  défend  de  tenir  \q^ 
promeffes  &  les  conventions  déraîfonnables.  Ne  pas  retraflter 
une  promeffe  illicite ,  c'eft  adhérer  à  une  chofe  vicieufe. 

On  contra£le  une  obligation ,  non-feulement  en  donnant    ^^.dhml^ 
ioi-même  fon  confentement  à  cette  obligation ,  mais  encore  |Iw  proclrw?'* 
en  autorîfant  un  tiers  à  le  donner.  Ce  tiers,  que  l'on  appelle 
Procureur  ou  Mandataire ,  doit  êtreautorifé  par  une  procu- 
ration exprelte,  &  cette  procuration  ne  lit  celui  qui  la  donne^^ 

Tême  U  K 


1 50  SCIENCE 

que  dans. retendue  du  pouvoir  qui  y  eft  exprimé. 
-  ço.DcsDoïut-     La  donation  entre-vifs  eft  de  deux  fortes,  Tune  dans  la- 

ns  nirc-v  s.  ^^^jj^  |^  tradition  eft  réelle  &  aduelle ,  pour  jouir  par  le 
Donataire  même  pendant  la  vie  du  Donateur  j  Tautre  où  la 
tradition  eft  feinte  &  la  donation  faite  avec  réferve  d'ufu- 
"fruit,  où  le  Donataire  eft  maître  des  biens,  mais  où  le  Do- 
nateur continue  d'en  jouir  à  titre  précaire. 

Cette  donation  peut  être  révoquée ,  lorfque  le  motif  qui  a 
déterminé  à  donner,  cefTe.  Si  le  Donataire  de  qui  le  Dona- 
teur devoit  attendre  de  la  reconnoiflance ,  fait  au  Donateur 
quelque  injure  qui  marque  fon  ingratitude  ,  ou  fi  le  Donateur 
vient  à  avoir  des  enfans ,  les  Loix  civiles  fuppofc^t  que  le 
Donateur  n'eût  pas  fait  la  donation  ;  s'il  eût  connu  le  carac- 
tère du  Donataire ,  s'il  eût  crû  avoir  dans  la  fuite  des  enfans. 

çi.DeitPref.  Ce  feroit  ici  le  lieu  de  parler  du  Droit  qui  s'acquien  par 
cripuon.  j^  prefcription  j  mais  dans  le  Droit  des  Gens ,  je  traite  de  la 
prçjfcription  ,  relativement  &  au  Droit  civil ,  &:  au  Droit  pu- 
b4ic  ,  .&  au  Droit  des  Gens.  Je  n'ai  pas  dû  difcuter  féparé- 
ment  une  matière  qui  ne  pourroit  être  divifée  ,  fans  perdre 
dfi  fa  clarté. 

5».Dejiucccf.  L'ordre  des  fuccçffions  eft  fondé  fur  la  néceffîté  de  tranf- 
mettre  les  biens  d'une  famille  ,  de  la  génération  qui  pafle  à 
celle  qui  fuit.  Cet  ordre  fait  fuccédcr  infenfiblement  de  cer- 
taines perfonnes  krla  place  de  celles  qui  meurent ,  &  les  fait 
entrer  dans  les  droits ,  dans  les  charges ,  dans  tous  les  rap- 
pons ,  Se  dans  tous  les  engagemens  qui  peuvent  paffer  à  des 
fuçceflcurs. 

Il  eft  deux  manières,  de  fyccéder.:  l'une ,  dans  l'ordre  de 
la. nature  qui. appelle  aux  fucceflioos  les  defcendans  ,  les  af- 
cçndans ,  |fe  les  proches  parens  ;  l'autre  >  dans  Tordre  de  la 


DU    GOUVERNEMENT.      131 

volonté  de  ceux  qui  meurent  &  qui  nomment  des  héritiers  ^ 
ou  des  légataires. 

Les  fucceffions  légitimes  font  d'inflitution  divine.  Au  dé- 
faut d'enfàns  mâles  y  le  Seigneur  Jappelle  les  filles  ;  &  au  dé* 
faut  de  filles ,  les  frères  ;  au  défaut  des  frères ,  les  oncles  ; 
&  enfin  les  plus  proches  en  degré  ;  &  il  veut  que  ce  foit  une 
Loi  fainte  &  permanente  parmi  les  enfans  d'Ifracl  (a).  Ces 
fucceffions  ont  leur  principe  dans  le  Droit  naturel ,  &  elles 
font  âutorifées  dans  le  Droit  civil.  Les  Grecs  n'admettoient 
les  filles  à  la  fucceffîon  qu'au  défaut  des  fils.  Parmi  les  Ro- 
mains ,  les  Loix  des  douze  Tables  déféroient  la  fucceflîon 
aux  agnats ,  &  la  Loi  VoconU  en  écarta  précifément  les  fem- 
mes ;  mais  Juftinien  ôta  infenfîblement  prefque  toute  diffé- 
rence entre  les  mâles  &  les  femelles ,  entre  les  agnats  &  les 
cognats  ;  il  déclame  avec  véhémence  dans  fes  Novelles  con- 
tre Tufage  des  peuples  qui  n'admettoient  pas  également  les 
deux  fexes  à  la  fucceflion. 

Les  fucceffions  teflamentaires  ont  pour  fondement  les 
mœurs,  les  Loix  ,  les  ufages  des  peuples.  Les  uns  ortt 
voulu  que  ce  fut  la  Loi  qui  difpofat  abfolument  des 
fucceffions ,  &  les  autres  les  ont  laiffées  à  la  difpofition  des 
pofFeffeurs ,  qui  en  ordonnent  juflement  &  raifonnablement 
{h)  avec  les  reflri£lions  que  les  Loix  ont  établies ,  telles ,  par 
exemple ,  que  celles  que  font  les  reglemens  des  enfans ,  & 
les  droits  de  ceux  qui  né  peuvent  être  impunément  prefcrits. 

La  donation  à  caufe  de  mort  efl  un  aâe  par  lequel  on    n*i>esDoat« 
transfère  la  propriété  de  fes  biens  ,  à  une  perfonne  qui  ac-  mon. 

cepte  le  don  qu'on  lui  fait,  pour  en  acquérir  k  propriété  ^ 

■|  »  ^ 

(f)  Genef.  15*.  4.  Nomb.  27.  8.  Rom.  8. 17.  \ 

ih)  Teftamenium  eji  voluntatis  nojlrs  jufia  fentemia»L*  i.ff.Quttefi*facerepà^^ 
Junt.  Ricard»  de«  Poaaûoai  1  Nomb.  tfa8«  Donati  Préface  des  SuccefGofts. 

Rij 


iji  SCIENCE 

au  cas  que  le  Donateur  vienne  à  mourir  dans  îa  circonllance 
où  il  eft  ,  lorfqu  il  fait  la  donation»  La  donation  eft  cadu- 
que ^  fi  le  Donateur  ne  meurt  pas  de  la  maladie  donc  ilétoic 
attaque  5  où  s'il  cchape  au  pcril  dont  il  ctoit  menace. 
54.DesTefta-.     Le  tcftamcnt  eft  une  déclaration  de  notre  volonté  y  en  fa- 

mens  &.  des  Co-  ,  |  •    r  /  i  ^  i  • 

iicikt.  veur  de  ceux  que  nous  voulons  qui  iurccdent  a  nos  biens  , 

après  notre  décès.  Nous  pouvons  changer  cette  déclaration 
dans  tout  le  cours  de  notre  vie. 

Un  Romain  ^  dans  les  premiers  tems ,  pouvoit  faire  fon 
teftament  en  cinq  mots ,  il  lui  fuflifoit  de  dire  :  Lucius  -  T/- 
tius  foyez,  mon  héritier  {m).  De  quelque  manière  (  porte  la  pre- 
mière Loi  des  douze  Tables  )  en  quelque  ferme  qu'un  père 
de  famille  ait  difpofé  de  fes  biens  ou  de  fa  famille  >  que  ce 
foit  une  Loi  (/')•  Le  teftament  olographe^  c'eft-à-dire  celui 
qui  eft  écrit  de  la  main  du  Teftateur  ,  &  toute  autre  efpece 
de  teftament  eut  lieu  ;  mais  les  difffrentes  fortes  de  teftament 
qlii  furent  fucceffîvemcnt  en  ufage  chez  les  Romains ,  le  ré- 
duifirent  enfin  à  deux.  Le  teftament  nuncupatif  ^  qui  fe  fai- 
foit  fans  écrit ,  publiquement  y  8c  de  vive  voix  ,  en  préfence 
de  témoins  ;  &  le  tcdamenz  fol em^el ,  qui  fe  failoit  par  écrit  ^ 
de  la  main  du  Teftateur  mcme  ou  d'un  Scribe  affîdé ,  écrit 
qui  étoit  fecret ,  &  dont  le  contenu  dcmeuroit  inconnu  aux 
.  témoins  ,  à  qui  le  Teftateur  déclaroit  feulement  que  Paâte 
qu'il  leur  préfentoit  clos  &  cacheté  ,  contenoit  fes  difpofi- 
tions  dernières  »  en  les  priant  de  rendre  témoignage  de  fa 
déclaration. 

Ces  deux  efpeces  de  teftament,  nuncufâtif  6c foUmf^l ^ 
font  en  ufage  parmi  nous.  Le  teftament  fecret,  myftique  , 

(fl)  Quinque  verhls  potefi  qui  facere  Teftamentum  ut  dicat:  Lucius  Tttius  mihi 
hœrseilo.  L.  '•  J-^-  de  hared.  Inftit. 
(è)  Ut  Pater  familial  fuper  familii  p:cun!d  ve  teifud  legaftt ,  ita  Jus  efo.  Ibid. 


^       DU    GOUVERNEMENT.      135 

OM  folemnel  j  eflun  a£te  que  le  Tcftaceur  écrit  ou  fait  écrire 
dans  le  fecret  de  fa  maifon ,  que  fouvent  il  ne  figne  point , 
&  qu'il  remet  à  un  Notaire  clos  &  cacheté ,  à  qui  il  déclare , 
en  préfence  de  (ept  témoins ,  que  c'cfl  fon  teftament  ;  le 
Notaire  tranfcrit  cette  déclaration  fur  Tenvelope ,  &  il  la 
figne  avec  le  Teflatcur  &  les  fept  témoins.  Mais  nous  nous 
fommes  faits  une  forte  de  tcflamcnt  nuncupdtifç\\xi  nous  cfl 
particulière ,  car  l'écriture  y  eft  néceflaire.  Ce  n'eft  que ,  par 
une  façon  de  parler  très-impropre  ^  que  nous  l'appelions  de 
ce  nom.  Les  formalités  que  les  Ordonnances  de  ce  Royaume 
ont  introduites  y  tant  pour  notre  tcflament  nuncupanf^  que 
pour  notre  teflament  folcmnel  j  qui  font  la  préfence  &  la  fi- 
gnature  de  fept  témoins  ;  ont  entièrement  aboli  le  véritable 
teftament  nuncufatifàQS  Romains  ;  &  l'Ordonnance  de  Mou- 
lins y  a  porté  le  dernier  coup ,  en  profcrivant  la  preuve  par 
témoins  9  en  toutes  matières  où  il  s'agiroit  d'une  fomme  au- 
deffus  de  cent  livres. 

A  Paris,  dans  la  plupart  des  pays  de  Droit  écrit,  &  dans 
plufieurs  Coutumes  de  ce  Royaume ,  les  teftamens  olographes 
font  aufli  en  ufage,  &  ils  n'exigent  ni  la  préfence  du  Notaire  , 
ni  celle  des  témoins.  Cette  formalité ,  qui  eft  de  TefTence  de 
notre  teftament  folemnel  8c  de  notre  teftament  nuncupatify 
n'cft  point  de  Teffence  des  teftamens  olographes  ;  mais  ceux-ci 
ne  font  point  d'un  ufage  univerfel  dans  ce  Royaume.  Le  Par- 
lement de  Paris  les  autorife,  non-feulement  dans  celles  des 
Provinces  de  fon  reflbrt  qui  font  régies  par  le  Droit  écrit  , 
mais  encore  dans  celles  qui  fe  font  gouvernées  par  dcsCoûtu^ 
mes ,  lefquelles  n'en  parlent  point.  Ce  Tribunal  ne  rejette 
les  teftamens  olographes ,  que  dans  les  cas  où  les  Coutumes 


154  SCIENCE 

du  pays  font  expfcflcmenc  contraires  à  cette  forte  de  telle- 
ment (a). 

Les  teftamens  ne  font  pas ,  à  beaucoup  près ,  fi  favorables 
parmi  nous  ,  que  dans  le  Droit  Romain  ;  nous  avons  accordé 
toute  préférence  aux  héritiers  légitimes  fur  les  Teftamentai- 
res.  Pour  rendre  plus  diflScile  la  voye  dç  dépouiller  Théri- 
tier  du  fang  y  les  Coutumes  d'un  côté ,  &  les  Ordonnances 
de  Tautre ,  fe  font  réunies  pour  aflujcttir  les  tcftamens  à  de 
certaines  formalités  y  dont  le  défaut  entraîne  la  ruine  du 
teftament.  Volographe  eft  affujetti  à  moins  de  formalités  que 
les  autres  ;  mais  il  faut  que  le  Teftateur  Tait  entièrement  écrie 
&  figné  de  fa  main  à  chaque  page  ;  qu'il  Tait  daté ,  &  qu^on 
Voie  qu  il  a  eu  intention  de  faire  un  teftament.  La  dernière 
Ordonnance  faite  à  ce  fujet ,  après  avoir  réduit  à  deux  feules 
voyes  la  manière  de  difpofer  (la  donation  entre -vifs  &  le 
teftament  )  déclare  nulles  les  difpofitions  qui  feront  faites  par 
des  lettres  miffîvcs  {h). 

Les  codiciles  font  diftingués  des  teftamens,  par  leurs  for- 
malités qui  font  moindres  que  celles  des  teftamens  ,  &  par 
leur  ufage  qui  eft  borné  aux  legs  &  aux  fidéi-commis ,  au  lieu 
qu*un  teftament  doit  néceflairement  contenir  une  inftitution 
d^héritien 

Toute  difpofitîon  à  caufe  de  mort ,  qui  ne  contient  pas  la 
nomination  d  un  héritier ,  n'a ,  dans  celles  des  Provinces  de 
France  qui  font  régies  par  le  Droit  écrit ,  que  la  nature  d'un 
codicile  ou  d'une  donation  à  caufe  de  mort ,  &  non  d'un  tef- 
tament ^  quand  même  elle  en  auroit  la  forme. 

Dans  nos  pays  de  Coutumes  ,  comme  il  ne  peut  y  avoir 

(i)  Art.  |.  de  rOrdQniumctl  du  Roi  de  17} y* 


DU    GOUVERNEMENT,      i^j 

d'héritier  teflamentairc  >  on  ne  diftingue  pas  entre  les  tefta^ 
mens  &  les  codiciles.  On  y  donne  le  nom  de  teftamçnt  à 
toutes  les  difpofitions  à  caufe  de  mort. 

Le  défir  de  l'immortalité  eft  le  plus  violent  aufll  bien  que  5î,Dpf&ww- 
le  plus  noble  de  nos  defirs  ;  nous  la  cherchons  tous ,  par  la  '"***'*^' 
fécondité  du  corps  ou  par  celle  de  Tefprit  ;  nous  voulons  vi- 
vre dans  la  mémoire  des  hommes.  De-là ,  Tufage  des  fubfti-» 
tutions  par  lefquelles  le  Teftateur  interdit  à  fon  héritier  la 
liberté  d'aliéner  les  biens  qu'il  lui  laifle,  &  appelle  à  fa  fuc-" 
ceflion  d'autres  héritiers  qu'il  fubflitue  au  premier  inftitué^ 
Cet  ufage  y  utile  à  la  confervation  des  fortunes  privées ,  mais 
nuifible  à  la  fortune  publique  >  en  ce  qu'il  met  dans  la  main 
d'un  feul  homme  des  biens  qui  ^  partagés  à  plufieurs  ^  fe- 
roient  employés  plus  utilement  pour  l'Etat ,  a  été  fagement 
borné  dans  ce  Royaume ,  à  quelques  degrés,  L'Ordonnance 
d'Orléans  (a)  réduit  les  fubftitutions  qui  feront  faites  à  l'a- 
venir ,  à  deux  degrés  y  non  compris  Tinflitué  ;  celle  de  Mou- 
lins (h)  borne  à  quatre  degrés  les  fubftitutions  faites  avant 
l'Ordonnance  d'Orléans  ;  &  celle  du  Roi  régnant  (c)  con- 
firme les  difpofitions  de  ces  deux  premières  Ordonnances, 
Dans  le  filence  des  Loix  ^  les  ufages  ont  fervi  de  conduite 
aux  hommes. 

Les  peuples  en  fe  donnant  des  Rois  ont  défiré  fe  procu-   çé.Lespenp» 
rer  une  proteâion  qui  aflurât  leur  repos  >  fans  les  priver  d'une  uuSi  alnïies  àil 

^  ^         ^  *-  Ycrfcs  vues  qu'il» 

libenc  raifonnable,  &  foumife  aux  loix  :  mais  ils  font  allés  «  om  wm  ,  pour 

'  aflurcf  leur  hbCT* 

par  des  voies  différentes ,  au  but  qu'ils  fe  propofoient ,  &  ^%f^^l^^l 
ils  ont  plus  ou  moins  réuffi ,  félon  que  leurs  mefures  ont  été  ^^^  ^p(S°M 
plusoumoins juftes,  plus  ou  moins  favorilées,  outraverfécs Tk'rlna^dS 

1      I     I*  _^  liommes  en    li« 

de  la  fortune*  brçt»  en  scrfs , 

en  Malirf*  ^  ÇH 

CO  Art.  S9*  jCfçUfci. 

^i)  Art-  57* 

(0  Titre  i.  An.  jo.  5c  }i« 


i3«  SCIENCE 

Les  Conquerans ,  de  leur  côcc ,  ont  ufé  différemment  de 
la  victoire ,  félon  la  diverfitc  de  leurs  caraûcres ,  ou  de  leurs 
incércts.  Les  uns  fe  regardant  uniquement ,  ou  ont  ôté  la 
vie  aux  vaincus ,  ou  croyant  que  c'ctoit  afl'ez  faire  pour  eux 
que  de  la  leur  laiifer ,  les  ont  dépouillés  eux  &  leurs  enfans 
de  leurs  biens  ,de  leur  patrie  ,  de  leur  liberté  ;  d'autres  ont 
introduit  la  coutume  de  tranfporter  les  peuples  entiers  ,  avec 
toutes  les  familles  qui  les  compofoient ,  dans  de  nouvelles 
contrées  où  ils  les  établifToient ,  &  où  ils  leur  donnoicnt  des 
terres  à  cultiver.  Quelques-uns  fe  font  contentés  de  faire  ra- 
cheter aux  peuples  vaincus  lufage xfe  leurs  loix  y  de  leurs 
privilèges ,  par  des  tributs  annuels  ;  &  quelquefois  même ,  ils 
ont  laiffé  les  Rois  fur  leur  trône  ,  en  exigeant  d'eux  feule- 
ment quelques  hommages.  D'autres  enfin ,  Conquerans  plus 
fâges,  &  politiques  plus  habiles ,  fe  font  fait  un  honneur  de 
mettre  une  efpece  de  qualité  entre  les  peuples  qu'ils  venoient 
de  foumettre  &  les  anciens  Sujets ,  accordant  le  droit  de 
bourgeoifie  à  ceux-là  &  prefque  tous  les  mêmes  droits  &  les 
mêmes  privilèges  dont  jouifToient  ceux-ci  ;  &  par  ce  moyen 
d'un  grand  nombre  de  nations  ,  ils  n'ont  fait,  en  quelque 
forte ,  qu'un  feul  &  même  peuple. 

Ces  différentes  vues  ont  partage  le  genre  humain  comme 
en  deux  efpeces ,  en  hommes  libres  &  en  Serfs ,  en  Maîtres 
Se  en  Efclaves.  »  L'on  demande  (dit  un  homme  d'efprit  ) 
»  pourquoi  tous  les  hommes  cnfemble  ne  compofent  pascom- 
n  me  une  feule  nation ,  &  n'ont  point  -voulu  parler  une  mê- 
»  me  langue,  vivre  fous  les  mêmes  Loix ,  convenir  entr'eux 
»  des  mêmes  ufages  &  d'un  même  culte  ;  &  moi ,  paflant  à 
t>  la  contrariété  des  efprits ,  des  goûts ,  &  des  fentimens  ,  je 
•>  luis  étonné  de  voir  jufqu'à  fept  ou  huit  perfonnes  fcraffem- 

bler 


DU  GOUVERNEMENT.  137 
»  bler  fous  un  même  toit,  dans  une  même  enceinte ,  &  corn- 
»  pofer  une  même  famille  (a). 

La  différence  des  conditions  ,  qui  bleffe  tant  lamour  pro-    ^j.vinégàiité 

1  1  1  ».  1  1      /•        1     1  f  des  conditions  , 

pre  de  quelques  hommes  ,  n  a  rien  dans  le  fond  a  extrême-  *i"  »»«"*  »  .^" 

*  *  *  honneurs ,  dans 

ment  fâcheux^  Les  hommes  ont  tous  une  même  origine ,  ils  !"  *^*^'^^*  îr'"* 

O  ^  les,  n'a  ncn  d  cx- 

marchent  tous  fur  la  même  terre ,  le  même  foleil  les  éclaire ,  "hlïîîxTdic  ?ft 
ils  refpirent  le  même  air ,  les  fontaines  &  les  fleuves  coulent  Snli.'mTiSl 
également  pour  tous.  Les  avantages  &  les  peines,  les  biens  J^'^^J^'^'^^^''^ 
&  les  maux  font  diftribués  avec  tant  de  proportion  fur  les 
différentes  profeffions  ,  que ,  ccmpenikticn  faite ,  tous  les 
Etats  font  à  peu  près  égaux. 

La  focicté  civile  cft  un  corps  moral  compofé  de  plufieurs 
membres  ;  &  ainfi  que  dans  le  corps  naturel  tous  les  mem- 
bres ne  peuvent  être  femblables  ,  à  caufe  de  la  diverfité  de 
leurs  fondions  qui  demandent  diverfes  conformations  d  or- 
ganes ,  de  même  ,  il  faut  que ,  dans  un  corps  moral ,  il  y  aie 
des  perfonnes  qui  s'appliquent  aux  divers  emplois  aufquels 
on  les  deftine ,  afin  que  les  différens  befoins  du  corps  moral 
(oient  remplis. 

Il  falloit ,  pour  le  bonheur  des  hommes  ,  les  mettre  dans 
la  néceffité  du  travail ,  &  rendre  indiffoluble  le  lien  de  la 
fociété ,  en  augmentant  le  befoin  qu  ils  ont  les  uns  des  au- 
tres. Dans  un  Etat  où  le  travail  ne  regneroit  plus  ,  le  com- 
merce tomberoit ,  la  mifere  prendroit  fa  place  ;  les  ans  qui 
produifent  l'abondance ,  &  qu'elle  multiplie  à  fon  tour ,  s'a- 
néantiroient  avec  elle  ;  tout  difparoîtroit  avec  Tindurtrie  né- 
gligée ,  parce  qu'elle  ne  paroîtroit  plus  utile.  L'inégalité  ex- 
térieure eft  l'effet  d'une  Providence  mervcilleufe  &  le  fonde- 
ment d'une  excellente  Police. 

(fl)  La  Bruyère,  CaraSeres^  Gr.  Tom.  2.  p.  ao.  &  21.  Ed.  d^Amfterdam  17^1^ 
Tcme  L  S 


138  SCIENCE 

Qu'on  fit  aujourd'hui  entre  les  hommes  le  partage  le  plus 
égal  &  le  plus  géométrique  des  biens  de  la  terre  i  Tinégalité 
s'y  remettroit  demain ,  foit  par  la  mauvaife  conduite  des  uns, 
foit  par  la  violence  des  autres.  Pe  même ,  qu*on  mette  au- 
jourd'hui tous  les  hommes  dans  une  parfaite  égalité  pour  les 
rangs  y  cette  égalité  dont  la  théorie  paroît  fi  agréable  y  fera 
demain renverfée  dans  la  pratique  y  ou  par  lefprit  de  domi- 
nation qui  faifira  les  plus  fons  pour  s'élever  fiir  la  tête  des 
plus  foibles ,  ou  par  Tefprit  d'adulation  qui  profternera  tou- 
jours les  plus  fi^ibles  aux  pieds  des  plus  forrs.  L'égalité  géo- 
métrique ne  pouvant  donc  fubfifler  entre  les  hornmej ,  ni 
pour  les  biens  ni  pour  les  rangs  y  la  raifon  &  notre  intérêt 
nous  diûent  de  nous  contenter  de  Fégalité  morale,  qui  con» 
fifte  en  ce  que  chacun  cfl:  maintenu  dans  fes  droits  y  dans  fon 
Etat  ou  héréditaire  ou  acquis  y  dans  fa  terre  y  dans  fa  maifon  y 
enfin  dans  fa  liberté ,  mais  auffi  dans  la  fubordination  nécef- 
faire ,  afin  que  les  autres  foicnt  maintenus  dans  la  leur. 
58  Lcf  tvan-     Confidérons  les  avantages  du  Gouvernement  y  &  appre- 

SE£Si  '"''''"  ^  l'affeaionner. 

kî!^  h^imcî  Vy  Les  Loix  civiles  y  en  fixant  des  prétentions  fur  lefquelles 
d'aaçmion,  la  Loi  naturelle  n'indique  "pas  précifcment  ce  qui  eft  jufle  , 
&  en  expliquant  ou  rcftraîgnant  la  liberté  naturelle  félon 
nos  befoins ,  donnent  à  cette  Loi  naturelle  un  empire  indé- 
pendant du  joug  des  partions  &  de  l'approbation  des  homr 
mes.  Ceft  par  Tunion  du  corps  politique ,  ou  fous  un  feul  » 
oa  fous  plufieurs  Magiftrats  Souverains,  que  chaque  particu- 
lier ,  protégé  par  les  Loix  ,  eft  garanti  des  entreprifes  des 
autres  hommes  ,  par  leur  dépendance  commune  d*un  pou- 
voir friprcme.  Toute  la  force  eft  tranfportée  au  Souverain  , 
chacun  i  affermit  au  préjudice  de  la  fienne,  &  renonce  à  ia 


DU    GOUVERNEMENT.      159 

J)ropre  volonté  ,  pour  le  conformer  à  celle  du  Souverain^ 
Que  n'y  gagne-t-on  pas  ?  Nous  retrouvons  dans  ce  fupréme 
Magiftrat  plus  de  force  que  nous  n'en  avons  quitté  pour  Tau- 
torifer  ,  puifqu'il  a  dans  fes  mains  toute  celle  de  la  nation  y 
réunie  en  fa  perfonne  ^  pour  nous  fecourir  contre  les  part:-- 
culiers  qui  entreprendroient  de  nous  opprimer.  Les  veuves, 
les  orphelins ,  les  pupilles  5  les  enfans  même  dans  le  berceau  , 
font  armés  de  toute  la  force  publique  contre  les  opprcflcursj 
leur  bien  leur  eft  confervé ,  le  public  prend  foin  de  leur  édu- 
cation ,  leurs  droits  font  défendus ,  &  leur  caufe  cfl  la  cai^fe 
même  du  Souverain.  * 

On  ne  jouit  de  fon  bien  ,  on  ne  vit  en  repos  dans  fa  mai* 
fon  ,  on  ne  voyage  fans  danger ,  on  ne  reçoit  les  avantages 
du  commerce ,  on  ne  tire  du  fervice  de  TinduArie  des  autres 
hommes ,  que  par  le  fecours  du  Gouvernement.  Nous  trou- 
vons à  la  campagne  des  gens  toujours  prêts  à  fervir  les  voya- 
geurs ,  &  qui  ont  des  maifons  préparées  pour  les  recevoir. 
Le  Gouvernement  nous  donne  desArtifans,des  Marchands, 
des  Médecins ,  des  gens  qui  pourvoyent  aux  néceflités  de  la 
vie,  &  qui  contribuent  aux  plaifirs.  Il  fournit  à  tous  les  par- 
ticuliers des  commodités  que  les  hommes  les  plus  puiffans 
ne  fçauroient  fe  donner  ,  quelques  Officiers  qu'ils  euffent  , 
&  quelques  biens  qu'ils  polfcdaflent ,  fî  cet  ordre  étoit  dé- 
truit. 

Que  rfont  pas  gagné  les  hommes  à  renoncer  à  une  partie 
de  leur  liberté  &  à  fc  donner  des  Maîtres  ?  Sous  la  garantie 
des  Loix  nous  pouvons  fans  crainte  voyager  dans  toutes  les 
parties  du  monde  habitable  ;  dans  tous  les  pays  étrangers  fur 
la  foi  du  Droit  des  Gens  ;  dans  le  nôtre  fur  la  foi  des  Ordon- 
nances Royales.  Elles  font  nos  gardes  pendant  le  jour,  ïk» 

Sij 


140  SCIENCE 

fentinelles  pendant  la  nuit ,  nos  efcortcs  fidèles  en  tout  tems 
&  en  tout  lieu.  En  quelque  endroit  du  Royaume  que  je  me 
tranfporte ,  je  vois  partout  le  fceptre  du  Roi  qui  affure  ma 
route ,  qui  tient  tout  en  refpeû  ,  tout  en  paix ,  les  Labou- 
reurs dans  les  campagnes ,  les  Voyageurs  dans  les  forêts ,  les 
Artifans  dans  les  villes ,  les  Marchands  fur  la  mer.  Il  femble 
que  toutes  les  partions  font  défarmées  ;  le  cœur  peut  bien 
recevoir  quelques  imprcflions  rebelles  ,  mais  le  bras  retenu 
par  la  crainte  n  ofe  plus  les  fervir  à  leur  grc. 

Quelle  pouvoit  être  la  face  du  monde  ,  avant  que  les  fo- 
ciétés  civiles  euflent  été  établies  !  La  violence  j  les  rapines  ^ 
les  aflaiïînats  ,  les  ravages  que  produifent  les  partions  déchaî- 
nées ,  inondoient  la  terre  ,  fi  j*ofe  hafarder  cette  exprefiion. 
Les  hommes  n*avoient  aucune  artiirance  pour  leur  vie ,  au- 
cune fauvegarde  pour  leurs  biens,  aucun  afile  pour  leur  hon- 
neur. La  force  qui  a  donné  au  lion  Tempire  fur  les  autres 
animaux  ,  le  donnoit  aufiî  à  tout  homme  audacieux  fur  tout 
homme  foible  ;  mais  dès  que  les  hommes  eurent  formé  des 
focictés  civiles ,  quel  heureux  changement!  Laregleafuccédé 
à  la  confufion  j  la  jufl:ice ,  à  la  force  ;  la  fureté  pijblique  ,  à 
l'inquiétude  générale  ;  le  repos  des  particuliers ,  à  des  allar- 
mes  continuelles  ;  tout  efl  devenu  tranquille  fous  la  protec- 
tion des  Loix.  Les  hommes  ne  peuvent  non  plus  fe  paflTer 
de  Souverains ,  que  les  aveugles  de  guide  ;  les  faméliques , 
d'alimens  ;  les  malades  ,  de  remèdes. 

Les  avantages  que  nous  trouvons  à  être  gouvernés  font 
ineftimables ,  &  nous  devons  les  admirer  non-feulement  en 
eux-mêmes  y  mais  dans  leur  durée.  Les  Souverains  changent, 
parce  que  les  hommes  font  mortels ,  mais  la  Souveraineté  efl 
toujours  la  même.  Le  Gouvernement  rend  les  Etats  îmmor- 


DU    GOUVERNEMENT.        141 

tels ,  &  nous  en  recevons  les  avantages  dans  tous  les  tems. 

Quelle  obligation  chaque  homme  en  particulier  &  tous  les 
hommes  en  général  n'ont-ils  pas  aux  confervateurs  de  Tordre 
qui  règne  dans  les  fociétés  civiles  !  Les  Citoyens  en  jouiflent 
fans  fonger  combien  il  en  coûte  de  peine  à  ceux  qui  Tétablif- 
fentou  qui  le  confervent ,  à  peu  près  comme  tous  les  hom- 
mes jouiflent  de  la  régularité  des  mouvemens  célefles ,  fans 
en  avoir  aucune  connoiflance.  Ceux  même  d'entre  les  Ci- 
toyens qui  font  inftruits  des  avantages  du  corps  politique  y 
y  font  la  plupart  infenfibles,  peu  touchés  d'un  bien  dont  ils 
ne  jouiflent  pas  feuls.  Cette  difpofition  des  efprits  juftifie 
prcfque  une  Loi  extrêmement  finguliere  des  anciens  Perfes  , 
dont  l'objet  unique  étoit  de  faire  fentir  aux  hommes  le  bon- 
heur de  vivre  dans  un  fociété  civile  (a). 

Le  Gouvernement  efl:  fi  utile  aux  hommes  ,  que  tous  les 
avantages  dont  ils  jouiflent  fur  la  terre  ,  leur  fortune ,  leur 
honneur ,  leur  vie  en  dépendent.  Après  la  propagation  de 
Tclpece ,  c'efl  la  fociété  civile  qui  conferve  le  genre  humain; 
elle  efl  la  plus  parfaite  de  toutes  les  fociétés. 

S    E   C    T    I    O   N      V. 

Situation  actuelle  du  Monde  Politique^  Commerçant  y  S  pavant 

&  Religieux. 

Un  nouveau  monde  a  été  découvert  ,  l'Univers  qui  s'eft    jç.comwcnïe 
étendu  fe  dépeuple  ,  &  l'Europe,  la  plus  petite  des  quatre  ?aifourdïûuft 
parties  de  la  terre  ,  efl  devenue  la  plus  puiffante,  comme  3";»iAoh  îm 
elle  étoit  depuis  long-tems  la  plus  éclairée.  ,quei  '  poim '*"fÎ 

Les  changemens  de  toute  efpece  qui  font  perpétuellement  ^crncmcnt  %\k 

(a)  Voyez  la  quatrième  Sedlion  du  troifiéme  Chapitre  de  cette  lotroduâioft.^    ^ 


t4±  §  C  t  Ë  N  C  Ë 

arrives  dans  le  monde  politique  Tont  peu  à  pëii  |>erfeôîoftnl# 
Tous  ces  petits  Etats  de  TAntiquité ,  dont  le  domaine  étoit, 
jpour  ainfi  dire,  renfermé  dans  les  murs  d'une  feule  Ville  ^ 
n'étoîent  qu  une  ébauche  de  la  fociété  civile  ,  c'étoient  plutôt 
des  familles  que  des  nations.  Plus  la  lifte  de  ces  petits  Etatâ 
étoit  nombreufe  ,  moins  y  il  avoit  de  fubordination  dans  le 
monde  ;  &  les  hommes ,  en  demeurant  toujours  plus  près  de 
cette  anarchie  qui  précéda  les  Loix  ,  en  fentoient  davantage 
les  défordres.  L'excellence  eft  Pouvrage  du  tems  j  &  Part  du 
Gouvernement  s*eft  perfedlionné  ,  à  mefure  que  les  grands 
Etats  fe  font  formés ,  &  que  les  lumières  des  hommes  onc 
augmenté. 

Anciennement  de  petits  territoires  ,  de  petites  aflembléeS 
compofoient  un  Etat  en  Europe }  mais  à  la  faveur  des  guer-* 
res  ,  plufîeurs  petites  Contrées  unies  ont  formé  de  grands 
Royaumes.  Quel  nombre  d*Etats  &  de  Républiques  n'y  avoit- 
il  pas  dans  les  Gaules  avant  que  Rome  en  fit  la  conquête  f 
Pourroit*on  compter  combien  il  en  a  fallu  pour  former  la  Mo- 
narchie Françoife  >  la  plus  ancienne  de  toutes  celles  de  l'Eu- 
rope 1  L'Efpagne  qui  fait  aujourd'hui  toute  feule  une  grande 
Monarchie,  en  contenoit  douze,  il  n'y  a  que  fort  peu  detems«t 
Il  y  en  avoit  fept  dans  urje  partie  de  l'Ifle  de  la  Grande-Bre^ 
tagnc.  L'Italie  ,  qui  contenoit  autrefois  un  nombre  prefque 
infini  de  petits  Etats  ,  en  a  vu  une  grande  partie  former  des 
Souverainetés  confidérables  aux  Papes  &  aux  maifons  de 
France  ,  d'Autriche  >  de  SaVoye  ,  &  de  Lorraine.  L'Alle- 
magne ,  où  nous  voyons  encore  aujourd'hui  environ  cent  cin-# 
quante  Etats  (a)  y  en  avoit  bien  davantage  autrefois}  &  chaque 

(a)  Ceft  à  peu  près  le  nombre  des  CuÊngtî  ^u*on  compte  dans  les  (rois  CoUéfei 
de  la  Diette  gûiénte* 


DU    GOUVERNEMENT.      145 

jour ,  les  grandes  Souverainetés  reçoivent  cjuelcjue  accroiflc- 
ment» 

Apres  que  la  vafte  Monarchie  de  notre  Charlcmagne  èûç 

été  divifce ,  les  différens  Etats  qui  s*en  formèrent ,  fe  trouve-» 

rcnt  dans  un  équilibre,  qu'il  ctoit  d'autant  plus  difficile  de 

rompre ,  qu'ils  étoicnt  tous  corrompus  par  les  mêmes  vices , 

&  n'avoient  aucun  avantage  les  uns  fur  Içs  autres.  L'Europe 

fans  induflrie  étoit  épuifce  ^ar  des  fondations  pieufes  &  par 

les  guerres  continuelles  que  faifoient  naître  fa  pfiauvaife  poli-? 

tique.  Les  Etats  étoientdéja  unis  par  la  même  Religion;  lesf 

alliances  de  famille  que  les  Princes  faifoient  entre  eux  ,  le3 

rapprochèrent  de  plus  près  ;  $c  les  Croifadcs  ,  qui  ne  don-r 

lièrent  pendant  un  certain  tems  qu'un  même  mouvement  4 

tous  les  Princes  Chrétiens ,  achevèrent  d'établir  un  com-^ 

merce  plus  étroit ,  &  qui  fut  dcs-lors  comme  la  fource  d*une 

politique  ignorée  des  anciens.  Nos  pères  ne  connoifToient 

point  ou  du  moins  ne  fuivoient  point  le  fyftême  de  réquilibrc 

de  puiflance,  Aujourd hui , TEurope le connoît  & lobfcrve | 

&  une  correfpondance  perpétuelle  en  lie  toutes  les  parties. 

La  morale  &  la  politique  n'avoient  pas  encore  eu  le  tems 
de  jetter  de  profondes  racines,  fi  fofe  parler  ainfi,  L'expé-? 
rience  a  donné  des  vues  plus  détaillées  ,  &  notre  fiécle  eft 
moins  barbare  que  les  précédens.  Les  fcîences  &  les  arts  font 
portés  à  un  point  que  la  Grèce  &  Rome  ne  connurent  ja-* 
mais  ;  or  les  lettres  policent,  éclairent,  étendent Tefprit , & 
communiquent  au  cœur  cette  droiture  &  cepte  modération 
qui  l'empêchent  d'être  injufte  &  violent.  La  culture  des  fcîen., 
ces  &  des  arts  a  adouci  les  mœurs  &  poli  l'Europe.  Les  prin» 
cipes  de  la  morale  ont  été  approfondis ,  6c  font  mieux  fuivîst 
La  découvene  de  l'Aroérique  Se  des  étabMçmens  ^ue  plu* 


Ï44  SCIENCE 

fleurs  Puiflances  y  ont  formés  j  ont  changé  totalement  la  face 
du  commerce  ,  ont  produit  des  intérêts  nouveaux  ,  &  y  ap- 
portent encore  des  changemeris  confidcrables. 

Par  le  fecours  de  la  bouflble  on  navigue  dans  toutes  les 
mers ,  &  Pancien  monde  commerce  plus  facilement  aujour- 
d'hui avec  le  nouveau ,  qu  on  ne  faifoit  autrefois  un  voyage 
de  Paris  à  Madrid» 

Les- arts  &  Tinduftrie  ont  inventé  un  moyen  court  &  fa- 
cile de  faire  voler  rapidement  les  nouvelles  d'une  extrémité 
de  TEurope  à  Tautre.  L'Imprimerie  qui  a  mis  les  livres  dans 
les  mains  de  tout  le  monde  ,  la  gravure  qui  a  rendu  les  Car- 
tes Géographiques  fi  communes  ,  &  Tétabliffement  des  écrits 
politiques  ^  font  affez  connoîtrc  à  chacun  les  intérêts  géné- 
raux pour  pouvoir  plus  aifémcnt  être  éclairci  fur  les  faits 
fecrets. 

Comme  les  grandes  entreprifes  ne  peuvent  fe  faire  fans 
argent ,  &  que ,  depuis  Tufage  des  Lettres  de  Change ,  les 
Négocians  en  font  les  maîtres  ,  leurs  affaires  font  toujours 
liées  aveclefecret  de  TEtat,  &  ils  ne  négligent  rien  pour  le 
pénétrer.  Des  variations  dans  le  Change ,  fans  aucune  caufe 
connue ,  font  que  bien  des  gens  la  cherchent  &  la  trou- 
vent à  la  fin.  Ces  grandes  entreprifes  font  plus  difficiles  à 
conduire  parmi  nous ,  qu'elles  ne  l'étoient  parmi  les  Anciens. 
Il  eft  mal  aifé  de  les  cacher ,  parce  que  la  communication 
entre  les  nations  eft  telle  aujourd'hui,  que  chaque  Prince  a 
des  Miniftres  dans  toutes  les  Cours ,  &  peut  entretenir  des 
efpions  dans  tous  les  cabinets. 

.  Les  conjurations  font  également  devenues  diflîcîles  ,  par- 
ce que, depuis  l'invention  des  Portes  ,  tous  les  fecrets  des 
particuliers  font  au  pouvoir  du  public.  Les  Princes  peuvent 

agir 


DU  GOUVER  NE  MENT.  145 
agir  avec  promptitude  ,  parce  qu'ils  ont  les  forces  de  TEtat 
dans  leurs  mains  ;  les  conjurés  l'ont  obligés  d'agir  lentement, 
parce  qu'ils  manquent  de  tout.  Pour  peu  qu'ils  perdent  de 
tems  à  s'arranger  ,  ils  font  découverts  dans  un  tcms  que  tout 
s'cclaircit  facilement  &  avec  célérité. 

Des  places  redoutables  aflurent  les  frontières  ,  &  la  ma- 
nière de  faire  la  guerre  a  totalement  changé.  Dans  les  fié- 
cles  antérieurs ,  les  Sou verains  n'entretenoient  point  de  gran- 
des armées ,  &  la  plus  grande  partie  de  leurs  troupes  n'é- 
toient  qu'un  amas  de  bandits ,  qui  d'ordinaire  ne  vivoient 
que  de  rapines.  On  ne  connoifToit  point  alors  ce  que  c'étoit 
que  des  troupes  continuellement  fous  le  drapeau  en  tems  de 
paix ,  des  étapes ,  des  cazernes ,  &  cent  autres  reglemens  qui 
affurent  un  Etat  pendant  la  paix  contre  fes  voifms,&mcme 
contre  lés  foldats  payés  pour  le  défendre. 

Cefl;  par  ces  divcifes  voies  que  s'ell  perfeélionné  înfenfi- 
blcment  l'art  de  régir  les  Etats,  fans  avoir  été  encore  porté 
à  la  perfection  où  il  peut  atteindre.  Il'  en  e'fl  de  la  Science  du 
Xîouvernement ,  comme  de  toutes  les  autres ,  elle  n'a.  pu  fe 
perfeâionner  que  peu  à  peu.  La  politique  ,  par  une  prércn. 
gative  particulière ,  auroit-ellê  commencé  par  ctrc  portée  à 
fa  pcrfedion ,  pour  dégénérer  enfuite  ,  malgré  l'expérience  . 
que  les  hommes  dévoient  acquérir  de  jour  e%jour?  S 

Des  pays  d'une  étendue  &  d'un  ék>igncment  îrinmenfe  ,  g^  comment 
dccouverts ,  lubjugucs  ,  rendus  tributaires  de  la  plus  petite  nco»cm  en  eu* 
partie  du  monde  ,  iont  gqs  lïiuracléS  de  la  navigation  mo-  ce  donem .  & 

*  ^  comment  il   »*y 

derne.  ^  fiutàfréfcnu 

Dans  tous  les  tems  où  les  peuples  de  l'Europe  n'ont  pas 
été  plongés  dans  la  barbarie ,  le  luxe  leui-  a  rendu  cqm- 
me  néccflaires  les  pierreries ,  les  foyes  ,  les  parfums,; les 
T^mc  L  T 


14^  SCIENCE 

iirogues  ,  &  les  autres  marchandifcs   de   TOrient. 

Les  Européens  achetoient  déjà  une  (î  grande  quantité  de 
ces  marchandifcs  précieufes  lous  les  premiers  Empereurs 
Romains,  que  Tibcre,pour  borner  un  commerce  fi  deftruûif, 
fut  oblige  de  défendre  aux  hommes  de  porter  des  étoffes  de 
foye  des  Indes  (a).  On  fe  plaignoit,  fous  fon  règne,  que 
le  luxe  des  particuliers  épuifoit  la  fubftance  de  l'Etat,  &  qu*il 
létoit  caufe  qu  on  tranfportoit  hors  de  TEmpire  Romain  des 
fommes  immenfes  en  argent  comptant ,  pour  enrichir  les 
Parthes  &  d'autres  ennemis  (t).  Un  Ecrivain  de  ce  tems-là 
compte  qu'il  fortoit  toutes  les  années  de  l'Empire  la  valeur 
de  plus  de  cinq  cens  mille  écus  d'or  ,  feulement  pour  payer 
les  pierreries  des  Orientaux  (r). 

Ce  commerce  fut  comme  annéantî  pendant  un  tcms ,  par 
la  mifere  où  l'inondation  des  peuples  Septentrionaux  plon- 
gea l'Europe ,  par  la  longue  barbarie  dont  cette  mifere  fut 
fuivie ,  6c  par  la  confufion  que  les  conquêtes  &  les  dévafla*- 
tions  des  Mahométans  cauferent  dans  l'Orient.  Les  Grecs  de 
Conflantinople ,  qui  avoient  peine  eux  -  mêmes  à  tirer  les 
marchandifcs  du  fond  de  TAfie ,  ne  pouvoient  en  envoyer 
de  l'Europe  qu'une  bien  petite  quantité  aux  Empereurs. 

Les  guerres  des  Croifades  firent  reflbuvenir  les  peuples 
des  délicateffes  &  des  ornemens  Afiatiques  que  la  plupart 
d'entre  eux  avoient  prefqu'entierement  oubliés.  Peu  à  peu 
notre  barbarie  fît  place  à  la  politeffe  ;  &  le  luxe  renaiffant 
avec  elle,  les  marchandifcs  de  l'Orient  redevinrent  nécef- 
faires  à  l'Europe, 

Ce  fut  alors  que  les  Vénitiens  fe  mirent  en  pofTeffion  de 

(a)  Taurif.  Annal,  a.  S.  })• 
(W  Tadt.  AnnaLS.  jT). 
lc)?lm  Hift,Nat.  L.  j;. 


P  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T-      147 

les  lui  fournir ,  &  ils  ont  été  les  maîtres  de  ce  commerce  juf- 
qu'au  commencement  du  feiziéme  fiécle.  Les  marchandifes 
des  Indes,  de  la  Chine,  de  la  Perfe,  &  des  difFérens  Etats 
qui  font  aujourd'hui  fous  la  domination  du  Grand-Seigneur, 
«voient  alors  dans  la  Méditerranée  deux  étapes,  ou  deux 
places  de  dépôt  &  de  rendez-vous  entre  les  vendeurs  &  les 
acheteurs ,  Conftantinople  ,  &  les  Ports  de  TEgypte  (a). 

Les  marchandifes  qui  viennent  des  parties  Septentrionales 
de  r  Afîe  étoient  apportées  dans  la  première  de  ces  deux  étapes, 
à  Conftantinople.  D'abord ,  on  les  embarquoit  fur  la  mer 
Cafpienne,  d'où  elles  entroient  dans  le  Volga  qu'elles  rc- 
montoient  jufqu'à  l'endroit  où  il  avoifine  de  plus  près  le  Ta- 
naïs.  On  les  débarquoit  fur  les  bords  du  Volga  d'où  on  les 
tranfportoit  par  terre  dans  un  Port  du  Tanaïs.  En  baiflaric 
ce  dernier  fleuve ,  elles  arrivoient  par  la  mer  Noire  à  Conf- 
tantinople où  les  Vénitiens  alloient  les  chercher.  Les  révo- 
lutions qui  furvinrent  dans  le  commerce  durant  le  feiziéme 
fiécle ,  ont  fait  abandonner  ce  chemin ,  fans  que  jufqu'ici  ceux 
'qui  pouvoient  trouver  leur  intérêt  à  le  rendre  fréquenté  , 
aient  pu  réuflîr  dans  plufieurs  tentatives  qu'ils  ont  faites  pour 
y  parvenir.  Celles  que  le  feu  Czar  a  faites  pendant  fort  long- 
tems ,  ont  eu  néanmoins  quelques  fuccès  ;  mais  ces  fuccès 
n'ont  pas  répondu  aux  vaftcs  idées  de  ce  Prince ,  dont  deux 
nations  puiffantes  avoient  intérêt  d'empêcher  l'exécution* 
Elle  eft  très-difficile  d'elle-même',  attendu  la  fituation  pré- 
fente du  commerce  dans  la  Perfe  &  dans  les  Indes ,  dont  la 
meilleure  partie  eft  maîtrifée  aujourd'hui  par  les  nations  de 
■  l'Europe ,  Icfquelles  y  ont  conftruit ,  depuis  le  tems  dont  je 
*  parle ,  un  grand  nombre  de  fortereffes  qui  rendent  les 

(a)PorcadûDfUirgle« 

Tij 


148  SCIENCE. 

peuples  du  p?ys  ou  leurs  fujets  ou  leurs  dépendans. 

Les  denrées  ou  les  marchandifes  qui  çroifTent  ou  qui  fe 
fabriquent  dans  les  parties  méridionales  de  TAfie,  étoient 
apportées  dans  la  féconde  étape ,  qui  étoit  en  Egypte  &  en 
Syrie,  dans  les  villes  du  Caire,  de  Rofette ,  de  Damiette., 
de  Tripoli ,  d'Alexandrette ,  de  S*  Jean  d'Acre ,  fr  de  Seyde. 
On  les  embarquoit  d'abord  dans  les  Pons  des  Indes  &  de  la 
Perle ,  d'où  elles  venoient  débarquer  à  Suez  ou  dans  quelque 
autre  Port  de  la  raer  Rouge.  Du  tems  des  premiers  Rois 
d'Egypte ,  il  y  avoit  un  canal  qui ,  venant  aboutir  de  la 
mer  Rouge  dans  le  bras  du  Nil  le  plus  oriental ,  fervoit  4 
tranfponer  de  la  mer  Rouge  dans  ce  fleuve  les  marchandi- 
fes; mais  ce  canal,  fou  vent  hors  d'état  de  fervir,  quelquefois 
raccommodé  par  les  Maîtres  de  l'Egypte ,  &  en  dernier  lieu 
par  un  des  Soudans ,  n'a  jamais  été ,  durant  long-tems,  une 
route  permanente.  La  manière  la  plus  commune  de  faire 
.  faire  ce  trajet  aux  marchandifes  des  Indes ,  étoit  de  les  dé- 
barquer à  Clifina  ou  dans  les  autres  Ports  de  la  mer  Rouge, 
&  de  les  voiturer  à  dos  de  chameaux  fur  les  bords  du  Nil  (a). 
Ce  fleuve  les  diftribuoit  enfuite  dans  les- Villes  d'Egypte 
dont  on  a  parlé  ,  Icfquelles  étoient  bâties  fur  fes  bords  ou 
peu  diftantes  de  fes  bouches;  une  partie  des  marchandifes  y 
demeuroit  ^  &  l'autre  étoit  tranfportée  dans  les  Ports  de  la 
Syrie.  Les  Vénitiens  étoient  prefque  les  feuls  Négocians  en 
habitude  de  les  aller  chercher  dans  ces  étapes.  Ils  y  jouiflbient 
de  grands  privilèges  qui  les  exemptoient  de  payer  les 
douanes  en  entier ,  &  la  monnoye  frappée  au  coin  de  S.  Marc 
y  avoit  cours ,  comme  dans  les  Etats  de  la  République.  Du 
moins  il  étoit  rare  qu'il  y  allât  d'autres  vaifleaux  que  les  leurs. 

(fl)  Creg.  Tur.  Hift,  L.  princip. 


DU  GOUVERNEMENT,  .14^ 
Plufieurscirconftances  empcchoientqueles  autres  Puiflan- 
ces  de  TEurope  ne  partageaffent  ce  commerce  avec  la  Repu- 
blique de  Venife.  1^.  Le  commerce  de  Pife  éroit  ruine  de- 
puis Paffu jettiflement  de  cet  Etat  aux  Florentins  qui  faifoient 
un  très-grand  commerce  en  Europe  par  leurs  Manufaâures, 
Ces  Fabriquans  ne  fongerent  que  long-tems  après  les  Vé- 
nitiens ,  à  faire  un  commerce  réglé  dans  les  échelles  du  Le- 
vant ;  &  lorfqu'ils  voulurent  (a)  envoyer  des  Députés  en 
Egypte ,  pour  y  faire  un  Traité  de  commerce  avec  le  Sou* 
dan  y  il  ne  fe  trouva  perfonne  fous  leur  main  qui  entendit  la 
langue  du  pays.  On  nous  a  confervé  (h)  Tinflrudion  qui  fut 
donnée  à  ces  Députés  Florentins  ,  &  le  rapport  qu'ils  firent 
à  leur  retour.  Uinftrudion  ne  porte  guères  autre  chofe  que 
d'obtenir  pour  les  Florentins ,  qui  négocieroient  en  Egypte 
&  en  Syrie ,  le  même  traitement  que  les  Soudans  y  avoient 
accordé  aux  Vénitiens.  2°.  Livourne  n'ctoit  encore  que  la 
retraite  de  quelques  barques,  3^.  Gênes  même,  déchue  de 
fon  ancienne  grandeur  maritime  j  étoit  une  Ville  municipale 
des  Ducs  de  Milan  ou  des  Rois  de  France  (c) ,  elle  ne  s'é- 
toit  pas  encore  relevée ,  &  très  bornée  dans  fon  commerce  , 
elle  ne  comptoir  point ,  comme  aujourd'hui ,  parmi  fes  fu- 
jets ,  les  plus  riches  particuliers  8c  les  plus  fubtils  Négocians 
de  rUnivers.  4^.  Les  peuples  de  TEtat  Eccléfiaflîque  &  du 
Royaume  de  Naples ,  tyrannifés  par  les  Seigneurs  particu-* 
liers  qui  étoient  plus  leurs  Maîtres  que  le  Souverain  même, 
ne  fongeoient  guères  au  commerce  maritime.  5®.  Les  Fran- 
çois,  plus  Guerriers  que  Commcrçans  ,  s'abflenoient  de  fré* 
quenter  les  Ports  du  Levant ,  quoiqu'ils  euffent  droit  d  y  né- 

(?)  En  422* 

Ib)  LeibnitzCod.  Dipl.  T*  %   p.  X. 

(c)  Machiavel  Hift.  Liv.  i*  Hiftoiit  M  CtntsfàtVbUp 


î50  SCIENCE 

gocier  fous  la  bannière  &  fous  le  pavillon  de  France.  6^.  Les 
Anglois  &  les  Hollandois  qui  font  aujourd'hui  un  commerce 
fi  confidérable  dans  ces  échelles ,  n'y  étoienc  pas  encore  con- 
nus. Les  Anglois  n'obtinrent  que  long-tems  après  (a) ,  à  la 
Porte  y  la  pcrmiffion  de  pouvoir  négocier  dans  les  échelles 
de  Turquie,  fous  le  Pavillon  d'Angleterre  (^).  Jufques  -là  ^ 
leurs  vaiflcaux  qui  les  avoient  fréquentées ,  ne  s'y  étoient 
montrés  que  fous  le  pavillon  de  France.  La  première  Capi- 
tulation des  Provinces-Unies  des  Pays-Bas  avec  la  Porte  cft 
encore  moins  ancienne  (c)  ;  6c  même  fuivant  cette  Capitu- 
lation, les  vaifleaux  Hollandois  ne  pouvoient  commercer  en 
Turquie  que  fous  la  bannière  de  France. 

De  tous  les  Etats  de  la  Chrétienté  ,  celui  de  Venife  étoit 
donc  le  feul  qui  pût  donner  à  fcs  Marchands  ,  dans  les  ports 
d'Egypte  &  de  Turquie ,  une  protection  refpedée  ;  c'étoit 
auffi  le  feul  qui  tint  régulièrement  un  Conful  au  Caire  &  un 
Ambaffadeur  à  Conftantinople.  On  prétend  même  que  les 
Vénitiens  ,  pour  écarter  les  autres  Nations  des  ports  de  la 
Turquie  ,  prenoient  foin  de  répandre  dans  le  public  des  re- 
lations artificieufes  où  les  Mahométans ,  qui  étoient  appa- 
remment dès-lors  ce  qu'ils  font  aujourd'hui ,  fe  trou  voient 
repréfentés  comme  autant  d'Antropophages  &  de  Leftrigons. 
Ces  relations  faifoient  leur  effet ,  &  c'eft  ainfi  que  ,  vers  le 
quinzième  fiécle  ,  les  Vénitiens  étoient  prefque  les  feuls  Mar- 
chands qui  fiffent  le  commerce  d'Orient ,  &  qui  tranfportaf- 
fent  dans  cette  contrée  l'or  &  l'argent  des  marchandifes  dfe 
l'Europe  pour  y  rapponer  les  merveilles  &  les  fuperfluités 
Afiatiques.  La  ville  de  Venife  fe  trouvoit  fituce  dans  le  centre 

(a)  En  i;77. 

(b)  Bauditr ,  Hîft*  des  Turcs ,  Amurat  lU.  Thuin  Hiil.  Liv. 
(0  De  ij$i.  TLuian  Hift.  Liv*  121. 


DU    GOUVERNEMENT.       151 

du  monde  négociant.  Elle  fembloit  bâtie  dans  la  place  où 
elle  eft  aflîfe  ,  pour  fervir  de  point  de  communication  aux 
Marchands  &  d'entrepôt  aux  Nations.  D'ailleurs ,  la  mer  qui 
entre  dans  fes  rues  &  qui  environne  fes  maifons  &  les  fleu- 
ves qui  fe  rendent  dans  cette  mer ,  donnent  une  facilite  mer- 
veilleufe ,  pour  voiturer  dans  la  ville  &  pour  tranfporter 
commodément  de  fesmagafins  toutes  fortes  de  raarchandifes. 
Le  commerce  que  les  Vénitiens  faifoient  déport  en  port, 
en  achetant  des  marchandifes  chez  une  Nation  pour  les  re- 
vendre chez  une  autre ,  étoit  auflî  étendu  que  le  monde  qu'on 
cormoiflbit  alors.  Maîtres  de  ce  commerce ,  &  fans  concur- 
rens  dangereux  dans  leurs  ventes ,  non  plus  que  dans  leurs 
achats,  ils  gagnoient  beaucoup  fur  rcut  ce  qui  pafFoit  parleurs 
mains  ;  &  il  devoir  y  pafler  pour  des  fommes  immenfes  dç 
marchandifes.  Il  n'y  avoir  que  peu  d'années  que  l'Amérique 
étoit  connue  ;  les  Efpagnols  n'y  avoicnt  encore  affujetti  que 
des  Ifles  ;  &  jufqu'au  tems  où  nous  avons  dompté  8c  bien 
cultivé  cette  partie  du  monde ,  l'Europe  s'eft  fournie  au  Le- 
vant de  beaucoup  de -denrées ,  de  marchandifes ,  de  pierre- 
ries &  de  drogues  ,  qu'elle  tire  préfentement  de  TAmériquet 
Tout  ce  commerce  d'Orient  étoit  alors  bien  plus  étendu,  qu'il 
nel'eftaujourd'hui.L'Europe  qui  tire  le  fucrc  qu'elle  confume, 
à  quelques  caifles  près ,  de  l'Amérique,  faifoit  alors  fa  provir 
fion  de  fucre  en  Egypte.  Elle  y  achetoit  &  celui  du  crû  du 
pays  &  celui  qui  venoit  des  Indes  Orientales.  Les  cannes 
qui  fe  cultivoient  en  Sicile ,  ne  rendoient  pas  une  quantité  de 
fucre  bien  confidérable.  Il  eft  vrai  qu'on  ne  confumoit  pas 
dans  ce  tems-là  autant  de  cette  denrée,  qu'on  l'a  fait  depuis 

que  le  fucre  qui  étoit  une  marchandife  précieufe  ,  eft  deven^ 
une  marchandife  commune.  Les  cannes  ayant  paûfé  de  Sicile 


fçi  SCIENCE 

en  Grenade  ,  &  de  Grenade  à  Madcre,  furent  portées  de 
Madère  au  Brefil.  Vers  le  milieu  du  dernier  fiécle,  les  Juifs 
les  portèrent  du  Brefil  dans  toutes  les  colonies  que  les  Na- 
tions d'Europe  ont  en  Amérique.  La  commodité  de  les  y 
dire  cultiver  par  des  efclaves  Nègres ,  a  rendu  leur  produc- 
tion une  denrée  d'un  prix  à  la  portée  de  tout  le  monde.  Il 
eft  impoffible  néanmoins  que  le  lucre  ne  fit  pas ,  des  ce  tems- 
la  j  un  article  de  commerce  confidcrablc.  Beaucoup  de  dro- 
gues propres  pour  le  luxe  ou  pour  la  médecine  ,  qui  nous 
viennent  aujourd'hui  de  TAmcriquc  ,  nous  venoient  alors  de 
TAfie-  Les  diamans  &  les  perles  dont  l'Amérique  fournit  au- 
jourd'hui la  plus  grande  quantité  y  nous  venoient  toutes  alors 
des  Régions  Afiatiques.  L'Europe  ne  tiroitaufïi  que  de  l'Afie 
les  pierreries  de  couleur  &  furtout  les  éméraudcs ,  plus  prc- 
cieufes  encore  que  les  diamans  ,  avant  que  la  découverte  de 
la  mine  d'éméraudes  qui  eft  dans  la  terre  ferme  du  nouveau 
Monde,les  eût  rendues  trop  communes  pour  être  tant  prifées  ^ 
&  avant  qu'un  Orfèvre  de  Bruges  eut  trouvé ,  fous  le  règne 
de  Louis  XI,  lart  de  tailler  le  diamant.  Outre  ces  curiolîtés 
6c  ces  drogues ,  l'Europe  tiroit  encore  de  l'Afie ,  les  foye- 
ries ,  les  toiles  de  coton ,  les  épiceries  &  les  parfums. 

Cétoîent  les  Vénitiens  qui  répandoient  toutes  les  mar- 
chandifcs  d'Orient  en  Europe.  Leurs  vaiflTeaux  lesportoient 
à  Marfeille ,  à  Barcelone ,  à  Seville ,  à  Lisbonne  ,  à  Bruges  , 
&  même  a  Londres ,  où  les  vaifleaux  des  Villes  Hanféatiques 
les  venoient  chercher.  Les  Traités  de  paix  de  ce  tems-là 
font  encore  remplis  des  vefliges  de  ce  commerce  ;  ils  font 
Souvent  mention  des  franchifcs  &  des  furctés  que  les  Prin- 
*ces  accordoient  aux  valffeaux  &:  aux  marchandifes  des  Vé- 
nitiens» Ils  diflribuoicnt  encore  par  terre  les  marchandifes 

de 


DU    GOUVERNEMENT.      155 

de  TAfie  ^  dans  le  refle  de  TEurope  par  la  route  de  Zurich 
9c  par  celle  d'Augfbourg.  Les  foires  de  Bolfane  ,  de  Novi , 
&  de  Lyon ,  que  les  Italiens  ont  rendues  fi  fameufcs ,  four- 
Oilfoient  auffi  à  leurs  Ncgocians  de  grandes  facilités  pour 
s^aboucher  avec  leurs  correfpondans  étrangers  y  &  pour  y 
recevoir  leurs  comtniffions. 

Voilà  la  fource  la  plus  abondante  du  commerce  des  Vérli- 
tiens  ,  comme  de  l'opulence  où  ils  étoient  fur  la  fin  du  quin- 
zième fiécle.  Ce  fut  dans  ce  tems-là  que  les  Portugais  ache- 
vèrent de  découvrir  (4)  qu'on  pouvoit  aller  aux  Indes  Orien- 
tales par  la  route  du  Cap  de  Bonne-Efpcrance.  Cette  route  , 
quoique  beaucoup  plus  longue  que  celle  des  échelles  du  Le^ 
yant ,  ctoit  néanmoins  bien  plus  commode  que  l'autre ,  pour 
apporter  en  Europe  les  marchandifes  de  TAfie.  Par  la  route 
du  Cap  j  elles  arrivoient  dans  Lifbonne  fur  les  mêmes  bâti- 
mens  qui  les  avoient  chargés  dans  les  Ports  des  Indes ,  au 
lieu  que  ,  par  Tancienne  route  ,  elles  n  arrivoient  à  Vcnife 
qu  ajîrès  avoir  été  chargées  &  déchargées  plufieurs  fois  ,  & 
qu'après  avoir  ainfi  fait  beaucoup  de  frais.  D'ailleurs  9  il  fal- 
loir que  les  Vénitiens  payafTent  chèrement  y  dans  les  Ports 
d'Egypte  &  à  Conftantinople  ,  les  marchandifes  d'Afie  aux 
Négocians  qui  les  y  apportoient ,  au  lieu  que  les  Portugais 
avoient  ces  marchandifes  à  vil  prix  dans  les  Indes  fubjuguées* 
La  plupart  mcme ,  comme  les  épiceries  &  les  perles  y  ne  leur 
coûtoient  rien.  C'étoient ,  ou  les  fruits  des  pays  conquis ,  ou 
le  tribut  des  peuples  aflujettis  :  ainfi ,  les  Portugais ,  gagnant 
beaucoup  fur  ces  marchandifes  ,  les  pouvoient  donner  pour 
le  quart  du  prix  que  les  Vénitiens  en  faifoient  payer.  Tous 
les  Acheteurs  déferterent  Vénife ,  pour  fréquenter  Lifbonne* 

(a)  En  14^8.  Voyez  la  troifiémeScdioaduChapitrc  VL  de  cette  Introdudiom 

7  W  I.  V 


154  SCIENCE 

Le  Cardinal  Bembo  rapporte  que  le  Sénat  qui  prévit  le  tor^ 
rent,  auffitôt  qu'il  vit  le  nuage,  fut  doulourculement  affligé  9 
lorlqu  il  apprit  (a)  ,  par  les  dépêches  de  fon  Ambafladeur  à 
Lifbonne  y  les  fuccès  des  voyages  des  Portugais  &  leurs 
nouvelles  découvenes  dans  les  mers  Atlantiques.  Guichar-- 
din  ,  Hiflorien  de  Florence,  met  la  découverte  du  Cap  de 
Bonne-Elpcrance ,  pour  aller  aux  Indes  Orientales ,  au  rang 
des  plus  funefles  malheurs  qui  foient  arrivés  aux  Vénitiens* 

Depuis  ce  tems-là  ,  Venife  n*eil  plus  cette  PuiiTance  célè- 
bre ,  qu*un  commerce  néceflaire  à  toute  l'Europe  rendoit  fi 
opulente ,  qui  donnoit  des  Loix  à  TArchipel  8c  à  tant  de 
beaux  pays  dans  TOrient ,  &  qui  jouoit  un  rôle  principal 
dans  les  grandes  querelles  des  Princes.  Son  perfonnage  cft 
devenu  fubalterne  ;  &  jamais  cette  Ville  ne  Içauroit  redevc* 
nir  ,  pour  employer  une  expreffion  convenable  au  fujet ,  un 
magafin  de  T Afic  où  toute  TEurope  doive  retourner  faire  fe$ 
emplettes. 

Lifbonne  devint  donc ,  pour  ainfi  dire ,  la  Métropole  da 
commerce  que  les  Vénitiens  avoient  fait  jufqu  alors.  Elle  le 
fît  durant  un  tems  ;  mais  bientôt  les  HoUandois  ,  les  Fraiv- 
Çois  ,  les  Anglois,  &  d^autres  Nations  dépouillèrent  les  Por. 
tugais  de  ce  commerce ,  ou  le  partagèrent  avec  eux.  Les 
HoUandois  ,  dont  TEtat  ne  venoit  que  de  fe  former ,  en  fi- 
rent d  abord  un  d'autant  plus  étendu ,  que  leur  République 
naiflante  n*avoit  point  d'autre  refTource.  De  grands  Etats  qui 
auparavant  ne  s  ctoient  prefque  appliqués  qu'à  la  guerre  , 
commençoient  à  s'adonner  au  commerce  ;  &  dès  que  les 
Traités  de  \7eftphalie  (h)  eurent  rendu  la  paix  à  l'Europe , 

(-)  En  14pp. 
(.')  En  16^2. 


DU    GOUVERNEMENT.       155 

îion-feulement  la  Suéde  &  le  Dannemarkc ,  mais  la  France  Se 
r Angleterre ,  &  plufieurs  autres  Etats  moins  confidérables , 
s'appliquèrent  au  commerce. 

.  Les  marchandifes  de  TAfie  viennent  aujourd'hui  en  Eu- 
rope par  deux  routes  :  celle  du  Levant  ou  des  échelles  de 
Turquie  :  &  celle  des  Indes  Orientales ,  ou  du  Cap  de  Bon- 
Tie-Efpérance. 

Le  commerce  qui  n'avoir  rien  que  de  bas  &  deméchanîque, 
cfl  relevé  par  la  prudence  ,  les  hunieres  de  l'efprit ,  le  gé- 
nie, 8c  le  courage.  Il  eft  devenu  une  profeflîon  importante, 
âff  on  voit  des  Négocians  donner  ,  de  leur  cabinet ,  des  or- 
dres à  Archangel ,  à  Québec ,  à  Portobello ,  à  Lima ,  au  Cai- 
re ,  à  Pondichery.  Mais  le  progrès  de  la  Navigation  a  rem- 
pli le  monde  de  tant  de  Marchands  ,  qu'il  fera  difficile  que 
le  commerce  les  puifle  tous  entretenir  à  l'avenir. 

Ce  commerce ,  en  enrichiffant  les  Négocians  qui  le  font , 
appauvrit  l'Europe.  Les  Nations  qui  ont  dépouillé  Lifbonne  , 
ont  augmenté  Ci  exceffîvement  la  confommation  des  mar- 
chandifes qui  viennent  encore  del'Afie,  qu'on  peut  dire  que 
la  génération  qui  fuivra  la  nôtre ,  verra  les  Provinces  les  plus 
floriflantes  de  l'Europe  dans  le  même  état  de  mifere  où  font 
les  pays  les  plus  défolés.  Il  fuffit  pour  cela ,  que  ceux  qui  font 
leur  métier  du  commerce  des  Indes  Orientales ,  le  continuent 
avec  autant  de  fiireur  qu  ils  en  ont  montré  pour  l'augmen- 
ter, à  Tenvi  les  uns  des  autres,  depuis  la  paix  de  Ryf\f'ick 
(4) .  Les  Indiens  vont  en  grande  partie  nuds  ;  les  vétemens 
qu'ils  ont,  le  pays  les  leur  fournit  convenables ,  &  leur  Re- 
ligion leur  donne  de  la  répugnance  pour  les  chofes  qui  leur 
fervent  de  nourriture  j  ils  n'ont  befoin  que  de  nos  métaux 

(â)  Eu  i^^3» 

Vij 


1^6  SCIENCE 

qui  font  les  (îgnes  des  valeurs  ,  &  pour  ces  métaux,  ils  nous 
.donnent  des  marchandifes  ,  que  leur  pays  &  leur  frugalité 
leur  procurent  en  abondance.  Les  Compagnies  des  Indes 
Orientales  qui  fe  font  formées  en  France  ,  en  Angleterre  , 
en  Hollande ,  en  Dannemarck  ,  en  Suéde ,  font  venir  une 
quantité  prodigieufe  de  marchandifes  &  de  denrées  de  l'O- 
rient ,  ce  qui  fait  un  tort  infini  aux  manufadures  de  notre 
Continent ,  d  où  les  Indiens  ne  tirent  pas  un  vingtième  de 
ce  que  les  Européens  tirent  des  Indes.  Il  ne  faut  aux  Indiens^ 
&  ils  ne  tirent  de  nous ,  que  des  faffrans  &  des  herbes  aro- 
matiques. Tout  ce  que  nous  tirons  d'eux  au-delà,  nous  «le 
leur  payons  en  argent  (a). 
6i.  progr^idcf  De  la  Grèce,  qui  avoir  été  comme  le  domicile  desLet* 
très,  elles  pafTerent  à  Rome,  y  régnèrent  pendant  un  fiécle, 
avec  beaucoup  d'éclat ,  y  déchurent  peu  à  peu ,  &  demeure- 
rerent  comme  enfevelies  fous  les  ruines  de  TEmpire  Romain. 
Les  foibles  reftes  qui  s'en  étoient  confervcs  dans  la  Grèce  ^ 
s'en  virent  exiles.  FJTrayées  du  bruit  des  armes,  les  lettres 
repafferent  en  Italie  avec  ceux  qui  les  cultivoient  encore 
dans  la  Grèce,  &  y  frutlifierent  comme  fait  une  plante  en 
une  terre  fenile. 

L'efprit  humain  fortit  de  l'obfcurité  où  la  barbarie  des 
Goths  l'avoit  plongé.   Le  tems  de  Léon  X  ,  de  François 
<  Premier  ,  &  de  Charles-Quint,  eft  l'époque  du  progrès  des 

fcicnces.  On  voit  les  beaux  arts  fleurir  fous  la  proteftion  de 
ces  trois  Souverains.  Le  Pape  commence  en  Italie  à  les  faire 
renaître  ;  le  Roi  les  fait  paffer  en  France  ;  &  l'Empereur  de 
fon  côté  ,  honore  ceux  qui  s'y  diftingiient.  Les  Apelles  ,  les 

(a)  Voyez  dans  ccuo  mCme  lacrodudion Ch.  U.  ScH*  III.  k  Sommaire.-  F$r^ 
as  du  MogoL 


DU    GOUVERNEMENT,      157 

Phidias,  les  Vitruves  femblent  reparoître  ,  comme  des 
Voyageurs  qui  reviennent  avec  de  nouvelles  connoiflances  & 
^cs  talens  perfeâionnés.  On  élevé  de  magnifiques  Temples, 
on  bâtit  de  fuperbes  Palais  ,  la  Peinture  &  la  Sculpture  les 
•décorent.  L*art  de  Tlmprimerie  venoit  d*être  heureufement 
découvert ,  &  il  confacre  à  la  poftérité  les  produfltions  d'une 
foule  d*excellens  génies. 

Les  mœurs'  fe  policent ,  la  délicatefle  &  le  goût  diftin- 
guent  le  fiécle  de  Louis  le  Grand ,  des  génies  extraordinai* 
res  paroiffent ,  &  la  France  produit  de  grands  hommes  en 
tout  genre.  Les  Sciences ,  les  Arts  ,  &  les  Lettres  font  prêt 
que  portés  à  leur  perfedion.  La  nature  femble  n'avoir  plus 
de  myftere  ;  on  Fobferve  dans  fcs  effets  ;  8c  par  le  fecours 
de  la  Géométrie ,  on  aflujettit  les  caufcsà  la  démonflration  ; 
on  pénétre  les  ombres  de  l'antiquité  la  plus  reculée.  Tout  ce 
qui  s'efl  pafTé  dans  tous  les  fiécles  ,  parmi  tous  les  peuples 
.  de  rUnivers  y  leurs  mœurs ,  leurs  Coutumes ,  leurs  langues 
même  deviennent  familières.  Les  arts  qui  ne  paroiffent  dé- 
pendre que  de  la  main  ,  empruntent  le  fecours  de  Tefprit  & 
le  perfeftionnent.  Tout  enfin  paroît  un  fujet  de  triomphe 
pour  le  génie  François.  Les  Nations  étrangères  viennent  fe 
former  en  France  ,  &  s'efforcent  de  l'égaler  en  l'imitant. 

Des  Novateurs  font  une  playe  profonde  à  la  Religion  ;  &  5,.  changc- 
une  grande  partie  de  l'Europe  ceffe  d'être  Catholique.  Cette  ^cu^l,  **** 
divilion  porte  le  trouble  de  toutes  parts  y  &  caufe  des  guerres 
ou  inteftines  ou  étrangeres,dont  la  Religion  efl  ou  le  motif  ou 
le  prétexte.  La  France  elle  -  même  éprouve,  pendant  près  de 
quatre-vingt  ans ,  ce  que  peut  l'empire  de  l'opinion ,  qui  fur- 
irtonte  les  forces  de  la  nature  même  ,  &  rompt  tous  fes  liens. 
Les  Autels  font  alternativement  renverfcs  6c  rétablis.  Des 


Î55  SCIENCE 

dcbrîs  de  leur  chute ,  naiflent  enfin  des  fe£les  bizarres  qui 

enfantent  à  leur  tour  une  licence  effrénée. 
6).  Evénement      Les  Monarchics  y  les  Républiques  ^  les  Maifons  Souverain 
fiociti&accdti  j^çs     peuvent  être  comparées  à  ces  villes  que  nous  voyons 

<m  nuu»  vivons.  '    *  *  *  ■' 

bâties  auprès  des   Volcans  ;  un  tremblement   de  terre  fur- 
vicnt  au  milieu  du  plus  grand  calme  y  &  tout  eft  renverfé* 
Qu'on  en  juge  par  les  révolutions  arrivées  depuis  deux  cens 
cinquante  ans.  Les  fiédes  les  plus  reculés  fourniflent  peu 
d'évcnemens  aufli  remarquables  &  aufli  multipliés  que  ceux 
qui  fe  font  fuccédés  dans  ce  court  efpace  de  tems. 
La  Maifon  d'Autriche  devenue  puiflante  ne  fut  pas  plutôt  pla- 
cée furie  trône  d*Allemagne,que  fa  rivalité  avec  celle  deFran- 
ce  y  troubla  le  repos  de  la  partie  du  monde  que  nous  habi- 
tons. On  fçait  combien  cette  concurrence  a  coûté  à  TEuro- 
pe.  Chaque  Nation  ^  fe  déterminant  félon  fes  intérêts ,  s*cft 
efforcée  de  mettre  un  équilibre  entre  ces  deux  Maifons  re- 
doutables. La  mort  du  dernier  Empereur  Autrichien  &  la 
guerre  fanglante  qu'elle  a  occafionnée,  n'ont  pas  même  ter- 
miné cette  querelle  dangereufe.  La  paix  qui  vient  de  fc  con- 
clurreà  Aix-la-Chapelle ,  laifle  fur  ce  trône  d'Allemagne  un 
Prince  dont  Tépoufe  poflcde  la  plus  grande  partie  de  la  Puif- 
fance  Autrichienne  ;  &  Ton  peut  fuppofcr ,  fans  donner  dans 
une  fpcculation  outrée  ,  que  cette  Princefle  ayant  les  mêmes 
intérêts  que  fes  ancêtres  ,  marchera  dans  la  route  qu'ils  lui 
ont  tracée. 

Les  Hollandois ,  fatigués  d'un  Gouvernement  trop  dur  , 
fecouent  le  joug  de  l'Eipagne  ,  &  forment  une  Republique* 

En  Italie  ,  la  Maifon  de  Médicis,  élevée  par  les  richefles, 
s'aHeclionne  fes  Concitoyens  par  fon  mérite  &  par  l'es  bien- 
faits i  &  devenue  ambicieulc  y  opprime  la  liberté  publique. 


DU    GOUVERNEMENT.       15^ 

En  Angleterre,  la  Majefté  du  trône  eft  foulée  aux  pieds  i 
un  Souverain  fe  voit  arracher  le  fceptre  par  un  usurpateur , 
hypocrite  rafiné ,  mais  brave  autant  que  politique.  Sous  un 
titre  modéré ,  fous  Tombre  de  la  liberté  même  ,  Cromvvel 
gouverne  tyranniqucment  une  Nation  fiere  &  jaloufe  de  fes 
privilèges.  Les  plus  puiffans  Etats  de  l'Europe ,  frappés  de 
Ion  élévation,  le  craignent  &  recherchent  fon  amitié.  Un 
fils  ,  qui  n*avoitaucune  des  qualités  de  TUfurpateur ,  applanit 
le  retour  à  celui  du  Roi  infortuné ,  fur  le  trône  teint  du  fang 
de  ce  malheureux  Prince.  Sa  pofterité  règne  quelque  tçms  ; 
mais  Jacques  II  eft  chaffé  de  fes  Etats  par  fon  propre  Gen- 
dre Guillaume  de  Naflau ,  &  fa  couronne  pafle  à  une  famille 
étrangère. 

En  Allemagne ,  Ferdinand  II ,  enflé  des  fucccs  qu'il  avoir 
eus  fur  des  Rebelles,  mcnaçoit  la  liberté  du  Corps  Germa- 
nique ,  lorfque  Guftâve- Adolphe  ,  appuyé  des  forces  de  la 
France  ,  fort  de  la  Suéde  pour  protéger  les  opprimé?  &  ab- 
baifler  Topprefleur.  La  valeur  de  ce  Prince ,  fa  prudence  , 
fon  habileté  dans  la  guerre,  rangent  toutes  les  Provinces 
fous  fon  pouvoir.  Toutes  les  Puiflances  de  TEurope  prennent 
îpart  à  cette  guerre.  La  moit  de  Guftâve  &  la  divifion  qui  fe 
met  entre  les  Alliés ,  fauvent  Ferdinand  ;  &  la  guerre  eft 
néanmoins  terminée  par  une  paix  qui  tire  TAllemagne  des 
fers  de  la  Maifon  d'Autriche  ,  8c  qui  eft  tout  à  la  fois  utile 
&  glorieufe  à  la  France  &  à  la  Suéde. 

L'art  funefte  de  la  guerre  fe  perfectionne ,  &  Thiftoire  de  la 
Marine  Européenne  eft  Thiftoire  de  Tintrepiditédeshommes* 
Pendant  les  deux  derniers  riecles,laFrance  eft  prefque  toujours 
les  armes  à  la  main ,  fur  l'un  &  fur  l'autre  élémens.  Tandis 
qu  elle  accroît  fes  richefles  par  fon  induftrie  ,  elle  étend  fes 


î^o  SCIENCE 

limites  par  fes  propres  forces  qu  elle  n'avoir  pas  encore  con- 
nues ,  &  parvient  à  un  haut  degré  de  gloire  ,  fous  le  règne 
de  Louis  le  Grand.  Les  cvcnemens  y  qui  étoient  refervés  au 
fiecle  où  nous  vivons  ,  ne  font ,  jufqu  à  ce  jour ,  ni  moins 
grands  ,  ni  moins  finguliers. 

Un  Roi  (  ^  )  qui ,  dans  le  cours  d'un  règne  long  8c  glo- 
rieux n'avoit  jamais  reçu  des  loix  que  de  fa  modération ,  s'eft 
prcfque  vu  fur  le  point  de  fubir  le  joug  de  fes  ennemis.  Le 
Souverain  d'un  Etat  médiocre  (b) ,  mettant  un  grain  dans 
la  balance  de  l'Europe  »  l'a  fait  pencher  aflcz  fouvent  pour  le 
parti  qu'il  a  favorifé  ,  &  a  joint  un  Royaume  &  d'autres  Etats 
(^  )  au  patrimoine  de  fa  Maifon.  Un  autre  Souverain  {d)^ 
ambitieux  du  titre  de  Roi ,  fe  l'efl  donné  à  lui-même  y  fans 
rien  ajouter  à  fa  puifTance  }  &  ce  qui  ne  paroilToit  d'abord 
qu'une  fcene  de  théâtre  y  qu'une  chimère  ,  a  été  réalifé  pax 
le  concours  des  autres  Souverains.  Habiles  à  profiter  des 
circonftances ,  les  fucccfleurs  de  ce  Prince  ont  augmenté 
confidérablement  leurs  Etats  (e).  Une  Maifon  redoutable, 
qui  9  peu  auparavant)  affcûoit  la  domination  deTEurope^  à  vu 
démembrer  fa  puiflance,  &  des  mêmes  corps  qui  l'ont  frap- 
pée ,  accroître  celle  de  fa  Rivale  (/).  Une  Monarchie  dont 
on  a  dit  I  que  le  Soleil  ne  fe  couchoit  jamais  fur  fes  terres  ,  a 
pafle(g)  fous  la  domination  d'une  Maifon  (^h)  perpétuel- 
lement ennemie  de  celle  qui  Tavoit  gouvernée  jufqu'alors 

(â)  Louis  le  Grand. 
<^)  Le  Duc  de  Savoy*. 

(c)  La  Sardaîgne ,  le  Monferrat,  partie  du  Milanes. 

(d)  L'Ele<fleur  de  Brandebourg  ,  Duc  de  PrulTe. 

(f  )  Par  la  Pom^ranie  >  à  la  faveur  de  rabfence  de  Charles  Xtt ,  Se  par  la  Silcfie» 
à  ToccaHoa  de  la  guerre  qui  a  fuivi  la  mort  de  l'Empereur  Charles  Vl. 

(/}  Ajoutes  que  Ferdinand  VI  »  fils  de  Philippe  V  >  defcend  de  Jean  Roi  de  Na- 
varre que  Ferdinand  le  Catholique  dépouilla  de  Tes  Etau* 

(^)  En  171p. 

(il)  La  France* 

elle 


DU    GOUVERNEMENT-       ï^i 

elle  a  été  miferablcment  démembrée  ,  &  fon  nouveau  Roi ,  à 
peine  affis  fur  le  trône  ,  a  eu  (a)  une  guerre  à  foûtenir  conf- 
ire la  même  Puiffance  (  ^  )  qui  venoit  de  l'y  placer.  Une 
Princeffe  (r)  a  femblé  n'avoir  été  deftinée  à  ferrer  les  liens 
qui  dévoient  unir  deux  grands  Monarques ,  que  pour  être 
xenvoyée  fans  aucun  ménagement  au  Roi  fon  père.  Un  Prin- 
ce (d) ,  trop  jeune  pour  avoir  donné  lui-même  aucun  fujet 
de  plainte  à  les  voifins,  a  été  dépouillé  de  fes  Etats  ^ 
par  un  Roi  Taîné  de  fa  Maifon,  fans  qu'un  grand  Empire ,  à 
qui  fes  intérêts  font  très^chers,  ait  pu  l'y  rétablir.  Un  Roî 
puiffant ,  qui  vient  de  mourir,  abdiqua  la  Couronne  (^)  ; 
donna  un  enfant  pour  maître  à  fon  peuple  qui  avoir  befoin 
d'un  homme  ;  &  rappelle  prefqu'auflî-tôt  au  trône ,  par  les 
vœux  emprefTés  de  fes  peuples ,  après  la  mort  de  fon  fils  , 
reprit  le  gouvernail  imprudemment  quitté.  Un  autre  Roi(/) 
ceffa  auffi  volontairement  de  régner ,  &  le  premier  ufage  que 
le  fils  qu'il  éleva  au  trône  ,  a  fait  de  la  puiffance  fuprême, 
priva  le  père  de  la  liberté.  Deux  Souverains  de  l'un  des  plus 
puiffans  Etats  de  la  terre  (g)  ,  ont  été  fucceffivement  renver- 
fésdu  trône.  Au  droit  héréditaire,  mais  nouveau  d'une  Mo- 
narchie (  ^) ,  a  été  fubftituée  la  Loi  ancienne  de  l'éledion. 
.Un  Royaume  voifin  (i)  a  eu  plus  d'une  fois  deux  Rois ,  &  a 

{a)  En  171p. 

(i)  La  France. 

(c)  L'Infante  d'Efpagne ,  aujoutdliul  Princeffe  du  BreCl ,  itAmée  d*abord  à  <m 
Reine  de  France, 

id)  Le  Duc  de  Holfteîn  ,  père  du  Grand  Duc  de  Ruffie  ,  privé  du  Duché  de 
Slcfvvick  >  par  le  Roi  de  Danemarck*  * 

(e)  Philippe  V ,  Roî  d'Efpagne ,  en  17x44  • 

(/)  Vidor,  RoideSardaignCé 

(g)  La  Turquie. 

(A)  La  Suéde. 

(i)  La  Pologne. 

Tome  I.  X 


i<f2  SCIENCE 

été  tour  à  tour  le  prix  du  courage  &  de  la  violence.  Un  peu* 
•pie  (4)  dont  nous  ne  connoiifions  prefque  que  le  nom,  tiré  de 
tfon  obfcurité  par  un  feul  homme  (i)  y  a  fait  monter  les  Rois 
fur  le  trône ,  &  les  en  a  fait  defcendre  à  fon  gré.  Cet  hom« 
me  triomphant  a  voulu  être  Empereur ,  &  toute  l'Europe  a 
-reconnu  qu'il  Tétoit.  Son  fils  (c)  y  indigne  de  lui  fuccéder ,  a 
péri  d'une  mort  violente.  Le  plus  vafte  Etat  de  la  terre  (J) 
z  paffé  alternativement  entre  les  mains  de  ceux  qu'une  mîlî- 
ce  infolente  ,  le  caprice ,  &  les  circonftances  en  ont  rendu 
les  maîtres.  Une  entreprifc  {e)  que  la  juftice  &  la  prudence 
défavouoient  également ,  a  été  couronnée  ;  la  modération  (/) 
&  laméfintelligence  {g)  des  Princes  qui  dévoient  punir  cette 
«ntreprife ,  en  fauVerent  un  qui  étoit  prêt  à  périr  (A).  Le  dé- 
lîr  de  perpétuer  dans  fa  race  l'héritage  de  fes  Ancêtres ,  a 
cédé  dans  le  cœur  d'un  Prince  de  famille  illuftre ,  à  l'éclat 
il'un  trône  plus  étendu  (  /  ).  Un  rejetton  de  la  plus  auguftc 
JWaifon  qui  foit  dans  le  monde,  s'eft  fait  une  couronne  de 
.l'un  des  fleurons  qui  avoient  été  détachés  de  celle  du  Roî 
fon  père  {k)y  8c  la  guerre  a  formé  dans  la  fuite ,  des  Etats 
qu'il  poffédoit  auparavant  (/) ,  un  trône  au  Prince  fon  frerc^ 
La  politique  &  lamour  ,  rarement  d'accord  ,  fe  font  réunis 
pour  enlever,  à  une  République  un  Etat  {m)  qu'elle  dcvwc 

(c)Lef  Ruflês. 

{h)Lt  Czar  Pierre  I. 

(c)Le  CzaroTvicz.  , 

(rf)La  Ruffie. 

(f^L'entreprife  fur  hPologn^eiil7)). 

(/)Du  Roi  de  France. 

(^)r*$  Rois  d'Efpagne  &  de  Sardaigne. 

(A)L'Einpercur  Charles  VI. 

(i)LVchangede  la  Lorraine  aveclaTofcane. 

(k)Le$  deux  Siciles. 

(i)  Parme  5c  Plaifance  >  auxquels  on  a  joint  Guaitalla* 

{m)  La  Cturlande. 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  B  M  E  N  T.      itfj 

poireder,&  pour  le  placer  fur  la  tête  d'unSu}et(if).Ce  nouveau 
Prince  y  à  peine  élevé  à  la  Souveraineté,  en  a  été  privé  pour 
pafler  le  refte  de  fes  jours  dans  les  horreurs  d'une  prifon  y  8c 
fon  Etat  demeure  depuis  long-tems  fans  maître  ,  par  la  dif- 
ficulté de  convenir ,  &  de  la  puiffance  qui  lui  en  doit  donner 
un  ,  &  du  Prétendant  dont  il  faut  couronner  l'ambition .  Un 
Avaftturier  a  afpiré  au  trône,  &  aprefque  enlevé  une  cou- 
ronne à  ceux  qui  la  portent  depuis  plufieurs  ficelés  (^),  Le 
mauvais  fuccès  de  fon  entreprife  n'a  point  découragé  les  peu- 
ples qui  Tavoient  appelle  à  leur  fecours  ,  ils  ont  encore  les 
armes  à  la  main ,  &  femblent  déterminés  à  périr  ou  à  chan- 
ger de  maître.  Contre  la  maxime  fondamentale  de  tout  Eiat 
ékStify  nos  pères  ont  vu  dans  un  Empire  voifin  (c)  les  Elec- 
teurs toujours  fixer  leur  choix  pendant  quaçre  fiécles  dans 
une  feule  Maifon  ;  &  nous  venons  de  voir  ces  mêmes  Elec- 
teurs fe  déterminer  à  un  choix  qui  rendra  la  Couronne  Im- 
périale comme  héritière  dans  la  pofterité  féminine  de  cette 
même  Maifon.  Des  Républicains  qui  avoicnt  inondé  de  fang 
leurs  Provinces ,  pour  n'être  plus  gouvernés  par  un  fcul ,  lui 
ont  foumis  leur  liberté  ,  de  peur  qu'elle  ne  leur  fut  ravie  , 
femblables  à  des  gens  qui  fe  donnent  la  mort ,  dans  la  cçain- 
te  de  mourir  ;  &  comme  s'ils  avoicnt  appréhendé  que  leurs 
Defcendans  ne  fuflent  plus  libres  qu'eux  ,  ils  viennent  enco- 
re de  déclarer  le  nouveau  Gouvernement  héréditaire  pour 
l'un  &  pour  l'autre  fcxe  (rf).  Que  de  fujets  de  reflexions  dans 


(2)  Biron. 

(W  L'cntreprîfe  de  Nenhoff  fur  Tlfle  de  Corfc, 
(r)  L'Allemagne. 

(d)  Le  Stathouderat  établi  dans  le  commencement  de  I747>  ^  déclaré  héré 
re  iUr  la  fin  de  U  même  année. 


Xij 


1^4  S  C  I  E  N  C  E       H. 

un  fi  court  efpace  de  tems  !  N'en  eft-ce  pas  affez  ?  Desufa- 
ges  înjuftes  ,  des  ufages  finguliers  y  des  ufages  barbares  font 
le  deftin  des  Nations  &  régnent ,  du  Midi  au  Nord  y  au  mi- 
lieu de  l'Europe  policée  y  dans  le  fiéde  le  plus  éclairé  que  U 
terre  ait  vu  (4), 


(à)  L'ufiigtt  det  garanties  ;  le  pouvoir  éminent  que  les  grandes  Puiflances 
cent  fur  les  petits  Etats  »  faire  la  guerre  comme  auxiliaire  oxxjlipendiaire ,  fans6trt 
renfé  «nnemi  ;  fournir  également  des  troupes  aux  deux  Puiflances  belligérentes» 
Voyez  fur  tous  ces  points  le  Traité  du  Droit  des  Gens» 


D  U    G  OU  V  E  R  N  E  M  E  NT.      16$ 

CHAPITRE     IL 

Ves  dHciens  LégitUteurs  &  des  anciens  Gouvernemens, 

Section  Premiers. 

Des  JJgisUteurs  Smtù  &  dit  Gouvernement  du  P enfle  de 

Dieu. 


T 


A  N  D I S  que  toutes  les  nations  marchoient  dans  leurs    t.  Bm<i<i  peu* 
voies ,  que  les  peuples  fe  donnoient  des  Maîtres  &  que  StyaiTtp^r'^wI 
l'ambition  formoit  &  renverfoit  des  Empires  ^  le  peuple  que  ^^  fou»*  uî 
le  Seigneur  s^étoit  choifî  étoit  le  feul  fur  la  terre  qui  rendît 
de  vrais  hommages  au  Tout-Puiffant. 

Pendant  tout  le  tems  qui  s'écoula  depuis  la  création  jufqu  a 
Moyie  (4)  ,  le  Peuple  de  Dieu  fut  fans  Prince  &  fans  aucune 
forme  de  Gouvernement  ^  il  n'eut  d'autre  règle  que  la  Loi 
naturelle ,  &  chaque  famille  fut  conduite  par  celui  qui  en 
étoit  le  Chef.  On  compte  vingt-deux  Patriarches  (J?) ,  de- 
puis Adam  le  premier  de  tous  jufqu'à  Jacob  le  dernier ,  par- 
ce que  de  lui  naquirent  les  Pères  des  douze  Tribus ,  &  entre 
autres  Juda  de  qui  devoît  fortir  le  Chrift  avec  la  race  Royale, 
6i  que  fa  maifon  établie  en  Egypte  y  devint  un.  grand  peuple 
dont  Moyfe  devoit  être  le  libérateur* 

(î)  Ce  qui  fait  un  efpace  de  ly  15  ant.  \ 

(i)  1.  Adam.  7.  Henoch.  i  j.  Salé.  t$.  Tharé. 

«•  Sfctu  iP.  Mathu&lem.  14.  Heber.  20.  Abraham. 

S»  Enos.  p.  Lamech.  15.  Phaleg.  a/.  Ifkac. 

4*  CaïnaiL  20.  Noé;  16.  Rehu.  aa.  Jacob. 

5.  MalaléeL  n.  Sem.  17.  Sarug. 

€.  Jarcd»  la.  Aq^haxiuf.  iS.  Nachor. 


i66  SCIENCE 

fti^ol^,\^u*  Le  Peuple  de  Dieu  eut  enfuice  vingt-deux  Juges  (a)  dont 
5«^m  »  foîîi  fix  feulement  furent  Hébreux.  Les  autres  étoient  des  tyranà 
ir«  juKMfuccct  à  qui  Dieu  livroit  fon  Peuple^  pour  le  punir.  Les  Rois  de  Mc- 
fopotanjie ,  de  Moab ,  de  Canaan ,  &  de  Madian  ;  &  ceux  des 
Pliiliftins  &  des  Ammonites  mirent  fix  fois  les  Juifs  en  fcrvi- 
tude.  Ce  fécond  ctat  du  Peuple  de  Dieu  dura  (h)  depuis 
Moyfe  qui  en  fut  le  libérateur ,  jufqu'à  Samuel ,  fous  lequel 
les  Juifs  y  las  de  leurs  Juges ,  voulurent  avoir  des  Rois. 

Moyfe  fut  le  Chef  &  le  Conduftcur  des  Ifraclites  dans  leur 
fortie  de  TEgypce.  Il  s'y  conduifit  avec  toute  la  fagcffe  que 
Dieu  lui  avoit  infpirée ,  fans  négliger  les  moyens  que  peut 
fuggérer  la  prudence  humaine.  Il  fe  fervit  adroitement  de  la 
confiance  que  les  Egyptiens  avoient  dans  le  Peuple  de  Dieu., 
pour  enlever  les^  richeffes  de  TEgypte.  Dieu  lui-même  ,  qui 
regardoit  les  Egyptiens  comme  les  ennemis  déclarés  des 
Ifraëlites  >  les  lui  avoit  donnés  ,  fuivant  les  Loix  rigoureufes 
.  de  la  guerre  >  qui  accordent  aux  vidorieux  ce  qu  elles  enlè- 
vent aux  vaincus.  Il  fe  fit  dans  un  infiant  un  changement 
total  dans  la  fortune  des  deux  Nations  ;  celle  qui  étoit  humi- 
liée &  perfécutée  devint  tout-à-coup ,  par  fa  feule  confiance 
eh  Dieu ,  vidorieufe  ;  &  celle  qui  commandoit  auparavant 
avec  orgueil ,  fe  trouva  ,  non  pas  feulement  foumifc  ,  mais 
abalffée  à  un  point  qu'elle  fut  plufieurs  fiécles  à  fe  relever. 

Ce  Lcgiflateur  facré  entreprit  enfuite  de  policer  Iô  peuple 
qu'il  venoit  de  former  ,  &  il  en  vint  heurcufement  à'bôut* 

'  (a)  Moyfe.  Dcbora  &  Barac.      Jai'r.  Abdon. 

îofué.  ,    Gédcon.  Jephté.  Hélu 

Othoniel*  Abimclec.  '  Abcfan.  '  Samfofi. 

ilod.  Thola.  Athialoiw  Samuel*      ' 

Six  Servitudes. 


(b)  19^'  ^n$. 


22. 


DU    GOUVERNEMENT.       \6^ 

Cette  forme  de  Gouvernement  fiit  appellée  Théocratie  ,  c'eft- 
;  à- dire  Etat  gouverné  par  la  feule  volonté  abfolue  de  Dieu  ^ 
iinanifeftée  par  fes  Miniflres  {a).  Le  vrai  Dieu  avoir  voulu  en 
\ètvc  le  Légiflareur  ^  il  en  avoir  diâc  les  règles  à  Moyfe ,  il  le 
-conduifoit  par.les  Prophètes  %  il  exerçoit  publiquement  TEmr 
pire  Souverain  fur  fon  peuple ,  &  donnoit  lui-même  tous  les 
.ordres  y  tant  pour  la  guerre  que  pour  la  paix. 

Le  Gouvernement  des  Prophètes  avoit  été  fuivî  d  une 

anarchie ,  &  les  Tribus  inftruites  par  les  maux  qu'elle  leur 

-avoir  caufés  ^  fongerent  à  établir  une  Conftitution  d'Etat. 

Dieu  ne  voulut  pas  abandonner  les  Ifraelites à  eux-mêmes  , 

J^  j'accommodant  à  la  difpofition  préfente  de  leurs  efprits 

&  de  leurs  affaires  ,  il  leur  permit  de  choifir  un    Juge 

entre  les  Anciens  dés  Tribus  :  forme  de  Gouvernement 

^également  éloignée  de  TEtat  Monarchique  qui  auroit  bleffé 

leur  orgueil  ^  &  d'une  Démocratie  fadieufe  qui  les  avoit  ren- 

•dus  malheureux.  Ils  établirent  donc  Othoniel  Juge. 

.  •  Le  Juge  ,  parmi  les  Juifs  ,  étoit  tout  à  la  fois  Juge  &  Gé- 

«nérah  Ilécoutoit  les  plaintes ,  il  tçrminoit  les  affaires  civileS) 

il  dcclaroit  quelle  étoit  la  peine  prononcée  par  la  Loi  contre 

Jes  coupables  ,  &  il  défendoit  la  liberté  publique  par  les 

^mes. 

,  Son  autorité  étoit  mêlée  d*Ariflocratie ,  on  avoit  confervé 
îUn  Confeil  de  foixante-dix  hommes  nommé  Sanhedin  *,  qui 
s'affembloit  dans  le  Temple  j  pour  être  fans  ceffe  ious  les 
^eux  de  Dieu. 

Il  ne  pouvoir  ni  faire  ni  abolir  aucune  Loi  ^  parce  que  le 
J)rott  de  Légiilation  ^  joint,  au  pouvoir  judiciaire  &;à  laforce 

(a)  Théocjfitie  vient  de  deux  moct  Gsect  qui  Hgniiieot  Dtus  >  Imftrium  »  P0* 
fenûê.  .... 


i68  SCIENCE 

coaâive  ^  eft  une  marque  de  Souveraineté  »  &  les  Hébreuit 
n'avoient  d'autre  Souverain  que  Dieu,  Ils  confervoient  les 
Loix  de  leurs  Ancêtres  ,  tant  dans  les  affaires  criminelles  9 
que  dans  les  matières  civiles  ;  &  regardoient  comme  une 
cntreprife  féditieufe  la  propofition  d'abroger  une  Loi  >  quoi<« 
qu  elle  ne  convint  plus. 

Il  n'avoit  pas  le  droit  d'impofer  des  tributs  fur  Ifrael;  mais 
dans  les  néceffités  urgentes ,  le  peuple  contribuoit  volontai- 
rement y  charmé  de  n'y  être  obligé  par  aucune  Loi  y  8c  de 
fçavoir  que  fes  biens  ne  ferviroient  que  pour  fa  propre  dé- 
fenfe. 

Sa  dignité  étoît  perpétuelle ,  fans  être  héréditaire  ^  &  le 
mérite  pouvoit  afpirer  à  y  être  élevé, 
î.EwiduPeiH  La  fagefle  &  la  vertu  ont  leurs  viciffitudes  dans  le  corps 
£î»lf?""  ^^  politique ,  comme  la  fanté  8c  la  force  dans  le  corps  humain. 
Le  peuple  Hébreu  fe  lafFa  de  fes  Juges  ;  Dieu  s'étoit  réfervé 
la  Royauté  immédiate  fur  la  maifon  de  Jacob;  mais  les  Ifrae- 
lites  infenfés  fouhaiterent  de  n'avoir  plus  Dieu  pour  Maître. 
Affemblés  à  Ramathd  ,  ils  demandèrent  un  Roi  à  grands 
cris ,  &  voulurent  changer  T Ariftocratie  que  Dieu  leur  avoit 
donnée  en  Monarchie  ,  fans  confulter  le  Seigneur ,  comme 
ils  avoient  coutume  de  le-faire  dans  les  affaires  importantes» 

Sur  cette  demande  criminel'e ,  Dieu  invoqué  par  Samuel , 
pour  fçavoir  ce  qu'il  devoir  répondre,  lui  dit  ifdi  entendu 
le  peuple.  Ce  fi  eft  pas  toi  quils  rejettent ,  ce(i  moi-même.  L'E- 
ternel fiit  extrêmement  offenfé  de  l'ingratitude  d'un  peuple 
qui  y  fous  les  Chefs  qu'il  en  avoit  reçu ,  étoit  arrivé  au  com*- 
ble  de  la  gloire  y  avoit  toujours  vaincu  fes  ennemis ,  8c  néait 
moins  méprifoit  Samuel  8c  vouloit  un  Roi ,  par  une  défiance 
injuflede  la  Providence.  Dieu  leur  accorda  leur  demande , 

8c 


DUGOUYERNEMENT.      169 

9t  compatifTanc  à  Taffliâion  de  Samuel ,  lui  dit  ces  mots  pour 
le  confoler  :  »  Les  Hébreux  fc  traitent  avec  la  même  ingrat 
»titude  qu'ils  m*orit  témoignée ,  après  tarit  de  grâces  dont  je 
*>  les  ai  comblés ,  depuis  que  je  les  ai  tirés  de  TEgypte  (4).  ce 
Dieu  voulant  enfuite  détourner  les  Hébreux  de  leur  folle 
réfolution  ,  chargea  Samuel  de  leur  annoncer  de  quelle  ma- 
nière leurs  Rois  les  traiteroient.  »  Voici  (  leur  dit  le  Prophc- 
»  te  )  quel  fera  le  droit  du  Roi  qui  régnera  fur  vous.  Il  pren- 
»  dra  vos  fils ,  &  fe  fera  porter  fur  leurs  épaules.  Il  traverfera 
»  les  villes  en  triomphe.  Parmi  vos  enfans  ,  les  uns  marche- 
>>  ront  à  pied  devant  lui,  &  les  autres  le  fuivront  comme  de 
»  vils  efclaves.  Il  les  fera  entrer  par  force  dans  fes  armées. . 
»  II  les  fera  fervir  à  labourer  fes  terres  &  à  couper  fes  moiffons. 
»  Il  choifira  parmi  eux  les  artifans  de  fon  luxe  &  de  fa  pom- 
»  pe.  Il  deftinera  vos  filles  à  des  fcrvices  vils  &  bas.  Il  don- 
>î  nera  vos  meilleurs  héritages  à  fes  favoris  &  à  fes  ferviteurs. 
»Pour  enrichir  fes  Courtifans ,  il  prendra  la  dixme  de  vos 
»  revenus.  Enfin  vous  ferez  fes  efclaves,  &  il  vous  fera  înu- 
»  tile  d'implorer  fa  clémence ,  parce  que  Dieu  ne  vous  écou- 
»  tera  pas,  d autant  que  vous  êtes  les  ouvriers  de  votre  mal- 
j>  heur  (^b).  »  Ceft  ainfi  que  Samuel  détailla  les  droits  des 
Rois  ,  non  en  approuvant  Tabus  qu'on  peut  fairç  de  la  fu- 
prême  puiffance ,  mais  en  faifant  une  jufte  oppofition  encre 
le  gouvernement  de  Dieu  &  celui  des  hommes.  Le  peuple 
Ifraelite ,  aveuglé  par  fes  partions  ,  n'écouta  point  le  Pro^- 
phete.  »  Nous  ferons  comme  les  autres  Nations  (dit-il), nous 
j>  voulons  un  Roi  qui  nous  juge  &  qui  marche  à  notre  tête 
i>  contre  nos  ennemis  (f).  » 

(a)  Samuel  Ch.  8.  T^.  p. 

(4)  Ibii.  Ch.  8.  y.  II.  12.  &c. 

(O  Xiirf.  Ch.  iCé  t*  19.  ae.  &c*  -,     ^ 

Tome  L  Y 


170  SCIENCE 

Samuel ,  rendant  compte  de  cette  réponfe  9  efperoit  d'ap- 
paifer  TEterncI  en  lui  peignant  avec  des  couleurs  vives  la 
mifere  &:  la  fragilité  de  Thomme  ;  mais  Dieu ,  juftement  ir- 
rité ,  ne  lui  dit  que  ces  mots  :  Donne  leur  un  Roi  (d). 

Samuel  congédia  donc  Taffemblée  avec  promefle  de  faire 
ce  qu'elle  fouhaîtoit,  Dieu  lui  commanda  d'oindre  (i)  pour 
Roi  Saiil  y  qui  eut  pour  fuccefTeur  David  père  de  Salomon  8c 
les  autres  Rois  dont  Thiftoire  eft  connue  (c). 

L'état  du  Peuple  de  Dieu  fous  les  Rois  ,  qui  avoit  com- 
mencé à  Saiil  ,  finie  à  Sedecias  (d).  C'eft  fous  le  règne  de 
celui-ci)  que  Jérufalem  fut  faccagée  >  que  fes  murs  furent' 
abatus  ^  que  le  Roi  &  le  peuple  furent  emmenés  captifs  à 
Babylone. 
4.  Etal  du  Peu-  Lc  demicr  état  dcs  Juifs,  c'efl  celui  où  ils  vécurent  fous 
ÊJpondfoJ,^  leurs  Pontifes  (r)  ;  tantôt  captifs  à  Babylone  ;  tantôt  ramenés 

foienirem    dans 


Nniirei 
iluitcà 

fniié 

Rois» 


î  à  leur  di-  en  Judée  par  Tordre  de  Cyrus  pour  y  rebâtir  le  Temple  ;  quel- 
quefois perfécutés;  quelquefois  protégés  par  les  Puiflances. 
Ces  Pontifes  (/) ,  qui  joignirent  dans  la  fuite  à  leur  dignité 

(a)  Samuel  Ch.  8.  if .  21. 8c  22. 

(r)  Le  nombre  des  Rois  de  Juda  (ut  de  vingt-deux ,  comme  celui  des  Juge$« 


;•  Saûl. 

7.  Jofàphat. 

ij.  Joathan. 

ip.  Joachas 

d.  David. 

8.  Joram. 

14.  Achas. 

ouSellum. 

5.  Salomon. 

p.  Ochofias, 

15.  Ezechias. 

20»  JoaRim. 

4.  Roboam. 

10.  Joas. 

iS.  ManafTé. 

21.  Jechonias* 

5.  Abia. 

iip  Amafias. 

17.  Ammon. 

22.  Sedecias. 

6.  Afa. 

12.  Ozias  ou  Azarias.    i8.  Jofias. 

Xd)  Ce  qui  fait  ua 

1  efpace  de  507.  ans* 

(0  Pendant  584.1 

ans. 

(f)  Le  nombre  des  Pontifes  fut  auffi  de  vingt-deux. 

1    Jofeph. 

8.  Onias. 

15.  Jonathas. 

i8.  Alexandre 

S.  Jefus  ou  Jofué. 

p.  Simon. 

iS.  Simonin. 

Jannaeus. 

5.  Joacim; 

10*  Eleazar. 

17.  Jean  Hircaû« 

20.  Hircan  IL 

4*  Eliafîb. 

2  t.  ManafKs. 

18.  Ariilobule   , 

2i.  Jefusfilsde 

5.  Joadas. 

la.  Onias  IL 

qui  prit  le  dia- 

Phabès. 

d.  Jonathan* 

23.  Simon  IL 

dème  3c  la  qua** 

22.  Simon     Stt 

7*  Jaddtts» 

14.  Onias  IlL 

UtédeRoi. 

deBo^% 

dcsLifresSainii* 


DU  GOUVERNEMENT.  171 
le  titre  de  Rois,  avec  les  marques  de  la  Souveraine  Puiffancc, 
régnèrent  jufqu*â  Simon  fils  de  Boeth  >  fous  lequel  Herode 
commença  à  faire  rebâtir  le  Temple  (a)  ,  &  fous  lequel  Je^ 
fus-Chrift  vint  au  monde  (}). 

La  Loi  de  Moyfe  fit  toujours  le  Droit  privé  &  public  de 
la  Nation  fous  les  Pontifes ,  comme  elle  Tavoit  fait  fous  les 
Juges  6c  fous  les  Rois. 

Les  Livres  que  nous  avons  de  Moyfe  6c  des  autres  Ecri-  nJiVc^tSu^ 
vains  de  l'ancien  Teflament ,  font  infiniment  fupérieurs  à  S)M^(kto^ 
toutes  les  hifloires  profanes  >  de  quelque  côté  qu'on  les  re- 
garde. Ces  Livres  ont  pour  Auteur  Dieu-même  qui  nous  les 
a  donnés  par  le  miniftere  des  Ecrivains  facrés  6c  des  Pro* 
phetes  y  lefquels  étoient  remplis  d'une  lumière  furnaturelle  ^ 
Se  dirigés  fpécialement  par  la  vérité  eflentielle  6c  infaillible. 
La  Bible  efl  un  Livre  unique  qui  comprend  tout  enlemblc 
THiftoire  ,  les  Loix  ,  6c  la  Religion  du  Peuple  de  Dieu.  Le 
plus  ancien  Livre  profane  que  nous  ayons  ,  c  eft  Homère  5 
on  croit  que  cet  Auteur  a  vécu  du  tems  de  Salomon ,  &  il  ne 
peut  guère  être  plus  ancien ,  puifque  la  guerre  de  Troyes 
qu  il  a  décrite,  eft  arrivée  fous  les  derniers  Juges.  Le  plus  an- 
cien Hiftorien  qui  nous  refte ,  c'eft  Hérodote  ;  &  cependant 
il  n'eft  que  du  tems  d'Efdras  8c  de  Nehemias.  La  Bible  eft 
donc  le  plus  ancien  de  tous  les  Livres  qui  font  parvenus 
jufqu  à  nous  ,  au  moins  à  ne  compter  que  les  cinq  Livres  de 
•Moyfe ,  &  les  fuivans  jufqu'au  troifiéme  Livre  des  Rois.  Ce 
Légiflateur  a  écrit  Tan  du  monde  2514  Martini ,  dans  fon 
Hiftoire ,  cite  des  Livres  Chinois  fort  anciens,  mais  nous  ne 
Jes  avons  point ,  6c  nous  ne  fommes  pas  aflez  inftruits  de 
l'Hiftoire  de  la  Chine  pour  juger  fi  Tantiquité  de  ces  Livres 

{b)  Sa  40QO.  ^ 

Yij 


172  SCIENCE 

eil  bien  prouvée.  Ileft  viai  que  Salomon  fcplaîgnoît  defon 
tems  qu'on  ccrivoit  fans  cefle  ;  &  d'ailleurs ,  les  Juifs  ,  avant 
Moyfe ,  demeuroient  en  Egypte ,  le  pays  de  la  terre  le  plus 
fenommé  pour  fcs  Loix  ,  pour  les  fciences  &  pour  les  arts^ 
Il  y  avoit  dans  ce  pays-là  des  Rois  &  des  Juges ,  &  par 
conféquent  des  Loix.  Il  eft  donc  vraifemblable  qu'il  a  été 
fait  des  Livres  avant  la  Bible ,  mais  ils  ont  été  perdus  ,  & 
ceux  que  nous  avons  font  des  ficelés  poftcrieurs. 

L'ancien  Teftamcnt  eft  le  feul  Livre  avant  la  venue  da 
Meffie  ,  où  Dieu  ait  fait  connoître  d'une  manière  également 
claire  &  certaine  ,  ce  qu  il  eft ,  ce  que  nous  fommcs  ,  &  à 
quoi  il  nous  deftine.  Le  nouveau  contient  Thiftoire  &  les 
miracles  du  Meffie ,  qui  nous  a  apporté  du  Ciel  la  paix  vé- 
ritable avec  Dieu ,  avec  nous  -  mêmes  ,  &  avec  les  autres 
hommes. 

Il  n'eft  pas  de  Thiftoire  faînte  comme  des  hiftoires  profa- 
nes qui  ne  renferment  que  des  faits  humains ,  fouvent  pleins 
d'incertitudes  &  de  contrariétés  y  &  toujours  fujets  à  d'étran- 
ges mécomptes.  L'hiftoire  fainte  eft  celle  de  Dieu -même  ^ 
de  fa  toute-puiffance ,  de  fa  juftice ,  de  fa  providence  j  de  fa 
miféricorde,  &  de  fes  autres  attributs  y  montrés  fous  mille 
formes  &  rendus  fenfibles  par  une  infinité  de  faits  éclatans. 
Elle  fait  voir  aux  hommes  la  conduite  de  Dieu  fur  eux  ,  Se 
l'ordre  dans  lequel  il  conferve  les  focictés  en  tous  lieux» 
Nous  trouvons  dans  les  faintes  Ecritures  que  Dieu  eft  pré- 
fent  à  tout  y  qu'il  difpofe  de  tout ,  qu'il  a  partagé  la  terre 
aux  hommes  y  &  qu'il  a  diftingué  les  Nations  ,  par  la  diffé- 
rence d'inclinations  &  de  mœurs ,  d'où  eft  venue  cette  diveiv 
fité  d'Empires ,  de  Royaumes  ^  de  Républiques  que  nous  y 
voyons  ;  que  c  eft  lui  qui  prépare  leur  élévation  &  leur  chute 
par  des  voies  impénétrables  5  que  c*eil  lui  qui  fait  païTer  les 


DU  GOUVERNEMENT.  i;:^ 
Royaumes  d*un  peuple  à  un  autre ,  pour  punir  les  injuftices 
&  les  violences  qui  s'y  commettent  (a)  ;  que  c'eft  lui  enfin 
qui  ,  au  milieu  des  changemens  &  des  viciflîtudes  humaines, 
forme  &  foutient  les  fociétés  civiles ,  &  y  établit  des  Puif* 
fances  pour  les  gouverner. 

Section    II.' 

Des  LégisUteurs  profanes  enginétAU 

Les  hommes  ont  adore  également  ce  qu'ils  ont  le  plus    f^tiiTAii. 

O  1  X^  ration  que  le  P»* 

craint  &  le  plus  aimé.  Ceft  la  rcconnoifîance  qui  porta  au-  t»°*^*««p«*' 
trefois  les  hommes  à  fe  faire  des  Dieux  même  de  leurs  bien- 
faiteurs. Ils- adorèrent  la  terre  qui  les  nourriffoit,  le  foleil 
qui  les  éclairoit,  des  Princes  bienfaifans  >  un  Jupiter  Roi  de 
Crète ,  un  Ofiris  Roi  d'Egypte ,  qui  avoient  donné  des  Loix 
lages  à  leurs  fujets  >  qui  avoient  été  les  pères  de  leurs  peu- 
ples ,  &  qui  les  avoient  rendus  heureux.  L'amour  &  le  ref- 
pe£l  qu'infpire  la  reconnoiflance  ^  furent  fi  vifs  qu'ils  dégé- 
nérèrent en  culte. 

Hermès  Trimégifle  &  Boccoré  ou  Boccoride ,  ont  donné    7.  Nomi  <i« 
des  Loix  aux  Egyptiens;  Zoroallre  ,  aux  Badlriens  &  aux  pflatcurs,  com^ 
Perles  ;  Zamolxis ,  aux  Scythes  ;  Minos ,  aux  Cretois  ;  Ita-  "JJU'"';„''p^'^^J| 
lus,  aux  Enotriens  ;  Thefée,  Dracon,  Solon,  Céades,  aux  ?;,«  A^^m 
Athéniens;  Lycurgue,aux  Lacédemoniens;  Hippodame,  aux  JJiS^ÏÏ!  ^  ****" 
Miléfîens  ;  Philolaiis  ,  aux  Thebains  ;  Phaleas ,  aux  Cartha- 
ginois ;  Androdamas  ,aux  Thraces  ;  Lenclée ,  aux  Locriens; 
Pittacus  ,  aux  Lesbiens  ;  Platon  ,  aux  Magnéfiens  &  aux  Si- 
ciliens ;  Charondas ,  Seleucus ,  &  Pythagore,  à  prelque  tou- 
tes  les  villes  de  la  grande  Grèce  ;  Confucius  ,  aux  Chinois  ; 

<fl)  Regnum  à  gente  in gentem transfertur proptcr  injujlmcu  Çf  injurias.  G*  co/i* 
mimlias  (r  diverfçi  ioUs*  £ccL  /c. 


t74  SCIENCE 

Numa,  aux  Romains.  Ces  hommes  célèbres ,  fans  avoir  ja- 
mais gouverné  des  Etats,  forent  les  Légiflateurs  de  peuples 
qui  fe  formoicnt.  Les  feuls  Lycurguc,  Solon,  &  Numa ,  avoicnt 
joint  lexpcricnce  du  commandement  à  leurs  méditations. 
Dans  la  fuite  ,  d'autres  Légiflateurs  augmentèrent  ou  main-p 
tinrent  la  fplendeur  des  Etats. 

Les  premiers  Philofophes  s'occupèrent  bien  plus  du  foin 
d'acquérir  les  fcicnces  purement  fpéculatives ,  que  celui  de 
rechercher  les  formes  de  Gouvernement ,  dont  le  tems  feul 
&  la  néceflîté  pouvoient  donner  l'idée.  Sans  doute  que  dans 
ces  premiers  fiecles ,  les  pères  de  famille  enfeignoient  à  leurs 
enfans ,  avec  les  préceptes  de  la  Religion  ,  les  maximes  les 
plus  importantes  de  la  morale ,  que  leurs  propres  réflexions 
leur  avoient  découvertes,  ou  qu'une  tradition  venue  de  nos 
premiers  pères  leur  a  voit  tranfmifes.  La  Religion  &  la  mo- 
rale ,  défigurées  par  les  paflîons ,  fe  refiigierent  dans  le  cœur 
de  quelques  perfonncsqui  s'attachoient  plus  particulièrement 
à  cultiver  leur  raifon  par  l'étude  des  fcienccs.  Les  premières 
Loix  furent  donc  le  fruit  des  réflexions  de  quelques  parti- 
culiers  qui  avoient  étudié  le  cœur  de  l'homme ,  &  qui  s'é- 
toient  rendus  attentifs  à  fes  befoins.  C'eft  de  l'école  de  ces 
perfonnes  ,  que  nous  appelions  parmi  nous  Gens  de  Lettres , 
que  font  fortis  les  premiers  Légiflateurs  (/ï). 

Nous  ne  fçaurions  trop  approfondir  tous  les  détails  du 
Gouvernement,  L'hiftoire  des  batailles  &  des  fiéges  n'eft 
que  rhifl:oire  de  la  folie  &  du  malheur  des  hommes  :  au  lieu 
que  l'hiftoire  de  la  conftitution  des  Etats  eft  celle  de  leur  fa* 
geflc  &  de  leur  bonheur. 

(tf)  [  Saleucus  &*  Charondas  ]  non  in  foro  nec  in  confultorum  atrio  ,  fei  in  Py* 
jJiagora  tacito  illo  fanâtoiiue  feceffu  ,  didkerunt  jura  qus  Florenti  tune  Sicilid  fyfCT 
ftaliamGrxcia  pvnennt*  Sencç,  Ep.  ^o.  pag.  30 /.  £(^.  QrQiwv% 


DU  GOUVERNEMENT.  175 
La  guerre  produit  des  effets  extraordinaires  qui  enlèvent 
l'admiration  des  hommes  ,  parce  que  la  valeur  efl  accompa- 
gnée d'un  certain  éclat  qui  les  éblouit  ;  mais  les  Conque- 
rans  n'exercent  leur  valeur  qu'aux  dépens  de  toutes  les  au- 
tres vertus  ,  &  ne  s'élèvent  qu'en  privant  les  autres  hommes 
<ie  leur  repos  >  de  leur  bien ,  de  leur  vie.  Ces  guerriers  fi 
vantés  n'ont  jamais  rendu  un  fçul  homme  meilleur  ou  plus 
heureux  ;  &  tous  leurs  grands  defleins  font  rentrés  dans  le 
néant  à  notre  égard.  Ce  font  des  vapeurs  quife  font  diffipées 
&  des  fantômes  qui  fe  font  évanouis. 

Les  Inventeurs  des  arts  &  des  fciences  ont  au  contraire 
travaillé  pour  tous  les  fiécles  ;  &  nous  jouiffons  du  fruit  de 
leur  travail  8c  de  leur  induftrie.  Ils  ont  pourvu  de  loin  à  tous 
nos  befoins  ;ils  nous  ont  procuré  toutes  les  commodités  de  la 
vie  ,  ils  ont  fait  fervir  toute  la  nature  à  nos  ufages  ;  ils  nous 
ont  appris  à  tirer  ^  des  entrailles  de  la  terre  &  des  abymes 
même  de  la  mer  ,  de  précieufes  richeffes  ;  &  ,  ce  qui  eft  in- 
finiment plus  eftimable  9  ils  nous  ont  ouvert  les  tréfors  de 
toutes  les  fciences ,  ils  nous  ont  conduits  aux  connoifTances 
les  plus  fublimes  &  les  plus  utiles.  Ils  nous  ont  mis ,  dans  les 
mains  &  fous  les  yeux  ^  ce  qu'il  y  a  de  plus  propre  à  orner 
l'efprit ,  à  régler  les  mœurs ,  à  former  de  bons  Citoyens  ,  de 
bons  Magiflrats  >  de  bons  Princes.  La  mémoire  des  Légifla- 
tcurs  doit  être  furtout  révérée.  Ils  ont  inventé  le  grand  art 
de  gouverner  le  genre  humain  ;  &  c'efl  à  eux ,  après  Dieu  , 
que  les  fociétés  font  redevables  de  tout  l'ordre  qui  y  règne 
&  de  toute  la  tranquillité  dont  elles  jouiflent.  La  fageffe  des 
Légiflateurs  fait  dans  chaque  Etat  ce  que  la  raifon  fouverai- 
ne  opère  dans  l'Univers  où  elle  conduit  &  gouverne  tout. 
Ils  font  les  bienfaiteurs  des  hommes  de  tous  les  pays  &:  de 


iy6  SCIENCE 

tous  les  tems.  C^eft  la  qualité  qu'on  donnoît  anciennement 
aux  Rois  de  la  terre ,  Légiflateurs  de  leurs  Etats.  Les  Rois 
des  Na fions  les  dominent  (  dit  le  S.  Efprit  )  >  d"  l*on  donne  le 
nom  deBienfaiteurk  ceux  qui  les  gouvernent  fouverainement[a). 

,  Mais  la  ycnération  lî  juftement  due  aux  Légiflateurs  ne 
doit  pas  nous  empêcher  de  reconnoître  Timpcrfedion  des 
Loix  qu'ils  ont  faites.  Prefque  tous  les  anciens  Légiflateurs 
profanes  ont  été  des  hommes  dont  les  vues  bornées  femblent 
avoir  méconnu  la  grandeur  &  la  dignité  de  louvrage  donc 
ils  étoient  chargés.  Quelquefois ,  ils  ont  donné  des  inftruc- 
tîons  puériles  toujours  approuvées  par  les  petits  efprits  >  tou- 
jours méprifées  par  les  grands  génies.  Souvent  ils  fe  font  jet- 
tés  dans  des  détails  inutiles  ^  &  fe  font  arrêtés  à  des  cas  par- 
ticuliers 9  marque  certaine  d'un  génie  étroit,  qui  ne  voit  les 
chofes  que  par  parties ,  &  n'embraffe  rien  d'une  vue  généra- 
le. Les  uns  ont  fait  des  Loix  trop  fubtilcs,  &  ont  fuivi  des 
idées  Logiciennes ,  plutôt  que  l'équité  naturelle.  Les  autres 
ont  aboli  fans  raifon  les  Loix  qu'ils  trouvoient  établies ,  & 
ont  jette  fans  néceflîté  les  peuples  dans  les  inconvéniens  in-  * 
féparables  des  changemens.  Quelques  autres  enfin  ont  affefté 
de  fe  fervir  d'une  autre  laftgue  que  de  la  vulgaire ,  comme  fi 
les  Loix  pouvoient  être  obfervées  fans  être  connues. 

Au  refte,  dans  le  plan  de  la  fondation  des  Etats ,  chaque 
Légiflateur  fongea  toujours  à  imprimer  au  nouveau  peuple 
le  goût  d'une  vertu  favorite  qui  devint  enfuite  la  paflîon  pu* 
blique  ;  &  c'eft  à  cette  qualité  particulière  que  les  Nations  fe 
font  encore  reconnoître  ,  &  qu'elles  doivent  leurs  plus  gran- 
des aûions.  Les  difpofitions  du  cœur ,  les  conteftations  fur 

(a)Rcges  Gentium  dominantur  torum.  G*  ^ui  fetejlaum  habentfupçr  eos  be^ 
neJiçivQçantUT.  S.  Luc 22» 

l'antiquité 


DU    GOUVERNEMENT.       177 

l'antiquité  des  origines  ,  Torgueil  fortifié  par  la  politique  du 
Gouvernement ,  attachèrent  tous  les  anciens  peuples  a  leurs 
traditions  ,  d*où  rélulta  néceffairement  la  haine  mutuelle  des 
voifins  &  des  étrangers ,  à  moins  que  le  droit  facré  de  Thof- 
pitahté  n'eût  établi  une  alliance  entre  les  Nations.  Les  Em- 
pereurs de  la  Chine  tournèrent  Tefprit  de  leur  Nation   du 
côté  d'une  police  pleine  de  détails  &  de  mioucies  y  qui  font 
encore  aujourd'hui  dans  cet  Empire  le  goût  dominant.  L'ef- 
pfit  des  premiers  François  fut  tourné  du  côté  des  vertus 
guerrières  que  les  qualités  du  fang  &  du  climat  ont  tranfmifes 
mcrveilleufement  à  leur  poftérité.  L'ancienne  nobleffe  du 
Nord  qui  >  pkcée  dans  des  pays  ftériles ,  ne  fçavoît  que  chaf- 
fer  &  fe  battre ,  transforma  ce  premier  divertiffement ,  connu 
très-tard  &  méprifé  des  Romains ,  en  l'art  de  la  guerre.  Le 
commerce  &  l'échange  des  marchandifes  qui  avoient  pris 
naiffancc  chez  les  anciens  peuples  ,  fait  encore  aujourd'hui 
l'efprit  général  des  Orientaux  &^  prcfque  leur  unique  occu- 
pation ,  tandis  que  chez  le  plus  grand  nombre  des  peuples 
Européens ,  cette  profeffion  fi  ncceflaire  n'eft  pas  fort-élévée 
au-dcfliis  des  arts  méchaniques.  La  fituation  particulière  & 
Ja  forme  Républicaine,  toujours  favorable  au  commerce ,  ont 
engagé  la  Grande  -  Bretagne  &  la  Hollande  à  décorer  de 
grands  privilèges ,  cette  profeflRion ,  qui  n'a  pu  conferver  fon 
'  ancien  éclat  à  Venife  parmi  le  changement  que  les  circonf- 
tances  ont  amené. 

Les  pays  Orientaux ,  peuplés  les  premiers ,  ont  auffî  four-    g.  l«  chai- 
ni  au  monde  les  premiers  Legiflateurs.  Les  fragmens  des  v^'ns.&icsPcr. 

*  «-'.«-'  les  ont  été  If  s  prff« 

Loix  des  peuples  de  l'Orient  ne  nous  donnent  l'idée  que  d'u-  "»^«^*  ^^v^^ 
ne  morale  &  d'une  politique  très-imparfaites. 

L'Aftronomic  ôc  les  iciences  Mathématic^u|^  occupèrent 
Tome  I.  Z 


178  SCIENCE 

lefprit  des  Chaldéens.  Dans  ce  qui  nous  refle  de  cfcs  peu** 
pies  y  nous  ne  trouvons  qu  un  amas  informe  d'Aflronomic  , 
d' Aftrologie  y  de  Métaphyfique  ,  un  mélange  monftrueux 
d'idées  bifarres  &  fuperftitieufes.  On  travailleroic  envain  à 
faire  un  corps  de  dodlrine  de  leur  morale  (^r), 

L'Egypte  étoit  regardée  par  les  Anciens  ,  comme  l'école 
la  plus  renommée  en  matière  de  politique  &  de  fageffe  ;  les 
fciences  &  les  arts  y  fleurirent  y  tandis  que  le  refte  de  la 
terre  étoit  enfeveli  dans  les  ténèbres  de  Tignorance  ;  &  les 
Egyptiens  ont  mérité  d'être  regardés  comme  les  pères  de  toute 
Philofophie  (F).  Les  plus  grands  hommes  de  la  Grèce  ^  Ho- 
.mère  ,  Pythagore  y  Platon  ,  Lycurgue  même,  &  Solon  al- 
lèrent exprès  en  Egypte  pour  s'y  perfeâionner ,  &  pour  y 
puifer  les  plus  rares  connoifTances*  Dieu  lui-même  a  rendu  à 
l'Egypte  un  glorieux  témoignage  y  en  louant  Moyfe  d'avoir 
été  inflruit  dans  toute  la  lagefle  des  Egyptiens  (c)  ;  mais  les 
Sçavans  d'Egypte  cachoicnt  leurs  myfteres  à  ceux  qui  n'y 
étoient  pas  initiés.  Ils  ne  parloient  que  par  énigmes,  parfym- 
^boles,  &  par  hiéroglyphes  ,  ce  qui  nous  rend  leur  doftrine 
impénétrable  ,  à  nous  qui  n'en  avons  pas  la  clef.  Je  rappor- 
terai ,  à  cet  égard ,  dans  la  Seâion  fuivante  ,  les  opinions 
communément  reçues. 

La  dodlrine  des  Perfes  étoit  fans  doute  conforme  à  celle 
des  Chaldéens ,  s'il  efl  vrai,  comme  on  le  prétend,  que  ceux- 
ci  étoient  les  Maîtnes  des  Perfes.  Je  parlerai  des  Perfes  dans 
le  Chapitre  fuivant ,  où  je  donnerai  une  Sedion  aux  Perfans 
leurs  fucceffeurs. 

(a)  On  peut  voir  ce  que  dit,  à  cet  égard  ,  Barbcyrac  dans  la  page  58.  de  h 
Préfoce  qu'il  a  mîfe  à  la  tête  de  fa  Tradudi^n  du  Du  it  de  la  NatuTi  &•  des  Gens 
de  Puffendorff  Edition  de  17  H» 

(b)  Omnium  PhilofophU  difciplinarumparkntes.  MacToh.  SatUTruCap.  /p. 
:      (c)  Aft.  7.  a.^. 


DU    GOUVERNEMENT.       179 
Ces  trois  peuples  Orientaux  furent  les  Précepteurs  des    9.  tw  «rM 

*        '^  ^  ^    ont  été  les  dilci» 

Grecs,  qui  empruntèrent  aeux  de  quoi  s'enorgueillir  &  me-  pi«j^  ««  uom 
prifer  les  autres  Nations.  L'Egypte  avoit  infpiré  à  la  Grèce 
le  goût  des  arts  &  des  fcienccs;  elle  Tavoit  initiée  dans  fe$ 
myfteres  &  lui  avoit  donné,  des  Dieux  &  des  Loix.  Tout 
vains  qu  ils  furent,  les  Grecs  avouèrent  (a)  qu'ils  étoient  re- 
devables de  la  plupart  des  arts  &  des  fcienccs  à  ceux  qu'ils 
appelloient  barbares,  furtout  aux  Chaldéens ,  aux  Egyptiens, 
&  aux  Perfes.  Le  peu  que  nous  fçavons  des  Auteurs  Orien- 
taux fiir  la  morale  ,  fur  la  politique ,  &  fur  les  fciences  fpé- 
culatives  ,  nous  ne  lavons  appris  que  des  Grecs  eux-mêmes, 
qui  ont  quelquefois  mêlé  leurs  opinions  avec  celles  des  Orien- 
raux. 

Les  Grecs ,  difciplcs  des  Orientaux ,  étendirent  &  pcrfec-    10.  tet  ro- 

1        f  .  ,.1  .  ,  ,  miins  &  lestu* 

tionnerent  les  Icicnces  qu  ils  en  avoient  reçues ,  &  devinrent  «^cs  ixrupict  de 

*■  ^  ^  TEuropc  ont  été 

les  Maîtres  des  Romains  &  des  autres  peuples  de  FEurope.  ^^'ç^l'^j^^,"  ^^l 
Vaincue  par  les  Romains  ,  la  Grèce  les  vainquit  à  fon  tour,  fom&dîs™éc1 
en  communiquant  fon  goût  pour  les  beaux  arts  à  ce  peuple  ^^«^««^«n»»»^ 
jufqu'alors  groflier  ;  mais  les  difciples  furent  bientôt  plus 
habiles  que  leurs  Maîtres.  Les  Romains  devinrent ,  ou  au- 
tant ou  plus  éloquens  que  les  Grecs  ,  &  les  furpafferent  aflii- 
rémcnt  de  beaucoup  dans  la  fcience  du  Gouvernement, com- 
me ils  font  eux-mêmes  furpaffés  par  les  peuples  modernes  , 
qui  ont  été  les  difciples  &  des  Grecs  &  des  Romains* 

Section    II  L 

Des  Législateurs  &  du  Gouvernement  des  Egyptiens. 

L'ancienne  Egypte  cfl  connue  ,  autant  que  le  peut  être  un    „.  lcro^u- 
Royaumc  fi  ancien.  Le  premier  Roi  des  Egyptiens  fut  Menés.  aîT,  conqîLml 

^  partagé,   fournis 

{a)  Dioe.  Laën.  L.  i.  $.  i.  «cdéuruitt 


igo  SCIENCE 

Depuis  fon  rcgne ,  Thiftoirc  d'Egypte  fe  partagea  en  troiê 
âges.   Dans  le  premier,  ce  Royaume  fur  di vif é  en  plufieurs 
Dynafties  ou  Gouvernemens  qui  avoient  chacun  fes  Rois# 
L'une  de  ces  Dynafties  abforba  toutes  les  autres  ,  &  en  de^ 
vint  la  Maîtrefle.  Le  fécond  fut  celui  des  Rois  Pafteurs  ve- 
nus d'Arabie  qui  conquirent  l'Egypte.  Le  troifiéme  corn-* 
mence  à  Sefoftris,  qui  pénétra  dans  les  Indes  plus  loin 
qu'Hercule  &  que  Bacchus  ,  &  qui  foumit  les  Scythes  à  fon 
Empire ,  &  tinit  à  Angis  laveugle ,  fous  lequel   Sabaçon 
Ethiopien  envahit  l'Egypte  y  profitant  de  la  difcorde  des 
Chefs  qui  le  l'étoient  panagée-  Ce  Prince  religieux  étant  re- 
tourné dans  fa  patrie  ,  le  Royaume  abandonne  tomba  entre 
les  mains  de  Sethon  ,  Pontife  de  Vulcain ,  qui  anéantit  l'arc 
Militaire-  Ocpuis  ce  tems  y  TEgypte  ne  fe  foûtint  plus  que 
par  des  troupes  étrangères  y  8c  elle  tomba  peu  à  peu  dans 
Tanarchie.  Douze  Gouverneurs  choifis  par  le  peuple  parta- 
gèrent le  Royaume  entre  eux  >  &  l'un  deux  nommé  Pfammi* 
tique  ,  fe  rendit  Maître  de  tous  les  autres.  L'Egypte    fe 
rétablit  un  peu  durant  cinq  ou  fix  règnes  ,  mais  le  défpotif* 
me  &:  les  conquêtes  anéantirent  enfin  cet  Empire* 

Cet  ancien  Royaume  devint  tributaire  des  Aflyriens  ,  qui 
furent  à  leur  tour  fournis  aux  Médes.  Ceux-ci  &  les  Perfes 
joints  à  eux  fondèrent  un  grand  Empire  qu'Alexandre  dé- 
truifit.  Si  cette  ancienne  &  puiflante  Monarchie  perdit  fes 
Rois  naturels ,  en  paflant  fous  la  domination  des  Perfes ,  elle 
ne  laiffa  pas  de  conferver  de  précieux  reftes  de  fa  première 
fplendeur ,  pendant  trois  cens  ans  ,  fous  les  Ptolomées  fuc- 
ceflTeurs  d'Alexandre.  On  la  regardoit  alors  comme  un  dcS 
plus  confidcrables  Royaume  de  l'Afie.  La  domination  des 
Romains  pendant  fix  ûécles  »  ne  pût  même  achever  de  lui 


DU  GOUVERNEMENT-  i8t 
éter  tout  fon  ancien  éclat.  Elle  fe  rendit  encore  célèbre  fou» 
les  RoisSarrafins,  qui  furent enfuite  fcs  maîtres.  On  nefçau-- 
roit  lire  fans  admiration  Ce  que  les  Hiftoricns  Arabes  ra- 
content de  la  grandeur  &  de  la  magnificence  de  ces  Princes 
de  leur  nation ,  qui  la  gouvernèrent  pendant  près  de  neuf 
cens  ans ,  jufqu'à  la  conquête  que  les  Turcs  en  firent  fous 
Selim# 

Depuis  cette  époque,  la  Nation  Egyptienne  qu*on  peut  di- 
te avoir  prefque  toujours  confervé  jufques-là ,  du  moins  une 
ombre  de  Monarchie ,  n'a  plus  ni  Rois  particuliers ,  ni  Loix 
propres ,  ni  la  moindre  apparence  d*autorité.  Réduite  à  Tef^ 
clavage  le  plus  dur  &  le  plus  humiliant ,  à  peine  lui  eft-ilper'* 
mis  de  penfer  qu'elle  exifte.  Devenue  une  fimple  Province  de 
f Empire  Ottoman,  elle  eft  gouvernée  defpotiquemçnt  par 
un  Bâcha  que  la  Porte  y  envoyé. 

La  force  d  un  Etat  ne  doit  point  fe  mefurer  à  retendue  du  ^^'^^^^^^ 
pays  qui  en  dépend  ,  mais  au  nombre  de  Citoyens  Se  à  Tuti-  ^»«^' 
lité  de  leurs  travaux.  La  culture  des  terres,  dont  la  nourri*- 
ture  des  befliaux ,  efl  une  fuite  ,  ne  fiit  en  aucun  endroit  du 
monde ,  plus  confiderée  qu*en  Egypte ,  où  elle  faifoit  un  pb« 
jet  fpécial  du  Gouvernement.  Aucun  pays  ne  fut  jamais  plut 
peuplé,  plus  riche ,  pluspuiflant. 

Les  terres  d  Egypte  étoient  divilées  en  trois  portions.  Là 
première  étoit  le  domaine  du  Roi  ;  la  féconde  apparcenoit 
aux  Pontifes  ;  la  troifiérae  ,  aux  gens  de  guerre. 

Les  arts  étoient  efrtSSnneur ,  afin  que  perfonne  n*eût  hon* 
te  de  la  badeffe  de  fa  profelfion  dans  le  corps  politique,  où, 
comme  dans  le  corps  humain ,  tous  les  membres  contribuent 
de  quelque  chofe  à  la  vie  commune. 

Le  peuple  étoit  partagé  en  troi*  daflfes  ,4eg  Laboureu»f 


^82  SCIENCE 

les  Bergers  &  les  Artifans.  Il  n'ctoit  permis  à  perfonne  dé 
fortir  de  fon  rang ,  ni  d'abandonner  la  profeflion  de  fonperç 
{d).  Par  là  étoient  prévenus  les  maux  que  caufe  fouventran»- 
bition  de  ceux  qui  veulent  s'élever  au-deffus  de  leur  état  ;  8^ 
lés  arts  étoient  conduits  à  une  grande  perfedion ,  chacua 
ajoutant  fon  induftrie  &  fes  réflexions  à  celle  de  fes  pères 
qui  lui  étoient  tranfmifes,  de  main  en  main,  par  une.tradi-» 
dition  non  interrompue. 

Trente  Juges  quon  tiroit  des  principales  Villes ,  étoient 
les  Interprètes  des  Loix ,  fans  partager  la  puiilance  fuprémç 
avec  le  Roi,  6c  compofoient  un  confeil  qui  rendoit  la  judica 
dans  tout  le  Royaume,  Lé  Prince  leur  affignoit  des  revenus 
fuffifans ,  pour  les  affranchir  des  embarras  domefliques ,  afin 
qu'ils  puffent  donner  tout  leur  tems  à  çompofer  &  àfaireol> 
ferver  les  Loix. 
ij.  Lc«  bien-      L^s  bienfaits  étoient  le  lien  de  la  concorde  publique  8c 

n^knwé^^î  particulière  en  Egypte,  Celui  qui  pouvant  fecourir  unhom? 

honnrar""par^  me  attaqué  9  ne  le  faifoit  pas  >  étoit  puni  aufli  févéremii^quQ 
^"*'  Taflaffin  (}).  Si  Ton  ne  pouvoit  le  fecourir,  on  étoit  oblige 
de  dénoncer  l'auteur  de  la  violence,  &  il  y  avoit  de$  peines 
établies  contre  ceux  qui  manquoient  à  ce  devoir  (c).  La  re- 
connoiffance  ,  fi  rare  parmi  nous  ,  étoit  une  vertu  en  grand 
honneur  chez  les  anciens  Egyptiens  ;  ils  ont  été  les  moins 
ingrats  de  tous  les  hommes,  8c  ils  ont  par  conicquent  dû  être 
les  plus  fociables, 
M.  Jugement     ^^^  mêmes  Egyptiens  avoîent  une  forme  de  juftice  qui  â 

^^ém^K^tt9^  été  inconnue  aux  autres  peuples,  Auffi-tôt  quun  homme 

S2?4if\îSr!°*^  avoit  rendu  les  derniers  foupirs ,  on  Famenoit  en  jugement^ 

(a)  Ifocrat,  in  'Excom,  Bujiridf  > 

Çb)  Qui  fuccurrere  potelh  morituro ,  Ji  non  fuccurrit ,  oecidit*  LêSânt* 
'  '(r)  Herodou  Euterp^  Diodçr^  SiciL  tt  i^ 


Dû  GO  U  VER  NE  MENT.  ïgj 
èc  il  fubiflbit  un  examen  févére  (a).  Si  les  Accufateurs  prou- 
voient  que  la  conduite  du  mort  avoit  cté  contraire  aux  Loix^ 
çn  condamnoit  fa  mémoire,  &  on.  lui  refufoit  la  fépulture. 
§*il  n*étoit  accufé  d'aucun  crime ,  ni  contre  les  Dieux  ni  con- 
tre la  patrie  ,  onfaifoit  fon  cloge,  &  on  renfeveliffoit  hono- 
rablement. Les  enfans  qui  voyoient  les  corps  de  leurs  pè- 
res ,  fe  fouvenoient  de  leurs  vertus  que  le  public  avoit  re- 
connues ,  &  étoient  par  là  même  excités  à  refpe£l.er  &  à  fui- 
vre  les  inflruclions  qu'il  en  avoit  reçues.  Le  foin  que  ce  peu- 
ple avoit  de  conferver  les  reftes  des  gens  de  bien ,  &  la  fé- 
pulture qu  il  refufoit  à  ceux  qui  avoient  mal  vécu  y  étoient 
également  utiles  au  progrès  de  la  venu.  Les  hommes  y  font 
portés  par  la  contemplation  du  mal  comme  par  celle  du  bien. 
.  La  mémoire  des  Rois  même  fubiflbit  cet  examen.  Le  corps 
du  Prince  mort  étoit  expofé  dans  la  place  publique.  Chacurî 
avoit  la  liberté  de  le  louer  autant  qu'il  méritoit  de  Tctre ,  & 
de  lui  reprocher  toutes  les  mauvaifes  adlions  qu'il  avoit  com- 
mifes.  On  mettoit  dans  la  balance  les  plaintes  &  les  accla- 
jcnarilmsf  ;  &  s'il  fe  trouvoit  que  les  vices  l'euffent  emporté 
fur  les  vertus  ,  fa  mémoire  étoit  déteflée  ,  &  il  étoit  privé  de 
l'honneur  de  la  fépulture  (t).  Celui  qui  lui  fuccédoit  y  profîr 
toit  d'un  exemple  dont  il  avoit  été  le  témoin ,  &  gouvernoic 
l'Etat  avec  juftice  y  pour  n'avoir  rien  à  craindre  de  la  haine 
publique  après  fa  mort.  Un  Ancien  (f)  remarque  que  l'E- 
gypte jouit  d'une  très-longue  &  très-profonde  tranquillité  ^ 
tant  que  cette  forme  de  juftice  fut  en  ufage. 

Le  Peuple  de  Dieu  privoit  les  Rois  criminels  y  non  de  la 


(a)  DioioT.  lih.  i.  StSt.  3. 

(/;)  Grotius  de  Ji^re  bclli  ac  facis  Lih  I.Gs}^  Si.§*  itf» 

(c)  Diodore  de  Sicile^ 


f  84  SCIENCE 

fépulture  aWolument ,  mais  de  l'honneur  d*être  cnterrds  dai» 
Iç  tombeau  des  Rois  (/). 

La  fevére  République  de  Venife  cft  ,  pour  fes  Doges  i 
dans  un  uiage  qui  9  à  cenains  égards  ^  tient  quelque  chofc 
dç  celui  donc  je  parle  ici 


Section    IV* 

Des  Législateurs  (jr  du  Gouvernement  des  Gr^s^ 

4^Fôn4ttî^ll  Des  Colonies  venues  d'Egypte  dans  la  Grèce,  y  fonde- 
^^la^Gr^w  ?"2  renc  plufîeurs  petits  Royaumes  >  &  y  répandirent  refprit  8e 
éîévafcion  Jt  4«  la  police  des  Egyptiens»  Ce  premier  âge  de  la  Grèce  ,  com- 
pj:en4  environ  fept  fieclcs ,  depuis  la  fondation  de  ces  petits 
Royaumes  jufqu*au  ficge  de  Troyes.  Après  ce  fameux  fiége  , 
jes  Grecs  fe  formèrent  9  fe  fortifièrent ,  fe  préparèrent  aux 
grandes  chofes  à  quoi  ils  étoient  deftinés,  &  jetterent  pcn. 
dant  environ  huit  fiécles ,  jufqu'au  règne  de  Darius  premier 
chez  les  Pcrfes,  lesfondemens  de  cette  puiffancc  &  decetctt 
gloire  qui  depuis  porteront  fi  haut  leur  réputation.  Al^rs  lei 
Grecs  ,  qui  s*étoicnt  ainfi  policés  peu  à  peu  ^  voulurent  fe 
gouverner  eux-mêmes ,  Se  la  plupart  des  villes  fe  formèrent 
«n  Républiques,  Le  mérite  &  la  vertu  des  Grecs  renfermes 
dans  Tenceinte  de  leurs  villes ,  n'avoient  jette  que  peu  d*c» 
clat  au  dehors  ^  mais  dans  un  efpace  de  deux  fiéclesr  qui  for* 
^ent  comme  le  troifiéme  âge  de  la  Grèce,  depuis  la  bataille 
de  Marathon  jufqu  à  la  mort  d'Alexandre  ,  ces  peuples  ré-- 

(a)  Amiulavitqui  non  reSè  iJoram']  ty  feptlïerunt  tum  incivîtate  David ^  va- 
funtamtn  non  infepulcro  Regum.  Paralip,  Lib.  s.  Cap,  21,  Verf.  10,  Dormmtquii 
Achas  cum  patrUfus  fuis ,  ù*  fipelierunt  eum  in  civitate  Jerufdem  ,  neque  enim  ttcê^ 
fiTunt  tum  infepulcro  Regum  Ifratl.  Paralip*  Lib.  tt.  Gap.  26.  Vnf  2y, 

(i)  Voye^loCbitpiureVL  de  cette  Introduaion  Seâioo  XUI» 

fifterent 


DU    G  O  U  V  E  R  N  E  MENT.      i8j 

fifterent  à  TAiîe  entière  ^  d  abord  contre  Darius ,  puis  contre 
Xerxès.  Deux  foibles  Villes,  Sparte  &  Athènes,  attaquè- 
rent, défirent,  poUrfui virent  des  armées  formidables.  Les 
Grecs  furent  redevables  de  ces  fuccès  étonnans  que  la  flatto- 
rie  des  Hiftpriens  &  Tamour  du  merveilleux  ont  fafis  doute 
, beaucoup  groffi  (4f)  ,  à  des  principes  gravés  profondement 
dans  leur.efprit  par  l'éducation ,  par  les  exemples  ,  par  1^ 
pratique  ,  6c  deyçnus  en  eux  comme  naturels  par  une  lon^ 
gue  habitude.  Ces'principes  étoient  l'eftime  de  la  pauvreté^ 
le  mépris  des  richefles  ,  Toubli  de  fes  propres  intérêts ,  Fat^ 
tachementau  bien  public  ,  le  dçfir  de  la  gloire  ,  Tamour  de 
la  patrie,  un  zèle  pour  la  liberté  que  nul  péril  jm'étoit  capable 
4ç  ralentir,  &  une  haine  irréconciliable  contre  quiconque 
iongeoit  d*y  donner  la  moindre  atteinte  ;  mais  ce  que  nV 
voient  pu  faire  des  ennemis  formidables  ,  dés  divifions  ir*. 
«eftines  le  firent.  Dansi  Icfpace  de  deux  fiécles ,  les  Républi*- 
ques  Grecques  furent  non-feulement  affoiblies ,  mais  fubjur 
^ùéest     '  ' 

JLacédémoœ ,  Athènes  &  Thébes  occupèrent  tour  à  tour 
le  premier  rang  dans  la  Grèce»  La  Perfe ,  qui  avoit  reconnu 
que  les  Grecs  icroicnt  invincibles,  tant  quHIs  feroient  unis  p 
mit  toute  fa  politique,  à  jettçr,  parmi  ces  Républiques  rivales, 
desfemences  de.difcorde.  Son  or  8c  fou  argent  ^  répandus 
par  fçs  Englatres  i  réuffirent  mieux  que  o'avoient  fait  le  fer 
&  les  ariAes»  ' 

Pour  profiter  d^une  conjonûure  favorable ,  Philippe, Roj 
4e  Macédoine ,  fôngea  à  reculer  fes  frontières ,  à  aifujcttir 
i^s  voifins  ,  à  affoiblir  ceux  qu'il  ne  pouvoit  encore  dompter , 

{a)  Cum  meniaciter  ifla  promjerunt  ^  Ueô  extuUrunt  in  immenfum  exiguafaSa* 

Tome  /•  A  a 


tS6  SCIENCE 

à  entrer  dans  les  affaires  de  la  Grèce  >  à  prendre  ptft  à  lés 
i^uerellcs  inteftincs  9  à  chercher  de  s'en  rendre  Taibidre  y  8c  à 
s^unir  aux  uns  afin  d^accabler  les  autres  âc  de  devenir  le  ma^ 
tre  de  tous.  La  viâoire  de  Cheronée  rendit  le  Macëdonieh 
tout  puifTant:*  Alexandre  fon  fils^  à  qui  il  avoit  préparé  lés 
voies  ,  &  qui  fut  le  deftruâeur  de  TEmpirç  des  Perfes  >  prit, 
pour  accoutumer  doucement  les  Grecs  à  la  fervitude  5  le  pré* 
-texte  de  les  venger  de  leurs  anciens  ennemis.  Les  Grecïs 
donnèrent  aveuglement  dans  ce  piège  grbfOer  ,  qui  pona  le 
coup  mortel  à  leur  liberté.  Leurs  vengeurs  leur  devinrent  plus 
fuiïeiles  que  leurs  ennemis.  Le  joug  impofé  par  les  mainji 
qui  avoient  vaincu  TUniVers  ,  demeura  toujours  fur  leun 
têtes  )  il  ne  fut  plu$  au  pouvoir  de  ces  petits  Etats  de  le  fe^ 
troiier.  Lacèdèmone  feuk  reRifa  de  fe  foumettre  ;  foible  A 
fans  murailles  5  elle  tint  fermé  contre  les  fucceffeurS  d'A^ 
iexandre,  mais  en  perdant  fa  vertu  9  elle  perdit  enfin  (a  li-^ 
fecrté. 

Dès  que  les  Romains  fiirent  en  état  de  porter  lewt  vues 
fur  la  Grèce ,  ils  la  foumirent,  mais  ce  ne  fut  que  par  degrés 
&  avec  beaucoup  d^artifice.  Comme  ils  poufToient  toujours 
leurs  conquêtes  de  Province  en  Province ,  ils  fentirent  qu^ils 
crouveroient  une  barrière  à  leurs  projets  ambitieux  ,  dans  là 
Macédoine,  redoutable  par  fon  voifinage  8c  par  fa  (îtuaâoA 
avantageufe  ,  par  la  réputation  de  fes  armes  8c  par  fes  diliés; 
Ils  fe  tournèrent  adroitement  du  côté  des  petits  Etats  de  ]â 
Grèce  y  de  qui  ils  avoient  moins  k  craindre  y  8c  cherchèrent 
à  les  gagner  par  Tappas  de  la  liberté  dont  ils  fçûrênt  réveillet 
en  eux  les  anciennes  idées.  Après  $*être  habilement  ferviè 
des  Grecs  pour  abattre  la  puiffance  Macédonienne ,  ils  fou- 
rnirent tous  ces  peuples  les  uns  après  les  autres  ^  fous  di£^ 


DUGOUVERNiSMENT.      i^ 

rcDS  prétextes:  Ceft  aiofi  que  la  Grèce  fut  abforbéc  par  TËm- 
pire  Romain  ^  &  en  devint  une  Province  fous  le  nom 
il*Achaïe. 

Lia  Grèce  avoit  un  Confeil  fuprême  compofé  de  Députés   tê.eotMtàé 
dés  principales  Villes  qu*on  appelloit  Awphyltions  ^  du  nom  c^  «ppcuI  de» 
d'Âmpyâioa  Roi  d'Athènes  &  fils  de  Deucalion  qui  inflitua 
cette  ABemblée  célèbre  (4)  ^  qui  en  drefla  les  Statuts ,  qui 
regU  jufqu  où  s^étendroit  leur  pouvoir ,  &  qui  défigna  les 
Villes  dont  elle  ieroit  compofée.  Cent  quarante  ans  après 
cette  inftitutioa  y  AçriTius,  Roi  d'Argos  (b)  ^  &  fils  d'Abas  » 
étendit  les  privilèges  des  Amphyâions  >  augmenta  le  nom-- 
hre  des  Villes  qui  dévoient  envoyer  des  Députés ,  &  donna 
une  autre  forme  à  cette  Compagnie.  De  ces  deux  différentes 
époques  y  quelques  Ecrivains  (Minguent  deux  fortes  d'Am« 
phyâions  >  les  anciens  établis  par  Amphyâion,  &  les  nou^ 
ireaux  dont  Acrifius  fut  Tlnflicuteur  ;  mais  au  fonds ,  le  Roi 
d'Argos  ne  fît  que  pcrfeÛionner  ce  que  le  Roi  d* Athènes 
avoit  ébauché. 

,  Les  meilleurs  Auteurs  (^)  comptent  douze  peuples  Am«- 
pbyâioniques»  Le  dénombrement  que  Tun  de  ces  Auteurs 
.{d)  en  fait ,  ne  monte  qu'à  onze  ;  il  y  énonce  les  Theffa- 
liens ^  les  Béotiens 9  les  Doriens  9  les  Ioniens^  les  Perrhebes^ 
les  Magnéfiens  ^  les  Locriens  ,  les  Oétéens  9  les  Phtiotes  ^ 
les  Maléens  y  &  les  Phocéens.  Vraifemblablement  9  le  nom 
d'un  de  ces  peuples  s'eft  perdu  par  la  négligence  des  Co* 
piftes  9  &  il  y  a  lieu  de  préfumer  que  les  Dolopes  avoient  été 
compris  danBj  la  lifle.  Du  moins  9  il  efl  fur  9  par  le  témoig* 

(a)  If  If  ans  avant  Tfire  Chrétienne,  5c  606  ani  ayant  b  fondation  de  Roflit. 
\h)  Quiregnpit  ii6i  tas  ayant  Jefut-Chrift. 
(0  jfifchine ,  SuajKm  r^  Ptulàoîai. 

Aaij 


iW  •         s  <!;  t  E  N"C'E  '        ^ 

nage  des  anciens ,  que  ces  derniers  jouiflbîent  du  Droit  AfflU  • 
phyâionique* 

Un  Auteur  récent  (a)  conje£lurc  avec  aflez  de  probabilité,  ^ 
que  dans  les  commencemens  &  même  pendant  un  fort  long 
elpace  de  tems ,  les  feuls  Delphiens  &  leurs  voifins  eurent  ' 
droit  de  féance  dans  le  corps  des  Amphiâions,  à  l'exclufion 
des  autres  peuples  de  la  Grèce  plus  reculés  ;  qu^alors  les 
douze  Villes  nommées  par  les  anciens  Ecrivains  croient  les 
feules  qui  euflent  droit  d*afpirer  à  cette  dignité  y  mais  que  le 
befoin  qu  avoien;  tous  les  Grecs  les  uns  des  autres  ,  leur  at- 
tira dans  la  fuite  un  honneur  à  tous  également  ;  que  c'étoit 
l'intention  du  Fondateur  y  puifque  cette  Compagnie  avoit  été 
inftîtuce  pour  entretenir  Tunion  entre  tous  les  Grecs ,  &  pour 
rendre  par  ce  moyen  le  bonheur  &  la  fureté  de  la  Grèce  du- 
rable à  jamais.  Cette  Compagnie  étoic  en  effet  appellée  le 
Tribunal  commun  de  tous  les  Grecs  (h)y  TAfTemblée  générale 
de  la  Grèce  (r). 

Chaque  ville  qui  avoît  droit  d'Amphyftionîe  y  envoyoit  i 
fon  choiX)  deux  Députés  aux  Etats  généraux.  L'un  des  deux, 
fous  le  titre  de  Hferomnemo?$  y  étoit  chargé  de  pourvoir  aux 
intérêts  de  la  Religion  y  car  les  Amphy étions  étoient  auflli  les 
proteûeurs  de  TOracle  de  Delphes ,  &  les  Gardiens  des  ri- 
çhcffes  prodigieufes  de  ce  Temple.  L'autre  y  fous  le  nom  de 
PyUgore  y  c'eil-à-dire  d'Orateur  député  à  Pyles  ou  auxThcr-* 
mopyles,  portoit  la  parole.  Souvent  la  députation  de  chacu* 
ne  des  Nations  confédérées  étoit  de  trois  ou  quatre  pcrfon- 

(a)  Valois.  Voyez  fa  Dijfertationfur  les  AmphySions ,  dans  le  troiiféme  Tonm 
dt  l*hifloire  de  rAcadémie  des  Belles-Lettres  de  Paris ,  depuis  la  page  i^i  jiif* 
qvCk  k  pag;  227. 

(b)  Dans  un  Décret  des  Âm|rfiyftions  rapporté  par  Demofthène. 

(c)  Cicéron ,  4ans  foA  iècond  Livre  d$  Jawentiêne ,  L*appeUc  ç$nmunê  Crécié 
ConciiiuHu 


D  U  G  O  U  V  Ë  R  N  È  M  E  N  T*  i«(> 
lies  ;  mais  en  quelque  nombre  qu'ils  fuffent ,  ils  n'àvoîent 
tous  enfemble  que  deux  voix  délibératives  dans  Taflemblëe* 
'  Les  Phocéens  en  avoienc  été  exclus  pour  avoir  pillé  le 
Temple  de  Delphes  ,  à  l'exemple  de  leurs  Chefs,  Onomar- 
que  &  Phaylle.  Philippe,  père  d* Alexandre ,  avoit  fervi  la 
vengeance  des  Grecs  contre  les  peuples  de  la  Phocide  pen- 
dant la  guerre  facrée.  Il  exigea  qu'en  reconnoiflancc  on  lui 
déférât  la  place  vacante  à  lui  &  à  fes  defcendans ,  &  les  Atn- 
phydions  n*oferent  s'oppofer  aux  prétentions  d*un  Monar- 
que qui  s*étoit  rendu  redoutable  par  fes  vidoircs.  Les  Pho- 
céens réparèrent  dans  la  fuite  la  honte  de  leur  dégradation , 
en  fauvant  le  Temple  de  Delphes,  du  pillage  des  Gaulois , 
qui  avoient  paffé  dans  la  Grèce ,  fous  la  conduite  de  Bren- 
nus.  Cet  a£le  de  Religion  leur  fit  rendre  la  place  qu'une  ac- 
tion facriiége  leur  avoit  fait  ôter  ,  ils  furent  de  nouveau  ag- 
gregés  au  Corps  de  la  Nation. 

Ce  Tribunal  fuprême  de  la  Grèce,  qui  en  compofoit  les 
Etats  généraux ,  fe  tenoit  deux  fois  Tannée  ;  en  Automne  ^ 
aux  Thermopyles ,  dans  un  Temple  érigé  à  Cerès ,  au  milieu 
d'une  vafte  plaine  arrofée  des  eaux  du  fleuve  Afope;  au  Prîn» 
rems  ,  dans  le  Temple  de  Delphes  confacré  à  Apollon. 

Il  formoitun  feul  peuple  de  tous  les  Grecs;  il  réunifToîc 
des  Républiques  d'ailleurs  indépendantes  les  nnUi  des  autres, 
dans  le  même  point  de  vue ,  qui  étoit  d*entretenir  la  paix 
entre  elles,  &  de  défendre  leur  liberté  contre  les  entreprifes 
des  barbares  ;  &  il  avoit  le  pouvoir  de  concerter  ,  de  réfou- 
dre ,  &  d'ordonner  ce  qui  lui  paroifToit  avantageux  à  la  cauic 
commune. 

Les  Amphydîons  s'engageoientparun  ferment  folemnel, 
de  pourvoir  au  bonheur  commun  de  la  Grèce  &  à  la  fûreré 


i^  SCIENCE 

du  Temple  de  Delphes.  Tant  que  ce  corps  fubfiftâ,chaquO; 
Récipiendaire  prêta  ce  ferment  au  Corps  Amphyâionique. 

»  Je  jure  de  ne  jamais  renverfer  aucune  des  villes  hono* 
»  rées  du  droit  d' Amphy£lionie  ,  &  de  ne  point  détourner  fes 
»  eaux  courantes  ^  nï  en  tems  de  paix  ni  en  tems  de  guerre* 
»  Que  fi  quelque  peuple  venoit  à  faire  une  pareille  çntreprife,. 
w  je  m'engage  à  porter  la  guerre  çn  fon  pays,  à  rafer  fes  viU 
»  les ,  fes  bourgs  ,  &  fes  villages ,  &  à  le  traiter  en  toutes 
V  chofes  comme  mon  plus  cruel  ennemi,  (4).  De  plus,  silfe 
»  trouvait  un  homme  afle?  impie  pour  ofer  dérober  quel* 
pqu  une  des  riches  offrandes  confacrccs  à  Delphes  dans  le 
»  Temple  d'Apollon ,  ou  pour  faciliter  à  quclqu*autre  les 
i>  moyçns  de  commettre  ce  crime ,  foit  en  lui  prêtant  aide  pour 
i>  ceU ,  foit  en  nç  faifant  que  le  lui  confeiller ,  j'employerai 
»  mes  pieds ,  mes  mains ,  ma  voix,  en  un  mot  toutes  mes  for* 
»  ces  pour  tirer  vengeance  de  ce  facrilége.  Que  fi  quelqu'un  en- 
p  freint  ce  qui  eft  contenu  dans  le  ferment  que  je  viens  de  faire , 
p  foit  un  fimple  particulier  ,  foit  une  ville  ou  un  peuple ,  que 
i>  ce  particulier,  cette  ville ,  ou  ce  peuple  foit  regardé  comme 
i> exécrable,  &  qu'en  cette  qualité  il  éprouve  la  vengeance 
p  d'Apollon  ,  de  Diane ,  de  Latone ,  &  de  Minerve  la  pré-* 
p  voyante.  Que  leur  terre  ne  produife  aucuns  fruits  j  que  leurs 
i>  femmes^  au  lieu  d'engendrer  des  enfans  reflemblans  à  leurs 
»  pères ,  ne  mettent  au  monde  que  des  montres ,  &  que  les 
i> animaux  mêmes,  au  lieu  de  petits  de  leur  efpece,n'appor» 
»  tent  que  de  foetus  contre  nature»  Que  ces  hommes  facriléges 
i>  perdent  tous  leurs  procès.  S'ils  ont  la  guerre ,  qu'ils  foyenc 
p  vaincus  ;  que  leurs  maifonsfoientrafécs  ;  &  qu'eux  &  leurs 


comme 


î>p    G  0  U  V  È  H  N  È  M  È  ]^  T.      ipt 

n  enfails  foyent  paffés  au  fil  de  Tépéc*  Que  ce  qui  aura  écha- 
•>pé  au  fer,  ne puifTe jamais  offrir  dignement  aticuh  facrifice 
^  à  Apollon,  à  Diane,  à  Latone,  &  à  Minerve  la  prévoyan- 
»te,  &que  ces  Divinités-ayent  en  horreur  <Sr  leurs  prières  & 
t>  leurs  offrandes  (a). 

La  Diette  générale  d* Allemagne  rtous  retrace ,  à  certains 
égards ,  ces  anciens  Etats  généraux  de  la  Grèce  ;  &  nous 
trouvons  dans  les  Provinces-Unies  des  Pays-'Bas  &  dans  le 
Corps  Helvétique ,  une  image  encore  plus  reffemblantc  de 
la  confédération  perpétuelle  des  Achéens. 

Entre  les  Jeux  folemnels  de  la  Grèce,  les  Olympiques  te-  tMeuxoiynH 
noient  le  premier  rang,  parce  qu*ils  étoient  confacrcs  à  Ju- 
piter, le  plus  grand  des  Dieux,  quils  avoient  été  inflitués 
par  Hercule ,  le  plus  grand  des  Héros  ;  &  qu'on  les  cém 
lébroit  avec  plps  de  pompe  &  de  magnificence  que  tous  les 
autres.  Ces  fêtes  fervoient  non-feulement  à  honorer  les 
Dieux  ,  à  célébrer  la  vertu  des  Héros,  à  difpofer  le  corps  aux 
fatigues  de  la  guerre ,  mais  encore  à  raffembler ,  de  tcms  en 
tems ,  dans  un  même  lieu ,  par  des  facrifices  communs  ,  di- 
vers peuples ,  dont  Tunion  faifoit  la  force. 

Ce  peuple  qui  occupoit  une  panie  du  Péloponéfe  ,  lequel  is.  conf^Jé« 
s'appelle  aujourd'hui  la  Morée,  &  eflfous  la  domination  du  rcdcsAcbé«w.^ 
Grand-Seigneur ,  eût  d'abord  des  Rois  qui  fe  fuccéderent  de 
îpere  en  fils  (è>)  ;  ce  Gouvernement  Monarchique  fe  tourna 
en  Démocratie ,  8c  douze  petites-  villes  firent  autant  de  Ré- 
publiques unies  par  une  étroite  confédération.  Les  Achéens 
le  maintinrent  à  peu  près  dans  cet  état  jufqu'au  tems  de  Phi- 
lippe de  Macédoine  &  d'Alexandre  le  Grand  ;  mais  depuis 

(a)  On  trouve  ce  ferment  dans  JEfchile  »  de  falfa  Legatioiu  ;  &  <bos  k  Diflbw 
IBition  de  Valois  déjà  citée. 

(b)  toïjb.  Lib.  2.  Cap.  41.  Strabon  Liv*  8«  pag.  |88«  de  rEdiûond'Amfierdanu 


192  SCIENCE 

Alexandre  &  fcs  fucceffeurs  ,  les  Rois  de  Macédoine  profi- 
tèrent de  la  divifion  qui  fe  mit  parmi  ces  villes  confédérées  ; 
ils  mirent  garnifon  dans  quelques-unes ,  &  d^autres  devins 
rent  la  proye  de  petits  Tyrans.  Elles  renouvellerent  quelque 
tems  après  leur  ancienne  union  (a)  ;  Dyme  ,  Patres,  Trithée, 
6c  Phares  furent  les  premières  à  lever  Tétendart  de  la  liberté 
6c  à  donner  aux  autres  l'exemple  de  fccouer  le  joug  des  ufur- 
pateurs.  La  ville  d'Egium  fe  joignit  à  elles  ;  puis  Bouve  8c 
Carynée.  Pendant  ving-cinq  ans ,  le  corps  ne  fut  compofé 
que  de  ces  fept  villes  ;  mais  les  autres  fe  joignirent  depuis  à 
Tunion  ,  à  la  refervc  d*OIcne  qui  ne  le  trouva  pas  à  propos 
Çb) ,  8c  d*Hclifle  qui  avoit  été  engloutie  par  la  mer  avant  la 
bataille  de  Lcutlres,  La  plupart  des  autres  villes  du  Pclopo- 
néfe,  &  quelques-unes  même  hors  de  cette  prcfqu  ifle  (^) , 
voulurent  entrer  dans  la  ligue  qui  fut  par  là  plus  puiffante 
qu'elle  n'avoit  jamais  écé.  Mais  ce  corps  qui  s'étoit  fi  bien 
maintenu  jufquà  la  Préture  de  Philopemcn,  fe  dirtîpa  peu  à 
peu ,  lorfque  Rome  y  devenue  la  maîtrefle  de  la  Grèce  en- 
tière )  mit  fin  à  la  République  d'Achaïe  ,  ordonna  que  cha- 
que ville  fe  gouvernât  félon  fcs  loix  ,  &  traita  ces  différent 
petits  Etats  félon  fes  vues  politiques,  ruinant  les  unes  6c  fa* 
vorifant  les  autres  (d). 

Chaque  ville  confervoit  fa  Souveraineté  à  part ,  quoîqu'el* 
les  fulTenc  unies  à  un  feul  corps  ^  pour  leur  utilité  &  leur 

(à)  Vcn  la  cent  vif^-<iuatriéme  Olympiade  »  environ  deux  cens  quatre-vingt^ 
éeux  ans  avant  Jefus-Oirift* 
{b)  Strabçn  ubifuprà. 

(c)  Idem  pag,  59/.  Polybe,  Chap.  )8  &  4) ,  ubifuprài  Paufanîas,  Lîv.  7. 
ffaap.  7\  ^  ^ 

(d)  Licfnthy  avaritidy  honorum  cupido  f  faSionum  ftudium  ^  difcoràiét  amr  ^ 
0mnia  pervtrtttum  \  tr  txkium  tandem  unhçrjk  Reîpublica  attraxerunt.  dît  Ùbbon 
Eouoiuit 

déferifc 


D  U    G  OU  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       ipi 

défenfe  commune  (^).  Une  parfaite  égalité  étoir  le  fondement 
&  le  but  de  la  confédération.  Il  y  avoit  non-feulemcnt  ami- 
tié &  alliance  générale  entre  ces  peuples  ,  pour  tout  ce  qui 
rcgardoit  leur  intérêt  commun ,  mais  encore  mêmes  Loix  , 
mêmes  poids  9  mêmes  mefures ,  mêmes  monnoyes ,  mêmes 
Magiftrats ,  mêmes  Juges  ;  &  à  cela  près  qu  ils  n'étoient  pas 
renfermés  dans  les  mêmes  murailles  ,  tout  le  refte ,  foit  en 
général,  foit  dans  chaque  ville  en  particulier,  étoit  unifor- 
me ,  fans  que  les  derniers  qui  venoient  à  être  aflbciés  au 
Corps  euffent  moins  d*avantages  &  de  privilèges ,  que  ceux 
qui  avoient  coucouru  à  le  former  (h).  Pendant  les  vingt-cinq 
premières  années  que  le  Corps  n*ctoit  encore  compofé  que  de 
fept  villes  ,  on  créoit  chaque  année  un  Secrétaire  commun , 
&  deux  Préteurs  qui  étoient  comme  les  Capitaines  &  les  Gé- 
néraux de  la  Nation.  On  trouva  à  propos ,  après  cet  efpace 
de  tems ,  de  n'élire  chaque  fois  qu'un  fcul  Préteur.  Sa  dignité 
étoit  annuelle ,  mais  il  étoit  quelquefois  continué  ,  ou  au 
moins  le  même  homme  pouvoit  y  être  rappelle  ;  &  Philopé- 
men  en  fut  revêtu  jufqu'à  huit  fois.  Le  Capitaine  convoquoip 
Taffemblée  générale  &  y  préfidoit ,  ou  en  fon  abfcnce  quel- 
qu'un de  fes  AflefTcurs.  Il  y  avoît  tous  les  ans  deux  af- 
femblées  fixes  de  ce  Confeil  des  Achcens  ;  Tune  fe  tenoit  au 
Printems  ;  &  Tautre ,  fix  mois  après  en  Automne.  Le  premier 
endroit  deftiné  à  ces  aflemblées  y  &  celui  où  on  les  convo- 
quoit  pour  l'ordinaire  ,  étoit  la  ville  d'Egium  ;  mais  dans  h 
fuite ,  d'autres  villes  de  la  confédération  furent  choifies  ex- 
traordinairement. 

(a)  Jujlirif  Lih^^4.  Cap,  t. 

ib)  Polyb.  Lib.  2.  Cap,  57.  G*  jf. 

T9me  I.  .  B  b  . 


15>4  SCIENCE 

Telle  écoit  la  forme  de  cette  République  y  &  voîcî  qu'elle! 
étoient  fes  Loix* 

i^.  On  ne  devoit  point  convoquer  d'affemblées  extraor- 
dinaires ,  à  la  rcquifîtion  des  Ambafladeurs  étrangers  ,  à 
moins  qu'il  ne  s'agît  d  alliance  ou  de  guerre  (a}. 

2^.  Il  falloit  encore  que  les  Ambafladeurs  repréfentaflent 
avant  toutes  chofes  leur  inftruftion  &  en  donnaflent  une  co- 
pie (h).  C'eft  un  ufagefur  lequel  j'ai  fait  quelques  réflexions 
ailleurs  (^). 

3^.  On  ne  difcutoit  dans  Taflemblée  que  les  chofes  pour 
kfquelles  elle  avoit  été  convoquée.  C*eft  fur  ce  fondement 
que  les  Achéens  aflemblés  à  Argos  refuferent  d'écouter  les 
propofitions  de  Philippe  ^  Roi  de  Macédoine  y  qui  arriva  à 
Timprovifte  (d). 

4^.  Il  n'é toit  permis  à  aucun  peuple  de  la  confédération  ^ 
d'envoyer  de  fon  chef  &  en  particulier  des  Députés  à  une 
Puiflance  étrangère.  Cette  Ltoi  paroiflbit  aux  Achéens  de  (î 
grande  importance ,  qu'ils  ftipulerent ,  dans  un  Traité  qu'ils 
firent  avec  les  Romains  ^  que  ceux  -  ci  ne  permettroient  ou 
ne  foufiriroient  rien  qui  y  donnât  la  moindre  atteinte  (e). 

5^.  Aucun  peuple  ne  pouvoit  être  admis  dans  la  Ligue, 
fans  le  confentement  général  de  tous  les  Confédérés  ;  &  ce 
fut  en  venu  de  cette  Loi  qu'on  refufa  d'y  recevoir  les  Mef- 
féniens ,  qui  demandoient  avec  empreflement  qu'on  infcrivit 
leurs  noms  fur  la  colonne  où  étoient  gravés  deux  des  Con- 
fédérés (/). 

U)  P^lyb.  excerpt.  Leg.  42.  Tît.  LzV.  Lih,  49.  Cap,  33. 

(3)  Polybe  &  Tïtt'Uyc  y  ubifuprà. 

(r)  Dans  mon  Droit  des  Gens  ,  Chapitre  premier,  Seftioo  J|# 

(fl)  Tir.  Liv.  Lib.  31.  Cap.  25. 

<f)  Paufanias  Lib.  7.  Cap.  g.pag.  544.  (?  545» 

tf)  Poljfb.  Lih  4.  Cap,  5. 


DU    GOUVERNEMENT.      ipj 

6^.  Si  quelqu'un  des  Confédérés  avoir  des  raifons  particu- 
lières de  ne  pas  participera  une  délibération  qui  alloit  fe 
prendre  par  le  fufFrage  des  autres  y  il  avoit  la  liberté  de  fe  re- 
tirer de  Taffemblée  (/). 

7^.  Toutes  les  affaires  dévoient  s'expédier  en  trois  jours  , 
après  quoi  raflcmblée  le  féparoit  (h). 

8^.  Il  étoit  défendu  à  toute  pcrfonne ,  Magiftrat ,  ou  fim- 
ple  particulier  du  Corps  des  Achéens  ,  de  recevoir  des  pré- 
fens  d'un  Roi ,  fous  quelque  prétexte  que  ce  fut  (c). 

Après  avoir  conquis  (d)  Tlfle  de  Crète  ^  &  plufîeurs  autres  -^^J^'^l*^^, 
Ifles  voifînes  ,  Minos  ne  fongea  qu'à  affermir  par  des  Loix  juifcàctRÔii!^"* 
le  nouvel  Etat  dont  il  s'ctoit  rendu  maître  par  les  armes.  Il 
profita  de  ce  qu'il  y  avoit  de  meilleur  dans  les  Loix  d'Egypte, 
comme  Licurgue  &  Solon ,  Légiflateurs  de  Laccdcmonc  & 
d'Athènes,  profitèrent  dans  la  fuite  de  celles  de  Minos. 

On  ne  peut  douter  que  Minos  n'ait  été  l'un  des  meilleurs  *o.seiLo«x. 
Rois  de  la  terre.  Il  aimoit  Souverainement  la  jufticc ,  &  s'at* 
tacha  uniquement  à  policer  fes  peuples  &  à  les  rendre  heu- 
reux. Si  fes  Loix  ont  dre  défauts ,  ce  font  les  défauts  de  fon 
fiécle.  Héfiode  (^)  appelle  ce  Prince  le  plus  Rêi  de  tous  les 
Rois  mortels ,  c'eft-à-dire  qu'il  poffédoit  dans  un  fouverain 
degré  toutes  les  vertus  Royales.  Il  s'étoit  déchargé  en  partie 
fur  fon  frère  Rhadamanthe  de  l'adminiflration  de  la  juftice 
dans  la  ville  Capitale.  Un  autre  Miniftre  étoit  chargé  du  foin 
des  autres  villes  qu  il  parcouroit  trois  fois  l'année ,  pour  exa- 
miner fi  les  Loix  que  le  Prince  avoit  établies  y  étoient  exac-» 

{a)  Tiu  Liv»  Lib.  52,  Cap.  2a. 
ib)  Ibid. 

(c)  Pol^b.  Eclog.  Légat.  4t. p.  1 180.  ©•  i i8t, 

(d)  Cent  ans  avant  la  guerre  de  Trojcs ,  ce  qui  jcépond  à  Fan  du  monde  171a* 
Avant  Jefus-Chri/l  1284. 

(f)  Plat,  in  Min.  p.  ^zo, 

Pbij 


1^6  SCIENCE 

tementobfervcesj&fi  les  Magiftrats&  les  Officiers  fubaltemes 
s  y  acquittoient  religieufcment  de  leur  devoir.  On  peut  juger 
delà  juflice  deMinos&de  celle  de  Rhadamanthe ,  par  Thon-, 
neur  que  Jupiter  fît  à  ces  deux  frères ,  félon  la  Fable ,  en  les 
établiflant  Juges  des  Enfers  (a) ,  avec  Eaque  autre  fils  de  Ju- 
piter. Tout  le  monde  fçait  que  la  Fable  efl  fondée  fur  des 
hiftSires  réelles  &  véritables ,  mais  déguifées  fous  d'agréables 
emblèmes ,  propres  à  en  mieux  faire  fentir  la  force.  Il  eft  évi* 
dent  qu  ici  elle  a  voulu  nous  donner  le  modèle  d'un  Prince 
accompli  ,  dont  le  premier  foin  eft  de  rendre  la  juflice  & 
nous  peindre  le  rare  bonheur  dont  jouit  la  Crète  fous  le  Gou- 
vernement de  Minos. 
«^  Educado»      Il  ordonna  que  les  enfans  fuflcnt  tous  élevés  enfemble  • 

Miiluairc  que  let 

^^^ccfoitat  afin  qu  on  leur  enfeignât  de  bonne  heure  les  mêmes  princi- 
pes  &  les  mêmes  maxigies.  Leur  vie  étoit  dure  &  fobrc.  Oiv 
les  accoûtumoit  à  fe  contenter  de  peu ,  à  fouffrir  le  chaud  8c 
le  froid  ,  à  marcher  dans  des  endroits  rudes  Se  efca'tpcs  ,  à 
faire  entre  eux  de  petits  combats ,  troupe  contre  troupe  y  à 
fouffrir  courageufement  les  coups  cpiils  fe  ponoient  >  &  à 
s'exercer  à  une  fone  de  danfe  qui  fe  faifoit  les  armes  à  la 
main ,  &  qu  on  appella  la  Pyrrique  (h) ,  afin  que  jufqu'à  leurs 
divertiffemens  tout  reffentît  la  guerre  &  les  y  formât.  On 
leur  faifoit  auffi  apprendre  certains  airs  d'une  mufîque  mâle 
&  martiale.  Ils  n  etoient  inflruits  ni  à  monter  à  cheval ,  ni  à 
porter  des  armes  péfantes ,  mais  ils  excelloient  à  tirer  de 
lare ,  &  c'étoit-là  leur  exercice  le  plus  ordinaire  (r) ,  parce 
que  la  Crète  n'efl  point  un  pays  plat  &  uni  où  des  hommes 
péfamment  armés  puifTent  s  exercer  à  la  courfe  y  mais  un  pays 

(a)  Plat,  in  Gorg.p.  52  j.  6»  ^26. 

(b)  Strabon. 

(0  Plat.  deLegib.  Lib.2.p.  ftrjv 


D  U    G  O  U  V  È  R  N  E  M  E  N  T.       1^7 

raboteux  &  fourre ,  où  des  Archers  &  des  foldats  armés  à  la 
légère ,  font  feuls  propres  à  tous  les  ftratagêmes  de  la  guerre» 

Ceft  dans  Tlfle  de  Crète  que  Tcpée  &  le  cafque  furent 
inventés ,  &  que  mille  Héros  naquirent  ;  &  c'efl  de  Minos 
que  Lycurguê  prit  l'exemple  de  faire  un  camp  de  fa  Ville, 
Platon  (4)  a  reproché  à  ce  Légiflateur  de  la  Crète  de  n'avoir 
envifagéque  la  guerre  dans  toutes  fes  Loix. 

Il  voulut  que  les  repas  fe  fiffent  en  commun ,  pour  éta-    •«• .  commu* 

*  ^  ^  nauté  dcf  repas. 

blir  dans  fon  Etat  une  forte  d'égalité  par  la  même  nourri- 
ture 9  pour  accoutumer  fon  peuple  à  une  vie  fobre  &  fruga- 
le ,  pour  cimenter  l'amitié  &  l'union  entre  les  Citoyens  par 
la  familiarité  &  la  gayeté  qui  régnent  dans  les  repas.  Il  avoit 
d'ailleurs  en  vue  les  exercices  de  la  guerre  où  les  foldats 
mangent  par  troupes. 

C'étoit  le  "public  qui  fourniffoit  aux  dépenfes  de  la  table 
(^).  On  employoit  une  partis  des  revenus  de  l'Etat  à  payer 
les  frais  de  la  Religion  &  l'honoraire  des  Magiftrats  ,  l'autre 
étoit  deftinée  pour  les  repas  communs  :  ainfi ,  femmes ,  en- 
fans,  hommes  faits  ,  vieillards,  tousétoient  nourris  aux  dé- 
pens de  la  République ,  en  quoi  Ariflote  donne  la  préférence 
aux  repas  de  Crète  fur  ceux  de  Sparte  ,  où  les  particuliers 
étoient  obliges  de  fournir  leur  quotte  part ,  faute  de  quoi  ils 
n'étoient  point  reçus  dans  les  aflemblées ,  ce  qui  étoit  enex- 
clurre  lespauvres.  Quel  étonnement  ne  cauferoit  pas  aujour- 
d'hui un  gouvernement  qui  voudroit  fournir  les  provifions 
néceffaires  pour  les  tables  communes  de  tous  les  Sujets  !  Et 
combien  cet  ufage  ne  devoit-ilpas  caufer  d'embarras  &  avoir 
d'inconvéniens  \ 

id)  Plat,  de  Ugib.  Lib.  i. 

ib)  Arijl.  (t  Repub.  Lib.  a.  Cç.  ift. 


2^8  SCIENCE 

Après  le  repâS  ,  les  Vieillards  parloîent  d'afFaîres  d'Etat 
(tf).  La  convcrfation  rouloit  le  plus  fou  vent  fur  Thiftoire  du 
pays ,  fur  les  avions ,  &  fur  les  vertus  des  grands  homme§ 
qui  s'y  étoient  diflingués ,  ou  par  leur  courage  dans  la  guerre 
ou  par  leur  fagefle  dans  le  Gouvernement  ;  &  l'on  exhortoic 
tous  les  jeunes  gens  qui  affiftoient  à  ces  fortes  d'entretiens  , 
à  fe  propofer  ces  grands  hommes  comme  des  modelés  pour 
former  leur  mœurs  &  régler  leur  conduite, 
ft).  v^n^rttîoti     Un  des  établiflemens  de  M inos  que  Platon  admiroit  le  plus, 

^ue  Minosinfpi*    ,      ,  i  •     r   •       •        i       i  i 

roii  pour  Ici  coû-etoit  OU  on  mipiroit  de  bonne  heure  aux  jeunes  gens  un 

tumcf&lesLoix,  i  r       ^  i  .  m-  i  a 

^'  &  te**"*^'^"  grand  refpecl  pour  les  maximes  de  lEtat ,  pour  les  coutu- 
fonnci  âgée*,  mes  ,  pout  Ics  Loix ,  &  qu  on  ne  leur  permettoit  jamais  de 
mettre  en  queftion  fi  elles  étoient  fagement  établies  ,  parce 
qu  ils  dévoient  les  regarder  non  comme  prefcrites  par  les 
hommes ,  mais  comme  émanées  de  la  Divinité  même.  Ce 
Légiflateur  avoit  eu  en  effet  grand  foin  d  avertir  fon  peuple  , 
que  c'ctoit  Jupiter  qui  les  lui  avoit  diûécs  {F)  :  artifice  qui 
réuflTiflbit  alors  ,  mais  qui  ne  tromperoit  perfonne  aujour- 
d'hui, lleft  utile ,  fans  doute,  que  les  peuples  foient  fournis 
aux  Loix  tant  qu'elles  fubfiftent;  mais  il  ne  Tcft  pas  moins 
qu  ils  remarquent  en  quoi  elles  font  défedlueufes  ,  &  quels 
font  les  changemens  qu'on  y  pourroit  faire  pour  le  plus  grand 
avantage  du  public. 

Ce  Lcgiflateur  eût  la  même  attention  par  rapport  aux  Ma* 
gifirats  &  aux  perfonnes  âgées ,  qu'il  rcccmmandoit  d'honcy 
rer  d'une  manière  particulière  ;  &  afin  que  rien  ne  pût  don- 
ner atteinte  au  refpcd  qui  leur  eft  dû  ,  il  voulut  que  fi  l'on 
remarquoit  en  eux  quelques  défauts ,  on  n'en  parlât  jamais  çn 
pxéfence  des  jeunes  gens, 

(a)  Athen,  Lib,  4.  pag.  245, 


t)U    GOUVERNEMENT.      t^p 
Il  ordonna  que  le  nombre  des  habitans  fut  toujours  pro-^  *4.  Propomoii 
portionné  à  la  quantité  des  fonds  de  terre  {a)  ,  ae  peur  que  ^""^^/^^^^^J^  ^ 
ces  infulaires  ne  fuffent  corrompus  par  les  paflîons  dont  Ti-  fc^^"*^***'* 
négâlité  des  biens  efl  la  fource  ;  mais  Tcgalité  des  rangs  & 
des  biens  ne  pouvoir  durer  long-tems.  Si  elle  borne  les  paf- 
fions  d'un  côté ,  elle  les  flâte  d'un  autre  ^  &  elle  efl  contraire 
à  tous  les  principes  d'une  fage  politique  ,  qui  fait  fervir 
l'inégalité  des  rangs  &  celle  des  biens  ^  à  l'avantage  de  la  fo-* 
ciété. 

Ce  n'efl  pas  feulement  à  caufe  des  exemples  de  juflice  &    ty.teoovir^ 
de  valeur  que  cette  Ifle  a  donnés  ,  c'efl  encore  parce  qu'elle  <i*abord  Monar-' 

*  '  X  A  chique  ,   devin? 

a  appris  aux  hommes  à  nourrir  des  troupeaux  ,  à  profiter  du  wp«w««ia, 
miel  des  abeilles ,  &  à  fe  fervir  du  feu  pour  la  fonte  du  fer  & 
de  l'airain ,  que  fon  Gouvernement  a  été  très-célébre.  Il  fut 
d'abord  Monarchique;  mais  l'autorité  des  Rois  ne  fut  pas  de 
longue  durée ,  elle  fît  place  à  un  Gouvernement  Républi- 
cain (è)  ,  &  ç'avoit  été  l'intention  de  Minos. 

Le  Sénat  qui  étoit  compofé  de  trente  hommes ,  formoît  le 
Confiai  public.  C'étoit-là  que  s'examinoient  les  affaires  8c  que 
fe  prenoient  les  réfolutions  ;  mais  elles  n'avoient  de  force 
qu'après  que  le  peuple  y  avoit  joint  fon  fuflfrage  &  donné  fon 
approbation.  Des  Magiflnits  établis  au  nombre  de  dix ,  pour 
maintenir  le  bon  ordre  dans  l'Etat  y  &  pour  cette  raifon  ap- 
pelles Cofme  (f)  y  tenoient  en  refpeft  les  deux  autres  corps  de 
l'Etat ,  &  en  faifoient  l'équilibre.  C'étoient  eux  qui,  en  tems 
de  guerre ,  commandoient  les  armées.  On  les  tiroir  au  fort , 
mais  feulement  dans  certaines  familles.  Ils  étoienc  à  vie ,  & 

(fl)  Arift.  Polit.  Lih,  a. 

ib)  Arifi.  de  RepubL  L.  a.  Cap.  JO. 

ic)  Ce  mot  Grec  &gpi&o  Ordç^ 


,00  SCIENCE 

ne  rendoîent  compte  à  perfonne  de  leuradmîniftratîon.  Ccfl 
dans  ceEtç  Compagnie  qu'on  prenoit  des  Sénateurs. 
t4.  tesirji-      Les  terres  des  Cretois  étoient  cultivées  par  des  efclavcs  ou 

¥M  des   Crétoi»     ,  .  .    /      .  i      t  i 

^toicni  triiiés  des  mercenaires ,  qui  etoient  tenus  de  leur  en  payer  tous  les 
ans  une  certaine  fomme  (4).  Comme  ils  habitoient  dans  une 
Ille ,  les  Cretois  n'a  voient  pas  autant  à  craindre  de  leur  part, 
que  les  Lacédémoniens  de  la  part  des  Hilotes  ,  qui  fe  joi- 
gnoient  fouvent  aux  peuples  voifins  pour  les  attaquer.  Une 
Coutume ,  établie  anciennement  dans  la  Crète  d'où  elle  pafla 
chez  les  Romains ,  donne  lieu  de  croire  que  ceux  qui  fer- 
voient  ce  peuple  âc  qui  cultivoient  fes  terres  y  étoient  traités 
avec  bonté.  Dans  les  fêtes  de  Mercure  (h)  y  les  Maîtres  fer- 
voicnt  à  table  leurs  Efclaves  ,  &  leur  rendoient  pendant  ces 
fctes  ,  les  mêmes  offices  qu'ils  recevoient  d'eux  pendant  Iç 
refle  de  Tannée  :  vertiges  précieux  des  tems  primitifs  qui 
Semblent  avertir  les  Maîtres ,  que  les  Serviteurs  font  naturel- 
lement de  même  condition  qu'eux  ;  &  que  c'eft  renoncer  à 
Thumanité,  que  de  les  traiter  duremçnt. 
*7.Durée,cor,      Lc  bonhcur  dont  jouit  la  Crète  ne  finit  pas  avec  Minos» 

Go"v«ncmcnr  **  Lcs  Loix  qu'il  avoit  établies  étoient  encore  dans  toute  leur 
vigueur  du  tems  de  Platon ,  c'e(l-à-dire  plus  de  mille  ans 
après  (e)  ;  mais  rien  n  efl  fiable  dans  le  monde.  Les  Cretois 
dans  la  fuite  dégénérèrent  beaucoup  de  leur  ancienne  répu- 
tation ,  &:  fe  décrièrent  abfolumcnt  par  un  changement  de 
mœurs  entier.  Ils  devinrent  avares ,  intérefles  ,  jufqu'à  ne 
trouver  aucun  gain  fordide ,  ennemis  du  travail  &  d'une  vie 
reliée  ,  menteurs  &  fourbes  déclarés  :  enforte  que  cnrifcr. 

(à)  On  les  appelloit  Periœci ,  apparemment  parce  qu'ils  étoient  tirés  des  peuples 
4u  voifinage  que  Minoi  avoit  fubjugués^ 
Cb)  Aîken.  Lib.  i^.pag,  6jp. 
lt)Plat,inMkios.pag.^2i^ 

çtoit 


DU    GOUVERNEMENT.      201 

étoit  devenu  chez  les  Grecs  un  proverbe  pour  fignifier  men^ 
tir  &  tromper.  S.  Paul  cite  contre  eux  comme  véritable  le  té* 
moignage  d'un  de  leurs  anciens  Poètes  (4)  qui  les  peint  avec 
des  traits  bien  deshonorans  {b). 

La  République  de  Crére  fut  vaincue  par  Métellus.  Elle  fe 
donna  à  Pompée  dans  la  diviiion  de  l'Empire,  Tombée  en--» 
fuite  au  pouvoir  des  Empereurs  de  Conllantiriople  ^  elle  leur 
iiit  Ibumife  jufqu'au  tems  (e)  où  les  Sarrazins  la  prirçpt  &  y 
bâtirent  la  ville  de  Candie  qui  lui  fit  prendre  fon  nom.  Ceft 
celui  que  porte  encore  aujourd'hui  cette  belle  grande  îfle  de 
la  Méditerranée ,  fous  le  Grand-Seigneur  qui  la  pofféde. 

L'autorité  des  Rois  de  Sparte  fut  abfolue  jufqu'au  tems  de  ^jj;,,^!!^^^ 
Lycurgue ,  nvais  depuis  que  les  Héraclides  forent  rentrés  fe^Kuti^te^ 
dans  le  Péloponéfe  ,  Sparte  fut  gouvernée  par  deux  Rois  •^•^y^««^» 
qu'on  prenoit  toujours  de  deux  familles  qui  defcchdoient 
d'Hercule  par  deux  branches  différentes.  Le  defir  d'une  au- 
torité far»  bornes  de  la  part  des  Princes  y  Se  Tamour  de 
l'indépendance  de  la  part  des  peuples  ,  expofent  tous  les 
Etats  à  des  révolutions  inévitables.  Eurytion ,  l'un  des  Rois 
de  Sparte ,  s'étant  relâché  de  fes  droits  y  pour  complaire  au 
peuple  y  il  fe  forma  un  parti  Républicain  qui  devint  turbu- 
lent. Les  Rois  voulurent  reprendre  leur  ancienne  autorité , 
k  peuple  voulut  retenir  fa  liberté  licentieufe  j  les  difcuffions 
&  les  révoltes  auroient  caufé  la  ruine  de  l'Etat ,  fi  Lycurgue 
n'en  eût  prévenu  les  fuites  par  la  réforme  qu'il  y  fit. 

Il  y  adivcxfes  traditions  fur  le  tems  où  ce  Légiflaçeur^  a    ,,.  Forme  de 
vécu ,  fur  fon  origine  ,  fur  fes  voyages  i  fur  fa  mort^  fur  fes  ^uT^iûr^ttcV 

(a>  O»  cfoit  que  c^oâ  EpiméiiMe. 
.    (^>  Les  GuéÊoh  fent  toujotm  mentem ,  ce  font  à^  méchantes'  t>8tet  ^i  n*al« 
ment  qu*à  manger  &  à  nt  rie»  faire.  £p.  de  S.  Paul  à  T'utu  I2n 

(c)En82j.  •   .       i  -         /^     • 

Tome  L  C  ç 


a02  S  C  I  E  Nt:  E 

Loix  ,  &  fur  la  forme  de  Gouvernement  qu'il  établit  (i  )^ 
Les  Loix  de  Lacédémonc  font  remarquables  par  leur  fin- 
gularité: ,  &  Lycurgue  n  en  prit  point  le  modèle  fur  les  au-" 
très  Etats.  Il  imagina  une  forme  de  Gouvernement  diffë^ 
rente  de  la  leur  ^  &  forma ,  dans  le  fein  même  de  la  Grèce  , 
un  peuple  nouveau  qui  n'avoit  de  commun  avec  le  refte  des 
Grecs  que  le  langage.  Les  Lacédémonîens  devinrent ,  par 
fpn  moyen,  des  hommes  uniques  dans  leur  êfpèce,  difFérens 
de  tQU5r  les  autres  par  leurs  rifanieres  comme  par  leurs  idées 
&  par  leurs  fentimens,  par  la  façon  même  de  s'habiller  & 
de  fe.  tiourjir ,  comme  par  le  caraûere  de  Tefprit  &  du  cœur.^ 

'  '^  "  '  Dans  cette  forme  de  Gouvernement  qui  a  trouvé  quelques 
Cqnfeurs  entre  plufieurs  Pancgyriftes ,  deux  Rois ,  les  an4 
-        '  ciens  8c  le  peuple  partageoient  Tautoritc. 

jo-DeuïRoif.  Il  y  cut  dcux  Rois  y  Yutï  de  la  branche  aînée  des  Euriflé* 
nides  ou  Agides ,  &  l'autre  de  celle  des  Proclides  ou  Eury- 
pontidcs  qui  étoient  les  cadets  (i).  L'émulation  les  tenoit 
tous  deux  dans  le  devoir  (c).  Ils  préfidoient  au  Sénat  y  8c 
leur  pouvoir étoit  d'ailleurs  fort  borné,  furtout  dans  la  ville 
&  en  tems  de  paix.  Ils  avoient  plus  d'autorité  pendant  la 
guerre ,  parer  qu'ils  commandoient  les  flotes  8c  les  armées 
de  terre  ;  mais  outre  le  pouvoir  qu'avoient  fur  eux  les  Epho- 
rcs,  on  leur  donnoit  des  efpeces  d'Infpeâeurs  qui  leur  te- 
Doient  lieu  d'un  Çonfcil  néceffairc  dans  le  camp  (d)ySc  Ton 

(a)  On  peut  voir  les  écUirciflèmens  fur  ITiiftoire  de  Lycurgue ,  par  la  Barre  » 
dans  le  feptiiéme  Volume  de  l'hiftoire  de  rAcad6nie  des  Belles-Lettres  de  Paris. 

(è)  Afw  eft  [^ditProbuf  in  ÀgeJilao2  à  majoribus  Lacedétmoniis  traditus^  ui 
duos  haberentfemuer  Riges  ex  duatus  ftimilns  Proclis  6*  Eurjfihenis .  ..harum  esf 
aherâ'ih  aberbis  tocumiàonjleri  Ikehat,  Itdqiu  utnque fuum  tetinebat  ordinem. 

(r)  DeuSfOpinor ,  aliquis  de  vobis  euram  gmns  »  geminam  vobis  Kegwn  prcgi* 
niem  ex  uni  Stirpe produceni  >  ad  moderationcm  e$rum  pouruim  ttnaxiu  PUt,  jb 
deLegik  ■".     r       ',..»..  , 

{d)  Arijf.  dt  RfpubL  Lih.  z/pàg.  jji.' 


DU    GOUVERNEMENT.      aoj 

choififlbît  ordinairement  pour  cette  fonaîon ,  ceux  des  Q- 
toyens  qui  étoient  mal  avec  eux ,  afin  qu'aucune  feutC:  ne  fui 
diflîmulée.  Les  deux  branches  régnantes,  eurent  toujours  unç 
Xecrctte  jaloufiié  Tune  contre  l'autre  ,  &  les  deux  Rois  hé  fu? 
rent  jamais  en  bonne  intelligence- 

Le  Sénat  étoit  compofc  de  vingt-huit  Gcrontes  ou  Vieil-  31.  vnConrtîi 
iards.  Il  s'affembloit  dans  uncfalle  tendue  de  nattes  &.  de 
jonc  ,  afin  que  la  magnificence  du  lieu  ne  détournât  pas  Tat-? 
tcntion.  Là ,  s'examinoient  les  affaires  8c  fc  preticnêat  lès  rcX 
folutions  ;  Se  cette  Compagnie  fervoit  comme  de  cotttrepoids 
à  Tautoritc  des  Rois ,  &  à  celle  du  peuplé.  Quand  Tune  vour 
loit  prendre  le  dcfliis ,  le  Sénat  fe  rangeoit  du  côté  de  l'au-r 
tre ,  &  tâchoit  de  les  tenir  ainfi  toutes  d^jx  dans  ,ua  jufl4 
équilibre*  ...  .       ,        .-..;'  j 

Les  Décrets  du  Sénat  n'avoient  point  dp  forcc^i,  s'ils  n'é^    5».  lc  peuple 
toient  ratifiés  par  le  peuple. 

Cent  trente  ans  après  Lycurgue  «  Théophonîquc  ayiant  «.  ^taw». 
remarque  que  ce  qui  eto«  reiolu  parles  Rois  8c  par  le  Sénat^  ^i»^'"* 
n'étoit  pas  toujours  agréable  à  la  multitude  9  établit  des 
Ephores  dont  la  Magiftrature  ne  duroit  qu'un  an.  Ils  étoienc 
choifis  par  le  peuple  ^  8c  concouroient  en  fon  nom  à  tout  ce 
qui  étoit  déterminé  par  les  Rois  8c  par  le  Sénat.  Ils  avoienc 
autorité  &  fur  les  Sénateurs  &  fur  les  Rois  même.  : 

Les  Ephores  avoient  encore  plus  d'autorité  à  Sparte  que 
les  Tribuns  du  peuple  n'en  eurent  depuis  à  Rome ,  ils  préfî- 
doient  à  Téleûion  des  Magiftrats  f  8c  leur  faifoiént  rendre 
compte  de  leur  adminiftration  ,  leur  pouvoir  s'étendoit  juf- 
qups  fur,  la  pejrfonne  des  Rois  qu'ils  avoient  droit  de  faire-* 
mettre  en  prifon  5  comme  ils  le  firent  à  Tégardde  Paufanias. 
Dans  un  Gouvernement  où  tout  étoit  fingulier  ,  une  fois  tous 

C  c  ij 


104  SCIENCE 

les  neuf  ans  ^  les  Ephores  conremploient  le  Ciel  pendant  une 

nuit  fereine  &  fans  Lune.  S'ils  voyoient  tomber  une  étoile  ^  ils 

jugcoient  que  les  Rois  avoient  pcché  contre  les  Dieux ,  &  ils 

les  fufpendoient  de  leur  dignité  jufqu'à  ce  qu'il  vint  un  Ora« 

cle  ou  de  Delphes  ou  d'Olympe  qui  les  réhabilitât  (d).  Quel 

fanatifme  Quand  ils  étoient  alTis  dans  le  Tribunal ,  ils  ne  fe 

leTOient  point  à  Tarrivée  des  Rois,  marque  de  refpeâ  qui 

étoit  rendue  à  ceux-ci  par  tous  les  autres  Magiftrats ,  ce  qui 

fembloit  fuppofer  dans  les  Ephores  une  efpèce  dcfupériorité, 

parce  qu  ils  repréfentoient  le  peuple.  Il  eft  écrit  d'Agéfilas 

(h)  que ,  lorfqu'il  étoit  affis  fur  fon  trône  pour  rendre  la  juf- 

tice  &  que  les  Ephores  arrivoient ,  il  ne  manquoit  jamais  de 

(élever  :  avant  lui  j  les  Rois  ne  leur  faifoientpas  cet  honneur  j 

car  Plutarque  raconte  cette  attention  d' Agéfdas ,  comme  lui 

étant  particulière^ 

14.  Atttthe-      Deux  anciens  Hifloriens  (c)  remarquent  que  tant  que  les 

S^S^      Loix  de  Lycurgue  furent  exaaemcnt  obfcrveés ,  jamais  on 

^^^'^'         ne  vit  à  Sparte  de  mouvement  féditieux  de  la  part  du  peuple  ; 

que  jamais  on  n^  propofa  de  faire  aucun  changement  dans 

la  manière  de  gouverner  ;  que  jamais  aucun  particulier  n'y 

ufurpa  Tautoriié  par  violence  ;  que  jamais  le  peuple  ne  ibngea 

à  faire  fortir  la  Royauté  des  deux  familles  où  elle  avoir  toiH 

jours  été  ;  &  que  jamais  aufli  aucun  Roi  n'entreprit  de  s'ac-* 

tribucr  plus  de  pouvoir  que  les  Loix  ne  lui  en  donnoient. 

La  raifon  de  cette  fiabilité  du  Gouvernement  des  Lacédé-* 

moniens ,  c'eft  qu'à  Sparte  c'étoient  les  Loix  qui  dominoient 

abfolumenr  ^  tandis  que  la  plupart  des  autres  villes  de  la 

Grèce  9  livrées  au  capdce  des  particuliers  Se  à  une  domina* 

<tf)  Pliaar.  in  Agii.  jmg,  So. 

(à)  Plutar.  M  AgefiL  pag,  557. 

(0  Xenopk  in  Agefil  pag.  e^t^Ct  Poljb.  Lib(  6.  pag.  6^9. 


DU    GOUVERNEMENT-       205 

tîon  arbitraire  y  éprouvoicnt  la  vérité  de  ce  que  dit  un  autre 
ancien  :  qu'une  ville  eft  malhcureufc  où  ce  font  les  Magif- 
trats  qui  commandent  aux  Loix ,  &  non  les  Loix  aux  Ma- 
giftrats  (^). 

Pour  maintenir  le  Gouvernement  fans  altération ,  on  s'ap- 
pliquoit  avec  un  foin  particulier  à  élever  les  jeunes  gens  , 
fuivant  les  Loix  &  félon  les  mœurs  du  pays  ,  afin  qu'enraci- 
nées &  fortifiées  par  une  longue  habitude ,  elles  devinfTent 
en  eux  comme  une  féconde  nature.  On  accoûtumoît  ainfi  les 
enfans  ,  dès  Tâgc  le  plus  tendre  ,  à  une  parfaite  foumiflîon 
aux  Loix  y  aux  Magiftrats  ,  &  à  toutes  les  perfonnes  en 
place.  Ce  n'étoient  pas  feulement  les  petits  ,  les  pauvres ,  les 
Citoyens  du  commun  qui  étoient  fournis  aux  Loix  ;  c'étoient 
les  plus  riches  ,  les  plus  puiflans ,  les  Magiftrats ,  les  Rois 
même.  Ceux-ci  ne  fe  diftinguoient  des  autres  ,  que  par  une 
obéiflance  plus  exafte ,  perfuadés  que  c'étoit  le  moyen  le  plus 
fur  de  fe  faire  eux-mêmes  obéir  &  refpeûer  par  leurs  infé- 
rieurs. 

Pe-là  ,  ces  réponfes  fi  célèbres  de  Démarate  (^).  Xerxès 
ne  pouvoit  comprendre  que  les  Lacédémoniens ,  fans  Maî- 
tre qui  pût  les  contraindre ,  fiiffent  capables  d'affronter  les 
périls  8c  la  mort.  Ils  font  libres  &  independans  de  tous  les 
hommes ,  répliqua  Démarate  ^  mais  ils  ont  âu^-deffus  J^eux  U 
Loi  qui  leur  ordonne  de  vaincre  ou  de  mourir.  Dans  une  au(re 
occafîon  où  Ton  s'étonnoit  qu'étant  Roi  il  fe  fijt  laiffé  exiler , 
€\Jl  y  dit-il  ,  quk  Sparte  la  Loi  eft  plus  puijfante  que  les  Rois. 

Pour  bannir  de  Lacédémone  le  luxe  &  Penvie,  Lycurgue    sç.  Pmn 
voulut  en  chaffer  à  jamais  Topulencc  &  les  dépenfes.  U  pcr-  ^^^"'^ 

(tf)  ?lat.  de  Legib.  Lib.  4.  pc^.  71  y. 
(i)  Herodot.  Lib.  7.  Cap.  /if 5. 14& 


2o6  SCIENCE 

fuada  à  fes  Citoyens  de  faire  un  partage  égal  de  tous  les 
biens  &  de  toures  les  terres.  Il  ordonna  que  les  planchers  des 
maifons  fuffent  faits  avec  la  coignée  ^  &  les  pones  avec  la 
Icic ,  fans  le  fecours  d'aucun  autre  inftrument ,  parce  que  de 
tels  logemens  n'invitent  au  luxe  y  ni  n'cxpofcnt  à  la  dépenfe 
(^).  Voilà  à  peu  près  les  logemens  de  nos  Anachorètes. 
^(î.  Loi  qui  dé-  Rien  ne  contribua  davantage  à  faire  des  Laccdcmoniens 
du  payt  aux  uttc  Natlon  tout  à  fait  ifolée,  que  la  Loi  qu'ils  fc  prefcri vi- 
rent d'empccher  que  l'étranger  n'eût  une  libre  entrée  dans 
leur  pays  :  Loi  dont  Lycurgue  fut  TAuteur ,  &  qui  a  une 
liaifon  intime  avec  fes  autres  Loix ,  kfquelles ,  par  leur  lin- 
gularité &  leur  aufléritc  ,  rendoient celle-ci  néceffaire  ,  de 
peur  que  les  étrangers  ne  donnaffent  des  leçons  pernicieufes 
pour  les  mœurs  y  &  que  les  Citoyens  ne  reçuffcnt  de  mau- 
vaifes  impreffions.  L'entrée  du  pays  n'etoit  jamais  permife 
aux  étrangers,  fans  quelque  raifon  confidcrable,  &fans  que 
l'autorité  publique  intervînt.  Nous  verrons  dans  la  fuite  qu'au 
Japon  on  ne  permet  pas  non  plus  aux  étrangers^  l'accès 
du  pays  ;  &  nous  ferons  nos  réflexions  fur  cet  ulage. 

Rome  avilit  peu  à  peu  la  dignité  de  Citoyen  en  la  rendant 
trop  commune  ;  &  Lacédémone  ,  par  fon  extrême  réfcrve  à 
accorder  ce  droit,  le  rendit  plus  eflimablc  ,  furtout  dans  les 
derniers  tems  ,  parce  qu'alors  le  titre  de  Citoyen  ,  devenu 
moins  pnéreux  par  la  décadence  des  Loix  ,  acquit  un  nou- 
veau prix  dans  l'idée  des  étrangers. 

On  commença  à  fe  relâcher  de  la  rigueur  de  la  Loi  qui 

întcrdiioit  l'entrée  du  pays  aux  étrangers ,  peu  de  tems  après 

,.  Lycurgue ,  parce  qu'on  fit  tour  à  tour  la  guerre  &  la  paix  , 

avec  lés  mêmes  formalités  que  les  autres  peuples,  &  que  , 

(û)  Plau  in  Ljcurg. 


DU    GOUVERNE  ME  NT.       207 

pour  négocier  avec  les  Nations  voifines^il  fallut  communiquer 
avecclks-On  s'en  relâclia  €nfuite,à  Poccafion  de  la  folcmnité 
des  fctes  qu'on  cclcbroit  certains  jours  de  Tannée;  car  il  fu^ 
permis  aux  étrangers  de  venir  à  Sparte  en  être  les  témoins, 
Gn  s'en  relâcha  encore  en  faveur  de  quelques  particuliers  ou  ' 
même  de  peuples  entiers  ,  que  des  raifons  uniques  rendoient 
agréables  à  la  Nation.  Enfin  les  étrangers  eurent  toute  li- 
berté d'aller  à  Sparte ,  lorfque  les  Lacédémoniens  fe  furent 
rendus  Maîtres  d'Athènes.  Le  relâchement  qui  s'introduifit 
alors  dans  les  mœurs ,  entraîna  peu  à  peu  la  décadence  &  de 
la  Loi  dont  je  parle  &  des  principales  maximes  du  Gouver- 
nement de  Sparte.  Les  Lacédémoniens  commencèrent  à  re- 
chercher les  plaifirs  &  les  commodités  de  la  vie  ;  &  il  fallut 
bien  que  les  étrangers  allaffcnt  leur  en  procurer  les  moyens  , 
puifque  Lacédémônc  n'avoit  ni  commerce  ni  induftrie  ,  ni 
connoiflance  de  la  plupart  des  ans  8c  des  métiers.  Les  Spar- 
tiates ne  penferent  &  n'agirent  néanmoins  dans  aucun  tems 
comme  les  autres  peuples  à  l'égard  des  étrangers  ,  non  pas 
même  plufieurs  fiécles  après  la  ruine  entière  de  leur  Repu- 
blique. 

Afin  d'apprendre  aux  Lacédémoniens  à  n'eftimer  que  les  ^^^^.  ^ 
véritables  richeffes ,  Lycurgue  décria  l'ufage  de  l'or  &  de  ^'«'«^^«^•^««'^ 
l'argent  &  ordonna  qu'on  ne  fe  ferviroit  que  d'une  monnoye 
de  fer  qui  n'avoit  point  de  cours  dans  le  pays  étranger ,  &  qui 
avoit  fi  peu  de  valeur ,  qu  aucun  particulier  ne  pouvoir  avoir 
chez  lui  de  quoi  fournir  à  fes  befoins  pendant  un  mois.  Il 
falloir  une  charette  à  deux  bœufs ,  pour  tranfporter  dix  mines 
qui  faifoient  environ  cinq  cens  livres  de  notre  monnoye  j  & 
il  étoit  befoin  de  toute  une  chambre  pour  ferrer  une  fommc 
fi  médiocre.  Lycurgue  aima  mieux  priver  les  Spartiates  des 


commun 


208  SCIENCE 

avantages  du  commerce  avec  leurs  voifîns  que  delesexpofer 
à  rapporter  de  chez  les  autres  peuples  les  inflrumens  d'un  luxe 
dont  il  penfoit  qu'ils  pouvoient  ctre  corrompus.  Ce  Légifla* 
teur  ne  foupçonnoit  pas  qu'il  pût  y  avoir  aucun  autre  gage 
des  échanges  ,  &  il  trouva  le  fecret  d'appauvrir  fa  Nation  & 
de  la  faire  vivre  comme  les  Derviches  les  plus  aufleres.  Ceux- 
ci  reffemblcroient  aifez  aux  anciens  Lacédémoniens ,  s'ils 
avoient  de  plus  les  fatigues  de  la  guerrç. 
js.  Kfpis  en  Pour  affermir  l'égalité  parmi  les  Citoyens,  Lycurgue  vou- 
lut qu'ils  mangeaffent  tous  enfemble  y  dans  des  falles  publi- 
ques ,  mais  féparées.  Voilà  le  Réfeâoirç  de  nos  Religieux, 
Au  lieu  qu'en  Crète  les  repas  étoient  à  la  charge  du  public  ^ 
à  Lacédémone  y  chaque  famille  devoit  fournir  fa  quotte- 
part  (a). 

Les  tables  étoient  de  quinze  perfonnes,  &  les  Rois  avoient 
deux  portions  afin  qu'ils  en  puffent  donner  une  (^).  Chaque 
fociété  invitoit  fon  convive  »  mais  nul  n'y  étoit  admis  que 
par  le  confentement  de  tous ,  de  crainte  que  la  paix  ne  fut 
troublée  par  la  différence  des  humeurs  :  précaution  néceffaire 
pour  des  hommes  d'un  naturel  guerrier  &  fauvage. 

Les  hommes  étoient  affis  dans  des  ialles  fans  autre  diftinc- 
tîon  que  celle  de  leur  âge  y  8c  entourés  d^enfans  qui  les  fer* 
voient.  En  mangeant ,  ils  s'çntretenoient  des  matières  fé- 
rieufcs  ,  des  intérêts  de  la  patrie  y  de  la  vie  des  grands  hom- 
mes y  de  la  différence  du  bon  &  du  mauvais  Citoyen  ,  &  de 
tout  ce  qui  pouvoit  former  la  jeunelfe  au  goût  des  vertus 
militaires* 

(a)  Chacun  7  «ppertoic  par  mois  un  boiflèau  de  farkiô  »  huit  mefttres  de  rhi  » 
cinq  livres  de  fromage ,  deux  livre*  «ç  demie  dç  figue ,  Sf,  quelque  peu  de  Itu 
monnoye  de  fiw  pour  acheter  de  la  viande. 

Çf)  Dix  XàiophoA  4e  RepubL  Laced. 

Comment 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      20^ 

Comment  ce  Lé^ftateur  avoit-il  pu  efperer  que  fa  com- 
munauté ,  qui  né  connoiflbk  point  de  récompfertfe'étêmellè^'P 
conferveroit  refprit  ambitieux  d'acquérir-,^  ttaveirS mille  Et-?'  ** 
tigoes  8c  mille  périls  >  f^ns  efpérance  d'augmenter  fa  portion  * 
oti  de  diminuer  fon  travail  ?  La  gloire  feule  y  dénuée  de  ces 
avantages  d'un  bien  être  qui  en  font  prefque  inféparables  ,  ^ 
peut-elle  être  un  affez  puiflant  aiguillop  pour  kinaltàade  if^^ 

Les  propos  des  Spartiates  renfermoient  un  grand ^fènl en ^.j^scyk 
peu  de  paroles.  Ceft  pour  cela  que  b  flyle  Laconique:  a'été  "^^'     *  •  *• 
admiré  dans  toutes  lies  Nations,  En  imitaiU^  la  rapidité  deii 
penlees,  il  peignoir  tout  dans  ua  moment  ,&  donnûit  le 
plaiTu:  de  pénétrer  un  fei^  profond.  Les  gricds  4f  l^s^éli^r^^ 
cateffes  âtttqués  étoient  iooinnùesà'LaiaédâiibniS'i  tM  ^y  vou«<^ 
loit  de  la  force  idans  les  efprits  comme  «dans  lescorj)*'.^     ^    - 

Certains;  jours  dé  fêtes  folemhelles ,  dans  une  grande  ènr-'  40.  F{tcf  <ier 
ceinte  entourée  deplufieurs  fîéges  de  gazon  élevés  en  àm-^ 
phithéâtre  i  les  jeunes,  filles  prefque  nues  &.  lft>  jeûnes  gàt-^ 
çohi  difputoient  Je  grpcde  laj  coiirfev-Jde  kt:  kittfeV'de-Iil  * 
danfe  ,  &  de  tous  les  exercices  pénibles.  Les  Spartiates  ne' 
poui^oiehtépoufer  que  lés  filles  qu'ils  âvoîcnt'^  vaincues  dahs 
ces  jeux*.  . . 

Le  dêfrein  de  Lycurguey  en  établiflant  ce&^ietes  9  ibtde  . 
confêrvèr  &  de  perpétuer,  lis  vertus' .guerrières  dahsiff  Ré*^! 
publique  ;  &  ce  Légillattur:  qui  fçavoit.  combien  les  inclina^  i 
tions  des  mères  inilbeiùic  i  fur  leurs .  enfans ,  voulut  que  les  fem-  a 
mes  Spartiates  fuffent  des  Héroïnes  ,  afin  qu'elles  ne  donnaf-  . 
fent  à  la  République  <iue  des  iHéifos*  iCjèft  dans  cette  Vue 
qu'il  permèttoit  à  des  ^Ue&tiuty  dins  tous:  les  autreis  tems  f  f 
étoient  fort  retirées  j  de:  paroîtrcjà  ces  fêtes  publique*  9  d^ns  v 
un  état  contraire  à  la  pudeur.  Platon,  qui  veut  qu'on ap]yHquc 

Tomcl.  •  -       -     '      -"■'-'■'  Dd^       -^ 


iio  SCIENCE 

les  femmes  aux  mêmes  exercices  que  les  hommes  {sy^  puûé 
qu'il  les  adtnet  au  maniement  des  apures  de  la  RépulitiqDet 
n'excepte  pas  de  ces  exercices  ceux  oàles  anciens  combafr- 
toienc  tout  nuds.  Les  femmes  fermt ,  dit  ce  Philofophe  ^ 
fuffifamment  cotêvertes  dans  P arène  de  Fkamnèieté  publique  & 
de  leur  vertu  :  idée  qui  tient  moins  du  raifonnement  d*un 
Philofophe  que  de  la  pointe  d'un  Déclamateur  ^  jeu  où  une 
.  fubçiUté  lifurpe  la  place  que  la  raiibn  doit  occuper* 
41.  poKce  ae    '.  h^  perfonnes  nouvellement  mariées  ne  pouvoient  fe.voir 

^co^u^té  qu'à  là  dérobée*  On  voûloit  ménager  leur  ardeur^  &  empe^ 
nunct.  ^jjçj.  jç  dégoût  qui  fuit  Taccompliffement  des  défirs*  On  for- 
mait la  jeunei&i  ]^  tempérance.  &i à  la  modération  des  plai- 
iirs  9  ^me  lespjus  légitimes.  lie  cceur  6c  le  goût  avoient  peu 
de  part  i  Tunion  dans  ces  mariages.  Far-là  y  les  amours  fiir-^ 
tifs  &  la  jaloufieétoient  bannis  de  Sparte.  Les  maris  malades 
ou  avancés  en  âge  prêtoient  leurs  femmes  à  d'autres  ^  âc  les 
reprenoieot  esfuite  y  fans  aucun  fcrupule.  Les  femmes  de 
leur  côté  le  regardoient  plus  comme  appanenantâ  TEtat  qu'à, 
leurs  maris  (i).  / 
..    .        Les  Spartiates  ne  faifoient  tous  qu'une  même  famille.  Ly- 

*ekii«cnfi«f.  curgue  avoit  confié  l'éducation  des  enfans  à  plufieurs  Vieil- 
lards qui  y  fe  regardant  comme  les  pères  communs  ^  avoient  un 
foin  égal  de  tous.  Ces  enfans,  ainfi  élevés,  ne  reconnoiifoient 
fouvent  d'autre  mère  que  la  République ,  8c  d'autre  père  que 
les  Sénateurs.  Ceft  ainfi  qu'on  détruifoif  la  nature  en  vou- 
lant la  perfeâionner. 

.  On  leur  apprenoit  principalement  à  bien  obéir,  à  fupporter 
U  travail ,  à  vaincre  dans  les  courts ,  à  montrer  du  courage 
contre  la  douleur  8c  contre  la  mort.  Ils  alloient  la  tête  8c  les 

(a)  LiA.5.  de  Repa  bl. 

ii)  Plutar^ue  dm  la  yk  de  Lyciugue  Tome  premier  page  141. 


DU  G  O  tJVËflNËM  ENT-  âa 
pieds  nuds,  couchoient  fur  des  rofeaux  8c  mangeoienttrès-peu> 
^encore  falloit-îl  qu^ils  |)ri{renc  ce  peu  par  addrefle  daiis  les  faiet 
pubtic]uesdesGonvives.Le  larcin  àioitpermisàla  jeunefle,^  H 
^oit  même  honorâble.On  voulok  âcoûtumer  les  enfans  defUnÀ 
pour  la  guerre  à  furprendre  Tattendon  de  ceux  qui  veilloient 
fur  leur  conduite  ^  8c  à  s'expofer  avec  courage  aux  punitions 
les  plus  féveres^  s^ils  manquoient  de  TadrefTe  qu^on  exigeoic 
d'eux.  Ce  n'étoic  qu^aux  enfans  qu*il  étoit  permis  de  voler  y 
^  il  ne  leur  ^toit  permis  de  voler  que  les  fruits  des  jardins  8c 
les  provifions  de  bouche*  S'ils  étoient  découverts  ^  on  les 
trhâtioit  &  on  les  faifoit  jeûner  (d)^ 

On  éprouvoit  la  patience  des  enfans  devant  Tautel  de  Dîa-* 
ne  fumommée  Orthia  ;  ils  y  étoient  fbiiettés  jufqu^au  fang^ 
&  quelquefois  jufqu'à  perdre  la  vie  ^  fans  poulfer  le  moindre 
gémilfement.  Dans  un  de  leurs  lacrifîces  ^  un  charbon  ardent 
ayant  coulé  dons  la  manche  d'un  enfant  Lacédémonien  qui 
«ncenfok ,  il  fe  lai(fa  brûler  le  bras  ,  au  point  que  Fodeur  de 
la  chair  brûlée  vint  auxafliftans^  fans  que  cet  enfant  eût  don- 
né aucune  marque  d'impatience  (^).  Un  autre  enfant  qui  te- 
noit  caché  fous  fa  robe  un  RtnardcM  qu'il  avoit  dérobé^  fe 
iaifla  déchirer  le  ventre  par  cet  animal  jufqu'à  en  mourir  ^ 
|)lutôtque  de  découvrir  fon  larcin  {c). 

Les  Spartiates  fe  croyoient  moins  faits  pour  connoître  que  ^,.  i^  j^^^ 
pour  agir.  Ennemis  de  l'orfîveté ,  ils  voyoient  non-feulemerit  dSSie'^u  "  S 
<ie  l'inutilité ,  mais  du  danger  à  fe  rendre  habiles  dans  des  s^ca^bonl 
fciences  trop  rafinées,  qui  ne  fervent  qu'à  crâter  Teforit  &  qui  d^^o'em  à 
iqu  à  corrompre  le  coeur.  Lycurgue  ne  négligea  nen  pour  ré-  «le»  MagiUra» , 
veiller  dans  les  ienfans  le  goût  dé  la  pure  raifon  ,  8t  pour  •»«  poiiuquef.  * 

'   (a)  Vaf€t  Phttàr.  in  tycufg.  pag.  sa  &  Xencph,  de  RefubL  ÎMtddmoiu  Cap. 
•.  $.  7.  O'feq. 

(b)  Plutar.  dans  la  Tk  de  Ljcuigutt 

(r>  La  même.  D  d  î j 


212  SCIENCE 

.donner  dé  la  force  à  leur  jugement ,  mais  toutes  les  conhol^ 
lances  qui  ne  fervpient  point  à  former  aux  bonnes  mœurs  ^ 
écoienc  regardées  comme  des  occupations  inutile^  &  danger 
Teufes.  Il  étoit  pafle  en  proverbe  parmi  les  Grecs,  quon  aU 
loit  à  Athènes  pour  apprendre  à  bien  dire;  &  à  Sparte^ 
pour  apprendre  à  bien  faire  ;  que  dans  Tune  nailToient  I^s 
critiques ,  les  Grammairiens  ,  les  Rhéteurs  >  les  Orateurs  ;  & 
dans  l'autre,  les  Magiflrats ,  les  Guerriers,  les  Politiques. 
44.TravaM&      Lcs  Hllotcs  ctoicnt  les  habitans  d'une  ville  que  les  Lacé- 
fat«<i«Hiicicî.  démoniensavoientfoumifeen  s'établiflantdanslePcloponèfe^ 
qui  s  ctoient  enfuite  révoltés ,  &  que  les  vainqueurs  en  puni- 
.tion  de  cette  révolte ,  avoient  feit  leurs  eliclaves.  Le  nombre 
de  ces  efcUves  s'accrut  confidérablement  dans  la  fuite ,  âc 
les  vainqueurs  donnèrent  le  nom  d'Hilotes  à  tous  ceux  qu'ils 
rédùifirent  en  fervitude.  Comme  les  Lacédémoniens  ne  ret 
piroient  que  la  guerre ,  ils  firent  exercer  les  métiers  8c  con* 
fièrent  la  culture  des  champs  à  ces  efclaves ,  en  affignànt  à 
chacun  d'eux  une  certaine  portion  de  terre  dont  il  devoit 
Tendre  le  fruit  tous  les  ans  à  fes  Maîtres.  Outre  ces  Efclaves^ 
Laboureurs  ou  Artifans,  il  y  avoit  une  autre  clafTe  d'Efclaves 
domefliques  ,  qui  n'étoient  employés  qu'aux  offices  du  mé- 
nage* Les  Hilotes  efclaves  tout  à  fait  des  particuliers  &  du 
public  ,  étoicnt  traites  avec  cruauté  j&  c'eft  par  une  fuite  de 
l'extrême  mépris  que  l'on  avoit  pour  eux,' qu'on  les  forçoit  de 
boire  jufqu'à  s'eny vrer ,  &  qu'on  les  expofoit  dans  cet  étaç 
aux  yeux  des  jeunes  Lacédémoniens  à  qui  on  vouloit  infpî-. 
rcr  l'horreur  de  ce  vice.  Plutarquc  blâme  la  févérité  avec  la^ 
quelle  les  Lacédémoniens  traitoient  les  Hilotes  (a)  j  mais  les 
Lacédémoniens  vouloient  empêcher  un  peuple  nombreux  de 

(a)  Plutar.  in  Catonepag.  $38.  &•  3ig. 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  NJT.      ^i  j 

ic  révolter  ,  &  des  hommes  qui  étoient  fi  févéfes  pour  eux- 
mêmes,  n'avoient  garde  de  s'abftenir  de  Têtre  pour  leurs 
•efclaves. 

Les  exercices  par  lefquels  on  fe  préparoit  à  difputer  le  45.occuptdbnt 

*  *  ■         ^  1       r  guerrières      dei 

prix  aux  jeux.  Olympiques ,  étoient  le  feul  travail  des  Gi-  i^'^^f/u,'^^"^^^^^ 
toyens-de  Laccdémône*  Les  Spartiates  regardoient  commie  ^c^^^u  guerre, 
vicieufe  toute  occupation  qui  le  bornoit  au  fimple  entretien 
du  corps.  Les  plaifirs  tranquilles  &  le  doux  loifir  qu'on 
goûte  dans  une  vie  champêtre,  parurent  à  Lycurgue  con- 
traire au  génie  guerrier.  Il  occupoit  fans  cefle  fes  Lacédé^- 
monicns  à  tous  les  travauXs  de  la  guerre  ,  &  furtout  à  mar- 
cher ,  camper ,  ranger  les  armées  en  bataille ,  défendre ,  at- 
taquer ,  bâtir  9  détruire  des  forterefles.  Par-là  ,  le  Légilla- 
teur  vouloit  entretenir  dans  les  efprits  ,  pendant  la  paix  , 
une  noble  émulation  ,  fans  exciter  la  haine  &  fans  répandre 
le  fang.  Tous  y  difputoient  le  prix  avec  ardeur ,  &  les  vain-  -  •  l 
eus  fe  faifoient  gloire  de  couronper  les  vainqueurs.  On  ou- 
blioit  les  fatigues  par  les  plaifirs  qui  accompagnent  ces  fpec- 
tacles  ;  &  ces  travaux  empêchoient  que  le  repos  n'amollît 
les  courages. 

Les  Lacédémoniens  avoient  pour  règle  invariable  de  cam- 
per fûrement^  afin  de  n^être  jamais  obligés  de  combattre 
malgré  eux.  Ils  modéroient  ^  dans  le  tems  de  la  guerre ,  la 
févérité  des  exercices  &  Taullérité  de  la  vie.  Ceft  le  feul  peu- 
pie  à  qui  la  guerre  ait  été  une  efpece  de  jrepos  >  ils  jouifFoient 
alors  de  tous  les  plaifirs  qu'on  leur  refufoit  pendant  la  paixw 
Lycurgue  leur  avoit  défendu  de  faire  long-rems  de  fuite  la 
guerre  à  la  même  Nation ,  de  peur  de  Taguérrir.  Dès  que 
Tarmée  ennemie  étoit  en  déroute ,  il  vouloit  qu'on  exerçât 
envers  les  vaincus  toute  fone  de  clémence  >  parun  fentimenc 


«î4  SCIENCB 

d^humanité  8t  par  une  raifon  de  politique.  Par-li^  ils  adoih 
xiiToient  la  férocité  de  leurs  ennemis  ;  refpéranced*êtrebieft 
traités ,  s'ils  rendoient  les  armes  9  les  empêchoient  de  fe  Ir* 
vrer  à  cette  flireur  qui  efl  fouvent  fatale  aux  Viâorieux» 

La  République  de  Sparte  étoit  un  camp  toujours  fubfiC^ 
tant ,  une  afiemblée  de  Guerriers  toujours  fous  les  armes. 
Des  hommes  élevés  uniquement  pour  la  guerre  ^  qui  n^one 
d'autre  tsavail ,  d'autre  étude ,  d'autre  profeflion  que  celle 
de  fe  rendre  habiles  à  détruire  les  autres  hommes  9  doivent 
€tre  regardés  comme  ennemis  de  toute  fociété  j  de  tout  cefti^ 
merce.  Se  détacher  du  refte  du  genre  humain  ^  fe  regarder 
comme  fait  pour  le  foumettre  ^  c'eft  fe  déclarer  ennemi  de 
tous  les  hommes.  En  accoutumant  chaque  Citoyen  à  la  fru« 
galité^  Lycurgue  auroit  du  apprendre  à  la  Nation  en  gêné» 
rai  à  borner  (on  ambiti<»i. 
4s.u<knmr»     La  tempérance  des  Spartiates  &  Tauflérité  de  leur  vie 

fiuncitt  de  Lacé*    #  «^  % 

démonemdoimé  étoient  û  grandes ,  que  les  autres  Nations  eftimoient  qu'il 

en  coût  genre  des  ^  ^     l  a 

SS*^  a^î  valoit  beaucoup  mieux  mourir ,  que  de  vivre  comme  eux.  U 
9tiê'4é&Q»aa.  n'çft  p^  ^ifé  en  rffet  de  concevoir  comment  les  maximâs 
aufteres  de  Lycurgue  purent  être  adoptées*  On  voit  durs 
toutes  fes  Loix  une  République  entière  fe  !mer  aux  maxi- 
mes d'un  Philofophe  chagrin.  Il  obligé  des  hommes  qui  > 
aimant  la  vie  >  doivent  aimer  leurs  aifes ,  à  fe  priver  de  todl 
ce  qui  Eut  l'attrait  des  hommes  les  pbs  fages  ^  Ar  cependant 
ces  mêmes  hommes  4)âtirent  à  Lycurgue  un  Temple  comme 
«  un  Dieu  (m).  Quelle  bizarrerie  qu'un  Gûuvememem  où  h 
fortune  des  Roiis  n^étoit  attachée  qu'au  bon  plaifir  d'un  Ephoit 
qui  avoir  vâ*comber  une  étoile  9  ait  fubfiilé  fî  long-  teffisl 

.  (a)  Paufaniu  >  Voyage  Hiittriqae  4e  U  Cxict  au  Ivh  i •  )ui  contîcivt  k  t^Tfgi 
4c  Raconte. 


D  tr  G  O  ty  V  B  R  N  E  M  EN  T.  Uf 
S^porte  eft  encore  le  M  pays  qui  fe  foit  accommodé  de  deux 
IVois ,  aâuelIeflMQic  vivans  tous  deux  dans  la  même  enceinte  » 
comme  C\  ce  Gouvememenc  avoit  dû  donner  des  exemples 
finguliers  en  coiic  gç^n^e;  Ec  néanmoins ,  ce  phénomène  Hf- 
torique  ne  dura  paf  Amplement  pendant  quelquos  anoé^^t 
mais  pendant  pluTieurs  fiédes.  'là  >  on  voit  des  exemples  de 
fàgelTe ,  de  retenue  ,  &  de  valeur  qui  paroifTent  au-deifiis  df 
l'humanité.  »  L^Etat  des  Laeédémoniens  (dit  l'Orateur  Ro- 
a.main)  eH  fi  renpmmé  par  l'excellence  d'une  valeur  que  la 
«nanire  Se  la  dUoplincom  aSëtmie  qu'ils  ibnt  ks  ieuls  dans 
»  toute  l'étendue  de  la  terre  qui  vivent  depuis  plus  de  fept 
a»  cens  ans  »  (hivanc  les  mêmes  Coutumes ,  &  iàns  avoir  ja« 
»mais  rien  chan^^é  à  leurs  l^ix  («)  «• 

Cette  conftitution  d'Etat  n'avoit  point  d'exemple  £ir  la 
terre  avant  Lycurgue  ,  &  ce  Légiflateur  qui  n'avoit  imité  per- 
fonne  »  n'a  été  ainfî  finvi  de  perfonne.  Nous  avons  une  pen- 
te naturelle  à  admirer  ce  qui  de  loin  nous  paroît  enveloppé 
dans  une  myftério^e  pbfcurité  ;  &  c'efl  peutêtre  à  cette  dif-. 
ficulté  de  les  pénétrer ,  que  les  Liacédémoniens  font  en  partie, 
redevables  de  tant  d'éloges  que  les  Auteurs  leur  ont  prodi- 
gués dans  tous  les  tems.  Il  n'y  a  aucun  fujet  de  douter  que 
les  Ecrivains  qui  ont  élevé  ce  Gouvernement  jufqu'au  Ciel  ». 
ne  foyent  allés  trop  loin.  Il  &ut  bien  que  ks  Loix  de  Lycur- 
gue  ayent  paru  meilleures  dans  la  théorie  y  qu'elles  ne  l'é- 
coient  dans  la  pratique ,  puifque  les  Politiques  étrangers  ne 
les  prirent  jamais  pour  modek  »  6c  que  les  Laeédémoniens 
^ix-mêmes  ne  purent  ou  ne  voulurent  jamais  les  établir  >  ni 
dans  leurs  colonies,  ni  dans  leur  pays  de  conquête  (^).  Nu- 

la)S»li orbe  ter;:arumfeptingtitttfiam  annts  gagtm  i(nw#  mtri^  tg  nw^m 
Wtttt9tis  Legibus  vivunt.  Uctr. 
.  ib)  Ifocrtu*  Païutth, 


xu 


2i6  SCIENCE  '' 

ma ,  fe  fervant  d'un  Laccdémonien  pour  rédiger  les  (îennes  , 
les  fit  pourtant,  pour  la  fubftance,  très-diffërentes  de  celles 
de  Lacédémone  (a)  ^  8c  lorfque  les  Romains  envoyèrent  de- 
puis chercher  dans  la  Grèce  les  loix  les  plus  fages  &  les  plus 
célèbres,  pour  examiner  Tufage  qu'ils  en  pourroient  faire  , 
ce  fiit  aux  Athéniens  &  non  aux  Lacédémoniens  qu'ils  s'ad- 
dreflbient. 
Fîn   du      L'amour  de  l'or  &  de  Targent  fe  gliffa  enfin  dans  Sjparte 
S  ûibfiftc"l^anl  (})  î  &  à  la  fuite  des  richefles ,  l'avarice ,  le  luxe ,  &  la  vo-  ' 
dlnriei  uaiZ^^  lupté  qui  en  font  prefque  inféparables  ,  y  trouvèrent  accès. 
Cette  ville  fe  vit  déchue  de  fon  ancienne  puiflance ,  &  elle 
fut  réduite  dans  un  état  d'humiliation  qui  dura  jufqu'au  tems  ' 
du  règne  d'Agis  &  de  Leonide.  Le  partage  des  terres  que  ■ 
Lycurgue  avoit  fait,  s'çtânt  cependant  confervé,  avoir  fuf- 
pendu  pour  quelque  tems  le  mauvais  effet  des  autres  abus  J 
mais  on  donna  atteinte  à  cet  établiifement ,  par  une  loi  qui 
permettoit  à  tout  homme  de  difpofer  de  fon  vivant  de  fa  mai*" 
fon  &  de  fa  terre ,  ou  de  lès  laifler  par  fon  teftamcnt  à  qui  il-^ 
voudroît*  Cette  nouvelle  loi  qui  changeoit  le  nombre  des 
héritages  que  Lycurgue  avoit  établi ,  acheva  de  faper  le . 
fondement  de  la  police  de  Sparte,  Ce  fut  un  Ephore  nommé 
Epitade  qui  la  fit  pafler  ,  pour  fe  venger  d'un  fils  dont  il  étoit 
mécontent.  Il  en  coûta  la  vie  à  Agis ,  pour  avoir  voulu  ré^ 
tablir  les  loix  de  Lycurgue.  Elles  furent  néanmoins  rétablies 
fous  Cléoménes  fils  de  ce  même  Leonide  qui  s'étoit  oppofé  * 
aux  vues  d'Agis  fon  collègue  dans  la  Royauté.  Cleomenes 
fc  fon  frère  ,  Roiaveclui  (^)  ,^  furent  vaincus  par  Antigone  5 

(a)  Plutqr,  in  Numi^ 

ib)  Plutitt  in  Agid.pà^.  y $6, 8oi. 

le)  Cç  fut  Tunique  fois  ^uc  l'on  vit  deux  Rois  de  U  même  famille  fur  le  tt$ûO.     ' 

et 


DU    GOUVERNEMENT.      217 

&  Sparte  pafla  aînfi  fous  le  joug  des  Rois  de  Macédoine  (a)  ; 
mais  lorfque  les  Spartiates  fiirent  fournis  dans  la  fuite  par 
Flaminius,  ils  obtinrent  de  la  République  Romaine  la  con- 
fervation  de  leurs  anciennes  Loix. 

Leurs  Defcendans ,  comme  tous  les  autres  Grecs ,  gémiflent 
fous  la  domination  du  Grand  Seigneur,fi  j'en  excepte  les  Mai^ 
notes  ^  &  cette  exception  mérite  bien  de  trouver  ici  fa  place. 
Les  AldfMtis  font  des  Defcendans  des  anciens  Lacédémo- 
niens  ,  qui  confervent  encore  aujourd'hui,  par  leur  valeur, 
la  fupcrioritc  que  leurs  pères  avoient  fur  les  autres  Grecs, 
ils  ne  forment  qu  un  corps  de  douze  mille  hommes  de  guerre, 
&  cependant  les  Turcs  n'ont  pu  encore  ni  les  fubjugucr  nî 
les  réduire  à  leur  payer  tribut.  Les  Vénitiens  ,  dans  le  tems 
qu'ils  étoient  les  Maîtres  de  la  Morée ,  ne  purent  jamais  réuffir 
non  plus  à  les  foumettre  aux  Loix  de  Venifc.  Ce  nom  mo- 
derne de  Mainotes  leur  a  été  donné  ,  d*un  mot  Grec  qui  fîg- 
nifie  Furie ,  parce  que  lorfqu  ils  vont  au  combat ,  ilsfe  jettent 
fur  Tennemi  avec  une  efpece  de  fureur.  Le  pays  que  les  Mai- 
notes  habitent ,  eft  tout  environne  de  montagnes ,  &  c*efl  ce 
qui  en  fait  la  force  (J?). 

Le  Gouvernement  d'Athènes  varia  plufieurs  fois.  Après    48.Athèn«eiie 
avoir  été  long-tems  fous  les  Rois  ,  puis  fous  les  Archontes  ,  mes  de  oouvcr-. 
cette  Ville  rendit  fon  Gouvernement  populaire.  Elle  vécut  diferfei  révoiu- 

*     *  rions   ,  jufqu'a* 

enfuite  fous  le  pouvoir  tyrannique  des  Pififlratides.  Sa  li-  "jJ*i^^cn%S! 
berté,  recouvrée  bientôt  après ,  fubfifta  avec  éclat  jufqu'à^*"'^**"'*'***^ 
réchcc  de  Sicile  &  à  la  prife  d'Athènes ,  par  les  Lacédémo- 
niens.  Ceux-ci  la  foumirent  aux  trente  tyrans  dont  Tautorité 
ne  fut  pas  de  longue  durée  ,  &  fît  encore  place  à  la  liberté. 

ici)  L'an  du  monde  5782  , avant  Notre-Scîgneur  223  ani* 
ih)  Voyez  rHiftoire  de  l'Empire  Ottoman  par  Cantimir ,  pag.  484  du  croifiémt 
Volume  de  la  Tradudlion  Françoife  »  imprimée  à  Paris  en  1745* 

Tome  I.  E  c 


2x8  SCIENCE 

Elle  s'y  conferva  au  milieu  de  divers  évcnemcns  ^  pendant 
une  aflez  longue  fuite  d'annccs  ,  jufqu  a  ce  que  Rome  eût 
enfin  fubjuguc  la  Grèce  &  Tcût  réduite  en  Province  Romaine. 

49.  Des  Roif     Athènes  ,  dans  fa  naiflance  9  eut  des  Rois  9  mais  des  Rois 

qui  nen  avoicnt  que  le  ne  m  &  qui  nctoient  pomt  ablolus  y 
comme  le  furent  les  premiers  Rois  de  Lacédémone  &  ceux 
de  Thèbes  (a).  Ils  ctoient  moins  les  Souverains  que  les  pre- 
miers Citoyens  de  TEcac.  Les  Magiflrats  ctoient  plutôt  leurs 
Collègues  que  leurs  Miniflrcs.  Ces  premiers  Rois  d'Athènes 
relTembloient  à  ceux  qui  long-tems  après  ^gouvernèrent  la 
Germanie  ,  &  dont  un  Hiftorien  célèbre  a  dit  qu'ils  avoient 
dans  le  Sénat  une  voix ,  plutôt  pour  confeiller  que  pour  com- 
mander ;  &  que  fi ,  de  leur  propre  autorité  ,  ils  terminoient 
de  petites  affaires  y  ils  confultoient  les  peuples  dans  les  gran- 
des (ù).  Toute  lapuiflance  des  Rois  d'Athènes  ,  prefque  ré- 
duite au  commandement  des  armées  pendant  la  guerre  ^  s  e- 
vanouiflbit  pendant  la  paix. 

On  comptoit  dix  Rois  à  Athènes  depuis  Cécrops  jufqu'à 
Théfée ,  &  fept  depuis  Théfée  jufqu'à  Codrus  qui  s'immola 
lui-même  pour  le  falut  de  la  patrie.  Ses  enfans ,  Médon  & 
u.'ilce,  fe  difputerent  le  Royaume.  Les  Athéniens  ,  fatigués 
d'une  gu.:ie  intefline ,  en  prirent  occafion  d'abolir  la  Royau* 
té  ,  &  déclarèrent  Jupiter  le  feul  Roi  d'Athènes  :  Théocra- 
cie  bien  chimérique  ! 

50.  De»  Ar.  -^  ï^  P^^c^  d^s  Rois ,  ils  Créèrent ,  fous  le  nom  d'Archon- 
tes ,  des  Gouverneurs  perpétuels.  Il  y  en  eut  treize  qui  rem- 
plirent fucceflivement  un  peu  plus  de   trois  fiéclcs(^),  à 

O)  Voyez  le  portrait  que  font  de  Théfte ,  Sophocle  dans  fon  Edipe  à  ColoBtf 
oc  Euripide  dans  fcs  Suppliantes, 
(i)  Taciî,  de  mgribus  Germançrum. 
ic)  li^aos. 


choucet. 


DU    GOUVERNEMENT.       21^ 

compter  depuis  Médon  jufqu'a  Alcméon.  Le  nom  d'Archonte 
étoit  affedé  au  Préfidtnt  ;  &  néanmoins  il  y  en  avoit  neuf 
dont  fix  étOitm3Lppel[é%Thefmo fêtes  ou  Légiflateurs.  Parmi 
les  trois  autres  ,  il  y  avoit  un  Roi ,  un  Préfident ,  &  un  Po- 
Icmarque.  ^ 

.  La  Magiftrature  perpétuelle  parut  encore  aux  Athéniens 
«ne  image  trop  vive  de  la  Royauté.  Pour  en  anncantir  juf- 
qu'à  l'ombre ,  ils  établirent  des  Archontes  décennaux.  Il  y 
çn  eut  ifept ,  dont  le  premier  fut  Charobes  y  Se  le  dernier 
Erix.    ' 

Ce  peuple  inquiet  &  volage  ne  fe  borna  pas  là.  Jl  ne  vou- 
lut que  des  Archontes  annuels  ,  afin  de  reffaifîr  plus  fouvenc 
Tautorité  fuprême,  qu  il  nc;^ransfcroit  qu'à  regret  à  fcs  Ma- 
giftrats.  Les  Archontes  annuels  dont  Oréon  fut  le  premier, 
gouvernèrent  long- tems  ;  mais  une  puiflance  litnitée  conte- 
noit  mal  des  efprits  fi  rémuans.  Les  fadiojnç,  les  brigues,  & 
les  cabales  renaifToient  tous  les  jours. 

Alors  le  peuple  jugéoit  de  tout  en  dernier  reffort.  L'Aréo-    ^i.DerAr^o- 
page ,  fondé  par  Cecrops  ou  par  Sojpn,  ce  Tribunal  Ci  ré-  xnbunaw'd'A! 
véré  dans  toute  la  Grèce  8c  fi  célèbre  par  fon  intégrité, qu'on 
difoit  que  les  Dieux  mêmes  avoieot  dftféré  à  fon  jugement, (ii), 
n'avoit  plus  d'autorité.  Les  Aréopagifles  n'écoutoient  les 
Avocats  que  dans  les  ténèbres ,  polir  avoir  une  attention 
plus  recueillie ,  8c  pour  fe  garantir  de  la  fédudion  des  talens 
extérieurs.  Il  y  a  fans  doute  beaucoup  à  rabattre  des  éloges  ^ 
qu'on  a  prodigués  à  ce  Tribunal ,  &  je  mets  ici  deux  grands 
exemples  de  fon  peu  de  pénétration.  1^.  Protagoras  étoit 
convenu  avec  Evathle  de  lui  enfeignef  la  Rhétorique  moyen- 

(a)  Quelques  Auteurs  prétendent  que  h  première  Çaufe  qui  fut  plaidee  dans 
TAréopage  fut  celle  du  Dieu  Mars  accufé-d*aroir  fuà  Neptune.  Qudques  autfes  i 

que  l'Aréopage  condamna  Mars  d'aduWrc.  .'..... 

E  e  ij 


210  S  C  î  E  N  C  È 

nant  une  fomme  qui  lui  feroit  payée ,  fi  fon  Difcîple  gagnoît 
fa  première  caufe.  Evathle  inftruit  refiifa  de  payer  fon  Maî- 
tre. Ce  Profefleur  les  pôurfuivit  devant  les  Arcopagiftcs ,  6c 
dit  à  fes  Juges  :  •  Tout  jugement  fera  décifif  pour  moi  , 
»  quand  il  feroit  di£lc  par  mon  adverfaire.  S'il  m'eft  favora- 
»  ble  9  il  portera  la  condamnation  d'Evathle.  S'il  m  eft  con- 
»  traire  ,  il  lui  fera  gagner  fa  première  caufe  &  le  rendra 
»  mon  débiteur  fuivant  notre  convention*  J'avoue  (  répoh- 
i>  dit  Evathle)  qu'on  prononcera  pour  ou  contre  moi  ;  maïs 
»  Tun  &  lautre  événement  m'acquitteront  envers  vous.  Si 
*  r  Aréopage  prononce  en  ma  faveur ,  il  vous  condamne.  S'il 
»  prononce  pour  vous  j  je  perds  ma  caufe,  &  je  ne  vous  dois 
»  rien  aux  termes  de  notre  convention  «.  L'Aréopage  ne 
put  déterminer  le  jugement  d'une  caufe  qui  lui  parut  trop 
difficile  (a).  2^»  Une  femme  avoit  fait  mourir  Ion  mari  8c  le 
fils  de  fon  mari  ,  coupables  du  meurtre  d'un  fils  qu'elle 
avoit  eu  d'un  premier  mariage.  Elle  fut  accufée  devant 
l'Aréopage.  Les  Aréopagiftes  ne  purent  fe  réfoudre  à  la 
condamner,  à  Caufe  de  la  jufte  douleur  qui  avoit  excité  fa 
vengeance  ,  ni  à  l'abfQudre ,  à  caufe  de  Tatrocité  de  fes  cri- 
mes. Ils  ajournèrent  les  Parties  à  comparoître  dans  cent 
ans  (^). 

On  comptoit  à  Athènes  dix  autres  Tribunaux ,  quatre 
pour  les  matières  criminelles  ,  fix  pour  les  affaires  civiles. 
Les  Juges  étoicnt  éleftifs  &  étoieht  appelles  au  foin  de  ren- 
dre la  juftice  aux  particuliers  ,  ou  par  le  fort ,  ou  par  l'élé- 
vation de  la  main ,  ou  enfin  par  le  fcrutin  ,  à  la  pluralité  des 
bulletins.  Ces  Juges  étoient  tous  pris  dans  le  nombre  d« 

<a)  AulugeU,  no9.  att.Zib.  5.  Cap.  10, 
Çb)yaLMafc.Lib.  s.Cag.i. 


D  U    G  O  U  V.  E  R  N  E  M  E  N  T.       221 

aîfés ,  ainfi  que  Solon  Tavoic  ordonné  par  une  Loi  fpéciale  ; 
&  ceux  dont  k  tête  feule  pouvoit  répondre  de  leurs  ac- 
tions ,  n'avoient  aucune^  part  aux  affaires.  Pour  mieux  atta- 
cher à  leur  devoir  ceux  qui  étoient  élus ,  on  vouloit  qu'outre 
des  biens  fonds  dans  Tattique ,  ils  euffent  des  enfans  ou  qu'ils 
promiffent  de  fe  marier. 

Athènes  demeura  ainfi  long-tems  hors  d  ecat  d'étendre  fâ  ^t ,  cncon , 
domination  ;  trop  heureufe  de  fe  cônferver  au  milieu  des  dif-  thcn».  ^ 
fenfions  qui  la  déchiroient.  Comme  les  Athéniens  n'avoicnt 
point  d'ennemis  au  dehors ,  la  liberté  mal  entendue  leur  en 
fufcitoit  au  dedans.  Ils  fe  déterminèrent  à  changer  la  forme 
de  leur  Gouvernement.  Ils  crurent  que  des  Loix  écrites  fc- 
roicnt  plus  refpedées  que  la  voix  des  hommes.  Dracon  (a) 
fut  leur  Légiflateur.  Ses  Loix  furent  fi  févéres ,  que  Démades 
en  prit  occafion  de  dire  qu'elles  avoient  été  écrites  j  non  avec 
de  l'encre ,  mais  avec  du  fang  (^).  Elles  étoient  en  effet  fi  peu 
mefurées  j  que  la  plus  légère  faute  y  étoit  punie  de  mort  com- 
me le  plus  énorme  forfait.  Un  homme  convaincu  de  vivre 
dans  l'oifîvcté ,  ou  d'avoir  dérobé  quelques  légumes  ,  avoir  le 
même  fort  qu'un  brigand  ou  qu'uni  voleur  de  grand  chemin. 

La  fin  de  ce  Légiflateur  fiit  tragique  ,  mais  glorieufe-  Un 
jour  qu'il  parut  fur  le  théâtre  9  il  fut  reçu  aux  acclamations  du 
peuple  qui ,  pour  lui  marquer  fonrefpedl ,  félon  l'ufagc  de  ce 
tems-là ,  lui  jetta  de  toutes  parts  une  fi  grande  quantité  de 
robes  &  de  bonnets ,  qu'il  fut  renverfé  &  fuffoqué  fous  ce 
grand  nombre  de  vêtemens. 

Les  Loix  de  Dracon  eurent  le  fort  des  chofes  violentes , 

le  non-ufage  les  abrogea  bien  vite  ^  elles  ne  durèrent  que 

(a)  Qui  vivoit  Tan  ^24  avant  FEre  ChrédeoBe  1  Tcrs  te  trcnce-ncuvi^me  OI70H 
piade* 
(i)  PlutMT.  in  Scknc 


222  SCIENCE 

vingt-fix  ans.  On  voulut  non  pas  rompre  ^  maïs  relâcher  le 
frein  de  la  crainte  ;  &  pour  trouver  les  adouciflcmens  qui 
rêvaient  bien  à  la  Loi  ce  qu  elles  lui  coûtent ,  on  jetta  les 
yeux  fur  un  des  plus  vertueux  hommes  de  fon  ficelé. 
%%.  soion  u-  Solon ,  Tun  desfept  Sages  de  la  Grèce  (4)  ,  s'croit  aban- 
p  ^atcur  i  c-  ^^^^^  j^^^  £^  jcunefle  au  luxe,  à  Tintcmpcrance  ,  &  à  toutes 
les  pafiTions  de  cet  âge  ;  mais  Tamour  des  fcicnçes  l'en  guérit 
Il  s'appliqua  à  Tétude  de  la  morale  &:  de  la  politique,  8c  ces 
connoiffances  eurent  pour  lui  des  charmes  qui  le  dégoûtèrent 
bientôt  d'une  vie  déréglée.  Il  forma  le  deflein  de  fécourir  fa 
patrie  &  communiqua  fcs  vues  à  Pififtrate  qui  defcendoit  de 
Cccrops  y  comme  Solon  defcendoit  de  Codrus. 

Les  Athéniens  h  choifirent  pour  chef  d'une  expédition 
contre  les  Mcgaricns ,  qui  s'étoient  emparés  de  Tifle  de  Sa- 
lamine.  Il  fit  armer  cinq  cens  hommes  ,  débarqua  dans  Tifle, 
prit  la  ville ,  &  en  chaffa  les  ennemis.  Ils  s  opiniâtrerent  à 
foûtcnir  leurs  prétentions  ^  &  eurent  recours  aux  Lacédé- 
moniens  qu'ils  firent  Juge  s  du  différend.  Solon  plaida  la  caufe 
commune  &  la  gagna»  Les  Athéniens,  dont  il  vcnoît,  par 
ces  deux  avions,  de  fe  concilier  la  bienveillance  ,  le  prefle- 
rcnt  d'accepter  la  Royauté  ,  mais  il  la  refufa.  Il  fe  contenta 
de  la  digniré d'Archonte,  &  fut  autorifé  à  régler,  comme  il 
le  jugeroit  à  propos  ,  les  aflcmblces  ,  les  contributions,  les 
jugemens ,  les  tribunaux ,  &  tout  ce  qui  lui  paroîtroit  le  plus 
néccflaire  &  le  plus  utile  à  la  conftitution  de  l'Etat. 
U'  «)ion  hît  L'une  des  caufes  des  troubles^  c'étoit  la  richeffe  exceffive 
r«?&'nVve«  des  uns  &la  pauvreté  extrême  des  autres.  Cette  trop  grande 
ajformais  crnga-  incffalitc  ,  nuiublc  dans  tous  les  Etats ,  &  étonnante  dans  un 

f  :r  là  liberté  en  ^  ^ 

(rmpruotam, 

(a)  Il  naquit  à  Athènes  la  fcconde  année  de  la  trcnte-cîn^ui^me  Olympiade  g 
6i^  ani  avant  Jefus-Ciinll. 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      223 

Çouvc^nement  populaire  ,  caufoic  des  difcordcs  éternelles  à 
Athènes ,  comme  elle  en  produifît  dans  la  fuite  à  Rome.  Pour 
diminuer  les  maux  publics  ,  Soloti  après  avoir  remis  toutes 
lesfommes  qui  lui  ctoienc  dues,  fît  acquiter  les  dettes,  affran- 
chit les  efclaves  qui  lui  appartenoient ,  &  ne  voulut  pas  qu  il 
fut  déformais  permis  d'engager  fa  liberté  en  empruntant.         jy.nfupprjme 

Une  autre  fource  des  maux  des  Athéniens,  cetoit  la  mul-  e"n^&enf^^"^ 
tiplicité  des  loix,  Solon  rejetta  toutes  celles  qui  ne  fervoient  *^"'^*'""" 
.qu'à  exercer  le  génie  fubtil  des  Sophiftes  &  la  fcience  des 
Jurifconlultes  ,  il  n'en  réferva  qu'un  petit  nombre  qui  ctoicnt 
fimples  ,  courtes ,  &  claires. 

Il  fixa  des  termes  pour  finir  les  procès  ,  &  ordonna  des 
punitions  rigoureufes  &  deshonorantes  pour  Içs  Magiftrats 
qui  étendroient  les  conteftations  au-delà  des  tems  prefcrits. 

Il  abolit  enfin  les  Loix  trop  fcvércs  de  Dracon ,  qui  pu- 
nifToientles  moindres  foiblefTes  comme  les  plus  grands  cri-, 
mes  ;  proporticnni  les  punitions  aux  fautes  ;  &  ne  flatua 
aucune  peine  contre  les  parricides ,  perfuadc  que  la  nature  ne 
produit  pas  de  tels  monflres. 

Il  ne  voulut  pas ,  comme  Lycurgue, que  les  cnfans  fuflent    ^6.  npourroit 
élevés  dans  l'ignorance.  Il  ordonna  -qu'ils  s'appliquafTent  à  cnf«^r'*°° 
toutes  les  fciences  fpéculatives  qui  fervent  &  à  exercer  &  à 
former  l'efprit  pendant  la  tendre  jeunefTe ,  afin  que ,  dans 
un  âge  plus  mûr  ,  ils  étudiafTent  les  Loix ,  l'hiftoire ,  la  poli- 
tique ,  pour  connoître  les  révolutions  des  Empires ,  les  cali- 
fes de  leurs  établiffemens  ,  &  les  raifons  de  leur  décadence. 
Il  ordonna  à  l'Aréopage  de  veiller  à  cette  éducation  des  ' 
enfans. 

Le  goût  effréné  des  Athéniens  pour  le  plaifir  demandoit    jf.iifaitferrîr 
4cs  amufemens  &  des  fpeûaclcs,  5olon  fentit  qu'il  ne  pou-  nnfim^ioïi  to 


224  SCIENCE 

voit  conduire  ces  âmes  indociles ,  qu  en  faîfant  fervîr  â  la 
politique  le  penchant  qu  ils  avoient  aux  plaifirs  9  afin  de  les 
captiver  &Jde  les  inftruire.  Il  leur  fit  repréfenter  dans  ces 
fpeâacles  les  fiineftes  fuites  de  leur  défunion  8c  de  tous  les 
vices  ennemis  de  lafocicté.  On  jouoit  fur  le  théâtre  ce  que  la 
Grèce  avoir  de  plus  grand  &  de  plus  vertueux  ^  avec  la  mê- 
me liberté  qu'on  jouoit  le  citoyen  le  plus  brouillon  &  le  plus 
féditieux.  Généraux,  Magiftrats,  Gouverneurs  ,  Dieux  mê- 
mes, tout  étoit  livré  à  la  verve  fatyrique  des  Poètes  (a). 
Les  Athéniens ,  affemblcs  dans  un  même  lieu ,  paflbient  ainfî 
des  heures  entières  à  entendre  blâmer  leurs  propres  vices  y 
&  ils  auroient  été  choqués  de  préceptes  &  de  maximes.  Il 
falloit  les  éclairer,  les  réunir ,  &  les  corriger  ,  en  paroiflant 
vouloir  Amplement  les  amufcr. 
5«.iivtvoyi.      Les  uns  blâmoient  les  Reglemens  de  Solon  ,  les  autres 

5er  ;  &  de  rcBOur  ^ 

f/b^rnc'à^rtfi"  fcigi^<>i^nt  de  ne  les  pas  entendre.  Quelques-uns  vouloient  y 

^%^,*';jj'^f"g  ajouter  ,  d'autres  vouloient  en  retrancher.  Solon,  qui  ne 
^^^*  •  pouvoit  pas  réformer  lé  génie  du  peuple ,  &  qui  n  avoit  pas 
l'autorité  de  faire  exécuter  les  Loix  qu'il  lui  avoit  données  ^ 
alla  annoncer  à  Pififlrate  qu'il  fe  retiroit  pour  dix  ans.  Il  le 
pria  de  prendre  les  rênes  du  Gouvernement ,  de  tâcher  de 
faire  exécuter  fes  Loix  pendant  fon  abfence ,  de  ne  pas  pren- 
dre le  nom  de  Roi ,  de  fe  contenter  de  celui  d' Archonte. 
Solon  fe  retira  en  effet ,  8c  alla  voyager  en  Egypte  &  en 
Afie. 

Pififlrate  ne  fuivit  pas  le  confeil  de  Solon  ,  il  s'attribua  la 
Souveraine  puiffance ,  &  abolît  l'ancien  Gouvernement.  Trois 
fois  il  monta  fur  le  trône ,  &  trois  fois  il  en  fut  chaflTé.  Il  s'y 

(a)  Ariftophane  9  dans  fes  Comédies ,  reproche  partout  aux]  Athéniens  leurs 
^  défauts  ,  &  il  attaque  diiedement  les  premières  têtes  de  l'Etat.  Jamais  les  Dieux 
n'ont  ^té  traites  avec  moins  de  refpeél  ^ue  dans  les  Comédies  de  ce  Poëte. 

rétablit. 


DU    GOUVERNEMENT.      225 

rétablît.  Son  adreffe  &  fon  courage  Ty  élevèrent,  fa  douceur 
&  fa  modération  Ty  maintinrerxt  après  plufieurs  revers.  Son 
Gouvernement ,  qu  il  fçut  conferver  trente  ans  durant ,  au 
milieu  de  toutes  ces  vlciffitudes-,  fit  honte  à  plus  d  un  Sou- 
verain légitime  >  mais  les  Athéniens  firent  éclater  leur  fuyeur 
contre  la  poftérité  de  Pififtrate.  Il  en  coûta  la  vie  à  Hyppar- 
que  fon  fils  &  fon  fuccefleur  ;  &  Hippias  fon  autre  fils  fut 
chafle  dAchcnes.  Les  refies  de  la  famille  de  Tufurpateur 
n'eurent  pas  un  fort  plus  heureux. 

Solon ,  de  retour  dans  fes  voyages ,  fixa  fa  demeure  fur  la 
colline  de  Mars  où  fe  tenoit  le  fameux  Confeil  de  l'Aréo- 
page ,  près  du  tombeau  des  Amazones.  Il  ne  fe  mêla  plus 
du  Gouvernement ,  &  fe  contenta  de  préfider  à  l'Aréopage 
&  d'expliquer  fes  Loix  ,  lorfqu'il  s'élevoit  quelque  difpute. 

Les  Athéniens  tiroient  tous  les  ans  au  fort  cinq  cens  Se-  ^Jçl^^^^^^ 
nateurs  ,  c'eft-à-dire  cinquante  dans  chacune  des  dix  Tribus  d^i^d^^r^î 
qui  compofoient  la  République.  Tour  à  tour  chaque  Tribu  ^^**"' 
avoit  la  préféance  &  la  cédoit  aux  autres.  Les  cinquante  Sé« 
nateurs  en  fonûion  fe  nommoient  Pry/^»^^.  De -là  le  terme 
de  Trytanée  employé  pour  fignifier  le  lieu  où  les  Prytânes 
avoient  coutume  de  s'afTembler.  De-là  aufli  le  terme  de  Pry^ 
unie^  pour  défigner  les  trente-cinq  outrente-fix  jours  qu'ils 
étoient  en  exercice.  Dans  cet  efpace  de  tems  ,  dix  d'entre 
les  cinquante  Frytânes  préfidoicnt  alternativement  par  fe- 
maine  fous  le  nom  de  Pro'édres^  Chacun  d'eux  avoit  fon  jour, 
&  celui  à  qui  la  Préfidence  étoic  échue  ,  s'appelloit  Epifiatr. 
On  ne  pouvoit  l'être  qu'une  fois  en  fa  vie ,  de  crainte  qu'on 
ne  prît  trop  de  goût  à  commander.  Les  Sénateurs  des  autres 
Tribus  avoient  cependant  le  droit  d*opiner  félon  le  rang  qui 
^voit  été  réglé  par  le  fort.  G  étoit  aux  Prytânes  à  convoquer 
Tomcl.  Ff 


a2(f  SGI  E  N  C  E 

râflemblée  ;  aux  Vrotires  ,  à  en  expofer  le  fujet  ;  &  à  T^-; 
fifititc ,  à  aller  aux  voix  &  à  prononcer  fuivant  la  pluralité 
desfuffrages. 
éo.Arembiées      Lcs  affemblces  du  peuple  fe  tenoîent  de  grand  matin  • 

du  peuple  oïl  réfl- 

dott  la  souurai- tantôt  dans  la  place  publique  ,  quelquefois  au  théâtre  de 
Bacchus  5  &  le  plus  fouvent  dans  un  endroit  d'Athènes  oit 
étoient  difpofés  grand  nombre  dé  fiéges.  De  ces  affemblces  ^ 
les  unes  étoient  ordinaires  &  fixées  à  de  certains  jours ,  fans 
convocation  ;  d'autres ,  extraordinaires  félon  les  bcfoins  ,  ^ 
le  peuple  étoit  averti  de  celles-ci. 

Cctoient  les  Pry tanes  qui ,  pour  Tordinaire ,  affembloîent 
le  peuple.  Quelques  jours  avant  Taffemblée  ,  on  affichoit  des 
placards  ,  où  le  fujet  fur  lequel  on  de  voit  délibérer  étoip 
marqué. 

On  avoit  foin  d'écrire  fur  un  Regiftte  le  nom  de  tous  les 
Citoyens  à  qui  la  Loi  accordoit  voix  délibérative.  Ils  Ta^ 
voient  tous  après  l'âge  de  puberté ,  à  moins  qu'un  défaut 
perfonnel  ne  les  en  exclût.  Tels  étoient  les  mauvais  fils  ^  le*' 
poltrons  déclares  ,  les  brutaux  qui ,  dans  la  débauche ,  sVm^ 
ponoient  jufqu'à  oublier  leur  fexe ,  les  prodigues ,  les  dél»-' 
teurs  du  fifc. 

Comme  l'on  refufojt  d'admettre  dans  Taffemblée  \q%  Ci-^ 
toyens  qui  n'avolent  point  atteint  lage  néceffairepour  y 
entrer  j  auffi  forçoit-on  tous  les  autres  d'y  aller.  Les  LexUr^ 
qucs^  avec  une  corde  teinte  d'écarlate  qu'il  avoîênt  tendue^ 
pouffoicnt  le  peuple  vers  le  lieu  de  l'affemblée  ;  &  quiconque^ 
paroiffoit  avoir  quelque  grain  de  cette  teinture ,  portoir,  pouf 
ainfîdire,  des  livrées  de  pareffe  qu'il  payoit  d'une  amende  f 
au  lieu  que  l'on  récompenfoît  de  trois  oboles  l'exaftitudc  ft 
ladiligencev 


DU    G  O  tr  V  E  Tl  N  E  M  E  N  T.      127 

4,*^flemblée  cdmmençoît  toujours  ^par  des  facrifices&par  deft 
prïeres  ,  «fin  d'obtenir  desDioux  les  lumières  néceffaires  pour 
délibérer  fagement;  &  Ton  nemanquoit  pas  d'y  joindre  cette 
imprécation  :  F4ri^t  niàuiït  ie  DiiU  avec  fa  raccj  qtêi$09^$ie 
ggîTA  y  férUfét ,  êUfenfem  contre  U  République. 
*  'La  cérémonie  achevée  ,  les  Proédres  expofoient  au  peuple 
le  Xujet  pour  lequel  on  Tâffembloit ,  ils  lui  rapportoient  P avis 
du  Sénat,  &  en  demandoient  la  ratification  ,  la  réforme  ,^u 
Timprobation,  Si  le  peuple  ne  Tapprouvoit  pas  for  l*heure  y 
on  Héraut  côtiimis  par  l'Epiftate  s'écràoit  à  haute  voix  :  Quel 
Citêjen  au^dejfus  de  cinquâute  dus  veut  fârler  ?  Le  plus  anci^i 
Orateur  montoit  alors  dans  la  Tribune ,  lieu  élevé  d'où  l'oa 
pouvoit  fe  faire  mieux  entendre^  Chacun ,  à  la  fin  des  haran- 
gues y  opinoitde  ta  main  qu'il  étèndoit  en  forme  de  fignal , 
vers  l'Orateur  dont  l'avis  lui  plaifoit  davantage.  On  dreflbit 
le  décret  après  avoir  recueilli  les  fuffrages  ;  &  on  Tintituloît 
du  nom  ou  de  l'Orateur  ou  du  Sénateur  dont  l'opinion  avolc 
prévalu  &  dont  la  Tribu  étoit  en  tour  de  préfider* 

Toutes  les  grandes  afFaifes  de  la  République  fe  difcutoîeni 
dans  ces  affemblées  du  peuple.  Ceft-là  qu'on  réformoit  les 
anciennes  Loix  &  qu'on  en  portoit  de  nouvelles  ;  on  y  exa- 
minoit  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  Religion  &  au  culte  des 
Dieux  j  on  y  créoit ,  les  Magiftràts  ,  les  Commandans  ;  on 
leur  faifoit  rendre  compte  de  leur  adminiftratioh  ;  on  con* 
cluoît  la  paix  &  la  guerre  ;  on  nommbit  les  Ambà{radeurs& 
les  Députés;  on  ratiiioit  les  X^^ités;  on  accordoit  le  droit 
de  Bourgeoifie  ;  on  ordonnoit  des  récompenfes  &  dès  mar- 
ques de  diftinSion  ,  pour  ceux  qui  s'étoient  fignalcs  à  la 
guerre  ou  qui  avoient  rendus  de  grands  fervicés  à  la  Répu- 
blique ;  on  banniffoit  par  roftracifine  j  &  Fon  décernoit  auffi 

Ffij 


nés  étoit  vicieux. 


228  SCIENCE 

des  peines  contre  ceux  qui  s'étoient  mal  comportés  ou  quE 
avoient  violé  les  Loix.  Enfin  ^  on  y  rendoic  des  jugemen» 
fur  les  affaires  les  plus  importantes. 

Ces  alTemblées  où  9  comme  Ton  voit  y  réfîdoit  la  Souveraî-; 
neté ,  étoient  fort  nombreufes.  Il  falloir  qu'elles  fiiflent  au 
moins  de  fix  mille  Citoyens  ^  foit  qu'il  s'agît  d'appliquer  à  un 
Athénien  la  peine  de  YOfiragifmey  ou  d'adopter  un  étranger 
pour  Citoyen ,  foit  qu'on  voulût  former  un  Décret  &  lui  doQ<« 
ner  force  de  Loi. 
n!meî;i\Kè-  La  plupart  des  gens  ne  parlent  du  Gouvernement  d'A-^ 
thènes  qu'avec  une  forte  de  vénération.  L'eftime  qu'on  en 
fait  y  eft-clle  raifonnable ,  ou  n'efl-elle  qu'un  préjugé  ? 

Le  peuple  Athénien  étoit  peuple ,  &  dès-là  fujet  à  tous  les 
yices  populaires.  Tantôt  la  crainte  de  perdre  une  liberté 
précieufe ,  un  péril  extrême  j  la  néceflîté  de  fe  défendre  ^  Se 
les  grands  exemples  de  vertu  que  donnoient  quelques  Ci* 
toyens  d'un  mérite  fupérieur  9  infpiroient  aux  Grecs  les  fcn^ 
timens  les  plus  élevés  t  &  en  faifoient  autant  de  Héros.  Tan* 
tôt  abandonnés  à  eux-mêmes  dans  l'oiliveté  de  la  paix  8c 
dans  la  liberté  de  tout  ofer ,  on  les  voyoit  commettre  les  plus 
criantes  injuftices  &  fe  livrer  à  tous  les  vices.  Nefoyons  donc 
pas  n  éblouis  par  les  batailles  de  Marathon  8c  de  Salamine  ^ 
par  la  pompe  des  fpeâacles  >  par  la  magnificence  des  édifices 
publics  9  que  nous  perdions  de  vue  la  licence  des  affemblées 
dçs  Grecs ,  les  faâions  qui  les  divifoient ,  les  féditions  qui 
les  agitoient  y  les  citoyens  ilhjflres  qu'ils  condamnoient  à  la 
mprr  au  gré  d'un  harangueur  faâieux  j  injufle  &  infolent. 

Les  Athéniens  avoient  un  goût  déméfuré  pour  la  liberté 
pal  entendue ,  pour  le  luxe  >  &pour  lesplaiiirs  ^  8c  ils  étoienc 
frpQipés  par   des  citoyens  ambitieuxt  Le$  délibérations 


DU    GOUVERNEMENT.      22^ 

écoîent  le  fruit  des  brigues;  Tavarice  &  Tintérêt  faifoient 
fervir  la  politique  à  leurs  fins  ;  les  finances  étoient  maladmî* 
niftreés  ;  Its  alliés  peu  ménagés ,  les  bons  Qtoyens  facrifiés , 
&  les  mauvais  élevés  aux  honneurs  de  la  Republique.  L*a- 
chamement  aux  procès  emportoit  toute  l'attention  au-dedans; 
fc  Ton  faifoit  au-dehors  la  guerre  avec  plus  de  témérité  &  de 
bonheur ,  que  de  fageffe  8c  de  précaution.  L'amour  de  la 
nouveauté  &  du  changement  décidoît  des  loix  parmi  les 
Athéniens  y  comme  il  décide  des  modes  parmi  nous  (a).  La 
République  ne  fe  foûtenoit  que  par  la  difcorde  éternelle  qui 
régnoit  entre  ceux  qui  manioient  les  affaires  (h)  :  contrepoids 
unique  qui  faifoit  trouver  le  remède  au  mal ,  8c  dont  le  mo- 
bile étoit  réloquence  ou  la  comédie  (r).  Le  peuple  d'Athènes 
étoit  oifif  &  curieux  ^  nouvellifte  empreffé ,  apolitique  déci- 
fif.  Ceft  de  la  forme  de  fon  Gouvernement  qu'il  tenoit  ces 
défauts.  Théophrafte  fait  un  portrait  fort  naif ,  lorfqu'il  dit 
que  l'un  laiflbit  voler  fes  habits  dans  le  bain ,  pendant  qu'il 
s  amufoit  à  débiter  des  nouvelles  aux  paflTans  qu  il  arrctoit  ; 
8c  que  l'autre ,  le  jour  même  qu'il  avoit  pris  une  ville  par  fes 
beaux  difcours  ,  n'avoit  pas  de  quoi  diner.  »  Vous  n'allez 
»  pas  plus  loin  (  dit  à  ce  peuple  l'Orateur  Athénien  )  que  la 
p  place  publique,  pour  vous  demander  les  uns  aux  autres  ; 
»  Que  dit-on  de  nouveau  ?  Que  peut-on  vous  apprendre  de  plus 
»  nouveau  que  ce  que  vous  voyez  f  Un  homme  de  Macédoine 
»  fe  rend  maître  des  Athéniens  &  fait  la  Loi  à  toute  la  Grèce. 
»  Philippe  ofi  mort  (  dit  l'un  )  :  »i?»  (  dit  l'autre  )  :  ilneft  que 

(a)  Voyez  les  Comédies  d*Ariftophane  »  qui  reproche  aux  Athéniens  cous  cet 
défauts. 

ijti)  Ceft  ce  que  die  Mélancfaius  dans  Plutarque  »  Ttaïti  de  la  manitre  de  liro 
les  Poètes. 

(c)  Vojez  ks  Harangues  de  Démofthènet 


^30  S  C  I  Ê  N  C  E 

»  maUie.  Eh1  que  vous  importe  qu'il  tîve  OU  qu'il  Meure  t 

»  Quand  les  Dieux  vousauroient  délivré  de  Philippe,  votre 

*  nonchalance  vous  en  auroit  bientôt  donné  un  autre  (4).  « 

*  ê%.  DesSaseï  '  On  trouve  dans  Thiftoire  des  Grecs,  ces  fept  perfonnages 

^  im%^cmé  contemporains  nommés  les  fept  Sages  ,  Thaïes  de  Milet  5 

pîflofrphes Hi-  Pittacus  de  Mitylène;  Bias  de  Prienne;  Solon  d* Athènes; 

tiques»  &  de  quel- 

quel  autres  ou  ciéoBule  dc  Lindc  ;  Milon  de  Chenville  ;  &  Chilon  de  La- 

Légiflateurs     ou  '  ' 

umêixii  Grées,  cédémonc  (i).  Si  Ton  en  excepte  Thaïes ,  tous  les  autres  ont 
gouverné  les  Etats  où  ils  vivoicnt.  Le  nom  dé  Sage  figni- 
fiôit  parmi  les  Grecs  à  peu  prés  ce  que  fignifie  le  nom  de 
Sçavant  &  d'homme  de  Lettres  parmi  nous.  Pyihagore  ^ 
difciple  de  Thaïes ,  qui  forma  dc  grandsLégiflatcurs , trou- 
va le  titre  de  Sage  trop  fuberbe  &  s'appella  Philofophe  ou 
amateur  de  la  fageflc ,  pour  donner  à  entendre  qu'il  ne  fe 
vantoit  pas  de  pofTéder  la  fagefTe ,  mais  qu'il  afpiroit  (Impie* 
ment  à  fa  pofleffion.  Au  reftc ,  les  fentences  des  fept  Sages 
tant  admirées ,  ne  renferment ,  à  en  juger  fans  prévention 
pour  l'antiquité ,  que  des  préceptes  affez  vulgaires  ;  &  la 
Grèce  n'eut  jamais  dc  plus  terribles  tyrans ,  que  ceux  d'entre 
ces  prétendus  Sages  qui  furent  élevés  à  l'autorité  Souveraine^ 
Dans  cette  même  hiftoire  des  Grecs ,  on  voit  aufli  Platon^ 
Ariftote ,  Xénophon  ,  Héràclide  de  Pont  ,  Théophraftc  ^ 
Dicéarque  ,  Plucarque ,  Polybc  ,  &  quelques  autres  Philo- 
sophes politiques  s'appliquer  à  connoîcre  6r  à  dévelop- 
per les  caufes  de  la  confcrvatîon  8c  de  la  ruine  des  Etats ,  en 
examiner  les  formes ,  le$  comparer ,  &  donner  ,  pour  le 
tems ,  d'affez  bons  préceptes  de  Gouvernement. 

(«)  DemofUi.  Philip.  I. 

th)  La  Grèce  n*a  jamais  compté  que  fept  Sages  par  excellence  »  mail  leur'  aosis 
▼arient  dans  les  Livres.  Les  quatre  premiers  que  je  nomme  ici  >  Tonc  admis  pat 
%o\xi  les  Ecrivains  ;  mais  à  la  place  des  trois  autres  ,  quelqueMim  meucoc  PbàT^ 
pyde^ouie  Scythe  Axucharfis ,  ou  Epimeoidc  »  QuPififtratc* 


1 


DU    G  O  U  V  É  R  N  E  M  Ê  JSî  t.      ij  j 

ïhaleas  ,  Phidon  ,  Hypoman  ^  Onôttiacrîtiis  ^  Phiîolas  y 
Dioclès ,  Pîttacus ,  Androdamas  y  &  beaucoup  <l'autres  ,  ou 
Légîflateurs  ou  Auteurs  (d) ,  ont  écrit  quelque  chofc  du 
Gouvernement  >  même  avant  Arîftotif  ^  mais  leurs  Ecrits  font 
perdus ,  &  les  noms  de  quelques-uns  de  ces  Auteurs  ont  à 
peine  échapc  à  Toubli. 

Dans  ladolefcence  dé  la^ Grèce ,  les  citoyens  fe  multiplié-  «,. «^terni- 
rent à  un  tel  point ,  qu'il  leur  fallut  chercher  d^autres  habita-  TcGié^e!'  *'*^ 
lions.  On  envoya  des  colonies  dans  les  terres  étrangères  , 
mais  furtout  en  Italie ,  à  Tarente  ,  à  Brindes  ,  à  Naplcs ,  à 
Rhégio,  à  Crotone,à  Sybaris,  &  entant  d'autres  endroits, 
que  toute  cette  côte  qui  s'étend  depuis  l'extrémité  de  la  Ca- 
labre  jufqu'à  la  Campagnie,  fut  appelle  la  grande  Grèce. 
L^Hiflorien  le  mieux  inftruit  (^)  rapporte  qu  on  adopta  dans 
la  grande  Grèce  la  forme  du  Gouvernement  des  Achéens  , 
&  que  les  Crotoniates ,  les  Sybarites  ,  &:  les  Cauloniates  fe 
confédércrent,  comme  les  Achéens  s'étoient  unis  ,  Scfuivi- 
tent  les  mêmes  loix. 

Trois  Etats  confidérables  fe  formèrent  dans  la  grande*  g^,  $ctpnncu 
Grèce.  Leurs  villes  capitales  étoient  Crotone,  Sybaris  ,  t^nt  /  sybiSî^ 
Thurium. 

La  ville  de  Crotone  fut  fondée  par  Myfcellus,  chef  des' 
Achéens  (c)  i  qui  étant  allé  à  Delphes  pour  coniulter  TOra-' 
cle  d'Apollon  fur  le  lieu  où  il  bâtiroit  fa  Ville,  &  y  trouva' 
Archias  le  Corinthien  qu'un  pareil  defTein  y  avoir  amené. 
Le  Dieu  les  écouta  favorablement,  8z  après  les  avoir  déter- 
minés ,  il  leur  propofa  difFcrens  avantages  ,  &  leur  laifTa  en- 
ta) Voyez  le  commencement  de  la  première  Seftioa  de  ce  Chapitre. 

(^)  Poljb.  lïL  2.  tip.  39  F'  '7^-  ,       .   .^  ^  o     1.        u  4 

(f)  L'an  du  monde  jipj  ,  &  70P  ans  avant  Jefus-Chnll  ;  YOy W  StraDOû ,  UT# 
4*  Denis  d'Halicarnaire ,  Antiquités  RonuûaA ,  Liv*  2. 


131  SCIENCE 

tr'autres  le  choix  des  richefles  ou  de  la  fanté.  Les  richeflês 
touchèrent  Archias;  Myfcellus  demanda  la  fanté;  &  fi  Ton 
en  croit  Thiftoire ,  Apollon  fut  favorable  à  tous  les  deux*. 
Archias  fonda  Syracufe  qui  devint  en  peu  de  tems  la  plus 
opulente  ville  de  la  Sicile,  Myfcellus  fonda  Crotone  ,  fi  fa- 
meufe  par  la  longue  vie  6c  parla  force  naturelle  defeshabU 
tans ,  qu'elle  avoit  pafTé  en  proverbe  ,  pour  fignifier  un  lieu 
où  Pair  étoit  d'une  extrême  pureté.   Au  rapport  de  Jufr 
tin  (  4  ) ,  Py thagore  ne  fiit  pas  plutôt  arrivé  à  Crotone  ^ 
qu'il   en  chaffa  le  luxe  ,  &   qu'il  engagea  les  femmes  à 
quitter  leurs  habits  magnifiques  &  à  les  confacrer  à  Ju« 
non  ,  en  leur  perfuadant  que  la  pudeur  étoit  le  plus  précieux 
ornement  des  perfonnes  du  fexe.  Cette  ville  fe  fignala  par 
un  grand  nombre  de  viûoires  dans  les  Jeux  de  la  Grèce.  De 
larges  épaules  &  de  longs  bras  nerveux  faifoient  toute  la 
gloire  des  habitansde  Crotone.  Celui  qui  terrafToit  un  bœuf, 
y  méritoit  un  triomphe ,  &  l'on  ne  Taccordoit  que  pour  les 
preuves  d'une  force  rare.  La  délicatefle  des  mets  étoit  dé^ 
daignée  par  des  hommes  qui  fe  vantoient  de  dévorer  un  mou- 
ton dans  un  repas.  On  ne  cherchoit  ni  à  plaire  par  des  pa-j 
rures  étudiées  ^  ni  à  perfuader  par  les  grâces  d'une  douce  élo* 
quence  chez  un  peuple  où  la  force  corporelle  tenoit  lieu  de 
beauté  &  de  raifon.  Un  Crotaniate  ,  qui  avoit  une  vafle  poi« 
trine  ,  eût  infulté  à  tous  les  Héros  de  la  Grèce. 

5ybaris  étoit  fituée  à  dix  lieues  de  Crotone  &  avoit  été 
fondée  auffi  par  les  Achéens ,  même  avant  Crotone  {h).  Cette 
ville  9  dans  la  fuite  ^  devint  fon  puiffante.  Elle  avoit  fous  fa 
dépendance  quatre  peuples  voifins  &  vingt-cinq  villes  ,  8c 

(a)  Liv.40.ClL4. 

i})  Ssrahn.  Lit.  6*  AtkiihW./My 

die 


DU    GOUVERNEMENT,     ijj 

elle  pouvoît  die  feule  mettre  fur  pied  trois  cent  mille  homr- 
mes.  Cette  opulence  fut  bientôt  fuivie  d*un  luxe  &  d*un  dé- 
règlement extrêmes* 

Lorfqu'on  nous  parle  des  excès  de  Sybaris ,  ils  nous  pa- 
roiffent  exagérés  par  le  peu  de  difpofition  que  nous  fentonsâ 
nous  y  porter.  Cependant  Sybaris  eft  hors  des  tems  de  la 
fabie ,  &  les  opinions  des"  Hiftoriens  font  unanimes  fur  les 
prodiges  de  fa  mollefle.  Ils  conviennent  qu'on  y  bannit,  par 
une  Loi  férieufe  &  rcfpeûée ,  tous  les  cocqs ,  de  peur  que 
leur  chant  aigu  &  perçant  ne  troublât  la  douceur  du  fommeiL 
La  même  Loi  profcrivoit  tous  les  arts  qui  pouvoient  produire 
des  bruits  aigres  &  choquans.  C'étoit  parmi  les  Sybarites  un 
u&ge  obfervé  avec  une  attention  extrême ,  de  prier  les  con- 
vives un  an  avant  le  jour  marqué  pour  le  feflin;  &  tout  cet 
kitervalle  fe  rempliflbit  à  méditer  de  nouveaux  mets.  On  dit 
même  que  celui  qui  étoit  aflfez  heureux  pour  faire  quelque 
découverte  en  ce  genre ,  avoit  un  privilège  exclufif  pour  en 
jouir  feul  pendant  quelques  années. 

Les  Sybarites  mettoient  la  plus  haute  fageffe  à  rendre  les 
goûts  plus  vifs  8c  les  plaifirs  plus  exquis.  Un  R  grand  pen- 
chant pour  la  volupté  leur  donnoit  un  caraâere  tendre  & 
délicat  I  &  les  difpofoit  mal  aux  fentimens  relevés.  La  Fhi- 
lofophie  d'un  Sybarite  lui  rendoit  plus  recommandable  celui 
qui  avoit  inventé  un  bon  ragoût ,  que  celui  qui  âuroit  foumis 
dix  Provinces. 

La  vohiptueufe  Sybaris  eût  peut-être  joui  long-tems  de  fcs 
délices ,  fi  la  groffiere  Crotone  n'en  eût  brutalement  troublé 
le  cours.  Cinq  cens  des  plus  riches  Sybarites  ayant  été  chafles 
de  leur  ville ,  par  la  fadion  d'un  particulier  nommé  Teljs  ^ 

Tome  L  G  g 


2^4  SCÎENCE 

fe  réfugièrent  à  Crotone  (<)*Telya  les  fit  redemander  ^  &  fur 
le  refus  que  firent  les  Crotôniates  de  les  livrer ,  détermines  à- 
cette  généreufe  réfolution,  par  Tavis  de  Pythagore  qui  ccoic: 
alctfs  chez  eux  y  la  guerre  fut  déclarée.  Les  Sybarites  mirenc 
fur  pied  trois  cens  mille  hommes  ;  les  Crotoniates> ,  qui  n*cn- 
trcrent  en  campagne  qu*avcc  cent  mille  ,  avoient  à  kur  tête 
Milon  j  ce  fameux  Athlète ,  qui  étoit  couvert  d'une  peau  der 
lion  &  arme  d'une  maffue  comme  un  autre  Hercule;  Ceux  ci 
remportèrent  une  viâoirc  complette  &  firent  main  bafle  fur 
tous  les  fuyards  j  de  forte  qu  il  ne  s*ea  fauva  qu'un  petit 
nombre  &  que  leur  ville  demeura  déferte.  Environ  foixante 
ans  après  ,  des  TheflTalicns  vinrent  s'y  établir  ;  mais  ils 
n'y  demeurèrent  pas  long-tems  ,  les  Crotoniates  les  en  cha£- 
fcrent. 

Ceft  à  cet  événement  que  Thurium  dût  fa  fondation.  Ré- 
duits à  cette  fâcheufe  extrémité ,  les  Sybarites  implorèrent  le 
fecours  de  Sparte  &  d'Athènes.  Les  Athéniens,  touchés  de 
compaffion  ,  firent  publier  dans  le  Fcloponèfe ,  que  ceux  qui 
voudroient  fe  joindre  à  cette  colonie  pou  voient  le  foire  libre- 
ment ,  &  envoyèrent  aux  Sybarites  une  flotte  de  dix  vaif^ 
féaux  ,  fous  la  conduite  de  Lampon  &  de  Xénocrate.  Ils  bâ- 
tirent une  ville  près  4?  TancienneSybaris,  qu'ils  appelleren» 
Thurium  (b). 

La  divifion  fe  mît  bientôt  dans  la:  ville  ,  à  rbccafioiï  des^ 
nouveaux  habitans  que  les  anciens  vouloient  priver  de  toutes 
les  charges  &  de  tous  les  privilèges.  Mais  comme  les.der* 
liiers  venus  étoient  en  bien  plus  grand  nombre  ^  ils  chàfr6i> 
rent  tous  les  anciens  Sybarites ,  &  demeurèrent  feuls  Maîtres 

(a)  Diodor.  Lib.  12. 
*  ib)  Ao  du  inonde  35^0  ;  &  444  tm  avant  Jefus^Chrift. 


Thûrium.  Set 


DU    GOUVERNEMENT.  235 

de  la  ville.  So\ittnus  par  Talliance  qu  ils  firent  avec  les  Cro- 
toniates  ^  ils  devinrent  en  peu  de  tems  fort  puiflans  ;  &  ayant 
établi  dans  leur  ville  le  Gouvernement  populaire ,  ils  en  dif- 
irdbuereat  les  Citoyens  en  dix  Tribus  ^  aufquelles  ils  don- 
nèrent le  nom  des  difîérens  peuples  dont  ils  étoient  fortis. 

Alors  y  ils  ne  fongçrenc  plus  qu'à  affermir  leur  Gouverne-  i^Îâ^^"*"?" 
ment  ^  par  de  fages  Loix.  Ils  choifirent  pour  cet  effet  entre  J^" 
eux  Charondas  ^  élevé  dans  Técole  de  Pythagore  y  qu  ils 
chargèrent  du  foin  de  les  drefler.  Voici  quelques-unes  de 
fes  X-oix  (a). 

i^.  Il  exclut  du  Sénat  &  de  toute  dignité  publique  ceux 
qui  pafferoîent  à  de  fécondes  noces  après  avoir  eu  des  enfans 
<f  un  premier  lit ,  perfuadé  que  des  pères  ifi  peu  attentifs  aux 
intérêts  de  leurs  enfans  y  ne  le  feroicnt  pas  davantage  à  ceux 
de  la  patrie  >  &  que  s'étant  montrés  mauvais  pcres ,  ils  fe- 
roient  mauvais  Magiftrats. 

2^.  Il  condamna  les  délateurs  à  être  conduits  par  les  rues  y 
portant  fur  la  tête  une  couronne  de  tamarin  ,  comme  les  plus 
inéchans  de  tous  les  hommes  :  ignominie  à  laquelle  le  plus 
fouvent  ils  ne  pouvoient  furvivre.  La  ville ,  délivrée  de  cette 
pefte  y  recouvra  fa  tranquillité.  Les  calomniateurs  font  en 
effet  la  fource  la  plus  ordinaire  de  tous  les  troubles  publics  8c 
particuliers  y  &  ils  ne  font  pas  réprimés  par  des  châtimens 
aflfezfévéres  (i). 

.  3^»  Il  établit  une  Loi  toute  nouvelle  contre  une  autre  forte 
de  pefle  qui  y  dans  une  République  y  efl  la  caufe  ordinaire 
de  la  corruption  des  mœurs.   Il  donna  aâion  contre  ceux 

(a)  Hift.  Uniterd  ^e  Dioàott  de  Sicile  >  Liy.  il-  JuH.Lipf»  Moniu  &  exempL 
ydit,  Lib.  i2.Çcip,  p. 

(3)  Velatoresy  genus  hominum  pubUco  exkio  repenunif  &  fcuiis  (juidem  nun^ 
fKm^Âr  çoercuim*  Taçk»  An/kzU  Ub*  4.  Cap.  jo, 

Ggij 


2^6  SCIENCE 

qui  fe  lîeroîent  d'amitié  6c  d'intérêt  dvec  ks  mécEans^  8e  Ib» 

condamna  à  une  amende  confidérable. 

4^.  Il  voulut  que  tous  les  enfans  des  Citoyens  fiiflent  &if^ 
traits  dans  les  Belles-Lettres  ,  dont  Teffet  propre  ell  de  po* 
lir  les  efprits  &  de  civilifer  la  Nation  j  d'infpirer  des  mœurs 
douces  &  de  porter  à  k  vem»  y  ce  qui  fait  le  bonheur  d^ua> 
Etat  &  eft  également  néceflaire  à  tous  les  Citoyens.  Dans 
cette  vue,  ilftipendia  des  Maîtres  publics,  afin  que  Tirtf' 
truâion ,  étant  gratuite ,  pût  devenir  générale.  Il  tegardoit 
Tignorance  comme  le  plus  grand  des  maux  &  comme  la 
fourcc  de  tous  les  vices»^ 

5^.  Il  confia  l'éducation  des  orphelins  à  leurs  parens  ma^ 
ternels  de  qui  ils  n'avoient  rien  à  craindre  pour  leur  vie^ 
8c  Tadminiflration*  de  leurs  biens-  aux  parens  du  côcé  pater- 
nel qui  avoient  intérêt  de  les  conferver  ^  poavant  ea  devenir 
£es  héritiers  par  la  mort  des  pupilles. 

Au  lîeu^  de  punir  demort  les  Déferteurs  8c  ceux  qolquit^ 
toient  leur  rang  &  fuyoient  dans  le  combat  y  il  fe  contenta 
de  les  condamner  à  paroître  pendant  trois  jours  dans  la  ville^/ 
revêtus  d'un  habit  de  femme,  efpérant  que  la  crainte  d'une 
telle  honte  neproduiroit  pas  moins  d'effet  que  celle  de  la 
mort ,  8c  d'ailleurs  voulant  donner  lieu  à  ces  lâches  Citoyens 
de  réparer  leurs  fautes  dans  la  première  occafîon^ 

7^.  Pour  empêcher  que  fes  Loix  ne  fiiflent  abrogées  avee 
tropr  de  facilité ,  il  impofà'  une  condition  bien  dangéreufe  à 
ceux  qui  propoferoient  d'y  faire  quelque  changement.  Si  un 
Citoyen  n'àvoit  pas  la  patience  de  voir  d'un  œil  tranquiHe 
dépérir  la  République ,  8c  s'il  ofoit  lui  tendre  une  main,  le* 
courable  ^  il  couroit  rifque  de  payer  du  dernier  fiipplice.  lë 
meilleur  confeil  II  falibit  qu'il  parût  dans  raflembl^è  publia 


D  U    G  O'tJ  V  E  R  N  E  M  E  N  T,      ajy 

.^e  uhe  corde  au  cou  ^  8c  qu'il  fut  étranglé  fur  le  champ  , 
au  cas  que  le  changement  propofé  ne  pafTât point.  II  n'arriva 
que  trois  fois  qu'on  propoiat  des  changemens  ^  Ôc  ils  furent 
ÙÏZS0 

Charondas  ne  llirvêcutpas  ïongtems  à  fes  loix.  Revenant 
un  jour  de  la  campagne  avec  une  épée  qu'il  avoit  prifc  pour 
ie  défendre  des  voleurs  fur  le  chemin^  il  trouva  raffemblée  du 
peuple  en  trouble.  Il  s'avança,  pour  appaifer  le  tumulte  9  étant 
mnfï  armé  .^  ce  qu'il  avoit  défendu  par  une  loi  exprelTe.  Un 
particulier  lui  reprocha  qu'il  violoit  lui-même  fes  loix.  No?^^ 
dit-il  ^  je  m  Ics^  viole  fa4  y  mais  je  les  fcellerdi  de  monfang  ^ 
êc  fur  le  champ  il  fe  tua  de  fon  épée^ 

Dans  le  même  tems  &  dans  la  même  contrée ,  il  y  eut  un    «.îticueut  j 
mitre  Légiflateur    célèbre  ^  nommé  Zaleucus ,  difciple  de  Til^i^^oîS 
Pythagore,  aufli  bien  que  CharondaSr  II  ne  nous  refte  pref-  ^* 
que  qu'une  efpèce  de  préambule  qu'il  avoit  mis  à  la  tête  de  fes 
loix  ;  &  ce  préambule  (a)  que  Scaliger  (b)  traite  de  Divin ,  en 
^onne  une  grande  idée.^ 

LeLégiflateur  demande  de  les  citoyens  ^  avant  tout  y  qu'ils 
£>ient  fortement  perfuadés  qu'il  y  a  des  Dieux.  Il  ne  faut  ^ 
ditrii  y  que  lever  les  yeux  vers  le  Ciel  &  en  confidérer  l'or- 
dre 8c  la  beauté  >  pour  fe  convaincre  qu'un  ouvrage  fi  mer- 
veilleux ne  peut  avoir  été  l'effet  ni  du  hafard  y  ni  de  l'induir 
trie  humaine.^  Par  une  fuite  naturelle  de  cette  perfuafion  y 
il  les  exhorte  à  refpeâer  les  Dieux^  comme  auteurs  de  ce 
qu'il  y  a  de  bon ,  de  jufle ,  &  d'honnête  parmi  les  Mortels  ^ 
&  à  les  honorer  9  non* amplement  par  des  facrificesÂ:  par  des 
préfens  >  mais  par  une  conduite  fage  &  par  des  mœurs  pu- 

(a)  On  le  crotiye  dans  Dlodore  de  Sicile  Lib.  is»  Cap.  zç»  de  dan»  Scçbéci 
Sera*  4^« 
.    ÇO  Seal.  Aninaii^  in  Eufè.pai.  Si^ 


258  SCIENCE 

res,  qui  plaifent  infiniment  plus  aux  Dieux  que  tous  les  ist^ 
crifices.  Après  cet  exordc  (i  plein  de  Religion  ^  où  Zaleucus 
montre  la  Divinité  comme  la  fource  primitive  des  Loix  p 
comme  la  principale  autorité  qui  encommande  robfervadon^ 
comme  le  motif  le  plus  puiffant  pour  y  être  fidèle ,  &  enfin 
comme  le  parfait  modèle  auquel  on  doit  fe  conformer  ,  il 
paffe  au  détail  des  devoirs  ^que  tous  les  hommes  doivent 
obferver  les  uns  envers  les  autres. 

Il  leur  donne  un  précepte  fort  propre  à  conferver  Tunion 
dans  le  commerce  de  la  vie ,  en  commandant  de  ne  pas  rea. 
dre  éternelles  les  haines ,  ce  qui  feroit  la  marque  d'un  efprîc 
féroce  ,  mais  d'en  ufer  à  Tégard  des  ennemis,  comme  devant 
être  bientôt  amis. 

Pour  ce  qui  regarde  les  Juges  &  les  Magiftrats ,  ce  Lé^ 
gîflateur  leur  repréfente  qu'en  prononçant  les  jugemens  ,  ils 
ne  doivent  fe  laiffer  prévenir  ,  ni  par  l'amitié  ni  par  la  haine, 
ni  par  aucune  autre  paffion.  Il  les  exhorte  à  éviter  avec  foin 
toute  hauteur  &  toute  dureté  à  l'égard  des  parties  déjà  affez 
à  plaindre  d'avoir  à  effuyer  les  peines  &  les  fatigues  qu'en- 
traîne la  pourfuite  d'un  procès.  Leur  place  en  effet ,  quelque 
laborieufe  qu'elle  foit ,  ne  leur  donne  aucun  droit  de  faite 
fentir  leur  mauvaife  humeur  aux  Parties. 

Pour  écarter  de  fa  République  le  luxe  qu'il  regardoît 
comme  la  ruine  certaine  d  un  Etat ,  il  ne  fuivit  pas  la  prati?- 
que  établie  chez  quelques  NatiofB  y  où  l'on  croit  que  pour  Je 
réprimer  il  fuffit  de  punir  les  contraventions  à  la  Loi  par  des 
amendes  pécuniaires  ,  il  s'y  prit  d'une  manière  plus  ing6- 
nieuie  &  en  même  tems  plus  efficace.  Il  défendit  qu'aucuûe 
<çmme  libre  fe  iit  accompagner  par  plus  d  une  fuivantc  j  fî 
çllc  n'étoit  y  vre ,  &  qu  elle  lorût  de  la  ville  pendant  la  nuit, 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  ]^  t.      239 

â  moins  que  ce  ne  fut  pour  un  rende2-vous  de  galanterie  (a)^ 
U  permit  aux  Courtifanes  feules  de  poner  des  ornemens  d'or 
&  des  habits  brodés  j  &  il  prefcrivit  aufli  qu  aucun  homme 
lie  portât  une  bague  dor  ou  une  étoffe  de  Milet ,  s'il  n'étoic 
a£luellement  dans  un  mauvais  commerce.  Par  cette  voye ,  il 
détournalfecilement  &  fans  violence  les  Citoyens  de  tout  ce 
qui  pouvoir  fentir  le  luxe  &  la  molleffe^  Il  ne  fe  trouva  per-* 
fonne  qui  eût  renoncé  à  tout  fcntiment  d'honneur ,  au  point 
de  vouloir  afficher  aux  yeux  de  toute  une  ville  les  marques 
de  fa  honte  5  s'attirer  le  mépris  public  ,  &  deshonorer  pour 
toujours  fa  famille. 

L'hifloire  nous  a  confervé  une  attention  politique  qu'on 
employa  autrefois  avec  fuccês  à  Milet ,  &  qui  revient  à  celle 
de  Zaleucus.  Les  filles  de  Milet  furent  faifies  d'une  efpèce 
de  fureur  mélancolique  qui  les  portoit  à  s'étrangler ,  fans  au- 
cune apparence  de  chagrin.  Une  femme  de  la  ville  confeilla 
qu^on  ponât  à  travers  la  place  les  corps  tous  nuds  de  celles 
qui  fe  feroient  ainfi  fait  mourir.  On  forma  un  décret  qui  fur 
publié.  C'en  fut  affez  pour  guérir  ces  filles.  Elles  ne  purent 
fupporter  d'être  montrées  au  public  dans  un  état  honteux ,  & 
elles  cefferent  de  s  étrangler  (b)w 

Une  Loi  de  ce  même  Zaleucus  fait  un  étrange  difparité 
avec  celles  qu'ion  vient  de  rapporter.  Il  condamna  à  la  mort 
ceux  qui,  étant  malades ,  buvoient  du  vin  pur  fans  ordre  du 
Médecin,  quand  même  ils  auroient  recouvré  la  fanté.  Cette 
dernière  Loi  toute  feule  fembleroit  devoir  rendre  vraifem^ 
blable  le  fcntiment  de  ceux  qui  prétendent  que  toutes  les  Loîx 

(a)  More  inter  viteres  recepto  >  qui  fatîs  ptBnarum  adverfus  impudicas  in  ipjt 
frofejjlone  Jli^itu  credebanu  Tacit,  Annal.  Lib>2.  Cap,  8^. 
0)  Poly^  9  Rufes  de  Guerre  |  au  Chapitre  des  MU^fieaaci* 


240  SCIENCE 

qu'on  attribue  à  Zaleucus  font  fuppofccs  (m)  ;  maïs  le  fenti--^ 
ment  contraire  eft  appuyé  fur  le  témoignage  de  tous  les  an- 
ciens Auteurs. 
Der  ftra-     Terminons  cette  Seftîon  par  quelques  réflexions  fur  POp* 
fhiics^*  i^raci/me  8c  (ur  h  Pêulifme. 

Sifaî^cn  iîfojet  Aucun  Cîtoycn  ne  fe  fît  impunément  un  graiM  nom  â 
syracttfc.  Athèncs.  Lcs  fervices  des  Miltiades,  des  Themiftocles,  des 
Perîclés,  des  Phocions,  &  de  tant  d*auttres  libérateurs  de  la 
Grèce  ^  ne  furent  payés  que  de  la  mort  ou  de  Texil.  Jamais 
Nation  ne  fut  mieux  fervie  par  fes  Citoyens,  &  ne  fiit  moins 
digne  de  Tctre.  Les  feules  Loîx  de  TOflracifme  fufiifent  pour 
le  prouver* 

L'Oflracîfme  étoit  une  Loi ,  par  laquelle  le  peuple  Athé- 
nien condamnoit  â  dix  ans  d'exil  les  citoyens  dont  il  crai- 
gnoit  ou  la  trop  grande  puifTance  ou  le  trop  de  mérite,  &  qu*il 
foupçonnoit  de  pouvoir  afpirer  à  la  tyrannie. 

Le  ban  de  TOftracifme  n'étoit  employé  que  dans  les  oc* 
cafions  où  la  liberté  étoit  en  danger.  S'il  arrivoit  ,  par 
exemple ,  que  la  jaloufîe  ou  l'ambition  mît  la  difcorde  parmi 
les  Chefs  de  la  République ,  &  que  différens  partis  fiffenc 
craindre  quelque  révolution  dans  TEtat ,  le  peuple  délibéroic 
fur  les  moyens  de  prévenir  les  fuites  d  une  divifion  qui  pou- 
voit  devenir  fimefle  à  la  liberté.  L*0(b-acifme  étoit  le  remède 
ordinaire  auquel  on  avoir  recours  dans  ces  fortes  d  occafions, 

(a)  Voyez  Elien  dans  fesdivcrfcs  HlftoiresLiv.  i.  Cap.  }7.  Bentley  croie  que 
toutes  ces  Loix  qui  paflènt  fous  le  nom  de  Zaleucus ,  &  dont  on  trouve  des  firag»- 
mens  dans  les  Auteurs  ,  font  fuppoices.  Voyez  la  Diiïertation  Angloife  de  cet  A» 
teur  fur  Phalarîs  pag.  5  3  J.  &  (uivantes  ,  édit.  de  itfpp.  Voyez  auffi  les  Nouvelles 
de  la  République  des  Letrres  par  Bernard  ,  Juin  itfpp.  Art.  J.  Voyez  enfin  la  Ré- 
futation dufentimeni  de  Bentley ,  depuis  la  page  iji.  jufqu'à  la  page  164.  du 
premier  Tome  du  Livre  qui  a  pour  titre  :  Differtations  fur  Vunion  de  la  Religion  » 
de  la  Morale p  (r  de  la  pQlimue^  par  W^Mtuton,  Londres.  Guillaume  Daizt» 


DU    GOUVERNEMENT,      3^41 
<Sè  les  délibérations  du  peuple  fe  terminoient  le  plus  fouvenc 
par  un  Décret,  qui  indiquoit  à  certains  jours  une  affemblée 
particulière  pour  procéder  au  ban  de  rOftracifme.  Alors  ceux 
qui  étoient  menacés  du  banniffement,  ne  négligeoient  rien 
de  ce  qui  pouvoit  concilier  la  faveur  du  peuple  ,  ils  faî- 
foient  des  harangues  pour  montrer  leur  innocence,  &  Tin- 
juftice  qu  il  y  auroit  à  les  bannir  ;  ils  foUicitoient  chaque  ci- 
toyen  en  particulier ,  ils  mettoient  en  mouvement  tous  les 
gens  de  leur  parti ,  ils  fufcitoient  des  Délateurs  qui  décrédi- 
toient  les  Chefs  de  la  fadion  contraire.  Quelque  tems  avant 
TafFemblée ,  on  formoit  dans  la  place  publique  un  enclos  de 
planches  où  Ton  pratiquoît  dix  portes,  parce  qu'il  y  avoit 
dix  Tribus  dans  la  République.  Lorfque  le  jour  marque  écoit 
venu ,  les  citoyens  de  chaque  Tribu  entroient  par  leur  porte 
particulière,  &  chaque  citoyen  écrivoit  fur  un  petit  morceau 
de  terre  le  nom  du  citoyen  qu'il  vouloit  bannir  {/).  Les  Ar- 
chontes &  le  Sénat  préfîdoient  à  cette  affemblée  &  comp- 
toient  les  bulletins.  Celui  qui  étoit  condamné  par  fix  mille 
de  fes  concitoyens  ,  étoit  oblige  de  fonir  de  la  ville  dans  Tef- 
pace  de  dix  jour». 

Les  Athéniens  avoient  prévu  fans  doute  les  inconvéniens 
de  cette  Loi ,  mais  ils  aimèrent  mieux  s'expofer  à  punir  des 
Innocens ,  que  de  vivre  dans  des  allarmes  continuell  es.  Ce- 
pendant ,  comme  ils  avoient  fenti  que  Tinjuttice  auroit  été 
.  trop  criante,  s'ils  avoient  condamne  la  vertu  aux  mêmes 
peines  dont  on  avoit  coutume  de  punir  le  crime  ,  ils  adouci- 
rent ,  autant  qu'ils  purent ,  la  rigueur  de  l'Oftracifme  ,  ils 
en   retranchèrent  ce  que  le   banniffement  ordinaire  avoit 

(a)  Oflraci/me  vient  d'un  mot  Grec  qui  fignifie  un  morceau  de  terre  cuite  faîte 
en  forme  d'écaîlle  ou  de  coquille ,  voyez  fur  l'Oftracifme  une  Diflcrtatioo  d^ 
V  Ceïnoz  f  dps  le  douzième  Volume  des  Mémoires  de  l'Académie  de  Paris* 

To^e  L  H  h 


248  SCIENCE 

nommés  paf  les  peuples  qui  les  fournîflbîent  ;  ttaîs  elles 
avoient  toujours  un  Commandant  appelle  Préfet,  qui  étokà 
la  nomination  des  Çonfuls  ou  des  Généraux  de  la  PuifTance 
dominante. 

Les  villes  confédérées  Bc  libres  étoîent  encore  obligées  de 
fournir  le  logement  aux  foldats  Romains  qui  pafToient  fur 
leur  territoire  pour  aller  en  quelque  expédition  ;  &  quelque- 
fois même ,  quand  les  places  étoient  importantes  y  de  fouf&ir 
que  TEtat  donif  elles  dépendoient  s'en  affurât  par  une  fonc 
garnifon. 

Mais  fous  les  Empereurs ,  le  titre  d'allié  n'étant  plus  qu  un 
titre  honorable  &  fans  réalité ,  les  Proconfuls  avoient  toute 
l'autorité  fur  ce  qui  regardoit  le  militaire ,  &  fi  les  villes  Au- 
tonomes fourniflfoient  &  entretenoient  un  cenain  nombre  de 
troupes  comme  alliées ,  elles  obçiflbiçnt  de  même  abfolument 
en  tout  comme  fujettes, 

S  K  c   T  I   o  N     V. 

Z)/#  Gouvernement  des  Carthaginois. 

«9.  Fondation,  Catchcdon  de  Tyr  avoir  jette  les  premiers  fondemens  de 
ciniïïgeTcon!  Canhagc  y  fous  le  nom  de  Carchedoine ,  à  douze  mille  de 
^wiquc  après  to  Tunis ,  dans  une  Prefquifle  fur  la  côte  d'Afrique  ,  où  lana- 

mort   de  Didon  rii-'iA  ia\/»  t-r-r^ 

Quienfuiufoiv.  ture  içmbloit  s  être  plue  a  former  un  port.  Une  Prinçefle 
Phénicienne  ,  nommée  indifféremment  Elife  ou  Didon  >  s'y 
réfugia  ^  quelque  tems  avant  la  fondation  de  Rome  {^a)y 
fuyant  fon  frère  Pygmalion  meurtrier  de  Sichée  fon  mari. 
Elle  la  fit  rebâtir,  &  lui  donna  le  nom  de  Carthage.  On  ra- 
conte qu'Elife  n'avoic  acheté  des  habitans  du  pays  qu'autant 

(4)  Cf  am  4upanvanc  ftlgo  les  un'  »  âc  jz  ffiloa  les  vxxx^% 

do 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      hp^ 

de  terre  j  qu'elle  ne  pourroit  enfermer  dans  lé  cuir  d'un 
bœuf;  mais  que  Payant  coupé  en  une  infinité  de  lanières  très- 
minces  &  trcs-étroites  &  par-là  même  très-longues  ,élle  em- 
brafla  plus  de  terrain  que  les  Vendeurs  n'avoient  eu  intention 
de  lui  en  céder  ,  &  que  cet  efpace  fiit  affez  grand  pour  con- 
tenir une  citadelle  &  recevoir  la  coloniç  que  conduifoit  cette 
Princeffe(ic). 

Cette  Reine  étant  morte ,  les  Carthaginois  firent  pour  leur 
Fondateur  ce  que  Rome  fit  dans  la  fuite  pour  Romulus  ^  ils 
l'adorèrent  comme  une  Déeffe  ;  mais  ils  pafferent  du  Gou- 
vernement Monarchique  au  Républicain  ;  &  après  que  la 
Grèce  eût  été  foumife  ,  le  monde  fut  partagé,  eh  deux,  puif- 
fantes  Républiques  ^  celle  de  Canhage  &  celle  de  Rome. 

La  République  de  Gardiage  Jregla  fon  Gouvernement  fur  ^^'  ^^v^^  ^ 
celui  de  Tyr  dont  elle  étoit  une  Colonie;  Trois  Puiflances  ^*"*"««- 
y  formèrent  l'autorité  fouveraine ,  celle  des  deux  Princes  ou 
Magiftrats  appelles  Sujfctesj  celle  du  Sénat>^  j&. celle  du  peu- 
ple. Ariftotc  compte  cette  République  au  rvortibrç  des  plus 
illuftres ,  &  la  loue  de  n'avoir  donné  entrée,,  ni  aux  fodi- 
•  rions  ,  ni  à  la  tyrannie  ^  depuis  fa  naiffance  jufqu'au  tems  où 
vivoit  ce  Philofophe  9  ce  qui  fait  un  efpacç  de  plus  de  ciiiq 
censans.  i  .; , ,  .     .         [  •  .  ;,         .     ;  '^r 

Le  pouvoir  des  Sii^/^;^  équivalent  à  çqIujI  4es  Gonfuls  J^^'^^/^^!'^^^ 
Romains  y  ne  duroit  qu'un  an.  Ils  avoient  le  foin;  d'afren>bler  , 
le  Sénat  dont  ils  étoient  les  Ghesfe ,  propofoient  les  fujets  ,de 
délibération  ,&  recueilloient  les  fuifrages.  Ils.préfidoient 
:  aufli  aux;*}ugêmEœ  qui ie.rcndbienL  fur.  J«siiîgà|yes^.iîppo^- 
tantes  ,  ^cohimandpieht  quck}uefbi^)li»\afçaée)Sf  ;.  .:  ji    -, 

Aa dGorriridc  leui;  digtiité ,; Its  SirJrVt/  ^pietit  ;feïts  Prç- 

(<7)  Seconde  Décad.  de  TiiiilivSl^'OU  Slpplcmeas  Je  Fieinjèe^uHfr    ' 
Tome  L  o  -'"    •         -■   :      A  V  ' 


I50  SCIENCE 

tcUrs.  C'ctoît  une  charge  confidérable ,  puifque  ,  outre  îe 
droit  de  préfîdence  dans  certains  Tribunaux  ,  elle  donnoic 
auffi  celui  de  propofer  &  de  porter  de  nouvelles  Loîx  y  8c 
de  faire  rendre  compte  de  Tadminiflration  des  Finances. 
ri.Amorit^  Le  Sénat  étoit  compofé  de  perfonnes  refpedtablespar  leur 
«Sénat.  Ag^  ^  j^y^  expérience,  leur  naiflance ,  leurs  richcfles  j  &  leur 
mérite*  C'étoit  là  que  fe  traitoient  les  affaires  importantes  » 
&  qu'on  dccidoit  de  la  guerre  &  de  la  paix. 

Le  nombre  des  Sénateurs  étoit  très-confidérables,  puif- 
qu*on  en  tiroit  cent  quatre  pour  former  un  Tribunal  appelle 
des  Cent ,  &  établi  pour  faire  rendre  compte  aux  Généraux 
de  leur  conduite. 

De  ces  cent  quatre  Juges  qui  étoîent  perpétuels  »  cinq 

avoient  une  Jurifdidion  particulière  &  ûipérieure  à  celle  des 

autres.  On  ne  fçait  pas    combien   elle  duroit.   Ce  Con- 

feil  des  Cinq  étoit  ce  qu'ctoit  à  Venife  le  confeil  des  Dix. 

Quand  il  y  vaquoit  quelque  place  ^  ceux  qui  le  coropo- 

foieht ,  avoient  le  droit  de  la  remplir.  Ils  avoient  droit  auflî 

^  de  choifîr  ceux  qui  entroîent  dans  le  confeil  des  cent.; Cq©- 

me  leur  autorité  étoit  fort  étendue  ^  on  n'accordoit  ces  pl^ 

ces  qu  a  des  perfonnes  d'un  rare  mérite.  L'on  n'attacha  ni 

rétribution  ni  récompenfe  à  leur  emploi,  le  feul  motifriubicn 

: ''     public  devaât  être  affez  fort  pour  engager  des  gens  de  bien 

7^Aulo^«é  "â  remplir  leur  devoir. 

au  peuple.  j^  Séïi2X  ne  décidoit  en  dernier  reflbrt ,  que  lorfque  les 

fuffrages  étoient  unamimes.  Dès  qu'il  y  avoit  partage  9  le 

^  idrbit^de  décider  ^foit  dévolu  au^peuple  (^i)  t  Keglement  qiLon 

avoit  crû  propre  à  écotifTeriles  cabales  ^àconcilierles  efprics  » 

&  à  faire  <iominer  les  bons  confdls  ,  dans  une  compagnie 

qui  devoir  être  jaloufe  de  fon  autorité. 

(«)  4T^9t.  Poliu  La.  2.  Cap.  a. 


DU    GOUVERNEMENT.      251 

Les  Offices  de  Judicature ,  d'abord  annuels  ,  furent  ren-. 
dus  perpétuels,  &  redevinrent  annuels,lorfqu*Annibal  fut  de. 
retour  à  Carthage  de  fes  expéditions  dltalie  (ii)*.  1,.:, 

La  diftribution  des  emplois  fe  faifoit  dans  cette  Rcpubli- ic,^^êmpuTîy 
que   d'une   manière  qu'Ariflotc  blâme.  Il  y  troi^e   deux      '  ^' 
défauts. 

Le  premier ,  en  ce  qu'un  même  homme  pofTédoit  plufîeurs 
charges,  ce  qui  étoit  confidcré  comme  la  preuve  d'immérité 
non  commun.  Le  Philofophe  a  raifon  de  trouver  cett«  coutu- 
me très-préjudiciable  au  bien  public. 

Le  fécond,  en  ce  que,  pour  parvenir  aux  premières  pla- 
ces, il  falloir,  avec  du  mérite  &:  de  la  naiffance,  avoir  un 
certain  revenu ,  &  qu'ainfî  la  pauvreté  pouvoit  enexclurre  les 
plus  gens  de  bien ,  ce  qu'Ahflote  regarde  comme  un  grand 
mal  dans  un  Etat.  Il  en  donne  cette  raifon  que  la  vertu  étant 
comptée  pour  rien  Se  l'argent  pour  tout ,  parce  qu'il  conduit 
à  tout ,  une  ville  entière  fe  corrompt  par  l'admiration  &  la 
ibif  des  richeffes.  Il  ajoute  que  des  Magiftrats  qui  ne  le  de^ 
tiennent  qu'à  grands  frais  ,  ne  fe  font  pas  Icrupule  de  fe  dé- 
dommager par  leurs  propres  mains.  Ce  que  dit  ici  ce  Philo- 
fophe  des  dépenfes  qui  fe  faifoient  à  Carthage  pour  parvenir 
aux  charges  ,  tombe  apparemment  fur  les  préfens ,  par  lef- 
quels  on  achetoit  les  fuffrages  de  ceux  qui  les  conferoient  ; 
car  on  ne  trouve  dans  Tantiquité  aucune  trace  de  k  vénalité 
des  charges.  On  ne  peut  douter  que  ce  ne  foit  un  grand  mal 
que  des  ckoyens  s'élèvent  aux  charges,  en  corrompant  à 
•prix  d*argœt  ceuKqui  les  diilribuent.  C'en  eft  un  ouffîque 
.le  mêcittj  la  venu,db$  talens,  dcilitués  de  richeffes,  ne 
farifilèra:  afpircr  aux  tmpioîs.  Platon  qui  blâme  la  vénalité 

(a)  Tit.  LiT'  quatrième  Décad.  Lib«  8« 


liuiic. 


152  SCIENCE 

des  Charges  auffi  bien  qu  Ariftote  >  donne  de  fbn  fen- 
riment  celte  raifon  fans  réplique.  C'eft  (  dit  *  il  )  comme  fi 
dans  un  navire  on  faifoit  quelqu'un  Pilote  ou  Matelot  pouf 
fon  dfgent:  Sefoit-il  poflîble  que  la  règle  fût  mauvaifc  dans 
quclqu'atrre  emploi  que-  ce  fût  de  la  vie  &  bonne  feulement 
pour  conduire  une  Republique  (a)  ? 
î.  Police  mi.  Cène  République ,  marchande  par  ctat  ,  fut  d  abord  guer- 
rière y  par  la  néccflîtc  de  fc  défendre  contre  les  peuples  voi* 
fins,  &  enfuite  par  le  défir  d'aggrandir  fon  Empire  &  d'é- 
tendre fon  commerce  ;  mais  occupée  de  fon  trafic  y  elle  n'a- 
voit  qu'un  petit  nombre  de  citoyens  élevés  dans  le  métier 
ides  armes.  Des  Rois  alliés ,  des  peuples  tributaires  lui  four- 
niflbicnt  des  milices  &  de  l'argent.  Elle  levoit  dans  les  Etats 
voifins  les  foldats  qui  lui  étoient  nécefTaires ,  &  formoit  ainfi 
de  puiiTantes  armées,  fans  interrompre  fon  commerce,  & 
fans  afToiblir  fa  marine.  Si  elle  avoir  le  malheur  de  perdre  UQ 
combat  naval,  elle  trouvoit  facilement  le  moyen  de  reparer 
la  perte  des  Pilotes  &  des  Rameurs,  dans  l'étendue  immenfe 
•des  côtes  dont  elle  étoit  la  maîtreffe.  Mais  cette  politique  ^ 
fi  utile  au  commerce  &  qui  épargnoit  le  fang  des  citoyens, 
avoit  de  grands  inconvéniens.  Des  troupes  mercenaires  s'in- 
térefibicnt  peu  à  la  gloire  de  la  République,  &  cet  appui 
.  étranger  pouvoir  facilement  lui  être  enlevé. 

Natur-ellemcnt  foupçonneux,Ies  Carthaginois  prenoient  la 
précaution  de  ne  confier  le  commandement  des  armées  qu'à 
icurs  propres  citoyens.  Le  tems  du  commandement  n'ctoit  pas 
Jimioé,  plufieurs  Généraux  le  conferverent  longtems,  &  quel- 
quefois jufqu'a  la  fin  de  leur  vie.  Tbujours  comptables  de  leurs 
a.^ionsàla  Rcpublique,ilspouvcîent  être  révoqués.  Ilsrépoa- 

rO  P:aî.  de  Rfp,  lib.  S: 


DUGOUVERNEMENT.      255 

doientdes  événcmens  delà  guerre;&ceux  quiavoienc  perdu 
une  bataille ,  écoicnt  fûrs  de  perdre  la  vie  à  leur  retour  ,  la 
République  puniflfant  les  mauvais  fuccès  comme  les  mauvais 
dcfleins.  La  cruauté  dont  elle  ufoit  envers  les  Généraux  mal- 
heureux ,  quoique  non  coupables ,  étoit-elle  propre  à  former 
de  grands  hommes  ?  La  fin  de  la  vie  du  grand  Annibal  n  eft- 
elle  pas  déplorable  ?  Bomilcar  crucifié  à  Carthage ,  repro- 
cha ,  du  haut  de  la  croix,  à  fes  citoyens  leur  ingratitude, & 
compta  tous  les  Généraux  dont  ils  avoient  payé  les  fervices 
par  une  mort  infâme  {a).  Les  Carthaginois  étoient  redeva- 
bles de  leur  falut  à  Xantippe  Macédonien ,  mais  fes  fuccès 
contre  Regulus  quijufques-là  avoit  vaincu  cent  fois  les  Gêné* 
raux  de  Carthage,  lui  fufciterent  bientôt  autant  d'Envieux 
qu'il  y  avoit  de  Grands  dans  la  République.  Pour  fe  dérober 
à  leurs  jaloufies,  il  employa  la  même  prudence  dont  il  avoit 
ufé  pour  terminer  la  guerre  où  il  avoit  commandé.  Il  réfo* 
lut  de  retourner  dans  fa  patrie  ;  mais  Tingrate  République 
donna  des  ordres  fecrets  à  ceux  qui  rcconduifoient  Xantippe 
en  Grèce  fur  les  vaiffeaux  de  Carthage ,  de  le  faire  périr  en 
chemin  {b). 

Carthage  envoyoit  de  tems  en  tems  des  colonies  en  diffé-    J^f •  cobnfet 

^  '  ^ucles  Canhagi'* 

rens  endroits.  Ceft  une  coutume  qu*Ariftote  approuve  fort ,  en divwi  tow?* 
parce  qu'on  procuroit  d'honnêtes  établiflemens  aux  pauvres 
citoyens,  &  qu'on  déchargeoit  l'Etat  d'une  multitude  de  Faî- 
ncans  qui  eût  pu  lui  devenir  dangereufe. 

Les  habitans  de  Carthage  &  ceux  de  Tyr  avoient  les  me-    ^.  union 
mes  mœurs ,  les  mêmes  Loix ,  le  même  goût ,  la  même  in-  «bagi^^"^  aS 
duftrie  pour  le  commerce ,  &  les  Carthaginois  parloîent  le 

(a)  Jujlirif  Lib.  ût» 

(b)  Apf'iM.  de  bello  Punic^  &  Tite-Live ,  D^cad.  II.  ou  Supplemens  deFreinP 


i54  SCIENCE 

même  langage  que  les  Tyriens*  La  conformité  d*ori^e  & 
des  mœurs  forma  &  entretint  toujours  une  union  étroite  en- 
tre ces  deux  peuples.  Cambyfe  ayant  voulu  porter  la  guerre 
contre  les  Carthaginois  y  les  Phéniciens  qui  faifoient  la  prin* 
cipale  force  de  fon  armée  navale  y  lui  déclarèrent  nettement 
qu'ils  ne  pouvoient  le  fervir  contre  leurs  compatriotes  ,  &  ce 
Prince  fut  obligé  de  renoncer  à  fon  entreprife.  Les  Cartha- 
ginois ,  de  leur  côté ,  n'oublièrent  jamais  leur  origine  ;  ils 
tnvoyoient  toutes  les  années  à  Tyr  un  vaiffcau  chargé  de 
préfens  ,  qui  écoit  comme  un  cens  qu'ils  payoient  à  leur  an- 
cienne patrie  ;  ils  faifoient  offrir  un  facrifice  annuel  à  fcs 
Dieux  tutélaires  ,  qu'ils  rcgardoient  aulli  comme  leurs  pro- 
teâeurs  y  &  ils  ne  manquoicnt  jamais  d'y  envoyer  les  prémi- 
ces de  leurs  revenus  ,  &  la  dixme  du  butin  qu'ils  faifoient 
fur  les  ennemis ,  pour  les  offrir  à  Hercule  y  une  des  princi- 
pales Divinités  de  Tyr  &  de  Carthage.  Lorfque  Tyr  fiic 
afllégée  par  Alexandre ,  les  Tyriens  y  pour  mettre  en  fureté 
ce  qu'ils  a  voient  de  plus  cher ,  envoyèrent  leurs  femmes  & 
leurs  enfans  à  Canhage  qui  y  au  milieu  d'une  guerre  pref- 
fante ,  les  reçut  8c  les  entretint  avec  la  bonté  &  la  générofité 
des  pères  &  des  mcrcs  les  plus  tendres  &  les  plus  opulens. 
^.Lritciirfs  ^  peinc  trouve-t-on  trois  ou  quatre  Auteurs  Carthaginois 
îwlleiTcînha^  dans  le  cours  de  plus  de  fcpt  ficelés.  Carthage  n'avoit  de  ire- 
fhaRiS)U  îi^êm  hdon  avec  la  Grèce  &  avec  les  autres  Nations  policées  y  que 
vuiei««tbaitMi-  ^^^  rapport  au  commerce.  L'éloquence  y  la  poëfie,  l'hiftoire,  * 
femblent  avoir  été  ignorées  dans  cette  République»  Toute  la 
fcience ,  pour  le  plus  grand  nombre  de  fès  habkiMs  y  y  étoft 
bornée  à  écrire  y  chiffrer ,  dreffcr  dés  r^ftrès  y  tefaîr  des 
comptoirs  ,  en  un  mot  à  ce  qui  regarde  le  trafic.  II  étôk  dé- 
fendu ,  par  les  Loix  ,  d'apprendre  letf  rcc  ,  de  jpêur  que  les 


DU    GOUVERNEMENT,      155 

jTujets  de  la  République  n'encretinflent  commerce  ou  de  vive 
VOIX,  ou  par  écrit  avec  les  ennemis.  De-là  il  efl  aifé  de  ju- 
^er  que  la  jeuneffe  dcvoit  être  fort  mal  clevcc  ;  8c  c  efl  fani 
doute  de  la  groffiereté  de  l'éducation  que  vinrent  les  vices  & 
Us  paflîons  qui  ont  terni  la  gloire  d' Annibal ,  fi  néanmoins 
on  peut  ajouter  foi  à  ce  que  les  Hiftoriens  Latins  en  on  dit* 
En  écrivant  Thiftoire  y  il  cft  difficile  de  s'empccher  de  mar- 
quer à  nos  ennemis  la  même  averfion  que  nous  leur  avons 
témoignée  en  guerre  ouverte.  Forcés  de  rendre  juflice  aux 
vertus  militaires  d'Annibal ,  les  Romains  le  dégradèrent  du 
côté  des  mœurs  ;  ils  le  peignent  fourbe ,  avare ,  fanguinaire, 
impie  :  portrait  qui  femble  plutôt  Touvrage  de  la  haine,  que 
celui  de  la  vérité.  Les  Romains  qui  font  les  feuls  par  qui 
nous  connoiflions  ce  grand  Général ,  Ta  voient  trop  crainte 
trop  haï ,  pour  en  laiffer  une  idée  avantageule  à  la  poflérité* 

Si  Ton  remonte  à  des  tems  antérieurs  ,  on  ne  fçauroit,  ni 
révoquer  en  doute  que  les  Canhaginois  n'ayent  été  un  peu- 
ple très-4>arbare  (a)  ,  ni  lire  fans  horreur  ce  que  Laâance  en 
rapporte  du  tems  où  Jefus-Chrifl  vint  au  monde.  Chez  ce 
peuple ,  les  pères  &  les  mères ,  moins  humains  que  les  bêtei 
les  plus  féroces  ,  livroient  impitoyablement  leurs  en- 
fans  ,  8c  les  villes  fe  dépeuploient  tous  les  ans  de  leur 
plus  florifTante  jeuneffe ,  pour  obéir  à  Tordre  cruel  de  leurs 
oracles  8c  de  leurs  Dieux.  On  cboififfoit ,  à  leur  gré ,  des 
vi£limes  de  toute  forte  d'état ,  fexe  ,  âge  8c  condition ,  6c  ces 
fanglantes  exécutions  étoient  honorées  du  nom  de  facrifî- 
ces  (^). 

Lts  marchands  les  plus  riches  étoient  les  citoyens  do 

(a)  Siliut  Ualictti  >  L.  4. 
(»)  UeUnu  L.  i^  C.  II. 


a5<5  SCIENCE 

Carchage  les  plus  confidérables ,  ainfi ,  avec  refprit  de  ncgc- 
cc ,  s'introduifircnt  dans  la  République  tous  les  vices  des 
Ncgocians  ,  la  mauvaifc  foi  dans  les  marchés ,  le  déguife- 
ment,  &  la  tromperie.  Autant  que  le  bien  public  Tcmpor- 
toit  fur  Tintérét  particulier  dans  le  cœur  d'un  Romain,  au- 
tant Tintérêt  particulier  Temportoit  fur  le  bien  public  dans  le 
cœur  d'un  Carthaginois, 
con  ufics      Carthage  devint  fi  puiflTante  qu  elle  fut  la  maîtrcffe ,  non- 
fecawife^^Si-  ^^ulcment  de  la  Lybie,  de  la  Sicile  ,  de  la  Sardaigne  ,  &  de 
'^"'^'  toutes  les  Ifles  de  la  Méditerranée  qui  étoient  à  fa  bienféan- 

ce ,  mais  encore  d'une  bonne  partie  de  FEfpagne,  Cette  Ré- 
publique  fut  floriflante  pendant  fept  cens  ans, 
^^  Y„  Troîi      ^^  première  Nation  étrangère  à  l'Italie,  avec  laquelle  les 
c«Vrc'"c«[ta^  iîomains  traitèrent  après  avoir  chaffé  leurs  Rois  ,  ce  fut  la 
^  Roaic.         Carthaginoife.  Polybe  nous  a  confcrvé  la  convention  qui  fut 
faite  entre  Carthage  &  Rome ,  fous  les  Confuls  Brutus  & 
Zaleucus;  &  Tite-Live  en  parle  auffî.  C'efl  le  plus  ancien 
Traité  qui  foit  parvenu  jufqu'à   nous  en  fon  entier.   Le 
voici. 

»  Il  y  aura  amitié  entre  les  Romains  &  leurs  Alliés,  d'une 
j>parc  9  &  les  Carthaginois  &  leurs  Alliés  ,  de  l'autre,  fous 
»  les  conditions  fuivantes.  Les  Romains  ni  leurs  Alliés  ne 
»>  pourront  naviguer  au-delà  du  beau  promontoire  (//),  s'ils 
w  n'y  font  pouflTés  par  la  tempête  ou  contraints  par  leurs  en- 
»  nemis ,  &  au  cas  que  quelqu'un  foit  ainfi  forcé  de  pafler  ces 
i>  limites ,  il  ne  lui  fera  permis  de  rien  acheter,  ni  de  rien 
»  prendre ,  finon  de  tout  ce  qui  fera  néceflaire  pour  radouber 
»  le  vaifleau  ou  pour  quelqu*a£le  de  Religion  ,  &*  ils  remet- 

(a)  Ce  Cap  fictt^  dans  Carthage  en  étoit  éloigné ,  à  peu  près  de  dix  de  nos 
lieues. 

*  •  »  tront 


BU    G  0  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      257 

l»*roQt  à  la.  voile  au  bout  de  cinq  jours.  Pour  ceux  qui  vien- 
^  dront  trafiquer  en  deçà  du. beau  promontoire  §  on  n'exigera 
V  d'eux  aucun  impôt  y  8c  ils  ne  payeront  que  ce  qui  fe  donne 
»  au  Crieur  public  &  au  Scribe  (a)  ,  moyennant  quoi  ^  la  foî 
»>  publique  fera  garante  au  vendeur  du  payement  de  tout  ce  qui 
9>  fera  vendu  enpréfence  de  ces  deux  perfonnes  y  fçavoir  de 
•>  tout  ce  qui  aura  été  vendu  en  Afrique  ou  en  Sardaigne.Quc 
•>  fi  quelques  Romains  viennent  en  Sicile  dans  les  endroits. 
»  qui  font  fous  la  domination  des  Carthaginois^ils  jouiront  des 
»  mêmes  droits  en  toutes  chofes^  Les  Carthaginois  s'abftien- 
»  dront  de  îaire  aucun  dommage  chez  les  Ardéates^les  Antiattt , 
»  lesLaurentins,IesCircéens,lesTarraciniens,&  chez  quelque 
•>  peuple  des  Latins  que  ce  foit  qui  dépende  des  Romains^ 
i>  Qu'ils  n'y  feront  aucun  tort  aux  villes  mêmes  qui  ne  dé- 
»  pendent  pas  de  la  domination  Romaine  ,  &  que  s'ils  en 
•>  prennent  quelqu'une  ^  ils  la  rendront  aux  Romains  en  fon 
»  entier.  Ils  ne  bâtiront  aucune  forterefle  dans  le  pays  La- 
n  tin  y  &  s'ils  y  entrent  à  main  armée  ,  ils  n'y  pafferont  pas 
»  une  feule  nuit  (b)  ». 

'  On  voit  par  les  claufes  de  ce  premier  Traité  ,  que  les  Car- 
thaginois s'étoient  déjà  rendus  les  Maîtres  de  la  Sardaigne 
&  dune  partie  de  la  Sicile  y  &  que  dès-lors  ils  appréhen- 
doient  que  Rome  ne  fit  des  établiffemens  en  Afrique  ;  que 
parmi  les  Romains  dont  TEtat  avoit  peu  d'étendue  y  la,  ma- 
rine n'étoit  pas  abfolument  inconnue  ;  qu'ils  faifoient  ufage 
Jesvaifleaux  marchands;  qu'ils  entreprenoient  des  voyages, 

*  ta)  Le  Cneut^public  annonçoic  apparemment  les  marchandifes  à  vendre,  &  I«' 
Scribe  ^coit  un  Commis  qui  earçgiûroir  ces  marchandifes  ,  leur  qualité  >  leur  i 
nombre,  &c. 
Kb)  Ce  Traité  TuV  fait  fanjo^  avant  Jefiis-Chrîft.  Voyez  let  pages  71*  &  7A/ 

4u  Recueil  HifioriQue  St.  Chronologique  da  Tiaités  >  par  BarbeYi;ac.  ;  .. 


25(5  SCIENCE 

Carthage  les  plus  confidcrables ,  ainfi ,  avec  refprît  de  négo- 
ce y  s'introduifircnt  dans  la  République  tous  les  vices  des 
Ncgocians  ,  la  mauvaife  foi  dans  les  marchés ,  le  déguifc- 
ment,  &  la  tromperie.  Autant  que  le  bien  public  Tcmpor- 
toit  fur  Tintérêt  particulier  dans  le  cœur  d'un  Romain,  au- 
tant Tintérct  particulier  Temportoit  fur  le  bien  public  dans  le 
cœur  d'un  Carthaginois. 
Gon  ufics      Carthage  devint  fi  puiflTante  qu  elle  fut  la  maîtrcffe ,  non- 
ac  ;»ccroiflciiicnt  feulcmcnt  de  la  Lybie,  de  la  Sicile  ,  de  la  Sardaime  ,  &  de 
^"^'  toutes  les  Ifles  de  la  Méditerranée  qui  étoient  à  fa  bienféan- 

ce ,  mais  encore  d'une  bonne  partie  de  l'Efpagne,  Cette  Ré- 
publique fut  floriflante  pendant  fept  cens  ans, 
^>  tM  Troîi      ^^  première  Nation  étrangère  à  Tltalie,  avec  laquelle  les 
?ntrc*"c«[ta^  iîomaîns  traitèrent  après  avoir  chaffc  leurs  Rois  ,  ce  fut  la 
^  Ronic.         Carthaginoife,  Polybe  nous  a  confcrvé  la  convention  qui  fut 
faite  entre  Carthage  &  Rome ,  fous  les  Confuls  Brutus  & 
Zaleucus;  &  Tite-Live  en  parle  aufiî.  C'efl  le  plus  ancien 
Traité  qui  foit  parvenu  jufqu'à   nous  en  fon  entier.   Le 
voici. 

»  Il  y  aura  amitié  entre  les  Romains  &  leurs  Alliés,  d'une 
j>parc  y  &  les  Carthaginois  &  leurs  Allies  ,  de  l'autre,  fous 
»  les  conditions  fuivantes.  Les  Romains  ni  leurs  Alliés  n-e 
»>  pourront  naviguer  au-delà  du  beau  promontoire  (//),  s'ils 
ii  n'y  font  pouflTés  par  la  tempcce  ou  contraints  par  leurs  en- 
«  nemis ,  &  au  cas  que  quelqu'un  foit  ainfi  force  de  pafler  ces 
i>  limites ,  il  ne  lui  fera  permis  de  rien  acheter,  ni  de  rien 
»  prendre ,  finon  de  tout  ce  qui  fera  néceflairc  pour  radouber 
»  le  vaifleau  ou  pour  quelqu*a£le  de  Religion  ,  &  ils  remet- 

(a)  Ce  Cap  fictt^  dans  Carthage  en  e'toit  éloigné ,  à  peu  près  de  dix  de  nos 
lieues. 

•  •  »  tront 


BU  G  0  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.  747 
l»*rorit  à  la  voile  au  bout  de  cinq  jours.  Pour  ceux  qui  vien- 
^  dront  trafiquer  en  deçà  du  beau  promontoire  »  on  n'exigera 
V  d'eux  aucun  impôt ,  &  ils  ne  payeront  que  ce  quife  donne 
»  au  Crieur  public  &  au  Scribe  {/)  ,  moyennant  quoi  ^  la  foî 
»>  publique  fera  garante  au  vendeur  du  payement  de  tout  ce  qui 
â>  fera  vendu  enpréfence  de  ces  deux  perfonnes  ,  fçavoir  de 
•>  tout  ce  qui  aura  été  vendu  en  Afrique  ou  en  Sardaigne.Quc 
•>  £i  quelques  Romains  viennent  en  Sicile  dans  les  endroits. 
»  qui  font  fous  la  domination  des  Carthaginois^ils  jouiront  des 
»  mêmes  droits  en  toutes  chofes^  Les  Carthaginois  s'abftien- 
»  dront  de  ïaire  aucun  dommage  chez  les  Ardéates^les  Antiattt , 
»  les  Laurentins,lesCircéens,lesTarraciniens,&  chez  quelque 
•>  peuple  des  Latins  que  ce  foit  qui  dépende  des  Romains^ 
i>  Qu'ils  n'y  feront  aucun  tort  aux  villes  mêmes  qui  ne  dé- 
»  pendent  pas  de  la  domination  Romaine  ,  &  que  s'ils  en 
•>  prennent  quelqu'une  ^  ils  la  rendront  aux  Romains  en  fon 
»  entier.  Ils  ne  bâtiront  aucune  forterefle  dans  le  pays  La- 
t>  tin ,  &  s'ils  y  entrent  à  main  armée  ,  ils  n'y  pafferont  pas 
»  une  feule  nuit  {II)  ». 

On  voit  par  les  claufes  de  ce  premier  Traité  ,  que  les  Gir- 
thaginois  s'étoient  déjà  rendus  \^s  Maîtres  de  la  Sardaigne 
&  d  une  partie  de  la  Sicile ,  &  que  dès-lors  ils  appréhen- 
doient  que  Rome  ne  fit  des  érabliflemens  en  Afrique  ;  que 
parmi  les  Romains  dont  TEtat  avoit  peu  d'étendue  ^  la  ma- 
rine n'étoit  pas  abfolument  inconnue  ;  qu'ils  faifoient  ufage 
Jesvaifleaux  marchands;  qu'ils  entreprenoient  des  voyages, 

*  la)  Le  Crieur  public  annonçôic  apparemment  les  marchandifes  à  vendre,  &  la' 
Scribe  ^coit  un  Commis  qui  earçgiilroir  cts  marchandifes  >  leur  qualité  >  leur  : 
nombre,  &c. 
}ik)  Ce  Traké Refait  fanjo^  avant  Jefus-Oirift.  Voyez  let  pages  7$*  &  7A/ 

4u  Rtçutil  HiJtoTique  St.  Chronologique  des  Tiaités  >  par  Barbey^c.  .        \  ,  -     ,. 


/ 


35»  SCIENCE 

dTaffcz  long  cours  ,  puifqalh  àlloicttt  jufqu'à  Cartfiage  y  8è 
qu'une  alliance  avec  Kome  étoit  ,  dès  cfr  teins-tà  y  avanta^ 
geufe  aux  peuples  vôifins  ,  puîi!qti*eîle  tes  metcotc  à.  couvert 
des  courfes  d'ennemis  audî  formidables  que  rét(»eQt  les  Car^ 
tliaginois  qui  >  maîtres  de  la  mer  &  d^utie  partie  de  là  Sicile  ^ 
pouvoient  facflement  înfefler  les  côtes  màitimcS  de  Thalie. 

SousleConfulatdeVaferius  Corvus  &  de  PopiliuS  LcBnas,. 
fcs  Carthaginois  envoyèrent  des  Ambaffadeurs  à  Romc^ 
confirmer  le  premier  Traité  Se  y  faire  des  changemens  &  des^ 
additions..  On  y  pennettoir  aux  Romains  de  pafTer  le  beâu 
ffomontoirc  >  de  poulïer  jufqu^à  Utique  ,  à  Carthage ,  à  Tyr  ^r 
êc  même  jufqu*a  Murkia  &  àTarfcion  ^  mais  ilsn  eurent  pas^ 
là  liberté  de  sétendre  aii-delà  ^  de  fonder  des  villes  ^  it  à» 
£iire  des  conquêtes..  Rome  con&ntit^,  defon^  côté  y  que  les^ 
Carthaginois  piUaflent  les  villes  du  Latium  qiLiln'iécûient  pa» 
dansfon  alliance  )  mais  elleflipula  qulls  ne  pourroient  pas«^ 
s^en  emparer  pour  s'y  établir^  Rome  interdit  au& Carthaginois^ 
k  liberté  de  venir  vendre  dans  &s  ports  les  Efclaves  qu  il» 
auroiempufairp^  dans  leurs  courfes  ^.fur  les  Nations veifiney 
^  Rome;.  &  elle  voulut  (]^eces  fortes  d^claves  qu'on  y 
eonduifoit  fliflent  confilqués  Les  Romains  s'engagèrent  d^e» 
fifer  de  la  même  forte  avec  ks  Carthaginois^  6c  avec  leurs^ 
alliés^.  Carthagp  y  à  fon.  tour  y  fUpula:  que  fi  les  Rooiains  fai^ 
foient  quelque  tort  aax  habttansdes  pays  de  &  domination^ 
&r  les  côtes  où  ils  defcendsoient  pour  faire  de  Teau  ou  poiar 
prendre  dc^r^^kiflemens9,1!in&ilte  foroit  regaF'déecomme 
uneinjuire publique.  Il  fia  d^endu  â  tout  Romain  de  négo^ 
ci»  en  Afiriqve^  dan&ll^^leSasdagFie  >&  d'y  ifefter  prl«w 
de-ckti  jours  y  fijppofié^  qo!^  f  afaûcda&int  ^  mais  dans  les;, 
endroits  de  la  Sicile  où  tes  Cardxagtnois  étoienc  &s  maîbes. 


DU  GOUVERNEMENT,  aj^ 
if,  à  Çartbage  ^  il  ûit  permis  aux  Romains  de  vendit  CQuces 
iç$  marchandifes  que  les  Canhaginois  avpient  permifUon 
d'acheter.  X^es  Romains  accgrderent  la  même  permiflion  aux: 
Cardiajg;inoi$  ^  p^r  irappptt  au  commerce  avec  la  ville  de 
Eome. 

Il  paroît  par  ce  fécond  Traité  (4)  cjui  fut  dans  la  fuite  re- 
nouvelle (b)  avec  quelques  changemens  (c)  ^  queCarthage  te- 
noit  alors  TEmpire  de  la  mer  ;  qu^elle  prefcrivoit  des  bornes 
ià  la  navigation  des  autres  peuples  ;  qu  elle  s'étoîc  plus  ag-^ 
erandie  que  Rome  ;  &  que  les  deux  Républiques  fe  crai« 
gnoient  mutuellement. 

Ces  deux  peuples  rivaux  en  vinrent  aux  armes  ;  &  ce  fut    «,.  Pimiew 
le  defTein  de  pofleder  la  Sicile, formé  en  même  tems  par  rune  ^pl^ûmpulu 
^  par  Tautre  Nation  ,  qui  les  mit  aux  mains.  La  guerre  en* 
tre  Carthage  &  Rome  fut  vive  ^  elle  dura  vipgt-quatre  sifis^ 
&:  elle  Ait  enfin  terminée  à  l'avantage  des  Romains  par  un 
Traité  (d)  dont  je  rapporte  les  propres  termes* 

»  Uamitié  entre  Rome  &  Carthage  fe  rétablira  aux  con- 
n  dirions  fuivantes ,  pourvu  que  le  peuple  Romain  les  ratifie. 
SI  i^.  Les  Carthaginois  abandonneront  entièrement  la  Si- 
n  cile ,  &  ils  évacueront  les  places  qu'ils  y  retiennent  én- 
»  core.  2^.  Ils  payeront  aux  Romains  deux  mille  deux  cens 
»  talens  ,  &  cette  fomme  fera  acquittée  en  entier ,  à  divers 
n  payemens  égaux ,  par  chaque  année  j  dans  Tefpace  de  vingt 
»  ans.  }^.  Carthage  reflituera  aux  Romains  les  captifs  &  les 
I»  tranfuges  de  leur  République  9  fans  aucune  rançon  ^  &  les 

<a)  Fak  J47  ans  avant  J.  ۥ 

<i)  307  ans  avant  J.  C 

<c)  Voytz  ce  &cood  Sl  ce  trolfiéme  Tndté  dans  le  Recudl  it  Baxbejrac  aiis 
p»ges  ii2.  &  2  J7. 

id)  CoQcltt  devant  Erix  vers  r^n  241  #viutf  X  C  £af  Hjunilcar  pete  d*Aim< 
Hat  ^&  le  Confia  Q-lttcatiitt.         ^ 

Kkij 


2^&  SCIENCE 

»  Carthaginois  ne  recouvreront  leurs  prifonniers  ,  qu'ër* 
V  payant  par  têtes  l'es  fommes  dont  on  conviendra.  4^.  Les; 
i>  Carthaginois  s'abfliendront  de  faire  la  giicrre  au  Roi  Hi&- 
•  ron,  aux  Syracufains ,  &  autres  allies  de  Syracufc  >v. 

Ces  articles  figncs  ,  Erix  fut  rendu  par  Hamilcar ,  &  Tonr- 
régla  qu'il'  payeroit  en  forçant ,  pour  chacun  de  fcs  foldats  ^ 
lafomme  dfe  dix-huit  deniers  Romains.  On-  fe  donna  des  fû* 
retés  de  part  &  d'autre  ;  mais*  pour  achever  Tôuvrage  de  là 
paix  ,  il  rcftoit  à  obtenir  le  confentement  dii  peuple  Romain^ 
Le  Confiai  envoya  à  Rome  fcs  Députes  ;  les  Carthaginois^ 
des  Ambafladeurs  ;  &  le  peuple  n'agréa  pas  tous  les  articles.. 
Les  Romains  nommèrent  dix  Cbmmiflaires  pour  s'aller  abou-^ 
eher  avec  Hamilcar,  &  pour  exiger  de  lui  de  nouveaux 
avantages*  Ces*  Commiffaires   demandèrent  que  Carthage 
payât  fur  le  chmap  mille  talcns  ;  8c  que  dans  Tèlpace  de  dix 
ans ,  elle  en  payât  ,  en.  dix  payemens  égaux  ,  deux  mille 
deux  cens  autres.  Us  voulurent  encore  que  Carthage  cédât 
à' Rome-  hs  Ides  qui  font  répandues  depuis  lltalie  jufqu'en 
Sicile-;  que  les  vaifleaux   Carthaginois  n'^y   puffent  jamais 
aborder;  &  quH  ne  fut  plus  permis  à  ces  Africains  d'y  venir 
faire  des  levées  de  Soldats  mercenaires.  Ces  nouvelles  8c 
dures  conditions  fiirent.encore  acceptées  par  le  Général  Car^ 
diaginois  (a)'^ 
9^  »tonde      ^^^  Romams  ne  furent  pas  lbng=-tems  fans  abufér  de  l'hcu- 
Euin«£*^!  reufe'fituation  où  les  avoit  mis  le  Traité  de  paix  qu'ils  avoienc 
conclu-  avec  Carthage  y:&  les  Carthaginois  eiTuyerent ,  de 
leur  part ,  plufieurs  injuftices  en  diverfes  occafions.  D'ail-- 
kurs,  la.  République  de;  Carthage  faifoit  en  Efpagne  des 

^  (a)  Voyez  les  pages  3  ro^  jt  i .  jTi;  &  fi  J.  dtt  Rtaïuil  BpTÏquc  &  CkrmU^ 
giqu€  dis  Trâirèt  par  Barbciraç» 


D  U  G  ou  V  E  R  N  É'M  Ê  N  T. .  lè^^ 
conquêtes  qu^ellc  ne  pouvok  continuer ,  fans  mettre  en  dân^ 
ger  cdle  de  Rome-  qui  ^  de  fon  eôté  a\'ôîc  étfehdu  fa  domina^ 
tîon  jufques  far  les  confins  de  la  Gféce.  Lç5  Romains',*  qtif 
^voient  împbfe  un  nouveau- tribut  au*  Carthaginois,  &  quf 
leur  avoient  enlevé  la  Sardaigne  pendaiït  les  troubles  d*Afrî-r 
que  ,  firent  avec  eux ,  pour  le  partage  de  ITlfpagne ,  un- 
Traité  dont  les  conditions  furent  que  les  Ganhaginofe  n& 
pafferoient  pas  TEbre  j  &  que  les  Sagontinîs'j  placés' entre  eux* 
&  les  Romains-,  demeurereient  neutres  St  vivroient  libres  8t 
indépendant  (4).  Le  grand  Annibal  attaqua- Sagonre  contre* 
k  fot  du  Traité  f  les  Romains  s'en  plaignirent  inutilement,^ 
&  les  deux  peuples  rivaux  s'engagèrent  dans  une  nouvelle' 
guerre.  Elle  dura  feize  ansy&  fon  hiftoire  prcfente'  penC. 
être  lé  plus  grand  fpeclacle^  que  nous  air  fourni  rantîquitëi^ 
La  haine ,  l-habileté,  l'expérience  d'Annibal,le  firent pref-^ 
que  triompher  de  Rome  ;  ntalie  entière  penfâ  plus*  dune 
fois  tomber  fous  la-  domination  des  Carthaginois  ;  maiscej: 
Républicains  n'ayant  pas  envoyé  les  fècours  que  leur  Gêné*-' 
rai  demandoît ,.  il- fiit  réduit  à  une  guerre  défenfive.  Gela^ 
donna  aux  Romains  la  penfée  de  porter  la  guerte  en  Afiri^- 
que,  &  Scipion  y  defcendic.  Les  fuccès  qu'il  y  eut  oblige-»- 
rent  les  Carthaginois  à  rappelîer  d'Italie  leur  Annibal  qui 
pleura  de  douleur,  en  abandonnant  aux  Romains  cette  terre: 
où  il  les  avoir  tant  dt  fois  vaincus; 

Annibal,  n'ayant  pu  ajufler  avec  Scipiorr  les  différends/ 
des  deux  Républiques,  donna  une  bataille  qu'il  perdit,  &.*» 
Garthage  fe  foumit  à  une  paix  (i)  dont  les  articles- reflerr>- 
blent  moins  aux  conditions  que  fe  font  dos  ennemis  armés^^ 
qu'aux  Loix  qu'impofent'  des  maîtres^^ 

(tr)  Seconde  Décad.  de  Tict^UYe  |  o^  Sng^lémenC  de  Kreinshemiusf 


tSz  SCIENCE 

Carthage  s'obligea  de  réparer  tous'  Içs  dommages  qu'elle 
4voit  faits  aux  Romains  pendant  les  trêves  ;  de  rendre  tous 
le$  prifonnicrs  &  tous  les  déferteurs ,  en  quelque  tems  qu  ils 
fu^Tent  tombés  entre  fes  main$  ou  qu'ils  euiTent  pafle  dans 
fon  parti  ;  de  livrer  tous  fes  vaiile^ux  dç  guerre  )  à  la  réferve 
4e  dix  )  à  trois  rangs  de  rames  ;  de  livrer  au(fi  tous  fes 
élépkans  ;  de  ne  faire  la  guerre  à  perfonne  hors  de  T Afrique^ 
6c  de  ne  prendre  en  Afrique  même  les  armes  contre  qui  que 
ce  fut  9  fans  le  confentement  du  peuple  Romain  ;  de  rendre 
au  Roi  Mafinifla  les  m^ifons ,  les  terres  y  les  villiss ,  Se  tpu« 
tes  les  chofes  que  les  Carthaginois  tenoient  8r  qui  avoienc 
appartenu  à  Mafmifla  ou  à  fes  ancêtres ,  dans  Tctendue  de 
pays  qu'on  leur  indiqueroit  ;  de  fournir  â  l'armée  Romaine 
du  bled  pour  trois  mois>  6c  la  paye  jufqu'à  ce  qu'on  eût  ré* 
ponfe  de  Rome  au  fujet  des  conditions  de  I4  paix  ;  de  doa-» 
oer  9  dans  l'efpace  de  cinquante  ans  j  dix  mille  talens  d'ar«- 
gent  y  en  payant  deux  cens  talens  d'Eubée  chaque  année  ; 
6c  de  remettre  pour  fureté  cent  otages  que  le  Général  de 
l'armée  Romaine  choifiroit  parmi  les  jeunes  gens  de  Cartha^. 
ge  f  enlbrte  qu'ils  nç  fufTent  pas  au^deÇTous  de  quatorze  ans^ 
ni au^-deffus  de  trente  (a). 
9^^tMétag     ^^  troifîeme  guerre  Punique  fut  entreprife ,  un  nouveai 
fVÙ^  S^°(Sî^  Traité  la  fufpendir  (k)  y  &  une  liipercherie  qui  a  imprimé  une 
^^  tache  étemelle  au  nom  Romain  (/)  9  força  les  Carthaginois  à 

reprendre  les  annes.  Scipion  Emilien  prit  Canhage  ,  la  rafa 
^(d)  j  8c  confirma  par  cette  vi£loire  le  nom  d'Africaift^  dans 

<a)  Voyes  le  Recuisil  de  Biirbeync  fzg.  %4%  »  )4}  >  &  }44# 

Cb)  Ibid.  pa|;.  400* 

"  Ce)  Voyez  la  cin^uUme  SeAion  du  croiiîéme  Chapitre  du  Droit  des  «Gens  ait 
IhHaniaire  :  Ailumces  ^ui^  rendant  Fun  d(S  aUffs  inf trieur  1  àgnnwt  Mçmtf  4  l^ 
Sêuveraineté. 

I 


t)  U  G  O  U  V  E  R  N  É^  M  E  Jsl  T,  2^5 
Ta  famille.  Dans  la  fuite,  Augufle  y  envoya  une  fcolofiie  de 
trois  mill&  hommes.  Hadrien  la  rctal!)Iit  y^h  nomma  Ha^ 
irUnopolis.  Après  rétabliflémènc  du  Chriflianifme,  Cartha- 
ge  devint  le  fiége  d'un  Archevêché,  {a).  Gcnferic  Tenleva 
aux  Romains  ,&  pendant  cent  ans ,  elle  fut  le  ÏÏége  del*Em^ 
pire  des  Vandales  en  Afn^iue.  Les  Arabes  ont  entièrement 
ruiné  Canhage,&Von  en  voit  les  ruines  à  4  lieues  âéjTunîsl. 

Carthage ,  devenue  plutôt  riche  que  Rome ,  avoir  été  aul!- 
Il  plutôt  corroifipue.^  Pendant  qù^  Rome  les  eftiplbls  publics  ^^-^^^ 
rie  s'obtenoient  que  par  la  vertu  &  ne  donnoient  d'autre  liti-  J^  ^*<^,^"5 
lité  que  ITionneur  ,*tout  ce  que  le  public  peut  donner  aux  «"*^**°*»  ' 
particuliers  fe  vendoit  à  Canhage ,  &  tout  fcrvice  rendu  par 
un  citoyen  y  étoit  payé  par  le  public.  La  cyrahrtîé  daï^rihce 
lie'  met  pas  fon  Etat  plus  près  de  &  ruiné  ,  que  Tindïfferencè 
des  citoyens  pour  le  bien  commun  n*y  met  une  Répul>nc^uéw 
L'avantage  d'une  République  >  c'eft  qull  n'y  a  point  de  fa?^  , 

voris  comme  dans  la  Monarchie^  mais  Iprlqu au  lieu  des  fa«-^ 
Voris  8c  des  parens  tlu  Prince  ^  il  faut  faire  la  fortune  des  pa**^ 
lens  6c  des  amis  de  tous  ceux  qui  ont  part  au  Gouvernement^ 
tout  efl  perdu:  Les  Loix  font  éludées  plus,  d^géreufemenr 
dans  une  RépoUiq^ ,  ^o^elles  ne  Ibnt  violées  par  tiaPrinK 
ce  qui  a  toujours  pLs  d'intérêt  à  la  conlervi^ion  de  ibn  Ëtat^  ' 
ifÊit  vCen  içauioit  avoir  aacuiî  citoyen  à  la  confia  vacion  de  fat 
Républiquer 

Un  irfage  bien  étabR  de  la  pauvreté  parmi  Te!r  partlcttlièfs 
te  d*andennes  mœurs  rendoient  à  Rome  les  fortunes^  à  pe« 
près  égales  >  mais  à  Carthage^  les  jparticvliersavoiient  les  ri» 
âieffes  des  Roîy. 

Les  Romains  y  toujours  généreux^  toujours  reconnoif^ 


a(?4  SCIENCE 

fans ,  lorque  la  politique  exigeoit  qu'ils  le  fuflcht ,  devoîenî 
haturellementaugmentet  toujours  leur  puiflTancc  ;  Jcs  Car- 
thaginois toujours  perfides,  toujours  ingrats,  dévoient  a  la  fin 
perdre  lalcur^.  ,^ 

L'efprijt:  des  Carthaginois  borné  au  commerce  &  rétréci  par 
Tavarice  ,  ne  s^ouvroit  point  aux  grandes  diofes ,  comme 
celui  des  Romains^  Tandis  que  les  uns  ,  naturellement  lâ- 
ches 8c  timides  *,  fe  bornoienr  aux  intrigues  &  aux  cabales 
des  citoyens  3'  les. autres  ,  fiers  &  courageux  ,  pàrticipoientà 
la  grandeur  &  à  Fambition  de  leur  Republique  ,  Se  en  décî^ 
4oient  les  querelles  par  les  armes. 

De  deux  fa£Uons  qui  divifoient  Canhagc,  Tune  vouloît 
cbûjcyjrs.  là .  paix  5  &  J'autre  toujours  la  guerre.  Il  étoit  par 
confeqùent  inipoflible  d'y  jouir  de  la  paix  ou  de  bien  faire  Ul 
giicrrç^  '  ;'  ' 

La  guerre  quîXéparoit.Ies  intérêts  dans  Carthage ,  les  réu- 
tii^Toic  dans  RpinÇ;.  La  prcfence  d'Annibal  fit  ceffer  parmi 
ies  Romains  toiirês'lcs  divîfions^  mais  la  préfencc  de  Scipîon 
aigrit  celles  qui  étoient  déjà  parmi  les  Carthaginois.  Dans  les 
Etats  jgoÙYerhés  par  un  Prince^  les  divifions  s'appaifcnt  aî- 
Cement ,  parcç  qu'il  a  dans  fes  miains  une  puiflante  coërcitivç 
qui  rameiie  les  deux  partis;  mais  dans  les  Républiques,  el- 
!ps  font  plus  durables ,  parce  que  le  mal  attaque  ordinaîrer 
;lïieîit  là  puiflance  même  qui  pourroïi:  le  guérir. 

A  Rome  gouvernée  par  les  Loix,  le  peuple  fbuffroit  que 
le  Sénat  eut  û  direftioi)  des  affaires,  à  Carthage  iniçûé» 
d'abus ,  le  peuple,  youloît  toyt  faire  jpar  lui-mcme. 

XTarthage  ,  qui  faifôîjt  îa  guerre  avec  Ton  opulence  contre' 
I4  pauvreté  Romaine^  avoit^p^r  ceiamcme^  du  dcfavantage. 


.     DU    GOUVERNEMENT-       26s 

L*or  8c  Targenc  s^épuifent  ;  mais  la  venu^  la  confiance  ^  la  for-- 
ce  y  la  pauvreté  ,  ne  s'épuifent  point. 

Les  Carthaginois  fc  fervoient  de  troupes  étrangères  ,  & 
les  Romains  employoient  les  leurs.  Ceux-ci,  qui  n'avoienc  ja-^ 
mais  regardé  les  vaincus  que  comme  des  inftrumens  pour  des 
triomphes  futurs  ^  avoient  rendu  foldats  tous  les  peuples  qu'ils 
avoient  foumis. 

Carthage  employoit  plus  de  forces  pour  attaquer  ;  Rome  , 
pour  fe  défendre.  Rome  arma  un  nombre  d'hommes  prodi- 
gieux contre  les  Gaulois  &  contre  Annibal  qui  Fattaquoient  ; 
Se  elle  n'envoya  que  deux  légions  contre  les  plus  grands  Rois  p 
ce  qui  rendit  fes  forces  éternelles* 

L'établiflement  de  Carthage  étoit  moins  folide  que  celui  de 
Rome*  Cette  dernière  République  avoit  trente  colonies  (a) 
autour  d'elle  ,  qui  en  étoient  comme  les  r^riparts  ,  Tautre  n'a- 
voit  aucun  voifin  fur  lequel  elle  pût  compter ,  parce  qu'elle 
les  accabloit  tous,  &  que  la  plupart  des  villes  de  fa  domination 
étant  peu  fortifiées  &  pleines  d'habitans  mécontens  ,  fe  ren- 
doient  d'abord  à  quiconque  fe  préfentoit. 

On  ne  peut  gueres  attribuer  qu'à  un  mauvais  Gouvernement 
ce  qui  arriva  aux  Carthaginois ,  dans  le  cours  de  la  guerre 
que  leur  fit  le  premier  Scipion.  Leurs  villes  (&),  &. leurs  ar-^ 
mées  même  étoient  affamées  tandis  que  les  Romains  étoienc 
dans  l'abondance  de  toutes  chofes. 

Chez  lès  Carthaginois ,  les  armées  qui  avoient  été  battues  ^ 
devenoient  plus  infolentes  ;  quelquefois  elles  mettoient  en 
croix  leur  Général ,  &  le  punifToient  de  leur  propre  lâcheté. 
Chez  les  Romains  y  le  Conful  décimoit  les  troupes  qui  avoient 

(tf)  Tît.  Lîv.  Lih.  17. 

(ff)  Voyez  Appien  Lihcr  Lyhicùs^ 

Tome  /•  .  '  lél 


a^4  SCIENCE 

fans,  lorque  la  politique  exigeoit  qu'ils  le  fuflcht,  devoîenî 
naturel lement  augmenter  toujours  leur  puiflTancc  ;  .les  Car- 
thaginois toujours  perfides,  toujours  ingrats,  dévoient  a  la  fin 
perdre  la  leur*  ..  ^ 

li'efprijt:  des  Carthaginois  borné  au  commerce  &  rétréci  par 
Tavarice  ,  ne  s^ojuvroit  point  aux  grandes  diofes  y  comme 
celui  des  Romains.  Tandis  que  les  uns  ,  naturellement  lâ- 
ches 8c  timides  ',  fe  bornoienr  aux  intrigues  &  aux  cabales 
<lés  citoyens  5  les. autres  ,  fiers  &  courageux  ,  participoientà 
la  grandeur  &  à  Fambition  de  leur  République  ,  &  en  déci^ 
Soient  les  querelles  par  les  armes, 

Dç  deux  fadUons  qui  divifoient  Canhagc,  Tune  vouloît 
coûjoiirs,  la .  paix  5  &  J'aurre  toujours  la  guerre.  Il  étoit  par 
conféqûent  impoiOTible  d*y  jouir  de  la  paix  ou  de  bien  faire  I9 
^crrc^  '  '  .  '  . 

La  guerre  quîféparoit  les  intérêts  dans  Carthage ,  les  réu- 
îu^Toîc  dans  Rome/  La  ©rcfence  d'Annibal  fir  ceffcr  parmi 
les  Romains  toutes"  les  divlfions^  mais  la  préfencb  de  Scipîon 
aigrit  celles  qui  étoient  déjà  parmi  les  Carthaginois.  Dans  les 
EtatSjgoùVerhés  par  un  Prince^  Ips  divifions  s'appaifcnt  aî- 
fement ,  parcç  qu'il  a  dans  fes  miains  une  puiflante  coërcitivç 
qui  ramejie  les  deux  partis;  mais  dans  les  Républiques,  el- 
!ps  font  plus  durables ,  parce  que  le  mal  attaque  ordinaîrer 
^lïieiit  la  puiflance  mcmé  qui  pourroïi  le  guér ir, 

A  Rome  ^o^yernée  par  les  Loix ,  le  peuple  fbuffroit  que 
le  Sépat  eut  Ia  direftioi)  des  affaires,  à  Carthage  iniçûé» 
d  ahuis ,  le  peuple  youloit  toyt  faire  jpar  lui-mcme. 

'Cartilage  ,  qui  faifoît  îa  guerre  avec  fon  opulence  contre" 
15  pauvreté  Romaine^  avoit^  p^r  cela  même^  du  défavantage. 

i.  91: 


-DU  GOUVERNEMENT-  26^ 

L*or  &  Targent  s'épuifent  ;  mais  la  vertu,  la  confiance ,  la  for- 
ce y  la  pauvreté ,  ne  s'épuifent  point. 

Les  Carthaginois  fc  fervoient  de  troupes  étrangères  ,  & 
les  Romains  employoient  les  leurs.  Ceux-ci,  qui  n'avoient  ja-- 
mais  regardé  les  vaincus  que  comme  des  inflrumens  pour  des 
triomphes  futurs ,  avoient  rendu  foldats  tous  les  peuples  qu'ils 
avoient  foumis. 

Carthage  employoit  plus  de  forces  pour  attaquer  ;  Rome  9 
pour  fe  défendre.  Rome  arma  un  nombre  d'hommes  prodi- 
gieux contre  les  Gaulois  &  contre  Annibal  qui  Tattaquoient  ; 
Se  elle  n'envoya  que  deux  légions  contre  les  plus  grands  Rois  p 
ce  qui  rendit  fes  forces  éternelles* 

L'établiffement  de  Carthage  étoit  moins  folide  que  celui  de 
Rome*  Cette  dernière  République  avoit  trente  colonies  (a) 
autour  d'elle  ,  qui  en  étoient  comme  les  r^nparts  ,  Tautre  n'a« 
voit  aucun  voifin  fur  lequel  elle  pût  compter ,  parce  qu'elle 
les  accabloit  tous,  &  que  la  plupart  des  villes  de  fa  domination 
étant  peu  fortifiées  &  pleines  d'habitans  mécontens  ,  fe  ren- 
doient  d'abord  à  quiconque  fe  préfentoit. 

On  ne  peut  gueres  attribuer  qu'à  un  mauvais  Gouvernement 
ce  qui  arriva  aux  Carthaginois  ,  dans  le  cours  de  la  guerre 
que  leur  fit  le  premier  Scipion.  Leurs  villes  (&),  &  «leurs  ar-^ 
mées  même  étoient  affamées  tandis  que  les  Romains  étoienc 
dans  l'abondance  de  toutes  chofes. 

Chez  lès  Carthaginois ,  les  armées  qui  avoient  été  battues  , 
devenoient  plus  infolentes  ;  quelquefois  elles  mettoient  en 
croix  leur  Général ,  &  le  punifToient  de  leur  propre  lâcheté. 
Chez  les  Romains ,  le  Conful  décimoit  les  troupes  qui  avoient 

(tf)  Tît.  Lîv.  Llb.  17. 

(h)  Voyez  Appien  Libtr  Lyhidis. 

Tome  I.  ....  ^  lél 


2^6  SCIENCE 

fui  )  &  les  ramenoit  contre  rcnncmi, 

La  fondation  d'Alexandrie  a  voit  beaucoup  diminue  le  coift-- 
merce  de  CarthagCr  Dans  les  premiers  tems ,  la  ruperftition 
banniflbit  en  quelque  façon  les  Etrangers  de  T^gypte  ,  & 
iorfque  les  Perles  Teurcnt  conquifc  ,  ils  n'avoicnt  longe  qu'à 
affoiblir  leurs  nouveaux  fujets  y  mais  fous  les  Rois  Grecs,  TE- 
gypte  fît  prefque  tout  le  commerce  du  monde ,  &  celui  de 
Carthage  commença  à  déchoir» 

La  cavalerie  Carthaginoife  valut  mieux  que  la  Romainey 
par  deux  raifons  ;  Tune  ,  que  les  chevaux  Numides  &  Efpa* 
gnols  étoient  meilleurs  que  ceux  d'Italie  ;  &  Tautre ,  que  la 
cavalerie  Romain:  ctoit  mal  armoe  ;  car  ce  ne  fut  que  dans  la 
guerre  que  les  Romains  firent  en  Gicce ,  qu  ils  changèrent  de 
manière  {a).  Dans  la  première  guerre  Punique  ,  Rcgulus  fut 
battu  y  dès  que  les  Carthaginois  choifircnt  les  plaines  pour 
faire  combattre  leur  cavalerie  ;  &  dans  la  féconde  ,  Annibal 
dut  à  fes  Numides  fes  principales  victoires.  Les  Romains  ne 
commencèrent  à  refpirer  dans  cette  féconde  guerre  y  que  IcrC* 
que  des  corps  entiers  de  cavalerie  Numide  paflerent  de  leur 
côte  y  en  Sicile  &  en  Italie.  Scipion  y  ayant  conquis  PEfpagne 
&  fait  alliance  avec  Mafmiffe ,  ôta  aux  Carthaginois  la  fup6- 
riorité  ;  ce  fut  la  cavalerie  Numide  qui  gagna  la  bataille  de 
Zaïna  &  finit  la  guerre. 

Les  Carthaginois  a  voient  plus  d'expcriencc  fur  la  mer,  ds 
connoifloient  mieux  la  manœuvre  que  les  Romains  ;  mais  cec 
avantage  n'ctoit  pas  pour  lors  auffi  grand  qu  il  le  feroit  aïK 
joufd'hui* 

Des  batailles  perdues  y  la  diminution  du  peuple  ,  Taffop-^ 
blifTcment  du  commerce  ,  rcpuiiemcnt  du  trcior  public  ,  le 

^)PolybrLib,Ç^ 


DU    GOUVERNEMENT,        nS^ 

ibulevcment  des  Nations  voilîncs,  toutpouvoic  faire  accepter 
à  Carthage  les  conditions  de  paix  les  plus  dures*  Mais  Rome 
ne  ib  conduiloit  point  par  le  fentiment  des  biens  & -des  maux, 
elle  ne  fe  déterminoit  que  par  des  motifs  de  gloire.  Comme 
elle  n'imaginoit  point  qu'elle  pût  être  ,  fi  elle  ne  commandoit  y 
il  n'y  avoit  ni  efpcrance  ni  crainte  qui  pût  l'obliger  à  faire  une 
paix  dont  elle  n'auroit  pas  elle  -  même  diâé  les  conditions^ 
Rien  n'ell  fi   puiflant  qu'une  République  où  l'on  obferve  \^% 
Loix  ,  non  par  crainte  ni  par  raifon  feulement ,  mais  par  paf- 
fion  ,  comme  firent  Rome  &  Lacédémone  ;  pour  lors  toute  la 
force  que  pourroit  avoir  une  fadion ,  fe  joint  à  la  fagefTe  d^un 
ton  Gouvernement, 

Ce  furent  les  conquêtes  d'Annibal  qui  commencèrent  à  chan- 
ger la  forrune  de  la  féconde  Guerre  Punique  ;  mais  Une  rece- 
voir point  de  fecours  de  Carthage ,  foit  par  la  jaloufie  dW 
parti ,  foir  par  la  trop  grande  confiance  de  l'autre*  Pendant 
qu'il  conferva  toute  fon  armée  ,  il  battit  les  Romains  ,  mais 
lorfqu'il  fallut  qu'il  mît  des  garnifons  dans  les  villes  ,  qu'il 
défendît  des  alliés ,  qu'il  afiicgeât  les  places ,  ou  qu'il  les  em- 
pêchât d'être  aflîégces  ,  fcs  forces  fe  trouvèrent  trop  petites  , 
&  il  perdit  en  dcrail  une  grande  partie  de  fon  armée.  Les' 
.conquêtes  font  aifces  à  faire ,  parce  qu'on  les  fait  avec  toutes 
fes  forces  ;  elles  font  difficiles  à  conferver ,  parce  qu'on  ne 
Jçs  défend  qu'avec  une  partie  de  fes  forces. 

A  Rome ,  les  mœurs  du  peuple  ctoient  telles  que  tout  abus 
du  pouvoir  y  pût  toujours  être  corrigé.  Carthage  périt,  parce 
que ,  lorfqu'if* fallut  retrancher  les  abus,  elle  ne  put  pas  même 
foufFrir  la  main  de  fon  Annibal. 

Dans  ce  temslà ,  l'efprit  de  commerce  &  de  confcrvatîon 
4toit  ^  pour  âinfi  dire,  dans  fon  eofance^  &  n'a  voit  pas  eu 

Ll  ij 


263  SCIENCE 

le  tems  de  fe  perfe£lionner ,  au  lieu  que  refprit  de  conquête 
eft  plus  impétueux  dans  fa  fource  que  dans  fcs  progrès»  Si  te» 
CarthaginSis  avoient  eu  des  frontières  fortifiées  >  (i  avec  Tet 
prit  qui  les  portoit  à  découvrir  de  nouveaux  pays  pour  leur* 
commerce  ,  ils  avoient  eu  Tcfprit  de  co'nfcrvation ,  les  Romrain» 
auroient  pu  n'être  pour  les  Carthaginois  dans  la  premiercr 
Guerre  Punique  y  qu'une  troupe  de  bandits» 

Sectio-n    VI. 

Du  Gouvernement  des  Romains. 

^s.  roniîauon  Romè  «  qui  a  eu  befoin  du  fecours  de  la  fable ,  pour  cacher 
■je.jwpubigu^»  la  baffeflfe  de  fon  origine,  réceptacle  de  bandits,  fondée  par 
de  ^Gouverne-  ^^  fratricide  y  forméc  par  raffemblage  des  femmes  enlevées  à 
leurs  familles  >  devint  la  maîtreffe  du  monde.  Une  grande 
partie  de  la  terre  fut  ou  fujette  ou  alliée  des  Romains  ;  &  avec 
eux,  les  liens  de  Falliance  n'étoient gueres  moins  pcfans  que 
ceux  de  la  fujettion. 

Les  Livres  ioni  pleins  de  détails  qui  regardent  le  commeiïh 
cément ,  les  progrès ,  les  diverfes  fituations ,  &  la  fin  de  ce 
peuple  célèbre.  Tout  ïe  monde fçaît  que  Rome,  dont  la  fon- 
dation fuivit  de  près  celle  de  Carthage  ,  fut  d'abord  gouver* 
née  Monarchiquement  ;  qu'après  Texpulfion  des  Rois  ,  rauto-- 
rite  fuprême  fut  partagée  entre  les  Confuls  ,  le  Sénat  ,  &  le 
peuple  ;  que  la  République  chercha  entre  les  Patriciens  &  les 
Plébéiens  y  un  équilibre  de  puiffance  qu'elle  ne  trouva  jamais  jr 
qu?elle  eut  fouvent  recours  à  la  création  d  un  Di£lateur  dont 
Tautorité  étoit  comme  Monarchique  ;  qu'elle  retourna  à  la  Mo- 
narchie par  où  elle  avoit  commencé  ^  &  qu'elle  y  perfiHa  ju£m 
qu'à  tcncier  renverlement  de  fon  Empire» 


DUGOUVERNEMENT,       2^p 

Romulus  y  que  ce  peuple  naiffant  fe  donna  pour  Roî ,  com- 
manda les  armées ,  eue  rintendance  des  facnficcs  ,  &  jugea 
les  affaires  civiles  &  criminelles,  11  établit  un  Sénat  qu'il  ren- 
dit arbitre  fuprême  de  tout  ce  que  le  Roi  jugeroit  à  propos  de 
renvoyer  à  fon  Tribunal ,  fans  qu  il  fut  permis  d'appeller  de 
ce  qui  y  fcroit  décidé,  à  la  pluralité  des  fuffrages.  11  autorifa 
le  peuple  à  créer  les  Magiftrats  y  à  faire  des  Loix ,  à  décider 
de  la  guerre  ou  de  k  paix  ,  quand  le  Roî  le  permettoit  ;  maïs 
il  limita  ce  pouvoir  ,  &  les  réfolutions  du  peuple  n'avoienr 
point  de  force ,  qu  elles  ne  fuffent  confirmées  par  le  Sénat  où 
le  Roi  préfidoit.  L'expulfion  de  Tarquin  le  Superbe  mit  fin  à 
la  Royauté  dans  Rome ,  &  y  forma  un  Gouvernement  Ré- 
publicain. 

Le  Gouvernement  de  la  République  ne  fut,  à  divers 
égards  ^  qu  un  Gouvernement  irrégulier  ,  Monarchique  , 
A  riftocratique  ,  populaire  s  les  Confuls  y  repréfentoient  la 
Monarchie  ;  le  Sénat,  TAriftocratie  ;  le  peuple,  la  Démo- 
cratie. Ceft  le  hazard  ,  au  fentiment  de  Polybe(a)^  qui  fie 
prendre  à  la  République  Romaine  une  forme  que  Lacédé- 
mone  choifit  par  goût.  Cet  Auteur  (6)  penfc  que  le  rappoft 
mutuel  &  le  concert  de  tous  les  Ordres  de  la  République  Ro- 
maine ,  ont  rendu  le  Gouvernement  de  Rome  le  plus  ac- 
compli qu  on  ait  jamais  vu  ;  mais  ce  concert  mutuel  ,  quand 
cxifta-t-il  ?  Le  Sénat  &  les  Confuls  y  le  peuple  &  les  Tribuns 
ne  furent-ils  pas  perpétuellement  aux  prifes  ?  Ne  fecrifierenr- 
îls  pas  toujours  à  Tintérêt  particulier  de  leur  corps ,  le  bon- 
heur public  qui  doit  être  Tobjet  de  tout  fege  Gouvernement  ? 
Toutes  ces  diffentioiB  anéantirent  enfin  la  République  ,  St 


% 


a)  Frag.  Lîb,  6w 

b^  Dans  fes  réflexions  fur  le  Gouvernement  des  Romains, 


270  SCIENCE 

donnèrent  la  naîflance  à  un  Empire  plus  defpotîque  qu^aucun 
Gouvernement  ne  Ta  jamais  été  ,  quoiqu'on  nous  parle  tou-» 
jours  de  la  valeur  des  Romains  ,  &  qu'on  ne  nous  dilc  jamais 
rien  de  leur  lâcheté. 

Les  Empereurs  laiflcrent  fubfifter  quelque  forme  extérieure 
des  anciens  ufagcs  ,  mais  fous  ces  tyrans  ,  on  vit  jufqu*où 
l'efprit  d'efclavage  pouvoit  erre    porté  ,   comme  Ton  avoit 
vu  fous  la  République  julqu'à   quel  période  la   liberté  pou- 
voit aller  (a).  L'un  de  ces  Empereurs  ,  le  plus  grand  ennemi 
de  la  liberté  publique,  ne  fortoit,  dit-on,  jamais  du  Sénat, 
qu'il  ne  sYxriut  en  langage  Grec  :  0  hommes  nés  pour  lajhrvi-^ 
îude  (b)  ! 
«6.  caufcs  de       H  faut  fans  doute  compter  pour  la  première  caufc  de   la 
^4'iS^ue.  ^  *  grandeur  où  parvinrent  les  Romains  ,  l'amour  extrême  qu'ils 
avoient  pour  leur  patrie,  La  Religion  cft  le  garant  le  plus 
fur  qu'on  puifle  avoir  des  mœurs  des  hommes  ;  &  les  Ro- 
mains mêloient    quelque    fentiment   religieux  à  l'amour  de 
leur  pays.    Cette  ville  fondée  fous    les  meilleurs  aufpices  , 
ces  deflinées  qui  leur  promettoient  l'Empire  de  l'Univers  , 
ce  Romulus  leur  Roi  &  leur  Dieu  ,  ce  Capitole  éternel  com- 
me la  ville  ,  la  ville  éternelle  comme  fon  Fondateur  ,  tout 
cela  avoit  fait  fur  l'efprit  des  Romains  une  trcs-vive  impref- 
fjon. 

Le  Sénat ,  toujours  fatigué  par  les  plaintes  &  par  les  de- 
mandes du  peuple  ,  cherchoit  à  l'occuper  au  dehors  :  or  la 
guerre  étoît  prefque  toujours  agréable  au  peuple ,  parce  qu'on 
avoit  trouvé  le  moyen  de  la  rendre  utile  au  Citoyen  &  au 
Soldat,  par  la  fage  diflribution  du  butin.  Une  guerre  perpé- 

(a)  Tacît.  în  Pro'émîo  Vita.  j4s;ricola. 

y?)  O  hommes  adfenituum  naù  !  Tcjicit  AnnaL  Lib.  j. 


DU     GOUVERNEMENT-        171 

iuelle  donna  aux  Romains  une  profonde  connoiffance  de  Tare 
militaire ,  pendant  que  les  Nations  voifines ,  tantôt  en  guer-^ 
re ,  tantôt  en  paix  ,  perdoknt^pendant  la  paix  le  fruit  dc^ 
exemples  qu'une  guerre  paffagere  leur  avoir  fî^rnis. 

Une  autre  fuite  de  la  guerre  continuelle  fut ,  que  les  Ro- 
mains ne  firent  jamais  la  guerre  que  vainqueurs.  En  c0ct , 
pourquoi  faire  une  paix  honteufe  avec  un  peuple  pour  aller 
en  attaquer  un  autre  ?  Ils  augmentoient  leurs  prétentions,  à 
proportion  de  leurs  défaites  ;  &  par-là  ,  ils  confternoient  les 
vainqueurs  y  en  s'irapofant  à  eux-mêmes  une  plus  grande .  ric-< 
ceflrté  de  vaincre.  La  confiance  &  la  valeur  leur  devinrent  des 
vertus  nécéfTaires  y  &  elles  ne  pufent  être  dîflinguces  chez  eux 
d^avec  le  dclîr  de  leur  propre  çoftfervâtion  l 

Les  Nations  de  TEurope  prefque  égdlenïQnt  aguerries  ^ 
ft'ont  guères  de  -  cbnfîancîe  que  dans  le  nombre  ;  mais  chaque 
Romain  y  plus  robufle  &  plus  déterminé  que  fon  çnqeini  ^ 
comptoir  toujours  fur  fon  courage.  Ces  hommes  endurcis  à 
toutes  fortes  de  travaux  y  qui  faifoient  la  guerre  6c  qui  ef- 
fuyoient  des  fatigues  en  tant  de  climats  y  étoient  naturellement 
fains  &  vigoureux  ;  nos  armées  au  contraire  fe  fondent ,  pour 
ainfî  dire,  par  le  travail  immodéré  des  Soldats,  &  furrtout  par 
le  fouillement  des  terres.  Cétoit  par  un  travail  continuel  que 
les  foldats  Romains  fe  confer voient  ,  c'efl  par  un  trayail  ex- 
traordinaire que  les  nôtres  pcriffent.  Quelle  en  peut  être  la 
raifon  ?  Ne  feroit-ce  pas  parce  que  nos  Soldats  paf&nt  fanS' 
cefle  d'une  extrême  oifiveté  à  un  travail  extrême. 

Chez  les  peuples  modernes'^  les  déferrions  font  fréquentes  y 
parce  que  l?s  foldats  font  la  plus  vile  partie  de  chaque  Na^ 
tion  ,  ôc  qu'il  n'y  en  a  aucune  qui  croyc  avoir  urt  grand  avan-^ 
ca^e  fur  les  autres.  Chez  les  Romains  y  les  défercions  écoieni; 


272  SCIENCE 

plus  rares  ;  des  foldats  tirés  d*un  peuple  fi  orgueilleux  ^  R  Bu 
de  commander  aux  autres  Nations  ,  ne  pouvoient  gueres  pea* 
fer  à  s'avilir  jufqu  à  ceffer  d'être  Romains, 

Ce  qui  a  Je  plus  contribue  à  rendre  les  Romains  maîtres 
du  monde ,  c'eft  qu  ayant  combattu  fuccefiivement  contre  tous 
les  peuples ,  ils  ont  toujours  renoncé  à  leurs  ulages ,  dès  qu'ils 
en  ont  trouvé  de  meilleurs.  Leur  principale  attention  étoit 
d'examiner  en  quoi  Tennemi  pouvoit  avoir  de  la  lupérîorité 
fur  eux  ,  &  d'abord  ils  y  mettoient  ordre.  Les  épées  tranchan- 
tes des  Gaulois  (a)  &  les  éléphans  de  Pyrrhus  ne  les  furprî- 
rent  qu'une  fois.  Ils  fuppléérent  à  la  ibiblcfle  de  leur  ca- 
valerie (  &  )  ,  d'^abord  en  ôtant  les  brides  des  chevaux ,  afin 
que  rimpétuofîté  en  fût  irrévocable  y  enfuite  en  y  mêlant  des 
Velites  (!:).  Ils  éludèrent  la  icience  des  Pilotes  par  l'inven- 
tion d'une  machine  que  Polybe  a  décrite.  La  guerre  étoit  pour 
eux  y  comme  dit  Jofeph  (  ^  )  ,  une  médication  ;  &  la  paix  ^ 
un  exercice.  Si  quelque  peuple  eut  y  de  fa  nature  ,  quelque 
avantage  particulier  ,  les  Romains  en  firent  d'abord  ufage. 
Ils  ne  négligèrent  rien  pour  avoir  des  chevaux  Numides  ^ 
des  Archers  Cretois ,  des  Frondeurs  Baléares  ,  des  vaif- 
feaux  Rhodiens.  Enfin  ,  jamais  Nation  ne  fe  prépara  à  la 
guerre  avec  tant  de  prudence,  &  ne  la  fit  avec  tant  de  har- 
diefle. 

(a)  Les  Romains  préfentoient  leurs  javelots  qui  recevolent  les  coups  des  ëpées 
Gauloifes  &  les  émoufToient. 

(è)  Lorfqu'ils  firent  la  guerre  aux  petits  peuples  d'Italie ,  leur  Cavalerie  fc  trouva 

encore  meilleure  que  celle  de  leurs  ennemis.  C'eft  qu  on  prenoit  pour  la  Cavalerie  les 

meilleurs  hommes  &  les  plus  confidérables  Citoyens  à  qui  le  Public  entretenoit  im 

cheval.  Quand  ils  mettoient  pied  à  terre  ,  il  n'y  avoit  point  d'Infanterie  plus  redou* 

'  table,  8c  très-fouvcnt  ils  déterminoient  la  viftoire. 

(c)  C'étoient  de  jeunes  hommes  légèrement  armés ,  &  les  plus  habiles  dç  la  Légion 
qui ,  au  moindre  Atonal ,  fautoicnt  fur  la  croupe  des  chevaux,  ou  combattoient  à  pied» 
Val.  Max.  L.  2.  Tit.  Liv.  L.  26. 

Çd)  De  Bclb  Judaic.  Lib.  a. 

Comme 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T-      275 

'Comme  les  peuples  de  notre  Europe  ont,  à  peu  près  les 
mêmes  arts ,  les  mêmes  armes  ^  la  même  difcipline ,  &  la 
même  manière  de  faire  la  guerre  ,  les  avantages  font  balan- 
cés, &  il  y  aune  telle  difproportion  dans  la  puiflance  ,  qu'il 
h'cfl:  pas  poffitvle  qu  un  petit  Etat  forte  de  fon  abbaiflfemcnt 
par  fes  propres  forces*  Une  expérience  continuelle  a  pu  faire 
connoître  en  Europe ,  qu'un  Prince  qui  a  un  million  de  fu- 
jets  ne  peut  gueres  entretenir  continuellement  plus  de  dix 
mille  foldats ,  fans  détruire  fon  Etat.  Il  n'y  a  parmi  nous  que 
les  puiffantes  Nations  qui  ayent  des  armées,  parce  que  nous  ne 
cultivons  pas  une  partie  du  Gouvernement  aux  dépens  des 
autres  ;  le  marchand,  le  laboureur ,  le  foldat ,  ont  des  fonc- 
tions totalement  fcparées  ,  &  fervent  leur  pays  dans  des 
daffes  différentes.  Il  rfen  étoit  pas  de  même  dans  les  ancien- 
nes Républiques ,  8c  furtout  chez  les  Romains.  Leur  Gou-- 
ternement  fiit  prefque  toujours  abfolument  militaire  ,  tout 
citoyen  étoit  foldat ,  &  le  partage  égal  des  terres  rendit  Ro- 
me capable  de  ^s'élever ,  parce  que  chaque  citoyen  avoit  un 
intérêt  égal  à  défendre  la  patrie* 

Quand  les  Loix  ccflbient  d'être .  exaâement  obfervées,  à 
ilomc,lcschofes  revenoient  au  point  où  elles  font  parmi  nous 
&  c'efl  fur  quoi  l'Hiftorien  Romain  fait  cette  obfervation. 
»  Alors  on  forma ,  de  la.  jeunefle  de  la  ville  &  de  celle  de  la 
^campagne  ,  dix  légions  dont  chacune  étoit  compofée  de 
^quatre  mille  deux  cens  hommes  d'infanterie,  &  de  trois 
3^  cens  Cavaliers.  Aujourd'hui  que  le  peuple  Romain  a  éten- 
«>  du  fa  domination  fur  l'Univers  entier  ,  fi  quelque  nécef- 
m  fité  preflante  demandoit  qu'on  levât  promptement  une 
»  nouvelle  armée  deckoyens,  on  auroit  bien  de  la  peine  à 
»  ralTembler  de  fi  grandes  forces  y  tant  il  eft  vrai  qu'en  né- 
Tome  L  Mm 


sç^,  SeiENCE' 

n  gligeanc  tout  ctjqiù  peutnous  fauver  ^  nous  n'àvQns'4C<|ini- 
»  que  ce  quiruineraquelqgae  jour.  rEmpire > .c*eft4r<lire  le.- 
*>  luxe  âi;  les  licheHes  (4).  LUvarice  de  quelques  particuliers.- 
4e  la  prpdtgalité.de»aucres ,  faifoknt  pailer  les  fonds  déterres., 
dans  peudeinainss  &  d*âbordies'ârrs  s'introduUkent  pouc.- 
]<?s.befoin$  nuiwels  des  Riches,  IJ, n'y  avoic  prefque  plus  de 
citoyens  ni  de  foldats ,.,  cax  les  Fonds  d&cerre ,  employés  au-  - 
^avanciLTentretien  de  ces  derniers ,  ne  fervoient  plus  qu'à:: 
celui  de» octaves âcvdesartifans qui étoient les inftrumens^du..' 
Ittxedes-nouyeaux  poiSbiTeurs.Ges  fortes  dé  gensTnepouyoleacv 
^cre.,dcbon$^  foldats  y  >ls-étoient  lâches.»  déjà  co^'rompus  par.. 
l.e  luxe  des  villes  Se  fonvent  par  leur:art  même ,  Se  comme.- 
ijb  n'àvoienc  point  de  patrie  à.  proprement  parler .,  8c  quUIs.; 
ÎQuifloient.  de  leur  induftrie  pat  tout,  ils  avoient  peu.  àa 

C^ -n'éfl'pas  moiite  pwJéur-poIitique  que  par  ieurt  armes  ^j, 
^de  lesKoKuins  aieqmrexitr£mpiredu.mondé.. 

Quandik-jHoientpIiifiettfs  eonemiscfur  les  bras,  ils-  ao«^ 
cordoieQt  uœ  tién;:au  plofr  fcuble  qui  fe  croyoit  heuiemc^: 
àfi.ïsAxsBÊt^^QOtOffVit  pour,  beaucoup, d'aiyoir  retardé,  fa: 
ruine. . 

Ix>rfqu'ii$étoiëntOGCupé$àvi)ne'g^andég^rre^  lé  Sénat  nçf 
(^(Emuloit  touKs  fortes  d!ia}iir«9>.3ue  parce  qu'il  attendoit-r 
dans- le  filcnçt-que  Ic.temsxie la  punition  fik ;venu.  Si  quel^ 
^  l>e«ple  Juienvoyoitles^:oupable$>  il  refufoit  de  lespu»- 
lûr»  aifIiaafemiéttXXeIÛr^touceiaJ^fationppur£riminelle^,feL• 
réferver  une  vengj^ance:  utile.  - 

Ils  nemanquoiencufisde  prétextes  pour  fiire  la  guerre  », 
êc  ils  faififloient  les. plus  légers^Xeur^fûtume.étam de. pair 


DU  Xî  O  TT  V  ÏIR.  N  ï  M  ï;  N  T.  275 
3er  toujours  en  maitares.^  les  Ambafladeurs  ^u*ils  envoyoïeot 
atuxNâdons,  t^li'amnent  poimen^  leurpuiflance^ 

étoient  fûremem  maloraités  ^iSc  ces  inauvaistraicemens  étx)ieQt 
pour  les  'Romains ,  un  prét^re^e  Êiire  la  guerre^  C%(t  aini 
-^qifils  s'y  prirent  >  pour  3a  faire  aux  D^itiites  (a). 

Comme  ils  s^écoientpa-iuadés  que  les  deftinées  leur  avoient 
accordé  rEmpire  du  monde  ^  ils  r^ardoienc  comme  jude 
tout  ce  qui  les  conduifoit  à  cette  ^grandeur^  8c  faifoient  la 
paix  d'auffi  msuvaife  foi  que  )a  guerre.  Ils  mettoient  dans 
leurs  Traités  des  condkions  cpii  commençoient  toujours  la 
ruine  de  leurs  ennemis ,  &  ils  ne  manqooient  jamais  d'abu-p 
fer  de  la  iubtïlité  des  cermes^  pour  i:ecommencw  la  guerre 
contre  une  Nation  abufée  &  a^oiblie% 

Après  ayok:  eflfuyé  une  longue  &  pèriHeiife  guerre ,  après 
avoir  pafle  les  mers  &  s*être  confumé  en  frais ,  le  Peuple 
Romain  fit  dèdarer,  par  la  voie  d*un  Héraut  y  dans  une  ai^ 
femblée  générale ,  qu^il  rendoit  la  liberté  à  toutes  les  villei 
lie  la  Grèce ,  &  ne  vouloit  d'autre  fruit  de  fa  viéloire  ,  que 
leplaifu:  de  délivrer  les  Grecs  d'oppreffion  ;  raaisxxttemo* 
dération  apparente  cacboit  ifflie  profonde  diffimulation. 
Deux  Puiffances  partageoient  alors  la  Grèce  >  les  Républi- 
<jues  Grecques,  8c  la  Macédoine,  &  elles  etoient  toujours 
«n  guerre^  les  unes ,  pour  confcrver  les  débris  de  leur  an- 
cienne liberté  ;  Tautre ,  pour  achever  de  fe  les  aflfervir.  Les 
Romains  fentoient  qu'ils  n'avoient  rien  à  craindre  tk  ces  pe- 
tites Républiques  affoiblies  par  leurs  divifions  inteftiues  ^ 
par  leurs  jâloufies  réciproques^  8c  par  les  guerres  qu'elles  i 
^voient  eu  à  foutenir  au  dehors  ;  mais  la  Macédoine ,  qui  avoir 
«des  troupes  aguerries,  qui  ne  peidoit  point  de  vue  la  gloire 

Mmij 


27^  SCIENCE 

de  fes  anciens  Rois ,  qui  avoit  ponc  autre  fois  fes  conquêtes 
rafqu  au  bout  du  monde ,  qui:  confervoit  précieufement  un 
.defir  chimérique,  6c  néantmoins  vif  de  la  Monarchie  univer- 
ifelle ,  &:  qui  avoit  une  alliance  comme  naturelle  avec  les  Rois 
d'Egypte  8t  de  Syrie,  fortis  de  la  même  origine  ,  donnok 
aux  Romains  de  juflcs  allarmes.  Rome  ,  depuis  la  défaite 
de  Caithage  ,  ne  pouvoir  trouver  d'cbflacle  à*  fes  deffcins 
ambitieux,  que  dans  ces  puiffans  Royaumes  qui  partageoient 
entre  eux  le  refte  de  PUnivers  ,  &  en  particulier  dans  celui 
de  Maccdoinc  plusvoifin  de  l'Italie  que  tous  les  autres.  Pour 
mettre  donc  un  contrepoids  à  la  puiflance  Macédonienne, 
les  Romains  fe  déclarèrent  hautement:  pour  ces  Républiques  y 
fans  autre  dcfTcin  ,  ce  fembloit ,  que  de  les  défendre  contra 
leurs  oppref&urs  ;  ilsaffefterent  de  leur  montrer  pour  ré— 
compenle  de  la  fidélité  qu  elles  leur  garderofcnt  ,  la  li* 
berté.  dont  elles  étoiejit  cxtrcmement  jaloufes.  L'appas  étoit 
habilement  préparé,  &  il.fut  avidement)  faifi  parlcs^  Grecs 
qui  fe  livrèrent  à  une  joie  flupide  ;  mais  le  péril  caché  foit9 
c-ette  amorce ,  fe  manifofta  enfin.  Les  Romains ,  feus  pré- 
texte d'entrer  dans  les  intérêts  des*  Grecs  ,  &  de  les  récon- 
cilier,  devinrent  les  arbitres  de  ceux  à  qui  ils  avcicnt  rendu 
la  liberté  y  &  qu'ils  regardcicnt  en  quelque  forte  comme 
leurs  affranchis»  Dans  h  fuite ,  de  Médiateurs  devenus  Jugess 
Souverains^  ils  prirent  bientôt  le  ton  de  Maîtres*^. 

Après  que  les  Romains  avoient  détruit  les  armées  d'un* 
Prince  ,  ils  ruinoient  fes  finances  ,.en  le  fou  mettant  à  un  trii. 
but  &  à  des  taxes  exccflîves,  fous  prétexte  de  lui  faire  payer 
les  frais  de  la  guerre  :  nouveau  genre  de  tyrannie  qui  le  for- 
çoit  d'opprimer  fes.  fu jets  ,.  &  de  fe  priver  de  la  xeffource 
^u'il  eût  pu  trouver  dans  leur  amour^. 


DUGOUVERNITMENT.  277 
Si  quelque  Prince  ou  quelque  peuple  s'étoit  fouftrait  à  To-  ' 
béiffance  de  foR'  Souverain  ,  la  République*  lui  accôrdoit  le 
titre  d'ail  ic:(^)  du  peuple  Romain  ;  &  par-là,  elle  le  rendoic 
inviolable.  Il  n'y  avoir  point  de  Roiy  quelque  grand  qu  il 
fât ,  qui  pût  être  fur  de  fes  fujets  ni  mémo  de  fa  fomille* 

,  Les  Romains  avoienrplufieurs  fortes  d'alliés.  Les  unsleuif 
«toient  unis  par  des  privilèges  &  par  une  participation  d« 
leur  grandeur ,  comme  les  Latins  ^  &  les  HemiqueSi  D'au* 
très ,  par  l'établiflement  même,  comme  leurs  colonies^i  Quel- 
ques-una ,  par  les  bienfaits ,  comme  Mafinifle  ,  Eumenes ,  8c 
Attalus  ,  qui  tenoient  d'eux  leur  Royaume  ou  raccroiffémenc 
de  leur  PuifTance  (è)  ;  d'autres  ,  par  dés  Traités  libres ,  8c 
ceux-là  devenaient  fujets  par  un  long  ufage  de  leur  alliance , 
comme  les- Rois  d^Egypte ,  de  Bithyjiie  ,  de  Cappadocc,  & 
h  plupart  des  villes  Grecques;  Plufieurs-  enfin  y  par  des 
Traités  forcés  &.  par  la  Loi  de  leur  fujettion-,  comme  Philip-^ 
pe  &  AmiochuSr  Les  Romains  n'accordoienr point  de  paix 
à  un. ennemi  qui  ne  contînt  une  alliance  ,  c'eft-à-dirc  qu'ils 
ne  foumettoient  point  de  peuple, qui  ne  leur  fervît  àenabaif-^- 
fer  d'autres.  Quoique  ce  titre  d'allié  fut  une  efpece  de  fervi- 
tude  ,  il  étoit  néanmoins  très-recherché  (c)..  On  étoit  fur  da 
ne  recevoir  des  injures  qucd'eux  ,  &  Ton  fe  flattoit  qu'elles 
feroient  moindres  que  celles  qu'on  auroit  pu  recevoir  d'aiU 
huYs  :  aïnfi  afin'  d'obtenir  le  titre  d'allié  de  F^ome,  il  n'y- 
avoir  point  de  fervices  que  les  Rois  &  les  peuples  ne  fuffeno 
prêts  de  rendre ,  ni  de  baflcffc  qu'ils  ne  fiflent. 

Lorfqu'ils  laiffoient la  liberté  à  quelquesville^jils  y  faifoientt 

(a)  Traité  des  Romains  avec  les  Juif^  au  premier  Liv.  dts  Iiïachabées  Ch.  9« 
ià)Ut  haherent  itifirumentà  fenituris  fr  Regcs.  Tarit.- 

(<r)  Polybe  die  qu'Ariarathe  lit  un  Sacrifice  aux  Dieux  ^  pour  les  remercier  de,* 
ce  qui'il  aroirot/tenu  le  dcrcdfâlUéxlu  Peuple  iù>Budo# 


j^4^  SeiENCB^ 

HgligeanccQuc.ce.c^  peubjiousfauver,  nous  n'aYQns^ac<|ais^^~ 
»  que  ce  quLruinexa-  quelqgiie  jour.  rEmpûre , .  c*eJ[l4rdire  le- 
n  luxe  âi;  les  xicheiTes  (4)...LUya£ice  <ie  quelques  particuliers.^ 
^  la  prpdtgalité.de^aucres ,  faifoient  paiTer  les  fonds  de^terres:- 
4ans  peu  .de  mains-;  Se  d'dbord  leS'  arts  s'introduifitent  pour.  - 
Ifs.befoins  mutuels  des  Riches,. Il  n'y  ayoit  prefque  plus  de 
Citoyens  ni  de  foldats  y,  car  les  fonds  déterre,  employés  au«  - 
^avantiiremretienjde  ces. derniers,  ne  fervoienc  plus  qu'à. 
Qslui  desefcUvesâCwdesartifans  qui  étoient  les  inftrumens<du.; 
luxecLçs-nouyeaux  poiEbifeurs.Ges  fortes  dé  gensfiepouvoient: 
^re.de  bons  foldats,  ik  étoient  lâches.,  déjà  corrompus  parr 
le  luxe  des  villes  Se  fouvent  par  leur.art  même ,  6c  comme* 
Ils  n'avoienc  point  de  patrie  à.  proprement  parler .,  8c  qu'ils  j 
ÎQuiflbient.de  leur  iaduftrie  p^r  tout 9  ils  avoient  peu  àa 

Ce  n'éll  pas  moins  par.léur-politit^  que  par  leurs  armes  j^^ 
^fje  lesRonaiofi  aiK]uirexiti'£mpire<lu.mondè.. 

Quand  ik'avoiefitpliifiettcsennemisfur  les  bras,  ils  ao^ 
cordoieot  ime  tiêve:au  plu»  foible  qui  fe  croyoit  hëuceux. 
^.rpbtenif ,  ,cûiapf«nc  pour,  beaucoup  d'avoir  retardé,  fa  \ 
ruine.. 

Lorfc^'ilsétoiéntOGCupésà^unegrandé  guerre^  lé  Sénat  ne' 
(^{fimuloit touKS  fonesd'iajur«9 , .<}ue  parce  qu'il attendoit^ 
dans  le  filence  que  le.'tems^e  la -punition  fut  ;venu.  Si  quel-n- 
^  peupierluienvoyoîties^oupableS)  il  refufoit  de  les  pu»- 
lûr,  aimant;  mieuxtenir  toute  la^ation  ppur  criminelle^  fe.- 
réferver  une  vengeance  utile. . 

Us  ne  manquoienc  p^  de  prétextes  pour  faire  la  guerre  », 
4&  ils  faifîfloientlésplus  légers»  Xeur..€fûtume.étant  de.  par'*' 


DU   Xî  OTTVÏ^NÏ  MIE  NT.      275 

'^er  toujours  en  maîcres.^  lies  Ambâflâdeiirs  ^u*ils  envoyoitiit 
atux Nations ,  x^^in'atwient  point éncort fend  leur  puiiSance^ 
étoient  fûrement  maltraités  ^  Se  ces  inâuvais  traitemens  étoieot 
rpour  les  Romains ,  un  prét^^e  Êiire  la  guerre^  Cèft  aini 
^qiTils  s'y  prirent  >  pour  la  faire  aux  Dâliliites  (a). 

Comme  ils  s*étoient  periuadés  que  ks  deftinêes  leur  avoient 
accordé  FEmpire  du  monde  ^  ils  r^ardoient  comme  jude 
tout  ce  qui  les  conduifoit  à  œtte  ^grandeur^  &  faifoient  la 
|)aix  d'aufli  msuvaife  foi  que  )a  guerre.  Ils  mettoient  dans 
leurs  Traités  des  condkions  cpii  commençoient  toujours  la 
ruine  de  leurs  ennemis ,  &  ils  ne  manquoient  jamais  d'abu-p 
fer  de  la  fobtilité  des  termes^  pour  rœommencer  la  guerre 
contre  une  Nation  atxrfée  &  afifoiblie^ 

Après  avoir  effuyé  une  longue  &  périHeufe  guerre ,  après 
avoir  pafTé  les  mers  &  s*être  confumé  en  frais ,  le  Peuple 
Komain  fit  déclarer,  par  la  voie  d*un  Héraut ,  dans  une  ai^ 
femblée  générale,  qu'il  rendoit  la  liberté  à  toutes  les  viilei 
lie  la  Grèce ,  &  ne  vouloit  d'autre  fruit  de  fa  viéloire  ,  que 
leplaifu:  de  délivrer  les  Grecs  tfopprellion  ;  raaisxxttemo* 
dération  apparente  cacboit  ifflie  profonde  diffimidation. 
Deux  Puiffances  partageoient  alors  la  Grèce  >  les  Républi- 
<jues  Grecques,  8c  la  Macédoine,  Se  elles  étoient  toujours 
'en  guerre,  les  unes ,  pour  confcrver  les  débris  de  leur  an- 
cienne liberté  ;  Tautre ,  pour  achever  de  fe  les  affervir.  Les 
Romains  fentoient  qu'ils  n'avoient  rien  à  craindre  de  ces  pe- 
tites Républiques  affoiblies  par  leurs  divifions  inteftiues  ^ 
par  leurs  jâloufies  réciproques,  &  par  les  guerres  qu'elles  1 
^voient  eu  à  foutenir  au  dehors  ;  mais  la  Macédoine ,  qui  avoir 
<Jes  troupes  aguerries,  qui  ne perdoit  point  de  vue  la  gloire 

>{a}PlttMi. 

Mmii 


27(î  SCIENCE 

defes  anciens  Rois,  qui  avoit  porté  autre  fois  fes  conquêtes 
rafqu  au  bout  du  monde ,  qui:  confervoit  précieufement  un 
.defir  cliimirique  ^  6c  néantmoins  vif  de  la  Monarchie  univer- 
ifelle,  &:  qui  avoit  tine  alliance  comme  naturelle  avec  les  Rois 
d'Egypte  8t  de  Syrie,  forris  de  la  mcmc  origine  ,  donnok 
aux  Romains  de  juflcs  allarmes.  Rome  ,  depuis  la  défaite 
de  Caithage  ,  ne  pouvoit  trouver  d'cbflacle  et  fes  deffeins 
ambitieux,  que  dans  ces  puiffans  Royaumes  qui  partageoient 
entre  eux  le  refte  de  PUnivers  ,  &  en  particulier  dans  celui 
de  Macédoine  plusvoifin  de  l'Italie  que  tous  les  autres.  Pour 
mettre  donc  un  contrepoids  à  la  puilTance  Macédonienne  > 
les  Romains  fe  déclarèrent  hautement:  pour  ces  Républiques  y 
fans  autre  dcfTcin  ,  ce  fembloit ,  que  de  les  défendre  contra 
leurs  oppref&urs  ;  ils  affefterent  de  leur  montrer  pour  ré— 
compenle  de  la  fidélité  qu'elles  leur  garderofcnt  ,  la  li* 
berté.  dont  elles  étoiejiL  extrêmement  jaloufes.  L'appas  étoit 
habilement  préparé ,  &  il.fut  avidement)  faifi  par  Ics^  Grecs 
qui  fe  livrèrent  à.  une  joie  flupide  ;  mais  le  péril  caché  foit9 
c-ette  amorce ,  fe  manifofta  enfin.  Les  Romains ,  feus  pré- 
texte d'entrer»  dans  les  intérits  des*  Grecs  ,  &  de  les  récon- 
cilier, devinrent  les  arbitres  de  ceux  à  qui  ils  avcicnt  rendu 
la  liberté ,.  &  qu'ils  regardcicnt  en  quelque  forte  comme 
leurs  affranchis.  Dans  h  fuite ,  de  Médiateurs  devenus  Jugess 
Souverains-,  ils  prirent  bientôt  le  ton  de  Maîtres^. 

Après  que  les  Romains  avoient  détruit  les  armées  d'un? 
Prince  ,  ils  ruinoient  fes  finances  ,,en  le  foi: mettant  à  un  trii- 
but  &  à  des  taxes  exccffives,  fous  prétexte  de  lui  faire  payer 
les  frais  de  la  guerre  :  nouveau  genre  de  tyrannie  qui  le  for- 
çoit  d'opprimer  fcs,fujets  ,.  &  de  fe  priver  de  la  xeffource 
^u'il  eût  pu  trouver  dans  leur  amour^. 


DUGOUVERNITMENT.  277 
Si  quelque  Prince  ou  quelque  peuple  s'étoit  fouftrait  à  To-  ' 
béiffance  de  fon^  Souverain  ,  la  République*  lui  accôrdoic  le 
«itre  d'ail  id(^)  du  peuple  Romain  ;  &  par-là,  elle  le  rendoic 
inviolable.  Il  n'y  avoir  point  de  Roi  y  quelque  grand  qu  il 
fàt  y  qui  pût  être  fur  de  fes  fujets  ni  mémo  de  fa  famille* 

.  Les  Romains  avoienrplufieurs  fortes  d'alliés.  Les  unsleuif 
«toient  unis  par  des  privilèges  &  par  une  participation  d« 
Jeurgrandeur,  comme  les  Latins,  &  les  Hemiquesî  D'au* 
très ,  par  l'ccabliflement  même,  com^me  leurs  colonies^.  QueL 
ques-una ,  par  les  bienfaits ,  comme  Mafinifle  ,  Eumenes ,  & 
Attalus  ,  qui  tenoient  d  eux  leur  Royaume  ou  raccroiffcment 
de  leur  Puiffance  (è)  ;  d'autres  ,  par  dés  Traites  libres ,  8c 
ceux-là  devenaient  fujets  par  un  long  ufage  de  leur  alliance, 
comme  les- Rois  d^Egypte ,  de  Bithyjiie  ,  de  Cappadoce,  & 
b  plupart  des  villes  Grecques;  Plufieurs-  enfin  ^  par  des 
Traites  forcés  &.  par  la  Loi  de  leur  fujettion,  comme  Philip-^ 
pe  &  AntiochuSr  Les  Romains  n'accordoienr  point  de  paix 
à  un. ennemi- qui  ne  contînt  une  alliance  ,  c'eft-à-dirc  qu'ils 
ne  foumettoient  point  de  peuple  .qui  ne  leur  fervît  àenabaif-^ 
fer  d'autres.  Quoique  ce  titre  d'allié  fut  une  efpece  de  fervi- 
tude  ,  il  étoit  néanmoins  très-recherché  (f)..  On  étoit  fur  d3 
ne  recevoir  des  injures  qucd'eux ,  &  l'on  fe  flattoit  qu'elles 
feroient  moindres  que  celles  qu'on  auroit  pu  recevoir  d'aiU 
hurs  :  aïnfi  afin'  d'obtenir  le  titre  d'allié  de  Fv:ome,  il  n'y 
avoir  point  de  fervices  que  les  Rois  &  les  peuples  ne  fuffeno 
prêts  de  rendre ,  ni  de  baflcffe  qu'ils  ne  fifTent. 

Lorfqu'ils  laiflbient  la  liberté  à  quelques.ville^,ils  y  faifoienu 

(a)  Traité  des  Romaînf  avec  lés  Jiiîfi  au  premier  Liv.  des  Mlachabées  Ch.  8. 
iib)Ut  hahcrent  mftrumentù.  fenituds  &  Reges.  Tadt, 

(«f  )  Polybe  die  qu'Ariarathe  lit  un  Sacrifice  aux  Dieux  f  pour  les  remercier  de^t 
ce  qu7il*aroirot:freDU  le  dcrcd'alUéidu  Peuple  iU>siain# 


^y«  -S  C  1  î:  N  C  E 

d'abord  naître  deux  fanions.  L'une  défendoît  les  Loîx  &la 
liberté  du  pays;  Tautrefoutenoit  qu'il  n'y  avoit  de  Imxqué 
la  volonté  des  Romains  ;  &  celle-ci,  appuyée  des  Romaim 
mêmes,  étoit  toujours  la  plus  puiflante. 

Quelquefois  ils  ufurpoient  un  pays  fous  prétexte  de  fuc* 
cefïîon.  lis  entrèrent  en  Afîe,  en  Bithynie,  en  Lybie,' 
par  les  teftamens  d' Attàluis ,  de  Nicoméde  fils  de  Philopap 
tor,  &  d'Appian,  L'Egypte  fut  endiaînée  par  le  moyen  de 
celui  du  Roi  de  Cyrène. 

Pour  tenir  les  grands  Princes  dans  un  état  continua 
«de  fôibleffe ,  Rome  ne  vouloit  pas  qu'ils  reçuflent  dans  leur 
alliance  ceux  à  qui  elle  avoit  accordé  la  fienne;  êc  comme 
«elle  ne  la  refufbit  à  aucun  des  vdifins  d'un  Prince  pulflant  ^ 
cette  condition  ,  mife  dans  un  Traité  de  paix, tie lui laiflbit 
j)lus  d'alliés.  Elle  ne  vouloit  pas  non  plus  qu'un  Prince  pût 
faire  la  guerre  aux  alliés  de  Ronae  ^  c*eft-à-dire  <ïrdinaire-» 
tment  à  aucun  de  fes  voifins  ;  elle  ordonnoit  qu'3  mk  fei 
/droirs  &  fes  prétentions  en  arbiirage^  ce  qui  le  depouilloïc 
ide  la  pjttiflance  militaire.     ^ 

Ils  enprivoîent  leui%  alliés  même.  Dès  que  ceux-ci  avoîenl 
le  HKJindre  démêlé ,  les  Romains  envoyoient  des  A  mbaffa^ 
^eurs  qui  les  obligeoient  de  faire  la  paix.  Ceft  ainfi  qu^il» 
iterminerent  les  guerres  d' Attalus  &  de  Prufias. 

Lorfqu!un  Prince  avoit  une  conquête  qui  fouvent  Favoît 
fépuifé ,  un  Ambafîadeur  Romain  furvenôit  d'abord  qui  la  lui 
crachoir  des  mains.  Usdiaflerenr  d'Egypte  Anriochusavec 
aine  feule  parole  (a). 

Inflruits  combien  les  peuples  d'Europe  étoient  propres  à  la 
guerre ,  ils  établirent  qu'il  ne  feroit  permis  à  aucun  K<Â  d*A^ 
^a)  yp;^  UTxwé  ;du  JQroU  i»Cfm»  Cba^cae  premier  ^  SeAicA  x^:. 


15  \3    G  O  D  V  E  R  N  E  M  EN  t.         iff^ 
flt  d'entrer.  eA  Europe  &  d  y  attaquer  quelque  peuple  que  ce 
^t.  La  (Jéferife  faîte  à  Ahtiochus,;ï)€me  avant  la  guerre  ^  de^ 
piafler  en  Europe  ,4evint  générale. .  Le  -principal  motif  de  la 
guerre tju'ils  firent ^â  M ithridate  (4)  ^iut  que ^  contre •  cette/ 
4éJfenfè^4l  aToitfôumis'quelques  Barbares; . 

S'ils  voypient  dcu)C  peuples  fe  faire  la  guerre^  ilsf  pre^^ 
noient  part ,  quoiqu'ils' n^ëuffent  aucune  alliance,  ni  rien  à^ 
i^niêler  avec  eux  ;^&  ils  4xe  manquoient  jamais  de  prendre  le  • 
piarti  du  plus  -foible.  Les  maximes  dont  ils  firent  ufàge  con- 
tt^les  plus  grandsMonarques)  furent  les  meme^t^u'ils  «voient 
employées  dès  le  commencement  contre  les  petites  villes  qui  • 
écoient  autour  d'eux.- 11$' fe fervirent^'Euœencs&j  d€  Mâfi- 
mSc  pour  lûbjuguer  PBHppe  &  Antiochus^  comme  ils  ^  s'é- 
lîpient  fervis  des  Latins  Se  des'^Herniques|>our  fubjugijer  les- 
^felsqucs  &;  les-Tofcans.  Ils  fe^firent  livrer  les  flottes  des 
Ganhaginois^  dés  Rois  d'ATie^amii  qu-ils  s'étoient  fait  li-' 
•vrcr  les  barqnes  d'Ahçium^  Cette  Politique  leur  réuflit  dans . 
lies  Hccles  où  celle  de  1  équilibre  du^  pouvoir ,  jd  confultée  de^^ 
nos  jours  ^  étoit  abiblument  ignorée. 

Lwfqu'ils  accordoient  la. paix^  à  un  Koi, ils  recevoient* 
quelqu'un  iiè  fes^enfans  ou  dé  fés  frères  en  otage  9  ce  qui  les 
metcoitià  ppnée  de  troublera  fonilbyaume^à  leur  gré.  S*ils 
avoient  l'Héritier»  préfomptif  de  .là  Couronne ,  Ms  en-imiipi-* 
dolent  le  pofleffeur.  S'ils  n'avoient  qu'un  Prince  d'un  degré 
^igné,  ils  s'en  fervoiénr  pour  exciter  des  révoltîes.-LePrin^ 
ce,  donr  l'élévation^étoft  utile  à  là  République  Romaine ,  ? 
étbit  poui?:eHé  le  Prince  légifime.  Dès  qu'il  y;  avoir  quelque 
cfâpuce  dans  un  Etac,  ifs  jugeoienc  d'abord  J'affaire  ,  &  par- 
ti ils  étoientfûrs  dé  n'avoir  contre  wix  qqe  k  puiflance  qu'ils 
aroientcondamnée^Si^lcu^  Princes  du  même  fang  fe  dif- 


20»  SCIENCE 

putoîcnt  la  Couronne ,  ilsJes  dcckroient  tous  deux  Roîs ,  de 
anéantiflbient  par  là  le  pouvoir  de  Tun  &  de  Tautre.  Si  Tun 
des  deux  étoit  en  bas  âge ,  ils  fe  déclaroient  pour  lui  &  en 
jirenoicnt  la  tutelle  y  comme  Proteéieurs  de  TUnivers.  Ocd 
.ainfi  que  pour  être  en  état  de  ruiner  la  Sicile  ^  ils  le  ddcla- 
r-erent  'les  tuteurs  du  fils  d' Antiochus  encore  enfant ,  &  pri- 
rent parti  contre  Démétrius  qui  ctoit  chez  eux  jen  otage  ^ 
qui  les  prioit  de  lui  rendre  juftice^  difant  que  Rome  croit  (a 
œere  ,  &:  les  Sénateurs  fes  pères. 

Si  un  Etat  forraoît  un  corps  trop  redoutable  par  fon  unîoa 
ou  par  fa  fituation^  ils  ne  manquoient  jamais  de  le  divifer.  La 
Republique  d*Achaïe  ctoit  formée  par  une  affociation  de  vil- 
les libicSjJe  Sénat  Romain  dédira  que  chaque  ville  fegou- 
HFcrneroit  déformais  par  fes  propres  Loix ,  fans  dépendre 
d'une  autorité  commune.  L'Ekat  des  Béotiens  étoît  gareille- 
ment  une  ligue  de  plufieurs  villes  ;  mais  comme  dans  la  guer- 
Be  contre  Pcrféc ,  les  unes  fulvirent  Je  parti  de  ce  Prince ,  les 
autres  celui  des  Romains ,  ceux-ci  les  reçurent  en  grâce  f 
moyennant  la  dilTolutionxle  ralliancc  commune.  La  Macé^ 
doine  ttoit  entourée  de  montagnes  inaceffibles  ;  le  Sénat  la 
partagea  en  quatre  parties,  les  déclara  libres-,  défendit  toute 
forte  de  liatfon  cntrc-cUes ,  même  par  mariage ,  fit  tranfpor- 
ter  Jes  Nobles  en  Italie^  8c  par-li  anéantir  cette  puilTance. 

Les  Romains  ne  faifoient  jamais  de  gucwe  dans  Téloigne- 
nient ,  ians  s'ctrc  prcicurc  y  contre  J'eniiemi  qju ils  attaquoienr, 
quelque  allié  qui  p«t  joindre  Jdes  trojapes  à  l'armée  qu'ils  en-* 
vpyoient;5c  CQjnçie  cetteiirméc  n  etoit  jamais  confidérablc  par 
je  nombre,  ils  en  tenoient  xine  autre  dans  laProvince  la  plus 
vpifined^  Tenncmi ,  &  une  troificme  dans  Rome  toute  prête  à 
^çircher  ;  ainfi  ils  n'jexpofoiçnj:  jamais  qu'une  petite  partie 

de 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       2«t 

«âc  leurs  forces  ,  pendant  que-leur  ennemi  mcttoit  au  hafard 
toutes  les  fiennes. 

Us  jugeoient  les  Roîs  y  pour  leurs  fautes,  ou  pour  les  cri- 
mes particuliers.  Ils  écoutèrent  les  plaintes  de  tous  ceux  qui 
avoient  quelque  démêlé  avec  Philippe  ;  envoyèrent  des  Dé- 
putés pour  pourvoir  à  leur  fureté  ;  &  firent  accufcr  Perfée  de- 
Tant  eux  ,  pour  quelques  meurtres  &  pour  quelques  quércl- 
l«avec  des  Citoyens  des  villes  alliées. 

Le  Sénat  envoyoit  aux  Rois  une  chaife ,  un  bâton  d'yvoi^ 
rc  j  quelque  robe  de  Magiftrature  ^  mais  les  alliés  de  Rome 
fc  ruinoicnt  tous  par  les  préfens  îmmenfes  qu'ils  lui  faifoienr, 
fbit  pour  acquérir,  foit  pour  conferver  fes  bonnes  grâces. 
La  moitié  de  rargent  qui  fut  envoyé  pour  ce  fujet  aux  Ro-. 
ttiâins  ,  auroit  Tuffi  pour  les  vaincre.  Maîtres  de  FUnivers  j 
îls  s'en  attribuèrent  tous  les  tréfors ,  &  furent  des  raviffeurs 
moins  injufles ,  en  qualité  de  Conquérans ,  qu'en  qualité  de 
Légiflateurs.  -Les  richeffes  immcnfes  de  Ptolomée  Roi  de 
Chypre  excitèrent  leur  avarice";  ils  -firent  une  Loi ,  fur  la 
propofition  d^un  Tribun  ,  par  laquelle  ils  fc  donnèrent  Thé- 
^dité  dHin  homme  vivant,  &  s'attribuèrent  la  confifcation 
Acs  biens  d'un  Prince  allié  (^). 

Bientôt  la  cupidité  des  panicdiers  acheva  d'enlever  ce  quî 
oivoit  échapé  à  l'avarice  publique  ,  les  Magiftrats  &  les  Gou- 
-C^erneurs  vendoient  leurs  injtiftices  auxRois.  Deux  Compé- 
nteurs  fe  Tuinoient  à  l'envi ,  pour  acheter  une  proteftion 
:f oujours  douteufe ,  contre  un  rival  qui  rfétoit  pas  -entièrement 
A)uifé^  Les  droits  ou  légitimes  ou  ufurpés  ne  fcfoutenant 
^<5ue  par  de  l'argent ,  4es  Princes  ,  pour  en  avoir ,  dépouil- 
ibient  les  Temples  &  confifquoient  les  biens  des  plus  Tiches 

'  ^d)  Floms  t  Lib.  3.  Cap.  ^ 


a$2,  arc  lE  N  CE^ 

Citoyens.  On  faifoic. nulle. crimes  pour  donner  aux  RbmaîàRi 
tout  rargent  du  monde* . 

Rifqiierrun«;guerrc.contreRùme,çVtoir  s'éxpofer  à  nnfàmie  - 
du  triomphe,^  U  captivité  à  la  mort  :  ainfi^desRois  qui  vivotent  : 
dans  le  faflê.âc  dans  Jes  délices ,  n'ofoient  fou  tenir,  les  re-^ 
gards  du. peuple  Romain  ;.ils  perdoient  courage, &  attcn-- 
doient,  de  leur  patience  &.de  leurs  bafleflcs ,  quelque:  délai  ci 
aux  maux  dont  ils  ctoient  menacés.  .A  la  fin  de  chaque  guer-;  - 
re ,  Rome  regloit  les  peines-  &  les  rccompenles  que.chacua: 
avoit  méritées  ;  &.  le  Sénar.  lesdiflxibuoit ,  fie  manière  qu'il  i 
attaçhpit  à  Rome  des  Rois  dont  elle  a^oif^  peu. à  craindre  6ci 
bpaucQuprrà  efpérer >  & .  qu'il  en  affoibliffoic  .d'autres  •  dont c 
Rome  a'avoit  rien,  à  efpérer  Se  tout  à  craindre. . 

Les  RQi$  &  les  peuples  devinrent  ixifenfiblemem  les  fujets  ; 
de  Rome.  Après  la  défaite  d'Antiochus^  les  Romains  étoientt 
Maîtres  de  T Afrique  y  de  T  Afie  ,  &  de  U  Grèce ,  fans  y  avoirr 
prefque  de  ville  en  propre.  Il  fembloit  qu'ils  ne  coaquiflenin 
que  pour  donner  ;  mais  ils  étoient  fi  bien  les  Maîtres ,  que  : 
Iprlqu-ilsfeifpient  la  guerre. à. quelque  Prince,  ils  Paccar- 
bloient,  pour  ainfi  dire,  du. poids  de  tout  l'Univers^  Rome- 
n!étoit  pas  proprement  une  MonarcHe  ou  une  République  ^, 
cîétoit  la.tcte.dun  corps  formé |)ar  toutes  les  Nations  dvk-A 
monde. . 

Telks  furent  à  peu  près  les  caufes  4e  la  grandeur  où  par-^ 
vinrent  les  Romains.,  l'amour  religieux  de  la  patrie,  le  gpûtK 
de.la.pauyreBé.  perfonnelle  pour  augmenter  l'opulence >p«^- 
biiquc.,  le  partagée  égal  des  terres  f  armi  les  Otoyens  >  Jbiri 
xïwniçre  dç^faire  Ja  g^^ciiQ^  l'extrêmei févériié  .de  leur  .dilci*- 
plinemiliraire  >  l'art  .dérendre  laguerrcmeme.utik  auSofe- 
dat  &  att.Qtc^eo:  par  ji  diflribytioa  du  butiir^  la  fege  écoç- 


D  tJ  G  O  U  V  ï:  R  N  E  M  E  N  T.  .283 
*}K>mie  des  finances  ^  Tinfidélicé  dans  les  Traités  y  une  polici- 
«que  adroite  &  pleine  de  m^vaife  foi.^  8c  la  terreur  du  nom 
tRomain  :y  fuite  iicceflaire  de  toutes  ces  chofes:  ce  ïnêlange 
«de  vertus  &  de  vices  ,  qui  Xeroit  aujourd'hui  infruéhieux  , 
'^rendit  Rome  propre  à  conquérir  le  monde  entier» 

Fendant  plus  de  quatre  cens  ans^  ibus  les  Rois  ou  fous 
la  République ,  Rome  eut  les  armes  à  la  main.  Elle  avoic 
4:emporté  des  viâoires.^  pris  des  villes  y  do  Apte  des  peuples  ^ 
'inais  fort  peu  reculé  ies  frontières.  On  rentroit  prefque  (ang 
interruption  dans  *un  cercle  de  guerres  contre  des  ennemis 
^u'iletok  facile  de  vaincre  f  mais  qu'il  n'étoit  pas  aifé  de  r^ 
ttenir  fous  le  joug.  Ce  ne  &t  qu  au  bout  de  Xept  cens  ans  que 
iRome  parvint  à  faire  xefpeâer  Tes  armes  par  toute  la  terre^ 

Ce  que  la  vertu  des  premiers  Romains  9  pauvres  &  reti*  99,  cànoif  ée 
fermes  dans  «ne  enceinte  fort  étroite  ^  avoit  produit  ,  les  i*a^j?ubiHuj. 
vices  des  Romains  ^>pulens  &  Maîtres  d^une  grande  partie 
sdu  monde  le  détruifirent.  La  grandeur  de  TEtat  fît  la  gran«* 
jdeur  des  fortune  particulières  ;  mais  l'opulence  eft  dans  les 
«nœurs  Se  non  dans  les  richefles.  Les  grands  biens  des  Ro^ 
/mains  qui  ne  laifToient  pas  d'avoir  des  bornes  ^  produifirent 
%in  luxe  8c  des  proAifions  qui  n'en  avoient  point.  Ceux  qui 
^voient  d'abord  été  corrompus  par  leurs  iicheflfes^  le  furent 
venfuîte  par  leur  pauvreté^  avec  des  biens  au-deffus  d'une  con*- 
«dition  privée.  U  fut  difficile  d'être  bon  Citoyen  :  en  regret*- 
îtant  une  grande  fortune  ruinée  ,  on  lut  difpofé  à  commettre 
toutes  fortes  d'attentats*  Une  fage  difpenfatioti  des  revenue 
publics  j  avoir  contribué  à  l'élévation  de  la  République  y  8c 
ia  diflipation  de  ces  mêmes  ^revenus  contribua  à  Ja  ruine  <te 
^Empire* 

iLaxneme  BDurmedeGouvememéEU:  quiâitpro|tfe  àacquéràt 

J^Aij 


&84  SCIENCE 

au  peuple  Romain  une  grande  pulflancc ,  ne  le  fut  pas  à  coiî-- 
fervcr  à  ce  peuple  la  puiffance  qu'il  avoir  acquife.  Des  Loix 
qui  font  qu'une  petite  Fcépublique  devient  grande,  lui  font 
\  charge ,  lorftju'èlle  s'èft  aggrandie ,  parce  qu  elles  font  tek 
:s  que  leur  effet  naturel  étoit  de  faire  un  grand  peuple ,  dt 
Ton  pas  de  le  gouverner. 

Deux  Puiffances  Légiflatives ,  celle  du  peuple  &  celle  in 
icnat ,  fe  difputoîent  fans  ceffe  la  prééminence.  Des  contct 
-^ations  éternelles  entre  les  Patriciens  &  les  Plébéiens,  IcS 
jrigues  des  Cônfuls,  la  fureur  dès  Tribuns  ,  des  violences  i 
des  brigandages ,  &  des  vexations'  de  toute  efpccc  ,  eniir- 
rent  la  fuite.  Il  n'y  eut  plus  ni  mœurs ,  ni  difcipiine*,  nipa. 
lice  ,  ni  crainte  des  Loix;  La  corruption  des  Juges  fut  toute 
publique  ,  &  les  Sénatus  Confultes  &  lesPlébifcites  furent  le 
prix  de  l'argent  donné  ou  reçu.  Les  ambitieux  firent  venir  à 
Rome  des  villes  &  des  Nations' entières ,  pour  troubler  les- 
fuffrages  ou  fe  les  faire  donner  ;  les  aflemblées  forent  de  vé- 
ritables conjurations  ;  &  1  anarchie  fut  telle  qu'on  ne  pût  plut- ^ 
fçavoir  fi  le  peuple  avoit  fait  une  Ordonnance ,  ou  s'iLne  l'a*- 
voit  point  faite. 

L'étendue  deTEtat  ruina  la  République.  Le  Sénat  voyoîr 
autrefois  de  près  la  conduite  des  Généraux  ;  mais  après  que 
lès  Légions  eurent  paffé  les  Alpes  &  la  mer,  les  gens  de 
guerxe  qu'on  étoit  obligé  de  laiffer  pendant  plufieurs  campa- 
gnes dans  le  pays  qu'on  foumetroit,  perdirent  infenfible^ 
ment  l'efprit  de  citoyens.  Les  Généraux  qui  difpofoient  des- 
armées  &  des  Royaumes ,  fentitent  leur  force  &  ne  fçurent 
pFus  obéir.  Les  So-ldats  ccmmenterenr  à  n^  reconnoîtreque 
kur  feul  Général,  à  fonder  fur  lui  toutes  leurs  efpérances',ils. 
XkQ  virent  plus  Rome  que  dans  un  grand  cloignement  £ 


DU'  GOUVERNEMENT.   ^«5 

ce  ne  furent  phis  les  Soldats-  de  la  République,  mais  les 
Soldats*  de  Sylla  &  de  Marius  ;  Rome  ne  pût  plus  fça- 
Voir  fi  cdui  qui  étoît  à  la  tête  d  une  armée  dans  lesProvin-' 
ces  ,  étoit  fon -Général  oif  fon  ennemi  Tandis  que  le  paijflc? 
Romain  ne  fut  corrompu  que  par  les  Tribuns  ,  à  qui  il  ne 
pôuvoit  aiccordet  que  fa  puiflance  même  y  le  Sénat  put-  k  dé- 
fendre ,  parce  qu'il  agifToit  conftammenf,  au  lieu  que  la  pô- 
firlace  paflToit  fans  ceffe  derextfémité  de  la  fougue  à  l'extré- 
fnité  de  la  fbibleflcr  ;  iiïais  lorfqu'il  fut  en  état  dé  donner  à 
fès  favoris  tine  autorité  formidable  au  dehors ,  route  la  fageflb 
du  Sénat  devint  inotilé  j  &  la  République  fut-perdue^ 

Si  retendue  de  TEtat  perdit  la  République^  là  grandeur 
de  la  ville  ne  la  perdit  pas  moins;  Rome  avoit  foumis  tonc 
rUnivers  avec  le  fecours  des  peopleS  dltalie,  aufquels  elle^ 
avoit  arcordé ,  en  difFerens  tems ,  divers  privilèges/La  plu- 
part de  ces  peuples  ne  s'étoiehr  pas  d'abord  fort  fouciés  da* 
droit  de  Bourgeoifîe  Romaine /'&querquesf- ans  aîmercnr 
mieux  garder  leur  ufages  (a).  Mais  lorfque  ce  droit  fut  celui 
de  la  Souveraineté  univerfelle,  qu'on  ne  fut*  rîen^dans-^le 
flionde,  fi  f  on  n'étoiD  citoyen  Romain  >  lés  peuples  d'Italie 
tcfolurent  de  périrou  d'être  RomalnSr  Ne  pouvant  en  venir 
à  bour^  nr  par  leurs  prières  ,  ni  par  leurs  brigues ,  ils  prirent 
là  voie  des  armes  ,  &  fe  révoltèrent  dans  tour  ce  côté  qui  re- 
garde la  mer  Ionienne  (h).  Les  autres  alliés  fe  difpofoientà 
les  imiter,  Rome  obligée  dé  combattre  contre  ceux  qui' 
étoient ,  pour ainfî  dire,  les  mains  avec  lefquelleS'  elle  en- 

(i)  Les  Eque$  dîfoîent  dans  leurs  ifkmbléiss  :  Ceux  qui  peuvent  ckoîfir  préfèrent 
leurs  Loùt  au  Droit  de  la  Cité  Romaia*^  ^  qui  a  été  une  peine  nécejfdire  pour  ceux: 
qui  n'ont  vu  s'en  défendre.  Voyez  Tite-LÎTC.  Liv.p. 

(b)  Les  Afculans  ,  les  Marfes  ,  les  Veftins,  les  Mairucîiis  ,  les  Ferènfans,  les 
Mrpicns,  lesPorapdans.,  les  Vénuiîens  ,  les  Japigei,  les  Lucaniens ,  le*  Sanmi» 
«s  ôc  autres.  Appian.  delà  Guerre  Civile  Uv.  i. 


285  S  C  I  E  N  CE 

chaînoit  rUnîvers  ,  ccoit  perdue,  elle  alloît  être  réduite 
à  fes  murailles.  Elle  accorda  ce  droit  tant  déHré  aux  alliés 
qui  n*avoient  pas  encore ceffé d^êtrc  fideks  (a),^ :&peu.à peu 
elle  raccordai  tous.  Poi^Iors^;Rome  ne  Jbt^lus  cette  ville 
dont  le  peuple  n'avoit  eu  qu'im  même  efprit,  un  même  amour 
pour  la  Jiberté^  une  .même  .haine  pour  ia.  tyrannie^  où  cette 
jalouTie  du  pouvoir  du  Sénat&.des-prérogatives  des  Grands 
toujours  mêlée  du  refpeâ  ^ii'étoit  que  Tamour  de  Tégalité* 
Tous  les  peuples  d'Italie  formoient  une  tête  monftrueufequi^ 
par  k  iuffrage  de  chaque  homme  ^  conduifoit  le  refle  du 
monde.  Chaque  ville  de  cette  contrée  porta  dans  Rome  Xoa 
génie  >  ies  intérêts  particuliers^  &  fa  dépendance  de  quelque 
proceâeur.  Comme  Ton  xietoit  citoyen  de  Rome  que  par 
;une  eipèce  de  iiâion ,  qu'on  n'avoit  plus  les  mêmes  Magi£« 
trats^  les  mémos  murailles ^  ies  mêmes  Dieux,  les  mêmes 
temples ,  on  ne  vit  f>lus  Rome  des  mêmes  yeux ,  on  h*eut 
plus  le  même  amour  pour  la  patrie  ^  les  fentimens  Romains 
:ile  furent  plus. 

Ce  â^eft  pas  la  fortune  qui  domine  le  monde*  Les  Romains 
«urent  une  fuite  continuelle  de  profperitc ,  quand  ils  fe  xé« 
jglercnt  fur  un  certain  plan ,  &  éprouvèrent  une  fiiîtenon  in* 
:terrompue  de  revers  ,  lorfquilsfe  conduifirent  par  tm  autre* 
ïl  y  a  des  caufes  générales ,  foit  morales ,  foit  phyfiques  ,  qui 
.agiffent  dans  chaque  Monarchie ,  Télévcnt  ^  la  maintiennent, 
*ou  la  précipitent.  Tous  lesaccidens  font  fournis  à  ces  caulèst 
A  fi  le  hafard  d'une  bataille^  c  eft-à-dire  une  caufe  particu- 
lière, a  ruine  un  Etat  ,  ij  y  avoit  une  caufe  générale  quifaî* 
îfoit  que  cet  Etat  devoit  périr  par  une  feule  bataille.  En  un 

(a)  Les  Tolcans  ,  les  Umbrîcns  ,  les  Lartlns.  Cclt  porta  quelques  peuples  il  fi» 
Soumettre  ,  &  comme  onits  fît  auifi  Citoyens ,  d'autres  pofercnt  encxixeles 
fj.  ^  refta  ^ue  les  Saionites  gui  fiueot  excenoioéi. 


du;  gouvernement.    2Zr 

inocula  difpoTinon  principale  entraîne  avec  elle  cous  lesacci- 

iiens  particuliers.. 

Quelle  que  fut  la  corruption  de  Rome  ,  tous  les  malheurs    s«.  cauft*  it 

ne  s'y,  étoient  pas  introduits  à  la  fois.  Elle  avoir  confervé  une  l'^mpû*. 

valeurhéroïque&ttoutefon  application  à  la  guerre  aumilieii 

des  richeffes'^  de  la  mollefle  >  &  de  la  volupt6,  ce  qui  n'eft 

arrive  à  aucune  autre  Nation^  L'art  militaire  foûtenoit  le$ 

Romains  j  mais  lorfque  la  corruption  fe  fut  gliflee  dans  là  mi^ 

lice  même  i  ik  devinrent  la  proyfdé  tous  les  peuples  5c  aban^- 

donnèrent  jufqu'à  leurs  propres  armes*  Vegece  {a)  dit  que 

les  foldats  les  trouvant  trop,  péfantes ,  obtinrent  de  rEmpc* 

reur  Gratien  i  de  quitter  leur  cuiralfe  &  enfukelcur  cafqiir^  > 

de  manière  qu'exppfés  aux  coup$  fans  (^nfe  y  ils  ne  fonge-* 

rcnt  plus  qu'à  fiiir.  II  «joute  qu'ils  avoienc  perdu  la  coutume 

de  fortifier  leur  camp:>  &  que  ^  par  cette  négligence  ,  leurs 

armées  furenc  enlevées  par  la  cavalerie  des  Barbares.  * 

Cétoit  une  re^le  inviolable  des  premiers  Romains }  qu$ 
quiconque  avoit  abandonné  fon  pofte  ou  laiflc  fës  armes  dan$ 
lé  combat,  çtoit  puni  de  mortr  Julien  &  Valcntînien  avoient^ 
àcet  égard,r/établi  les  anciennes  peines;  mais  les  Barbares  pris 
à'iafoldé  des  Romains,  accoutumés  à  faire  guerre  comme  I4 
font  aujourd'hui  les  Tarcares  y  à  fuir  pour  combattre  encore  ^  > 
a:xherch6r  lé  pillage  plus  que  l'honneur  >  étoient  incapables  ^ 
d'une  pfireille  difcîpline ,  &  ne  voulurent  p^  s'aflujettir  aux^ 
travaux  4és  foldats  Romains.  • 

Ammien  Marcellin  (^)  regardccomme  une  chbfe  exti^r-?  - 
dinairc  ,  qu'Us  s'y  fu0ent  fournis  en  une  eccafion,  pour  plairai- 
It  à  Julien  qui  vouloit  mettre  des  places  en  eut  de  défenfe^  « 

U)  Vert  miUtm  W^  !•  C!ç.  aow  • 


188  SCIENCE 

Telle  étoît  la  difcîplinc  des  premiers  Romains ,  qu'on  y  avôk 
vu  des  Généraux  condamnera  la  .  mort  leurs  propres  en- 
fans  5  pour  avoir  ,  fans  Içur  ordre  ,  remporté  la  vîâoîre^ 
mais  quand  ils  furent  mêlés  parn>i. les  barbares  y  ils  y  con- 
trafterent  Pefprît  d'indépendance.,  qui  faifoit  le  çarafte- 
re  de  ces  Nations,  t^^^c^n  life  les  guerres  de  Bélilaire 
contre  les  Goths,  &  Ion  verra  les  Officiers  Romains  maft- 
quer  prefque  toujours  d^obéiflance  pour  leur  Qénéràh  Sylla 
&  Sertorius,  dans  la  fureur  des  guerres  civiles ,  aimèrent 
mieux  périr  que  de  faire  quelque  chofe  dont  Mithridate  pût 
rirer  avantage  ;  mais  dans  les  tems  qui  liiivijcent,  dès  qu'un 
Miniftre  pu  quelque  Grand  crut  qull  importôît  à  fon  avarice, 
à  la  vengeance,  à  fon  ambition  ,  de  faire  entrer  les  barbares 
dans  TEmpire,  ilie  leur  donna  d^abordà  ravager. 

Les  Empereurs  pouvoient  saflurer  jufqù^à  un  certain  point 
^dela  fidélité  des  Généraux  ,  &  les  attacher  à  leur  fortune 
jpar  les  bienfaits  &  par  l'efpérance;  mais  les  Légions  cor- 
rompues par  les  guerres  civiles  ,fçayoient  quelles  a  voient 
fait  les.E-mpereurs ,  qu'elles  en  tenôient  la  fortune  dans. leurs 
mains  ,  Se  elles  voulaient  êt-re  piàîtrefles  des  Pro\^nçes  donx 
, elles  étoîentle  rempart  :  fentimens  qui  étoicnt  .toujours  car 
pâbles  de  réverllcr  Tambifion  des  Généraux.  L'abus  que  les 
Empereurs  firent  de  leur  puiflance  dans  Rome^  les  rendit 
méprifables  dans  les  Provinces  &  fur  les  frontierca.  La  pre- 
mière querelle  civile  aflura  aux  Soldats  le  droit  qu'As 
croyoient  avoir  de  nommer  les  Empereurs.  Galba  confirma 
:C?e  privilège ,  quand ,  au  lieu  de  s'aflbcier  Pifon  dans  le  Se-' 
jiat ,  il  -fe  tranfpona  dans  le  camp  pour  cette  cérémonie.  Le 
peuple ,  le  Sénat,  les  jEmpqreurs  d.evjnrpn.t  les  efclaves  des 
Cohortes  Prétoriennes.  Si  Ip  Gftuvernemcnt  où  le  peuple  a 

rautoritc 


■DV    G  O  UT  EU  N'E  M  E  N  T.      f8p 

^'autorité,  eft  jujôt  à  tant  d'abus,  qu*Arifl;ote  n*a  point  craint 

de  dire  que  fouvent  la  Dcmocratie  eft  unfè  vraie  tyrannie, 

ç[ue  doit-on 4>enfer  du*<îouvernement  militaffe  où  le  Soldat 

^iplus  impétueux  5  aulïi  ignorant  ,.&  plus  volage  que  le  Ci- 

toyon ,.  gouverne  toujours  avec  brutalité  ?  L'Empire  fut  mis 

à. lencan  ^  on  le  vendit ,  on  le  donna  par  caprice ,  on  Tar- 

cacha  avec  la  vie  à*  celui  qui  Tavoit  acheté*  Rome  n'eut  plus 

-qu'un  pouvoir  imaginaire  fur  l'Empire.,  &  tous  les  -orages 

qui  fefbrmerciit  dans  les^Trovinces  ^  vinrent  fondre  far 

•elle.  La  niilice,  qui  étoit  devenue  .la:portion  la  pkis  mé* 

prifable  de  TEtat  fous  Tibère^  &  quin'étoit  remplie  que 

de  vagabonds  &  xle  brigands^  fans  courage  ,  '&  incapables 

^e  difcipline  ,  avoit  fuccédé  au  peuple  8c  au  Sénat ,  fetEm- 

•  ';pcreur-n^oit  que  comme  Je  premier  Magiftrat  de  cette  4)é- 

^^mocratie  monftrueufe. 

Le  rpartage  de  J'Emphre  fous  Promus  &  Florlanus ,  fous 
pioclotien  éEc  fous  Maximien  Hercule^  »ibus  Ma»mien>Ga- 
Jere  &  Confiance  Chlore ,  fous  les  cnfans  de  Gonftantin^, 
fous  Valcntimen  &  Valcns^,  fous  Arcadius  &  Honorias ,  fiic 
encore  4'uiie  de«  .principales  caufes  de  la  décadence  de  l'Em- 
pire. Alaric  ravagea  Wtalie  &  faccagea  Rome  {a}. 

.  Ce  fut  vers  cexems-U  que  les  Huns  envahirent  la  Fannonie^ . 
<i^^ue les  Vandales,  les  Alains^les  Suéves,les  Goths,  & 
IçsBourguignonspillerent  les  Gaules*  Peu  d'années  apfès,les - 

Vandales  pafferent  en  Afrique  9  fous  la  conduite  de  Genferîc  • 

^-s'y  établirent;  fous  prétexte  d'entretenir  la  paix  àCartha- 
jge ,  ils  Jiirprirent  cette  ville  Sch  pilkrent* ... 

Attila  vint  enfoite  avec  les  Hun&Êdre  trrtiptlon  dafif 

l'Empke  pour  fo  délivrer,  d'un  ennemi  fi- redoutable  ^  oti  lui  ' 

ji(a)  VMXk  1^6$  deikfoiidttiaiw 

Tûm€  L  Oa 


t^f^  SCIENCE 

paya  fix  mille  livres  pcfaar.  d'or  ;  mais  fans  égard  pour^cer 
Traite  ,  il  efiyahit  les  Provinces  Occidentales.  Les  Gauler, 
fcntirenc  fa  foreur,  &:dc-là  il  paffa,  en  Italie  oà  il  faccageâ 
plufieurs  villes. , 

Genferic,  Roi  des  Vandales  ,  aborda,  quelques  années > 
ftprès ,  en  Italie.  Rome  fut  pillée  pour  la  féconde  fois ^  Se- 
ce  Roi  barbfire  emporta  avec  lui  tout  ce  qui  avoir  édwpé  à  la 
fpreur  d'AlariC. 

Dans  ce.mçme  fiécle  ,..Aiaric  Roi  desGoths  alla  s'établir: 
en  Efpagne;  les  Francs  vinrent  s'établir  dans  les  Gaules  y: 
&  Rome  fut  prife  &  faccagéc  pour  la  troifiéme  fois  par  les* 
Barbares  ,  fous  li:canduitC;d*QdQâcre  Roides  Hercules  3^, 
proclamé  Roi  d'Italie. .. 

La  fage  cQodùire  de  deux  ou  trois  Empereurs  ne  put  sdt^ 
fermir  un  Empire  dont  toutes  les  parties  étoiéntcorrompuéSt;-. 
Les  Empereurs  qut  devcdent  leur  élévation  aux  Soldats  vn'é^- 
toient  qwr  d«i Généraux. embarrafFés-â  contenir  cette  milkei 
iofoleote  dOntJlsLJCtoiear.  dépendons ,  ils  ne  pcnfôient  ni  ài. 
sWurer  dés  frootieres^  ni..à..policer  leurs  Etat^  où  Ton  tic: 
parvenoir  aux  honneurs  â6;au2L  richefles  que  par  la  guerre;^ 
Dèî  que  letemsc  A;  le  dtfaut  de  difciplîne  eurent  iiflbiblî  Fefr* 
pfk  d«€0iK)uete:^ilsc/ur^^  par  lespeu-r 

pics  xltt  jSeptcatrioiiqiiiavôiâMlJ  férocité  des  premiers  Ro-?*- 
n^ains  ;  ;i&.  ces-nouveaux  Couiquéraos  devinrent  bientôt  euxî^ 
aiêmes lia conquête^dc  lèuis  compatriotes^., 

Aiodinir  /l'im  des  plus  grands  Empires  du:  monde  (àprèsî 
avoir  fubfu1;i i iiBiiants^jm £bo» les» Rois ,  ouftsus les  Cxxi^- 
f^jls  ,;Ottiô^Je$  Erti^œurs,)  i  moim.iraînciï'par  Tés  erinenlïsi  : 
cju>ccahlé  ftwi  IccpcidSuénûrme.  cfe  fopïepre^  grandeur 5^  âgr 
que  détruit  par Tambition ,  par  le.lûxejpiur îaTârice  ,  &  çàs^ 


DU  G  O  X7  V  E  R  N  E  M  E  N  t.  a^x 
*!es fadions,,  par  la  corrupcioii  des  mœurs,  par  le  relâdhe- 
'.ment  de  la  difcipline ,  &  par  des  Loixpeu  convenables  à  ua 
fi  vafte  Empire.  Après  avoir  fubjuguéTUnivers, Home  peiy 
^dit  Part  de  fe  gouverner  elle-même  ;  fes  forcés  difpartirent 
avec  Tes  vertus  ;  fes  citoyens  paflereiït  de  la  liberté  fôiis  le 
joug  du  défpotifmeJe  plus  dur;  elle  éprouva  la  même  ter^ 
^reur  qu'elle  avoit  infpiréej  les  Barbares  vengèrent  Jes  Ou> 
^haginois  &:  les  Grecs  ,  iSc  J'Empire^omain  ne  fubfiile  plus 
>dans  rhifloire  qucifxswr  y  fervir  de  leçon  âiixNâiiîons^ 

Le  peuple  Romain  qui  regardoit  le  commerce  &  lés  4rts  's^.^^^^kia*. 
'Comme  des  ocîcupations  d'efclaves  (/) ,  lie  ailtivoît  ni  ruîi  nî.Sftfad<»* S^ 
^les  autres.  H  n'y  avoir  tout  au  plus  que  quelques  af&anchis'l^^Û^iui^c]^^ 
'^ui  minent  à  profit  leur  induûrie«  ^^ent^7etco»^ 

Rome  >  julqua  les  Empereurs  ^  fôt^kftot  un  can^  <ju'une  >^«««* 

^ille  ;  les  habitans  étoicnt  plutôt  des  Soldats  ^uifedeftinoient 

à  ravager  la  terre  y  que  des  citoyens  occupés  à  fe  policer  8t 

À  le  procurer  leur  fubfiftance  par  des  voyes  équitables.  La 

iguerre  étoit  la  feule  voyc  qui  conduifoit  aux  Màgiftranrres» 

Piller  k  genre  humain  étoit  donc  le  feul  moyen  qui  rcflât 
aux  ^particuliers  pour  s'enrichir.  On  mk delà  dlfcipline danft  ' 
da  manière  de  piller;  &J'on  y  obferva  à  pôa  près  le  même 
«ordre  qm  fe  pratique  encore  aujourd'hui  chez  les  petits  Tan-  ' 
^tares.  La  guerre  >  devenue  parmi  nous  ,  'un  abyme  qui  en^ 
jgloutit  toutes  les  richeffes  d'un  pays^  étoit  «ne  mine  ^où  le 
peuple  Romain  tiroit  fes  phis  grands  ttéfors.  À  Home  ,  le 
q:i^venu  de  l'Etat  naiffoit  d'où  fort  la  néceflité  de  la  dëjpenfe 
dans  les  Etats  modernes  de  TEurope^ 

(a)  illiberales  &  Jordidi  qihtflus ,  mtrcenanorum  mMum  quorum  tptrë  non  ^^ 
ttum  ânes  emuntut^efi  enim  illis  ipfa  mer  ce  s  imSaramentum  fervttutis»  Cicer.Lîh 
■ë.Cofu  4^*  Offf  L»  Marchands  (^ûte-^fL)  ne  km  faucon  profit  Vils  ne  meit^. 
stent ....  L'Agriculture  ^  le  Jplus  4>catt  4c  tous  4«s  ^lxxs  &  le  plus  idjgne  d*«fli  ' 
ftoflupe  libre»  . .  ■  ^ 

O  ojjî 


^^  se  TEWCK 

Le  butîh  ézoït  mis  en  commun ,  on  le  diftribuoit  aux  Sol— 
,dats  ,  &.  les  citoyens,  qui  reftoienc  dans  la.vilk  ,  jouifloient 
aufli  des  fruits  de  la.viâoire;-Gn  confifquoit  une  partie  "des* 
terres  du  peuple  vainat,.jdont.  on  faifoit .  deux-  portions*. 
L  uneife  vendoit  au.  profit  du  public ,  l'autre  étoit  dillrîbuée 
^ux  pauvres. citoyens,.!  la  charge  d'une  rente  qu  ils  payoienc. 
à  la  Republique, . 

Valerius  Publicok  fiit  lé  premier  qui  ordonna  que  lé  rc-^ 
venu. appartenant  à  la.  République ,  Xeroir.  dé-poIé  dans  lé 
Temple  de  -Saturne (ii)  ,  -afin  que  la  fainrecé  du  lieu  rendît  ce* 
dépôt  encore  plus  facré.  II. y  avoir  deux  trciors.  Dans-TuTi 
dcftiné  aux  befoins  journaliers  de  la.  République,  on  portoir 
les  tributs  ordinaires  ;  dans  Tautrc,  lor.de  Timpot-  du  ving?» 
tieme  établi  .fur.  la  vente  des  Efclavesj(*  ).  On  n'y  touchoit 
que  dans  une  preflante.  néceffité  ;  &.  c-cft.ce  trcfor  facré  que 
Géfar  pilla ,.lorfqu  il  attenta  à  la  liberté  publique  (r ).^ 

Pendant  les  premiers  fiéeles  de  la  République,  elle  n'éur*. 
pas  befoin  xi'argçnt  y.puifqiie  les  troupes  neccmraenGerentài 
recevoir,  de  foldetqu^a  fiége  de:Veïes  (ii)  -;:mais>à  raefurc^ 
que  les 'Romains^  aggrandiflfoient  leurs  s£tats  ,.£tc  qu-'ils  for^ 
moient  de  grands  projets  de  domination:,  ils  fe  perfuaderenc:' 
que  rien  ne  leur^importoit.plus  que  de  faire ^aux  dépens -de^ 
Tennemi  y.un.fonds  qui  put  fournir  aux  déppnfes  pjibliques^j 
fans, qu'on  fut  forcé,  de  furcharger  le  peuple  d'impôts  :  ex—: 
trémité  qu -ils  avoient  foin  d'éviter.  Gequi  contribuaà-faire^ 
réufiir  œ  deflein;,  ce.  fijr  lontégrité  de.ceuxquixommarv»- 
doîenr  les  armées*  Rien,  n'-étoit  perdu  dubutin  qu'on tfaifoiC' 

(p).Macr.obpLiL  i.SatuT/uCap^S*.. 

\b)  On  l*âppelloit jzt^ritfn  vXctJimariunu  .Tii.  Liv.  L*.  ij*. 

XÔIntaâoMjididtempoTU  ^ecunias  abJluUt  ^  dk>Appuukd*Alisniiki.9-4l  MUf^ 


D  tJ   .G  Ô  Û  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       i^^ 

Idr  rennemi.  Chacun  avoit  jure  ,  avant  que  de  part 'r,  de  ne 
rien  détourner  à  fon  profit ,  &  les  Romains  dtoient  commu- 
nément lè'  peuple  du-  monde  le  plus"  religieux  fur  le  fer- 
ment. 

Comme  Ton  jugcoitde  la  gloire  d'un  General  par  la  quari-^ 
tîté  de  Tor  &  dé  Targcnt  qu  on  pprtoit  à  fon  triomphe ,  fe 
General  ne  liailToit  rien  à  lenniïmi  vaincu.  Rome  s'enrichif- 
foittoujours,6c  une  guerre  étoit  pour  elle  un  moyen  infaillible"' 
d^èn  entreprendre  une"^  autre. 

Les  ricKefîbs  de  CaVtHage ,  de  Sicile  ,  des  villes  d'Àfie ,  de 
là  Macédoine ,  &  des  autres  Provinces  conquiféS  furent  poB-  - 
récs  dans  le  trcfor  public.  Les  Gcncrau3('d'armces  &  les  Mi- 
niftfes  d^Etar,  dans  ces  ficelés  Heureux  ,  igûoroient  Part  de 
s'approprier  ces  richefTés^-ils  s^appliquoien  ta  enrichir  làRé- 
piibîique.  Ce  défintérefifemertr  dura  long-tems.  Quelques  an-' 
nif es  après  la  dernière"  guerre  Punique ,  on  n'avôit  encore  va  ■ 
perfonné  qifi  fe  fut  enrichi  des  dépouilles  des  Pi'ovirices.  - 

Il  efl  vrai' que  ,  dans*  le  fiécle  fuivant ,  quelques  particu^ 
lîèrs  conflttencerent  àufurpier  Je  butin  pris  fur  Tennemi ,  mais 
croient  des  xritoyens  ambitieux -qui  machînoient  la  ruine  de 
fetir  patrie,  Mârius,  Sylla,  Pompée,  Céfar.  Ort  peutcomp-; 
terLuculkis  parmi  ces  voleurs  illù(!rêS5  il  avoit  vrâifembla- 
blettienr  formé  les  lîiêmeS  dèfleiris  contre  fa  patrie;  mais  pi- 
qué qu'on  lui  donnât  un  fuccefTéur-,  laffé  d'ailfeurs  des  fédi-- 
tfons  des-fbldats  que  t^nt  de  grandes  ViCloirei  ne  pouvoient 
cbntenîrj  &rd^oûté'dU'méfi«:  de  làgùelre,  il  embraffa  ùîl* 
genrede  vie  plus  tranquille  ^  &  fit  fervir  à  la  volupfc  ces-mô-- 
mes  riche/Tes  que  les  autres  confaGroient  à  leiiraftibition; 

Les  Généraux  faifoîbnf  pâyet^ fort  chcr-ks  frais  delà gue** 
t^  à  Tennemi  vainca  >;  &  lui  im^ofoient^  dès- tributs  énorme»* 


;a94  S  C  I  E  N  C  E 

des  flots  d'or  &  émargent  venoîent  à.Rome  de  tous  les'Iîeur 

du  monde  (if).  Porcius  Gaton,  Commandant  en  Efpagne^' 

eut  raifon  de  renvoyer  les  Pourvoyeurs  qui  étoi£nt..arrivés 

^dc  Rome  ,  rpcnir  feire  des  provifîons  de  bledj)our  Tarmée  ,  en 

leurdifant  ces  paroles  célèbres  :  La. guerre  mus  fournirdde 

,^uoi  faire  U  guerre  {b).  Les  Romains  auroient-ik  été  en  état 

-de  foûtenir  tant  de  guerres  ,  s'il  avoir  été  permis  aux  Géné- 

rxaux  d'armée  de  ne  pas  rendre  compte  du  butin  pris  fur  Fen^ 

:^nemi  ?  Et  fi  les  Confuls ,  les 'Préteurs ,  les  Ediles ,  &  les  Tré- 

sforiers,  avoient  ufurpc  les  fonds  des. terre  qui,  par  droit  de 

conquête ,  j^venoient  à  TEtat.  ? 

Les  Romains  regardèrent  comme, une  reffource  dflurée  lu-' 
fage  de  Élire  Ja  guerre  aux  dépens  de  Tennemi ,  &  ne  perdi- 
rent jamais  de  vue  ce  fyflême.Quoiqu  enflâmes  d'un  vifdéfirdc 
^gloire^ils  fe  faifoient  toujours  payer  pour  les  frais  de  la  guerre* 
"Tantptjils  prçnoient  une  partie  du  territoire  de  la  .Nation 
-yaincuc,  &  y  esivoyoient  des  colonies,  pour  aflurer  leurs 
.coAquêtes  &  pour  fe  débaraflçr  des  citoyens  pauvres. -Quel- 
^luefois  j  ;ils  jéduifoient  les  Royaumes  en  Provinces,  fexéfcp' 
.vant  une  partie  des  tributs  que  les  naturels  du  pays  avoient 
.coutume  de  payer  à  leurs  Rois.  On  les  vit  obliger  des  peu- 
ples Xoumis  à  j)ayer  jime  certaine  quantité  de  bled^  ils  cora- 
^nanderent  à  d'autres  de  fournira  la  RéjHiblique  dcsyaiflfeaux 
^e  guerre  i?c  detranfport  (^)^ 

i.e  titçe  d'ami  &  d'allié  du  peuple  Romain  accordé  a  plu» 
iîeurspwples^  fiit  encore  une  grande  reflfource.  Sousunnoct 

i^^ojtz  Tîtô-Lîve  pajjîm  :  Plutarque  în  vitl  PaaHjErnUil.  inyuâSrjUs^  ' 
$nvitâ,Catonis,invitiPompeii,erc.  **^*î/w^#^ 

ih)  2ellum  feipfum  alet.  Tite-I4ve  4« OecadeXiy*^. 


DU    G  O  U  V  E  R  N  E  M  É  N  T.      2^5^ 
Konorable ,  les  alliés  étoient  vérirablcmerit  les  tributaires  de 
Rome  ;  elle- en  tiroit  des  armes ,  des  vaifleaux ,  des  foldaK  ,.- 
des  mariniers ,  &  toutes  fortes  «de  provifionsf^  enaggran- 
diflant  fon  Empire ,  elle  augmentoit  fes  revenus» 

Le  revenu  que  la  République  retiroit  des  coloitîes  &  des^ 
Provinces  >  fut  fans  douce  considérablement  diminué  pen- 
dant les  guerres  civiles  de  Céfar  &  de  Pompée.  L'Etat  fe  ref-*  * 
fentit  aufli  de  ces:  maux  pendant  les  guerres  du  jeune  Pom- 
pée avec  Céfar  v&  d*Augufte  avec  Brutus  &  Caflius.  Les  Pro- 
vinces furent  encore  expofées  au  pjllage  ,  après  le  partage* 
cp^'en  firent  Augufte  8c  Antoine  .Le  luxe  de  ce  dernier  étoic 
capable  de  réduire  à  la  mendicité  plufieurs  Nations  opulen- 
tes v  La  mifére  des  peuples* fiit  extrême,  durant  cette  longue 
guerre  où  Augufte  &  Antoine  le  difputerent  TEmpire  du>i 
monde»  .         -'  '^ 

Le  peuple  Romai»  ne  coramenç?  à  rcfpirer  qq&ïorS  qu' Au- 
gufte régna  to«  feul.   Occupé  du  projet  di  rendre  l'Em- 
pire héréditaire,  ce  Pfînce^fongea à  le  rendre -florifTant  &  à 
enrichir  fes  fujcts^.perfaadé  que  leurs  ricfaefles  feï-oient  Igt;^ 
fiennei  Pendant  un  règne  dequarante-quatre  ans»,  il  n&  s'é* 
carta  jamais  de  ces  vues.    II  eiabrllk   cependant  '  Rome.  ^ 
n  Voyant  (ditrHiftorien  )  qiw  Rome  n'étoitpôintàutailf  êm- 
a>  bellie  que  le  demaniloit  la  majefte  de  l'Empire^  .&- quelle 
i>-étoitexpofée  à*?des  inondations  &  à  dès  incendies ,  il  lui 
»  procura  tant  de  commodités  &  d'embeliifTefflens  ',  qu  il  a  eu 
fxraifon  de  fe  vanter  de  latffer  Rome  toute-de  marbre^  après 
a^  lavoir  trouvée  toute  de  brique  (4).  Malgré  toutes  tes  dé-- 
penfes ,  il  amaffa  desfommes  infinies;'  -L'argent  qu'on  trouva  ^ 
ila  mort  de  Tibère  en  cft  une  pfeavc.^- Ce.  Prkice  laifla  un 

0^  Sueu  in  vui  Augufiu: 


:i^$  5.C  I  E  N  C  E 

trclbr  immerife  (  /«  )  que  Caligula  fon  fuccefleur  dîflîpa  en 
moins  d'un  an  (^). 

LadifTipation  des  finances  fous  Néron ,  Catigula,  Virél- 
lîus  ,  Domitien  ,  Julien.,  Caracalla,  Héliogabale , .&  tant 
d'autres  monllres ,  mit  les  Enpereurs  dans  le  befoin  ,  &  le 
befoinles  jetta  dans  les  rapines.  Quelques  bons  Princes  fou- 
lagerent  un  peu  le  peuple  ;  mais  ils  eurent  des  fucceffeurs 
4qui  Taccablerent  ;  &  dans  la  décadence  de  TEmpire  ,  les 
autres  Nations  refTaifirent ,  parle  commerce  ou  par  la  guer- 
re,  les  richefTes  dont  Rome  avoit  dépouillé  le  monde  entiei^ 

,(fi)  Tarif.  1Mb.  j.  Annal,  i 

C W  JNon  toto  verttnte  anno  ahfumjftt.  Suef.  in  Vit.  CaUg.  ...  "^j 


I 


CHAPITRE 


DU    GOUVERNEMENT.     297 

C  H  A  ï^  I  T  R  E    I  M,  ;  ^  r 

!)</  diyerjes  formes  de  Gouvernement  quil  y  a  fréfentement 
dans  le  monde  ^  conjidcrées  en  gêner dl. 

S  E  C  T  I»O.Ni  P  «  E  M  1  E  R  E.  - 

CâTâ^eres  du  Deffotimey  du  Gouvernement  êhfolu  ^  &  du 

pouvoir  limitée 

AP  R  Ê  S  avoir  examiné  cit  détail  le  monde  politique  dans    «•  ^,  ««ï^ 
^  >,  *  fiineié  doit  êtte 

fes  parties  tes  plus  connues  ,  il  convient  de  le  confi*-  ^^^^  ^ 

dérer  en  générai  j  pour  avoir  unie  jufte  idée  die  chacune  "^ 
des  circonftances  d^Etat  pu  léfquellé^  les  hommes  font  gou- 
vernés. 

Les  Souverainetés  que  nous  voyons  fur  la  terre  font  des 
ruiffeaux  qui  côuleAt  de  la  Souveraineté  elfehtiellé  &  primi- 
tive,  laquelle  eft  on  Dieu  coffiifte  dans  fa  fbùrcè.  Cette  Sou- 
veraineté primordiale  &  univerfelle  (e  répand  de  divcrfes 
manières  fur  les  créatures  pour  le  Gouvernement  du  genre 
humain.  Elle  fe  communique  aux  Princes  ^  &  quelquefois 
au  corps  du  peuple  >  qui  lui  éiohtit  la  folrme  corivbilable  aux 
intérêts  de  la  Nation  ^  &  la  remet  volontairement  à  diês  Ma- 
giftrats  de  fon  choix.  La  Souveraineté  que  les  hpmmes.exçr-. 
cent ,  a  fes  excès  &  fes  modihcarionâ ,  auffi  bien  que  fes  ca- 
ractères propres  ;  &  le  véritable  point  où  elle  doit  monter 
eft  placé  entte  deux  écueiii ,  le  Etefpotifme  qui  eft  odieux  & 
barbare,  &  TAnarchie  qui  ne  connoît  d'autre  droit  que  celui 
de  la  force.  Dans  quelques  pays  ^  elle  n'admet  que  des  efcla- 
ves  ,  &  franchit  toutes  les  bornes  de  la  Vaifon.  Dans  quel- 

Tome  I.  P  p 


1:1.  ;•     .: 


qucs  autres ,  il  n'y  a  ni  unitd  j^hyrique ,  ni  unité  morale  ;  té 
•^ince  rfa  pas  tbwc  f  autorité  noce  flaire,  il  n'eft  ^^  à  jpropre- 
ment  parler  ,  qiîerrtpmxhe  clu'4>efaffle  y'il  xài  ïîibit  en  quelqutf 
manière  la  Loi  >  &  en  cflfuyc  quelquefois  les  caprice?.  Mais? 
'entre  ces  deux  Gouverfiemens  ,  il  en  cft  un  où  la  Souverai- 
neté efl  daris  toute  fa  fplcndeur ,  où  Tunité  de  volonté  qu'exi- 
ge tout  GouyerÊiemeiit  n^gutter  ,i  fc  trouvô'dans  un,  dans; 
pluucurs  ,  ou  dans  tous  ;  ou  elle  agit  fur  des  hommes  libres, 
mais  fur  des  hommes  qui  nrconnoiffent  que  le  niéilleur  ufage 
qu'ils  puiflent  fûfe  de  leur  liberté',  c'cft  d'ctre  foumis  m 
Gouvernemçnt ,  &  où  enfiri  le  Souverain  â.qui'  les^eu|>les 
;;  .obc^fTcht  f<^  fait  luir^môme  une  gloire  i^'obéir  aux  Loik  cortf- 
/.' .  ùtutives  de  TEtat.  :Ceft  de-Uqiie  vieptladiftinâion  du 
pouvoir  arburaire,d(i pouvoir  ajblbk:,,$c  au  pouvoir  limité» 
*.  ^onwîr  ïr.  Lo  Gouvememcnt  arbitraire  ou  defpotique  (a)  efl  une  con-? 
•^e^  """  ^  ^  dnuatiqn  de^la  Lpi,  jtyraraHqùe  du?  plus.  fôrt#  Très  éloigné  de 
^^os  njœurs,  ïi-eJl-âiïGonnu  parjni  nous-j.  &  coinme  il  n*a  ni 
jcgîes  ni  principes ,  il  A  a  aucune  forme.  Andennerticnt  la 
.plupart  des  grandes  Monarchies ,  furtouc  celles  qui  avoient 
.été  formées  par  les  armes  ,  Soient  defpotiqûes  ;  &  au  jour- 
.d'hui  encore  la  Turqiiie ,  la  Perfe ,  le  Mogol ,  difops  plus , 
jprefque  £Qus.les.pcuptcs  d€iir-Aiîe:i  de  TAfrique^  fr  de  PA^ 
mérique^ gçjmflenc  fous le.DeljfQtifme,  & n'onç  jartiais connu 

(^y Ceft I*Êiftp^ffeûî  Aîoxîs  ,  fvrmotnmj^ï^Ànfrej  qui  créa  fa  dïgnhVde  t)erpote, 
Bi  qui  loi  donna-  Je  premier  rang  après  J*£h>pereiix'  au'-deflùs  de  TAugoile'  6c  da' 
Ccfar.  Les  Defpotes  étoîeni:  ordinairemont  les  fils  ou  les  gendres  des  Empereurs. 
On  sfrppella  Defporitt  les  appanages  q «'ils- eurent  foiis  les  fucceflints  d'Alexis.  De- 
là le  nom  de  Defpptat  c^c  eonferve  eiicojre  aijourdliui  un  petit  pays  de  UvtdîfS 
*t}ii  'appartient  au  Grand-Sci^heuf  V  &'  gu"i  bft  l'ancienne  Étolie.'Le  Prince  de  Va- 
jlpçKiç  ,  &  qnrjqvies  aijtres  Xrttiuraif  es  du  îlirc  ,  sTap^elleht'DfJJwt^f  ^  d*wi  mat 
Grecq^ii  ffgnific  Maître  ou. Seignfur  ,  &  dont  fe  font  formés  defpotique  ,  deJpcH 
^finf^r  défpcti^'tiâmefit ,  -^ur  ï-épondèitt  attx  mots  DomJButus  ;  P minus  >  herufy 
HfiiiSyf  ingtrwjus^f  Imjjcriojir  *  .  / 


DU    GOÛ  V^Ëll^NE^E  Nt^         jic/j 
4*âutres  Loix  que  la  volonté  &  Jes  caprices  de  leurs  ittàîEPcsi 

Ce  n'eft '  pas  «niquemenè  par-  te  droli  *de  <»iiiqiicte  ptttté 
trop  loin^que  le  Deipo|:iftte-a  été  établi  dans  le  mpnde«^'ît 
s'eft  introduit  audi  â  la  faveur  de  la  foùmijridrï  vplùmaire  :àéi 
peuples.  Quelques  Notions  fe  voyàtorfur  iô  pcrithantideileur 
ruine  9  felivroicnt  où  à  la  bonne  foi  ou  à  la  dilprétion  d'un 
autre  peuple^  avec  leurs  villes  ^  leur^cérres^  leurs^Temples^ 
&  tous  les  droits  divins  &  humains  (4)-;  &;r:lès  vâinqucuci 
gbufant  dçs  droits  de  la  yi^cire^^dohaoiera  i'rGi?tdrxnQ£uii 
^ens  contraire  à  celvi^qu^ils  préientên&ntMureUenkncL  :')  ?lriz 

N'examinons  poinp  iî  une  foumifTion  portée  icstx^ndosfôc 
entendue  d'une  manière  barb^i^^  peut  valoir  ;contTe:  la  Loi 
éternelle  qui  fe  propofe  toujours  h  <umfa^^ 
des  hommes.  Il  lé  dernier  de8;malhîeurs:péat^ïrg-.laîîCoiniij 
tion  d'un  traite  de  paix ,  &  fiiin  homme  qui  n*a  auûm  droit 
fur  fa  propre  vie^  puifque  Dieu  &  rinccrct.de  fôn.pays.luî 
ordonnent  àc  la  conferver ,  peut  fe  foumèttre  au  pouvoir iax* 
bitraire  d-un  autre  ,  qui  VçA  privera  au  gré  de  Tes  dciirs,  La 
confidélratîon  d'un  plus  grand  «malheur  à  éviter  eft  une  efpèce 
de  remède  contre  un  mwndre j  ^  loifqu'on  fôuhaitc  le  mal> 
ce  n  eft  pas  comme  tel ,  mjiis  comme  unç  chofe  où  Ton  fe  fi-r 

CO  »  QuanJo  quïdem  nojlra  tiiert  adverjùm  vim  atque  înjuriamjuftâ  vl  non  vuhis  > 
)0  vejlraceitê  defendms.  itaque  populum  Caippanum  urbemque  Capuçe  ^  ngras  ,  ^e- 
»  luhra  Dfum  ♦  diyiuée  humanaqiie  omnia  in  veftram  y  Patres  confcr'^f^ti  ^  çvpuli" 
»  que  Romani  dinoném  dedimus.  ^  Telle  ek  la  formÀïie  dont  fe  fervent  Tes  Cainp** 
jiiens  dans  Xi te^Live», première  Pecadr»  en  fc  ioûnbifc.âux  Romainr»;aprçs-jç«r 
avoir  inutilement  demandé  du  fecoùrs  contre  les  Samnitcs  Us  fe  révoltèrent  ùxnn 
la  fuite  contre  les  mêmes  Romains  ,*  &  ayant  été  vaincu«  par  le  Proconful  Furius , 
ils  fe  remirent  à  leur  bonne. /oj,  à  peu  près  avec  4a  même  formule,  ce  qu»  1« 
Romains  appelloient  deditio  »  jCjomme  ob  le  voit  dans  le  même  Hiflorien  ,  troine% 
nie  Décade.  Ceil  ce  que  nous  appelions  fe  rendf^j^  4ikTétiQik.  Les  Ro|nains  ^n-^ 
€ endoient que  ce  mot  ^riirio  leur  attribuoitledroît^jdi;  détruire  tp»itç$  les  ^chx>(H 
énoncées  dans  le  palfage  qu*on  vient  de  lire  :  «iiiifa.q^el-efprk^es peuples  qy'i  Ar 
rendoient  ainfi  ,  étoit  de  pofFcdçr  ÇCS  (iiofo  im^^Uiéf^^f^cc'^  (9\iS  la  j>r^» 
çedioa  des  Roipain^, 


joo  .  ^  T  \'SX:  I  E  tN  C  E 
gure  moins  de  défavantage  que  dans  un  autre  mal  donc  on 
veuc'  fer  délivrer*  Qu'il  nous  fuISfeque,  dans  la  partie  du 
monde  que  nous  habitons  >  le  defpotiûne  efl  inconnu  >  (i 
Ton  en  excepte  la  portion  des  Etats  du  Grand-Seigneur  qui 
y  efl  fituée  j&  peut  être  la  Ruffic  Européenne.  Faifonsnéan* 
moins  quelques  réflexions  fur  les  inconvéniens  du  pouvoir 
arbitraire  y  pour^ôter.  à  jamais  à  tous  les  Princes  de  l'Europe 
le  défir  de  Tufurper . 

Si  ce  Defpotifme  îKnalheureux  dégrade  ceux  qui  y  font  fou* 
mis  de  la  dignitéDaturelle  de  Thomme.»  &  s'il  rend  les  Ci- 
toyens comme  étrangers  dans  leur  propre  patrie  ^  ilexpofe 
àufn  à  d'étranges  revers  eeyx  qui  l'exercent.  L'intérêt  com- 
mun lifiiC'Ceux  qui  foufifrent  ^  &  après  avoir  gémi  chacun  en 
piâticulier  ^jils  cherchent  tous  enfemble  à  fe  venger.  Tout 
ce  quieft  exceflif  dure  peu  (a)y  6c  \m  Empire  odieux  ne  fiic 
jamais  fiable  (^)>.  Les  Princes  de  l'Orieint  expriment  leur 
puiflfance  par  des  titres  qui  ne  conviennent  qu'à  Dieu  9  6c 
les  plus  foibles.en  ufurpent  qui  les  fuppofent  les  Domina- 
teurs de  tout  l'Univers.  Mais  ces  Ombres  de  Diet^  (c)  ,  ces 
Rois  dn  Cieté^lde  U-  Terre  (d)  ^  ces  Rois  des  Rois  y  ces  Héri* 
tiers  du  Firmament  y  ces  Frères  dm  Soleil  ér  de  U  Lune  {e)  y 
ces  Diftributeurs  des  Couronnes  auxjplus  puijfans  Princes  de  U 
Terre  (/) ,  deviennent  fréquemment  le  jouet  de  la  plus  vile 
populace.  Ils  font  regardés  par  leurs  peuples  comme  les  en- 
fans  adoptifs  du  Ciel  j  on  croit  que  leurs  âmes  font  célefles 
•  ■     '.         ■      i. . 

(«)  Quîiauïâ  ixcejfii  mûdum ,  peniet  infikbili  Ucû. 

(b)  Invijum  Imperium  numquam  retinetur, 

(c)  Titre  que  prend  le'  Roi  des  Aby  i&u* 
id)  Titre  que  prend  le  Rbi^de  Siâm« 

ie)  Titref  que  prend  le  Roi  dèPeife.  '     ' 

(  /}  Titre  que  preid  l*Bm]pef«mr  T»rc» 


DU  GOUVERNEMENT.  501 
et,  furpaflcnt  ks  autres  en  vertu ,.  autant  que  leur  condition 
les  élevé  au-deffus  de  celle  des  autres  mortels  ;  mais  lorfqu  u- 
ne  fois  un  de  leurs  efclaves  fe  révolte ,  le  peuple  met  en 
doute  quelle  eft  Famé  la  plus  edimable  9  ou  celle  du  Souve-» 
rain  impitoyable  ou  celle  de  Tefclave  révolté ,  &  fi  l'adoption 
célefte  n  a  pas  paffé  de  la  perfonne  du  Roi  à  celle  du  fujet* 
Le  meurtrier  monte  fur  le  trône  pendant  que  le  Monarque 
en  defcend  y  tombe  &  expire  aux  pieds  de  Tufurpateur. 

Les  peuples  efclaves  doivent  tous  fgbir  Iç  même  joug  ; 
fous  quelque  Prince  qu'ils  vivent ,  on  ne  fçauroit  leur  en 
faire  poner  un  plus  péfant  j  &  ils  ne  prennent  par  confé- 
quent  jamais  aucune  part  à  la  fortune  de  leur  Souverain,  Le 
trône  devient  dont  le  prix  du  courage  de  celui  qui  ofe  s'en 
f  mparer.  On  fçait  les  révolutions  fréquentes  qui  arrivent  à 
la  Cour  du  Grand-Seigneur  &  à  celle  du  Czar.  Il  ne  faut  pas 
remonter  bien  haut  dans  Thiftoire  des  Turcs  pour  trouver 
des  Empereurs  étranglés  ;  en  moins  d'un  an ,  on  a  vu  autre- 
fois fucceffivement  trois  ou  quatre  Empereurs  dans  cette  Cour 
oragcufe  (4)  ;  &  déjà ,  dans  le  fiécle  où  nous  vivons ,  le  trône 
de  Conftantinople  a  étérenverfé  deux  fois  (h).  Nous  venons 
de  voir  aufli  une  milice  infolente  difpofer  ^  au  gré  de  fes  ca-^ 
priées  piufieurs  fois ,  coup  fur  coup  ,  de  la  Couronne  dô 
Ruflîe  (c). 

(al^ft.  Guliel  Malmtsh.  Lib.  %. 

ik)  En  170)  »  des  Révoltés  dépoferent  Mitftapha  y  êc  mirent  la  Couronne  ùif 
H  tête  d'Achmet  III  fon  frère.  En  17^0  ,  un  autre  mouvement  populaire  fit  pailèr 
Adimet  lui  même  du  trône  à  la  prifon ,  de  fit  régner  Sultan  Mahmoud  fils  uniqu<r 
de  Solyman  »  oncle  des  deux  derniers  Empereurs*  Achmet  lU  moutut  ou  plutôt 
fut  étranglé  à  Conilantinople  dans  fa  prîfon  le  2)  Juin  17 16^ 

(c)  Vofez  »  dans  le  feptiéme  Chapitre  de  cette  Introduâion  >  la  Scélion  vlngc<t 
quatre  au  Sommaire  :  Quelle  ejl  la  firme  de  Gouvernement  (r  lal^ide  la  Sticcej^ 
JUn  i  la  CouTçnnié^ 


^0%  SCIENCE 

Les  hommes  qui  ont  perdu  refperance  de  la  vie  ,  perdent 
àufli  la  crainte  de  la  mort,  Un  Turc  qui ,  par  imprudence  on 
par  malheur  ,  eft  tombé  dans  la  difgrace  de  fon  Souverain  ^ 
cft  fur  de  mourir ,  quelque  légère  que  puiflc  être  fa  fautes 
]La  feule  refTourçe  qui  lui  refte  pour  échapcr  au  fupplice ,  c'eft 
de  confpirer  <:ontre  le  Prince.  Parmi  nous  ,  au  contraire ,  la 
difgrace  n'ôçc  aux  Grands  que  la  faveur  du  Souverain  ;  & 
comme  il  ne  les  fait  g^jèrcs  périr  que  pour  le  crime  de  lé^-» 
Majeflé  ,  ils  craignent  d'y  tomber  y  par  la  confidération  de 
ce  qu'ils  ont  à  perdrç  &  du  peu  qu  ils  ont  à  gagner^ 

Si  les  Princes  Orientaux  ,  dans  cette  autorité  illimitée , 
n'apportoicnt  mille  précautions  pour  mettre  leur  vie  en  fure- 
té,  8f  s'ils  n'a  voient  à  leur  folde  tiri  nombre  prefque  inorn-* 
arables  de  troupes  pour  tyrartnifer  le  refte  de  leurs  Sujets  ^ 
ieur  Empire  ne  fubfifteroit  pas  un  mois.  Celui  des  Princes 
d'Occident  eft  au  contraire  établi  trçs-foUdement^ 

Le  defpotifme  eft  çoujours  le  même  en  Orient ,  parce  quQ 
les  changemens  ne  peuvent  être  faits  que  par  les  Princes  ou 
par  les  peuples.  Les  Princes  Orientaux ,  malheureufement 
prévenus  comme  ï\s  font  ,n*ont  garde d'çn  faire,  parce  que^ 
dans  un  fi  haut  degré  de  puiffance  ,  ils  ont  tout  ce 
qu'ils  peuvetlt  avoir  ,  &  qu'ils  tie  s'imaginept  pas  qu'il  puiffe 
arriver  du  changement ,  que  ce  ne  foit  à  leur  préjudice.  Pour 
hs  Efclaves,  fi  quelqu'un  d'eux  forme,  quelque  réfolution  ,  il 
ne  fçauroit  Texccuter  fur  TEcat^  il  faudroit  qu'il  contrebalan- 
çât tout  4  coup  une  puiffance  tedoutable  &  toujours  unique , 
}c  tems  lui  manque  comme  les  moyens  ;  mais  s'il  va  à  lafour^ 
4:e  de  ce  pouvoir,  il  ne  lui  faut  qu'un  bras  Se  un  inftant. 

Les  Potentats  Orientaux ,  pour  fe  conferver  |es  refpedj  4Mt 


eue?  où  V  Ë  k  N  É  M  E  N  t.      30} 

|Jeuple,  trouvent  à  propos  de  lui  dérober  la  vue  de  leurs  pcr^^ 
Ibnnes  ,  &  de  laiffet  une  vafte  diftance  entre  les  hommage^ 
&  leur  trône.  Renfermés  darts  Tintéricur  de  leur  ferrail ,  ilî 
fe  montrent  rarement  à  leurs  Sujets  ;  &  quand  ils  le  font  t 
jc'eft  toujours  avec  une  fuite  &  un  appareil  propres  à  impri- 
nier  la  terreur  j  ils  veulent  fe  rendre  plus  refpe£iables  5  mais 
ils  font  refpeûer  la  Royauté  &  non  pas  le  Roi ,  &  attachent 
Tefprit  des  Sujets  à  un  certain  trône  &  non  pas  à  une  cèrtai* 
tic  perfonne.  Cette  puifTarlce  iftvifible  qui  gouverne,  efttou^ 
jours  la  même  pour  le  peuple.  Quoique  dix  Princes  qu*il  né 
cbnnoit  que  de  nom ,  fe  foyerit  égorgés  Tûn  après  Tautre ,  il 
ne  fent  aucune  différence  dans  fa  condition.  Si  le  déteftablè 
parricide  de  notre  grand  Henri  IV  avoit  porté  ce  coup  fur 
un  Roi  dès  IndojS ,  maître  dans  TiHllant  du  Sceau  Royal  au- 
quel la  puiffance  eft  attachée  dans  ce  pays-là,  &  d'un  tréfor 
immenfe  qui  auroit  fômblé  avoir  ét^  amaflc  pour  lui ,  il  au- 
roit  pris  tranquillement  les  rênes  de  TEmpire  ^  fans  qu'un 
feul  homme  eût  penfé  à  venger  fon  Roi,  à  reclamer  le  fils  du 
Jloi ,  &  la  famille  Royale. 

Quatre  cârafléres  diftinguent  le  Defpotifme  d'avec  les  for* 
mes  de  Gouvernement  de  TEuropé.  i^.-  Lçs  peuples  gouver- 
nés defpotiquemerit  naiffent  Efclaves  ,  il  n'y  a  point  parmi 
eux  de  perfonnes  libres.  2^.  On  n'y  pofféde  rien  eh  proprie- 
té  ,  &  il  n'y  a  point  de  droit  de  fucçeffion ,  pas  même  dope- 
tt  au  fils  (a).  Le  Domaine  du  Prince  a  la  même  étendue  que 
fon  Empire.  Simples  Ufufmitiers  &  comme  Ferttiiers  des 

(a)  Le  feul  moyen  qu'un  père ,  qui  a  quelquç  p^it  aux  affiiii^es  publiques  ,  air 
eh  Turquie  >  de  faire  mccédtr  fon  fils  ï  fes  biens  (  &  ce  moyen  eft  fouvenr  em- 
ployé) c'eft  de  rendre  les  immeubles' qu'il  pofiëde  vac»ufs  j  c'eft-à-dire  de  les 
donner  en  propriété  à  des  Mofquées ,  &  de  l'en  réferver  TuTufruit  pour  lui  ôi 
pour  fes  defcendans  jufqu'à  l'extinflion  de  fa  race.  Les  biens  devenus  vac9ùfs  font 
fecrcs,  perfonne  ne  peut  *'en  emparer,  k   les    revenus  n'en  font  dévolus  auy 


iDltt< 


304  SCIENCE 

terres  qu'ils  polTédent ,  ces  Efclaves  n'en  jouUTent  quepen-' 
danc  leur  vie  &  parla  cortceffion  du  Souverain  à  qui  les  fonds 
retournent  comme  à  Tunique  propriétaire ,  ces  fonds  ne 
paffent  jamais  aux  Defccndans  de  ceux  qui  les  ont  poffe- 
dés  9  fi  le  Souverain  ne  leur  en  fait  une  nouvelle  conceffion* 
3^.  Le  Prince  difpofe  à  fon  gré,  non-feulement  des  biens , 
mais  encore  de  Thonneur  &  de  la  vie  de  fcs  Sujets.  4^.  On 
n'y  connoîc  de  Loi  que  la  volonté  du  Prince ,  &  cette  volon- 
té s'élève  au-defTus  des  Loix  naturelles  8c  pofitives ,  divines, 
&  humaifiest 
t.  rou^tb-     Le  Gouvernement  abfolu  eft  au  contraire  un  ouvrage  de 
raifon  8c  d'intelligence.  Il  çft  fubordonné  à  la  Loi  de  Dieu  , 
à  lajuftice  ,  &aux  règles  fondamentales  de  TEtat. 

Ce  Gouvernement ,  jeTai  dit  ailleurs  (a)  y  a  été  établi  dans 
le  monde ,  ou  par  le  droit  de  conquête,  ou  par  la foumiflîon 
volontaire  des  premiers  hommes  qui  fe  donnèrent  des  Rois. 
Le  droit  de  conquête  ne  devient  légitime  que  lorfqu'il  eft  luî- 
vi  de  Tacquiefcement  volontaire  des  peuples  ;  &  les  hommes 
ne  fe  font  raffemblés  en  corps  ,  &  n*ont  réuni  leurs  forces  , 
que  pour  leur  fureté  commune.  Ont-ils  pu  s^en  donner ,  fans 
convenir  expreffement ,  ou  fans  fuppofer  tacitement  ,  que 
leurs  maîtres  les  gouverneroient  avec  juftice  ?  Le  Souverain 
abfolu  A'*a  donc  pas  le  droit  d  ufer  fans  raifon  de  fon  auto- 
rité* Dieu  même  ne  Tapas  ,  ce  droit  malheureux  ;rEtrefu- 
prêmeeft  eflentiellcment  jufte  ,  &  le  pouvoir  de  faire  du  mal 
eft  une  vraie  impuiifance.  Mais  il  a  fallu  neceifairement  que 

Mofquécsy  qu^aprèsle  décès  du  dernUt  ufufruîtkr,  Voyez  une  Lettre  écrite  de 
Conftaotinople  le  i;  de  Janvier  17^4  au  fujet  de  la  mort  de  Topal-Ofinaii  >  rap- 
portée dans  le  Mercure  de  France  du  mois  de  Mars  1734  depuis  Is^P^go  j8;ju& 
qu*à  la  page  S9S' 

{a)  Dans  le  premier  Chapicre  de  cette  IntroduAioiu 

le 


"       T5  U    G  0 17  V  B  R  N  Ê  M  E  N  IT.    *  505: 

Hb  pouvoir -fouyerain  fôt  ahfoJu  pour  preicrire  aux  dtoyens 

îixHit  ce  qui  a  ïâpport  à  Vintérct  commun. ,  &  pour  côntrain*. 

dre  àrobëiffance  ceux  <iui  S;y  refuferoîcnt.  î)irc  que  Fintérct 

public  doit  être  la  mèfure  4^  JU^xx  duMotiârque^  c^eft  po-* 

fer  un  principe  inconteftable»,  il.  feit  ic$  bons  Rois.  Croire 

^que  les  Souverains  n'ont  d'autre  règle  que  leur  volonté  t  c^fl; 

^une  erreur  groffidre  9  eUîe  f^t  lci$  cyraos* 

Ce  que  jis  dis  du  pouvoir  abfolu  rélâtivernéïît  aiix  Monaï> 
^quesj^il  fautlediredece  raémis  pouvoir  relativement  aux  Ré-- 
•publiques»  Ceux  qui,déclamant  contre  le  Gouvetnemcnt  Mo- 
^narchique  pour  faire  1  elqge  dos  Républiques^  confondent; 
'le  pouvoir  abfolu  avec  le  pouvoir  arbitraire^  n^font  pas  ré- 
^exion  qu'il  n'eft. point  d'Etat  ^fans/^en  excepter  les  RépUo 
;bliqu|^  où ,  dans  le  fujet  propre  de  la  Souveraineté^  4'on  ne 
i^trouvc  un  pouvoir  abfolu  (4).  Le  Gouvernement  de  quelque. 
-République  de  l'Europe  que  ce  foit  ,^efl:  auffi  abfolu  que  ce- 
4ui  du  Roi  de  France.,  du  Roi  d'Efpagnc:,  ou  de  tout  autre 
^rai  Monarque*  La  feule  difiërenee  qu'il  y  ait  entre  le  pou- 
voir d'un  "Roi  A:  celui  d'4ine  République ,  c'eft  que  le  pou- 
voir du  Roi  peut  être  limité,  &  quecelui  delà  République, 
îne  fçauroit  Têtre  (^). 

Le  pouvoir  abfolu  doit  être  réglé  par  la  taîfon:,  il  n'efl 
;point  arbitraire ,  &  il  n  eft  appelle  abfolu  >  que  par  rapport 
-A  la  contrainte  qu'il  peut  exercer  envers  les  Sujets  «,&  parce 
<ju'il  n'y  a  aucune  puiffance  capable  de  forcer  le  Souverain 
^^ui  efl  indépendant  de-toute  autorité  humaine* 

Il  en  eft  du  pouvoir  abfolu  du  Souverain  dans  lesTodétés 
<iviles,  comme  de  la  liberté  abfolue  de  chaque  homme  dani 

(fl)  Voycz-tti  la  yttoeft  'teis'lc  Traité  du'Drôic  Pul^lîc  Chapitre  \U 
X^)  Voyez  le  SMimaîre  jijuiiuit  :  Ptfviioir  iiakÂi 


3pA'  rCIENCET 

L'état  de  nature.  Hors :d«s  fociétés  civiles ,  làJiherté^fohîes: 
de  chaque  homme  confiûfc-  à  conduire  fes  bicœ  «i'ies  afÊâ— 
œs ,  fans  être  obligé  dé  ^onfiUter  perfdnne  j  &  fans  auaine' 
autre  obligation  que.de  fe  conformer  à  la  Loi  naturelle.  Dansr. 
les  fociétés  civiles,  le»pouyoir<abfoIu-dù.. Souverain  confiftev 
dans  le  droit  de  gouverner  le  peuple  au  gré  de  fa- prudence  i«, 
fans  ccre  obligé  à  autre  ichofe  qu'à  conformer  fes  commande-^ 
mens  à  là  raifon.,. 

Les  vices  prennent  fdiivent  la  teinture  &  la  couleur  dès* . 
vertus; la  profufion  reflembJè  j  par-quelques  traits, à  lalibé4 
ralité;  la  témérité ^  au: courage;  la  lenteur,  à  la  prudence.'.. 
Il  en  eft  de  même- dû  pouvoir  arbitraire  par  rapport  aupou-* 
Voir  abfolu  ;  il  en  imkG  Mévatiôn^  Tindcpendcince ,  laHforce  ;v . 
mais  il  n!a  riehiié  tournée  qui 'tempère  Je  pouvoir  abW^^fc  le 
rend  falutaire,  en  lé  fôumettant-  alix^Loix  &  à  Téquiréi  Le? 
quatre  marques  à ^ quoi  Ton' peur-  reconnoître  lé  pouvoir  ar- 
bitraire, lediftiriguent.d'iveele^peuvoir abfolu.  i-^tSoos  unr 
Gouvernement  abfolu "5, les  pcrfonnes  font  libres.,  2^.  La  pro^ 
priété  dés  biens 7»eft  légitime^ inviolable.  On  la^faif  valoir/ 
.  contre  le  Souverain  même  ^  qiri  trouve  bèn  qu'on-  ràllîgne  -de-»  ■ 
vant  fes  propres  Officiers-,  &  qui  fait  dceiderpar  fon-Gonfeil/ . 
à  lapîâralrtédesvoîx,  lésprcFéncions-que  fes fujets-onrcon- 
trelui^  3^;  Lè'SouvcT£iin-ne  peur  difpofer-^ôla  viêdefes  fu^i 
|et3,  quc'.feîbnloFdfe  dé  la-juftice-  qui  cft  établi-dans  rEtatj- 
4**<  Il'y  adës  conventions'' dâns*^  lé  Gouvernement  abfdu  erw 
tre  IcOPrince  ôi  îë peuplé,  &  ces ronvenrions  fê renouvellenr 
paryferm^ïitnu'fecre  dé  chaque  Roi.  I^y^adéS'LbiX',  &  tour- 
ce  qui  'ffeiàit.contM?  kHir-difpofitioniCft  nulndè-droit:  On  peut: 
tcsjjours  ;-eyenir^  ou  dans xi'autrcs. rems,  ou en^d.autres  .occa-- 
Aons  j/urxcLqui  s'èff  .faitau-jpi3éjijdice.dbccsLou^  vi*-^ 


DU    GOUVERNEMENT.      507 

rgilance  &  Vaâion  contre  les  injuflices  font  immortelles* 
Telle  eft^  pour  le  dire  en  .un  mot,  la  différence  de  TEtat  de 
liberté  où  vivent  les  fi^jets  fous»  un  Gouvernement  abfolu.,  & 
de  TEtat  de  fervitudc  où  les  efclaves  gémiflent  fous  un  Gou- 
vernement defpotiqueyqii'un.Efclave  exécute  des  comman- 
demens  dont  la  fin  eft  Tintérct  de  fon  Maître  &  non  pas  le 
fien  ;  au  lieu  qu*un  fujet  qui  obéit  à  fon  Souverain,  le  faitpour 
le  bien  public  y  &  par  conféquent  pour  le  fien.,  de  la  .même 
manière  quiin  enfant  agit  peur  lui  en  obéiffant  à  fon  perc» 
Dans  le  Defpotifme  ^  il  n*y  a  point  de  Citoyens  ;  c  efl  un 
onaître  qui  fait  obéir  des  efclaves.  Bans  la  Monarchie^  il  y  a 
.des  Citoyens.;  c'cft  un  Roi  qui  commande  à  des  fiijets. 

Comme  il  y  a  des  Souverainetés  abfolues  &  qui  ne  relèvent  4.  Towok 
<que  de  Dieu^  ily  en  a  d'autres  qui  font  Souverainetés  â  Té- 
;gard  des  fujers ,  mais  dépendantes ,  à  certains  égards ,  d'une 
puiffance  fupérieure,  ou  -rcflraintes à  quelques  autres,  de  la 
part  des  fu jets  même.  Les  peuples  fe  font  quelquefois  donné 
des  Maîtres,  fans  aucune  condition  ;  mais  quelquefois  auffi  ^ 
ils  ont  mis  des  tempéramensà  Tautorité  du  Souverain,  & 
xhaque  Nation  doit  être  gouvernée  félon  fcs  Loix  fondamcn* 
.taies* 

Le  Souverain  qui  reconnoît,  à  certains  égards ,  un  Supë- 

•rieur ,  n'a  de  pouvoir  que  celui  qui  lui  vient  par  le  canal 

rmcme  par  où  la  Souveraineté  a  découlé.  Il  ïie  peut  exercer 

.  .que  le  xiroit  qu'il  a  reçu ,  &  la  juflice  exige  auffi  qu'il  refpeclc 

•  les  privilèges  qu'oane  longue  poffeflion  a  colifacrés  ,  autant 

<jueles  libertés  primitives  queles  pcuplesic  font  réfcrvccs  (4)% 

Cette  limitation  de  la  puiflance  Souveraine  ne  peut  fe  trou^ 

wer  que  dans  les  Etats  Monarchiques  /parce  que  le  Prince 

-       4ia)  ^oyez  le  Traitt:  durûrcit]ie<.Ge&s ,  Chapitre  IV.'  SeAioa  V. 


5o8:  ,   >C  lE  N  C  E^ 

qui  y  commande  eft  une  perfonnc;  diflférentç^dç  cenéS'-quîy^ 
obciffent ,  &  que  leur s^  droits fonç^diftioûj  coojflje.lcwrs  per-i^ 
fohnes.  I^  pouvoir,  d\u«5, République. eft  tQujôiirs  dbfQlu».^ 
parce  ^qûc/dans*  les  Eçats  pppidaires>  le  peuplé  n'obéît quiaux. 
Loix'que  lui-mcme  il  a  faitç?  ,&  que  Içs  hommes  qui  Icç  font, , 
font  les  mÇmes  qui  dpivcntjes  exécuter.  Xfi  peuple  ncpeucr 
renraindre  lui-même  fçm  aticoritc^.&  rien  ne  Tempêchc  de 
changer  les  Loix  fondamentales  dç  TEtaç  ^  car  fi  la  Nation  a  ; 
:'  établi  des  ,peines  contre  ceux  qui  prapoferoiçnt  Urévocatioii  î 

de  ces  .Loix  ^  ces  peines  peuvent  erre  abolies  par  La  mcnaej 
PjiiflLiaçe  qui  leur  a  dojMié  Tctre», 

Section    IL. 

Ues  Oauvtrnfmcns  tant  réguliers  ej^ui'rreguliers. . 

-.  :î)urércni«     Les.Lcgîflateurs.fe  font  propofcs  d éviter. cgalctoent.ies^< 
th^^^ltÉl  inconvçniens  du  Defpotifmc.&  dç  rAt)arçhie,&  ils  fonr  allés, , 
'^^'*'""  par  des  vçies  différentes  ^  à  la  lin  qu'ils  fc,  propofoient. . 

Les  uns  ont  penlc  que  la  .Souveraineté  eft  un  dépôt. trop;» 
précieuse  pour  être  l^lfïe  à  la  dirpoiîtion  de  la  multitude^  &^' 
qu'il  falloitle  confier  à  un  fcul.. . 

Les  autres  y  que  les  Chefs  du  peuple  en  -dévoient  erre  les  . 
gardiens  ^  &  que  U  Puiflance  fuprême  devoir  être,  d^fôrce  à^ 
upSénar* 

D'autres ,  que  les  foins  du.Gôuvenjemenr font  tropjimpor— 
tan%  &  trop  étendus ,  pour  être  rçxnis  daos.Ies  mains  d'uoleul  : 
ou  même  à  un  petit  nombre  dç  performcs  y  JSc  qu'il  étoit  nér  - 
ceflaire  que  le  peuple,  etjtrât  dans  réçonomie  du^.Gouvenjer 
BOênt  p\d:>lic. 

De  cc$  trois  dififârcntts  idées  font  venues  trois- dîverfcs 


D-'U'  GO  U  V  E  R  N  E  M  Ë  N  T.  ^'o^^ 
fermeS'de^Gouvernement,  &.  les  noms  de  Monarchique  , 
tfAriftoGratique  ,&  de  Démocratique  dont  on  les  défigne. 
L'Etat  Monarchique ,  le  Républicain  :,  ràlliance  de  Tun  & 
de  Tàutre^  &  le  mélange  des  diverfes  formes  ont  partagé  les> 
fenchncns  des  Légiilateurs  &  le  choix  -des  peuples*  - 

Le  Gouverncmervt  Monarchique  eu  celui  où  la^puiffahcc    g.vnGdaftt*^ 
ftiprémc  Tcfide  touie.  entière,  dans   la  pecfonne-  d'un'  feul  Shiv^r**'****'*. 
homme  (4)  que  la  raiifôn  doit  conduire^  mais  qui>n'â  que 
Dieu  au^deflus  de.  lui  i  qui  commet  lies  pecfonnesquUl  juge 
àpr©j>ps  pour. exercer  les  <livej:fcs  fondions  du  Gouverne-i  - 
ment  ^v&  qui  fait  les  Loix  ,  ^  les  chingef  à  fon  gpé»  Teb 
font  Ics-Gouvememens  dé'.  France,  d'Efpagne  ,  des  deux: 
Siciles^  dô^Portugal  &  dé  Sardaigne.r 

Le  Gouvernement  .  Ariftocratique  cft  celui  où-  Tautoritë    ^^^xiàiimi- 
ibuveraine  réfide  danslcsPrincipauxde  rEtat(^).DUin&queî^ c^iS^ 
^es  pays ,  les  &iuls  Nobles  gouvernent  uniquemenir9;i&  pré^ 
xifément.  parce  quiils  4bnt  de  Jiace  Fatricierme..- Dans  quel-  * 
ques  autres  >  PadminiUration  politique  jeâ  confiée  par  la  voie 
■de  réleâion,  à  des  perfonnesqui  ^  par  la  feule  confidération  ^ 
•  du  mérite^  font  prifes  dans  tous  les  Ordres ,  ou  à  des  Nobles  - 
q^i  font  choifis  par  égard  pour  leur  iiaiflance  >  ^u  enfin  àdes  > 
hommes  qui  ,  à.caufe;de  :leur  fortune^  font  élus  parmi  les  ^ 
-riches  ^e*r£tatj  de  forte  qu'^ett  égard  àxe  qui  leur  fait  cofi»-  * 
fÎÊr  Tautoritc  4)ublique  >  ils  font  les  premiers  citoyens  de  la  ï 
République,  &que,  >par  cette  autorité  confiée ,  ils  font  les  ^ 
^  dépofitaires  delapuiflance.  Se  forment  un^Confeilfuprême^  x 
qui  feul  remplit'  les  places  que  la  mon  ea  d'autres  accidens  ■> 

(a)  MofaarcfaSe  vjeac  'de  deux  vott-Gîfcs  qfA  infpoadçnc  aux  mots  (4ititt't  ' 
Solus  j  Principatiu  ,  Impêrium* 

(i)  Ariftocnrir  Tient  de  deux  mots  GrCM  ^   r^poodcnt^tux.BOts  Làç||9>  ' 

Oftimus  9  Qfùnmts  ^  proçert^  >  poteutiéu 


Vo  se  TE  NC"E 

rjpndent  vacantes.  Le  Gouvernement  .de  Laçédémonc  où  Poi^ 
i]e  de  voit  avoir. égard  qu'à  la  vertu.,  :avpit  .donné  de  l'Arifto-:. 
çratie  par  élection,  un  .exemple  qu'a  imité  la  ville  d'Àfpflcr-; 
dam  (/f).  Nous  en  avons  un  de  rAriftoçratie  des  Patri-, 
.ciens ,  dans  les  GoMyernçoieRS  .de  V.çnife^  de  Gjèjies  &  de, 
.    Luques  (h). 
-^^puctoBre».     Le  Gouvernement  Démocratique  eïl  .celui  pu  la  fouveraî^ 
.jwivc.         ncté  irçfide.dans  la  foçiété  entière  du  peuple^  dans  Taflênv- 
bléc  générale  de  tous  les  citoyens  (^).  Xds.foQt  les  Gouver- 
ncmens  dcs.Proyinçcs-Unies ,  celui  des  Cantons  Suifles,  celia 
des  Ligues  Grifes ,  celui  de  .la  République  de  Qenève. 
.    Jl  a*en  eft.pas  des  Démocraties  d  aujourd'hui  comme  de 
jcclles  d'Athènes  &  de  Rome ,  qù  tqut  le  .peuple  qflcmblé 
:idécidoit  lui-mcme.  Nos  Démocraties.,  qù  lautoritLé  eft  cxer- 
•céc  par  des  Députés,  fans  appel  au  .peuple^  fe  rapprochent 
Aqs  Ariftocraties^  bien  pjus  que  ne  faifoient  les  anciennes. 
Jl^es  citoyens  jciqmment  .pour  le  .gouverner  pendant  ,un  cei>- 
stain  tems,  un  nombre  jde  Magiftrats  qu  ils.choififfent  &  qu  ife 
iChangent  à  leur  gré  :  jenforte  qu  après  le  .tcms  pqur  lequel 
:une  éleélion  a  été  faite ,  le  peuple  s'afTemhle  j,  reflailit  lauto- 
:torité  fouveraine.,  &, en  confie  P-exercice  à  de  nouveaux  Ma- 
giftrats.. Dans  ces  affcmblées^  chaque  .citoyen  9  droit  de 
-Suffrage,  ,&  tous  les  membres  de  la  Jbciété,  ont  pareux-mê- 

(a)  Vpyezla  Setflîon  VII  du  Chapitre  VI  de  cette  întroduftîon. 

(b)  Les  Hiftpriens  Latins  feroblent.marquer  ces  deux  efpèces  d*Acifto<rratie ,  paf 
Jes  termes  de  yrirnows  &  pptimatfs.  Primores  ,  ce  font  lés  Nobles  ,  &  c'ell  en  ce 
;iens  que  Tacite  (  Annal.  4.  )  dit  l'CunSas  Nuriones  (r  urbes  populus  9  aut  primortr^ 
^ut  Jinguli  re^if ^r»rMdis  pptimates  4it  un  Gouyernoment  compofc  de  gens  qui  ne 
Xont  choills  pour  remplir  lés  charges  publiques  ,  qu'à  caufe  de  leur  mérite , 'Ans 
.^ard  i  leur  ej^trad^ipi^.  Le  Sénat  de^Séleu.cie  étpit  xrorapqfc  des  uns  &  dçs  auxres  » 
■félon  la  jcmarque  dé  Tacite  (Annal.  J.")  Trecenfi  (  dit-îl  )  opibus  aut  fapiemià 
jiclt^i  UT  Senatus*^  Opibus  défigne  les  riches  &  les  Nobles  ;  &  fapientid  p  les  gen» 
'^e  mérite  .8c  d*cxpérienoc. 

(s)  Démocratie  vient  d*u|i  mot  Grec  ^ui  répond  aux  mots  :LatiM  yjojputi ,  Mr> 
^ntia,  yel  Impcriun^ 


EF0'  (ï  O'Û'V  É  R  N  E  JtE  N  T.  jib^ 
mes,  ou  par  ceux  qui  les  repréféntent ,  un  droic  au  moins, 
aâîf ,.  à  réfediôn  de  ceux  qui  leS  gouvêi^nent; 

Quarfdjcfthr  chaque,  citoyen  ,  j^entends  chaque  citoycrf 
diefde  famflrc/  J*èn  excepte -par  conféquent  les  femmes  quf 
f6nt  fous  la  puilfehcé  de  leurs  lAaris ,  les  erifaris  qui  font  fous 
là  puiflancô  de  leurs  pores ,  les  efclàvies  qui  font  fous  la  puit 
fence  de  leurs  maîtres" ,  les  voleurs  publics ,  moins  citoyens^ 
qtf ennemis  ,  les  n&ndians-  mt)ins  utiles  qu'a  charge  à  la  fo- 
cîéré  ;  enfin  les  étrangers  qui  n*én  font  *pâs  membres  &  qw 
appartiennent* à  d'autres  Etatff.  T'en  excepte  aiifTi  lés  citoyens 
compofaht  un  peuple  fcparc  ,>  fôumis  au  corps  du  peuple - 
duminanr.^ 

Toutes  les  Nations  &  toutes  les  villes  du  monde  policé  ',  ,.  rduta  i« 
fonp  foumifés  à  Tune  de  ces  trois  fqrnîes',  ou  à  une  conflftu-  ît'rîemili^^. 
tion  qui  6"j  rapporte/  Elles  fbm'gpuveméts  ou  mônarchi-  [ST&  "î 

►.ri"  ^  ^-»  .  1/  .  trois  forme»  font 

quement ,  ou  arntocratiqucmcnt ,  ou-  dcmocratiqueïncnt ,  réjuuciei. 
par  unfèal ,  par  pîtifiéurs,  ou  partous  (4).  Si  fort  trouve  de? 
Nations  ou  des  villes  dont  le  Gouvernement  n'éft  ni  pure-  - 
ment  '  Monarchique ',  ni  puremtnr  Ariftocrâtîquè,  ni^  pure- 
ment Dcmocratique  ;  il  n'en  eft'  point  où  la  conflitution  de 
TEtatnc  participe  de  li  Monarchie ,  de  l' Ariftôcratie ,  ...ou 
de  la  Démocratie  (^).  Ori  nfe  conhoît  aiï-delà  que  le  Défpo- 
cifme  foûs  lequel  vivent  la  plupart  des  treis  aufres  parties  du 
inomft.  GeuX-deces  Etats  qui  ont  unc*formë  de  Gouverne-  ' 

(a)  V#yez  le  partageque  je  viens  de  rapporter  daits  la  pénulcîâne  Note:  ■ 
m  Nhm  cunâias  hâdonei  ^nrbe's  pôpùlus  y  éiut  primotes  «  aut  ftngall  regunt»  «  '  ^ 
Taciu  Annal,  Libi  4.  Ajoutez  celui-ci  :  »Species  rerum  publicaTum  quas  très  /rire*' 
a»  vimur  »  qu£  pcfpulî  V  ^uif  paTucoruïb  »  qud  uniiii  foujlate  regvtntui^  »  QuiniH* 
U^i:..  Orcr.'Lib*  ^^Qtjf.  /€<-  - 

ib)  QuidquiiJçTutert  \nec  cœftm  aKquem  focialem  Jine  ulU  karum  formârum 
weperiés ,  n€€  }nêo»^akprdttrïftas>^Mifeentu^  mer  fi  y  fatevt  y  &  remittuntur  aut 
iliteniuatur  ;  fid ^c  uffrooendeat  Cf'propçndcr^ifan^tr  alig(^lQrs  i  jui  jure  ci-' 
semn»  fi^  Vgf  fçUt;  Ui.  ^r  Os^z^^- 


.^rt  .^  CI  E  N  C2 

ment ,  &  tous  ceux  de  notre  Europe  (  en  exceptant  toujourî 
;là  Turquie  &  peut-être  la  RuflGe  )3  font  ou  Monarchiques,^ 
-OU  Démocratiques .,  ou  Ariftocratiques,,  :ou  bien  ont  une 
coriftitution  qui  fe  rapporte  à  quelqu'une  de  ccstrois-làj  cat, 
^ellcs  peuvent  recevoir  diverlès  modifications. 

Ces  trois  formes  de  Gouvernement  font  régulières ,  c'eft^- 

^dire  que  le  pouvoir  fouveiain  eft  exercé  dans  chacune  de  ce» 

^<:onflitutions.9  fur  les  citoyens  en  général ,  &  fur  chaque  ci-; 

lïpyen  enjparticulier,  par  une  feule  volonté  jhifique  ou  mo- 

-raie ,  dans  toutes  les  parties  du  Gouvernement  ;  .mais  il  éfl: 

ides  Gouvernemens  mixtes,  que  je  dëlîgnerai  ici  par  le  nom 

plus  particulier  de  Gouvernemens  compolcs.,  Se  dt  Gouvcr^. 

nemens  irréguUers. 

4».omeni«.     î-'Etat  compofé  .eft  .un  alfemblage  d'Etats  étroitement  mtm 

'MPLcoinpof(f.    p^j.  quelque  ,licn^  en  forte  qu'ils  femblent  ne  faire  qu'un  fcid 

corps ,,  quoique  chaque  Etat«conferve  en  foi  la  fouvcrainetc 

particulière.  Ces  Gouvernemens -corapofcs  peuvent  être  jdif- 

itingucs  en  deux  efpèces. 

La  prxîmîere  efpèce  .de  Gouvernemens  compofés  ,  eft  celle 
iâc  deux  Etats  diftinÊls  qui,  fans  être  incorporés  l'un  à  l'au- 
xrcjy  font  joints,  &  n'ont  qu'un  iciul  &  même  Roi,  quoique 
h  fouveraineté  foit  exercée  par  des  puiflances  différentes* 

X-a  Grande  Bretagne  &  llrlande ,  la  Pologne  &  le  Granâ 
iDiiché  deLithuanie^  font  des  États  ^compofés  de  cette  pre-, 
îmierc  efpcce. 

Il  n!cn  eft  :pas  des  corps  moraux  comme  des  corps  naturels 
xjai  ne  fçaurdient  avoir  une  tcte  -commune  à  pkifieurs,  fanf 
îétre  des.monftrcs.  Une  même  perfonne  peut  être  le  dief  d* 
3>lulieursfociétés^  fans  que  cesfociétés  ceffent  d'circ  fépârées^ 
JUs  JticcdEoHs^  ks  .mariajges^  les  ^guerres  produifent  de« 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T-      315 

îrats  compofés.  Souvent  la  femme  du  Roi  eîl  Reine  de  fon 
chef,  &le  droit  de  fucceffion  fcpare  quelquefois  des  Etats 
-que  ce  même  droit  avoit  joints. 

Les  Etats  qui  renferment  plufieurs  corps  fubordonnés ,  & 
où  Ton  voit  un  peuple  dépendre  d*un  autre  peuple,ne  doivent 
pas  être  mis  au  xang  des  Etats  compofés.  Il  ne  faut  pas  non 
pltis  y  mettre  ceux  qui  ont  reculé  leurs  frontières  par  la  con- 
quête d^autres  Etats.  Les  ufages  deres  corps  fiibordonnés& 
xie  ces  Provinces  conquifes,  peuvent  être  différents  de  ceux 
du  corps  de  l'Etat  dont  ils  font  partie ,  fans  qu'il  en  réfulte 
un  Gouvernement  compofé.  L^unité  d'un  Etat  ne  demande 
pas  nécejflairement  que  toutes  les  Provinces  foient  gouver- 
nées par  les  mêmes  Loix  pofitives,  mais  feulement  qu'elles 
ayent  le  même  Souverain  ,  &  qu'elles  ne  foient  pas  diftin- 
guées  endifférens  Gouvernemens,  comme  le  font  la  Grande 
Bretagne  &  l'Irlande ,  la  Pologne  &  la  Lithuanie  ;  car  toute 
Province  qui  n^a  plus  de  fouveraîneté  propre  j  cefTe  d'être  un 
Etat ,  &  devient  une  fimple  dépendance  d'un  autre  Etat. 

La  féconde  efpcce  de  Gouvernemens  compofés  ^  eft  celle 
des  Etats  qui  voulant  fe  conferver  dans  la  liberté  de  le  gou- 
verner chacun  par  fes  propres  Loix ,  &  n'étant  pas  affez  fons 
pour  fe  mettre  â  couvert  des  infultes  de  leurs  ennemis  ,  fe 
font  liés  par  une  confédération  générale  &  perpétuelle,  pour 
trouver  dans  cette  union  les  forces  qui  ont  paru  néceflaires  à 
la  fureté  commune^  G  eft  pour  fe  procurer  cet  avantage ,  que 
les  Etats  confédérés  de  cette  forte ,  s'engagent  à  n'exercer 
<ju'cn  commun  certaines  fonÊlions  du  pouvoir  fouverain  , 
•comme  le  droit  de  faire  la  guerre  ou  la  paix ,  tandis  que  les 
Traités  de  Commerce ,  Tétabliflèment  des  Impôts ,  la  créa- 
tion  des  Magiftrats  ^  le  droit  de  légiflation  >  celui  de  vie  8c 

Jamc  L  R  r 


ji4t  scie,n:cb:  .     . 

de  mort  fur  lès  citoyens,  .demeurent  en  la  dîfj^ofîtiôn  dè^ 
chaque  Etat  particulier:,;  mais  avec  quelque,  dépendance  de.: 
la. confédération.  Il  n*àrrivc  guère  que  les  intcrêts^  de  diverse 
Etats  foyent  ii  mêlés.,  qu'il  foit  avantageux  à  tous  les-  con- 
fédérés en  général  ,,&  à  chacun  en  particulier ,  de  n'exçrcexi: 
aucune  des  fonctions  de  la  fouveraineté ,  que  du  confeme- 
ment  de  tous»  Si.cela  étoit,  il  feroit  plus  utile  à  ces  jdivers . 
Etats,  de.  fe  réunir  en  un  Xeul  corps,  que  de  fc  lier  par  une! 
ûmplçconfédération.. 

L'afFocîation  dont  je  parlé  ici,  cft  fondée  par  une  alliance ^ 
inégale  qui  diffère  des  alliances  ordinaires  en  deux  points»^ 
i?.,En  ce:que  les^^ alliés  ordinaires  fe  déterminent  par  leun 
propre  choix  ,  à  faire  certaines  conventions,  fans  faire  dér- 
pendre  de  leur  alliance  l'exercice  du  pouvoir  fouvcrain ,  8c 
fans  rien  relâcher  du  droit  qu'ils  ont  de  gouverner  leursEtats^ 
a^.  En  ce  que  les  alliances  ordinaires  nom  pour  objet  que.* 
quelqjue. utilité  particulière  des  alliés,  &  ne  fe. font  que  pour, 
un  cenain  tems  ,  fans  que  les  alliés  ayent  un  Chef  6c  un  Gon^ 
vernement  commun*.  Au  contraire,. dans  l'aflociation  dont 
il  s'agît;,  chaque  Confédéré,  fe  relâche  d'une  partie  de  la  fou^ 
veraineté;  la  .confédération  eft  générale  &  perpétuelle  ;  & 
les  Confédérés  cônfervent  chacun  fon  Gouvernement  fous  uo^ 
•Ghef  commune- 
Tel  eft  précifëment  le  Corps  Germanique.  .Tels  font,  à:i 
différens  égards  j.  leCorps  Helvétique  &  l'union  Belgique  prist; 
coUeaivement^.. 

,'     Gomme  tous  les  ;  hâtimens-ine  font  pas  conflruits  félon  les 
É»ewiréguikir%Yçg4ç5  Je  rAtchiÉcâure  ,,tous-lés  Etats  ne  font  pas  çonflîtués; 

•" félon  les  principes  dé  Gouvernement;  L'irrégularité  délai 
conilitution  de  quelquesJEtaEs.YièQt:ou.  da.Yice:de.lcu£:éaLv 


DU    G  O  17  V  E  H  N  E  M  E  N  T.      ^ïj 

IKiffcment .,  ou  des  circcnffcances  de  leur  fondation ,  ou  des 
agitations  que  ces  Coçps  "policiques  ont  foufFertcs.  Les  un» 
ont  écJé  formés  irrégulièrement^  les  autres  l'ont  été ïélative-»» 
ânentà  des  circonftances  qui  ont  changé  ;  &  la  plupart  doi-i- 
Vent  leur  établiffement  à  des^récomcpc  ifes  'obtenues  ou  extor» 
tquées  des  Souverains  ,  flétries  du  nom  d'ufurpation  dans  le 
commencement,  &  quelquefois  honorées  dans  4a  liiire  du  titre 
de  privilèges  ,  ou  même  de  celui  de  libertés.  ^ 

Les  Gouvernemens  irréguliers  font  ceux  oà  Ton  ne  voit 
-aucune  des  trois  formes  régulières  ^  &  qui  ne  peuvent  pro-*- 
y  rement  être  rapportés  à  un  corps  compofé  de  plufieurs  Etats 
réguliers ,  en  ce  que  toutes  les  affaires  ne  dépendent  pas  d'une 
feule  volonté  phyfique  ou  morale,  parce  que  les  citoyens  en 
^énéraljfe  chaque  citoyen  cft  particulier  ^ne  font  pas  fournis  â 
4in  Empire  commun.  Us  différent  des  corps  compofés  de  plu- 
sieurs Etats,  en  ce  que  chacun  de  ces  Etats  unis  eft  un  Etat 
diftind  &  parfait.  Ils  différent  enfin  des  Etats  malades ,  en 
<:e  que  les  maladies  des  Etats  proviennent  d'un  mauvais  ufa- 
^e  d'une  bonne  forme  de  Gouvernement,  au  lieu  qu'ici  l'ir- 
régularité eft  elle-même  ^ne  forme  de  Gouvernement ,  for- 
me vicieufc ,  mais  conftituœ  par  le  cortfentement  public. 

Tel  eft  le  Gouvernement  du  Corps  Germamque,  tel  celui 
<3e  la  Grande  Bretagne ,  tel  celui  de  Pologne.  Si ,  parmi  les 
formes  irrcgulieres  de  Gouvernement ,  je  place  ici  des  Etats 
•que  j'ai  déjà  comptés  au  nombre  de  ceux  qu^on  appelle  com- 
pofés ,  c''eft  parce  que  xres  Etats  participent  de  la  nature  des 
âins  &  des  autres. 

Quelques  Ecrivains  anciens  &  modernes  ont  fuppofé  d'au-    '»^-  ft<«m«tîo« 
ïrcs  conltitutions  d  Etat.  Ariftote  (d)  met  au  nombre  des  for-  î**"""  *^'*"^'«« 

^  ^  toru\es  de  Gou» 

..t«;»I>ansi»PolitJsut»U».j,  ^«e«e«. 

Ex  ij 


jj^  s  CIE:NCE^ 

mcs  dé  Gouvernement  le  Royaume,..  L'AoffQcratiè  ,  Ta  Ké^ 
publique  rJ^r  tyrannie  oppofcc  au  Royaume  ,  TOligarchic- 
oppofcc  àrAriilocratie  &  la  Démocratie  oppoféc  à- la  Répua 
bliquc.MaGhiaYel(4;)aputre  lea  trois  formes  de  Gouvernement, . 
compte  le  dcfpotifme  ou  la  tyrannie  oppofée  à  la  Monarchie  ^ 
l'Oligarchieoppoféc  à  rAriftocratiej.&  dans  TOligarchie  me— 
me,,la  Dynafticoppofée  à  la Dchiocratie  ;  enfin  rOcHlocratié 
aufli  oppofée  à  la.  Démocratie^.  Mais  tous  ces  noms  là. ne  défi-- 
gnent  pas  des  formes  de  Gouvernement  différentes,  des  trois* 
que.  j'ai  expliquées.;^  ils  na font  qu'en  indiquer  lès  abus.  Les- 
maladies.  desCorps  politiques  ne[doivcnt  point  être. comptées^. 
parmLlesGbuverneraens.,, elles  lesaffolbliffcnt  ,/ansenmuIi 
tiplier  les  efpèces». 

Un  Souverain.ne  doit  rien  faire  que  là  raîfon  n'àvoue:s'îIne* 
confulte  pas  les  LoiXjSÏl  prive  fcs  Sujets  de  leur  bien  ou  de  leur 
vie,  fanS'aucune.fbrmede  juflice,fon  Gouvernement  devient  : 
defpotique.Mais-de  ces  deux  différentes  manières  de  régner,, 
il  ne.  réfultepaS'deux  formes  de  Gouvernement.  La  puiffancc 
du  Souverain  qui  regpe  juflement ,.  n'elï  pas  inférieure  à  celle* 
du.  Monarque  dont  le  Gouvernement  dégénère  en  tyrannie  ^ 
car  il  ne  peut  y  avoir,  une  autorit#plus  grande  que  la  fouve-. 
raine.  La  différence  ne  fe  trouve  que  dans  l'exercice  de  cette: 
autorité,.  &  elle  vient  de. ce  que.  Tun  foumet.Ic  pouvoir fur- 
prême  à. la  juflice  ,  &  de  ce  que  l'autre  s'cleve.au-deffus  de  la- 
raifon.  Le  premier  eftun  Roi  ;  le  fécond  un  tyran  j  mais  la: 
tyrannie  n'eft  pas  une  forme  de  Gouvernement.  . 

Le  Gouvernemenr  Ariflôcratique  devient , .dit  -  on  ,.  01î4 
garchique,  lorfquau lieu  de  prendre  dans,  tous  les  ordres. de: 
tEtat  les  Magiflrats qui  doivent. le  gouverner,    le. choix  ne: 

(a)  Dawib  difcours  pplitiquç$  fiiriaiyeiiûçfff  JDécadc.dc.Tit^^tife.,iî^r.'.w. 
Ch;.  !.. 


D  rr    GOUVERNEMENT.  517 

feut  tomber  que*  fur  Ie5  Nobles  ou  fiir  les  Riches.  CeU  eft 
vrai,carOligarchie  fignifie  leGouvernement  d'un  petit  nombre 
(i<);'.  mais  le  Gouvernement  eft-il  moins  Ariftocratique  ,,pour 
être  confié  à  un  petit  nombre  de  Sénateurs  ?  L' Ariilocratie  fî- 
gnifie-t^elle  autre  chofe  que  le  Gouvernement  des  principaux 
&  des  plus  gens  de  bien  ?  Que  fi  l'on  penfe  qu'il  fe  forme 
une  Oligarchie  dans  TOUgarchie  même  ,  lorfque  les  Ma- 
giftrats  ne  font  choifis  que  dans  certaines  familles  qui,  entre 
les  Nobles  &  les  Riches ,  font  réputées  les  plus  nobles  &  les- 
plus  riches ,  la  même  réponfe  que  j'ai  faite  à  la  première  ob^ 
jcâidn ,  détruit  la  feconde.  Dire  enfin  que  POligarchie  der 
vient  une  Dynaflie,  lorfque  ceux  qui  tiennent  les  rênes  du- 
Gouvernement, abufent  de  lautorité  fou veraine,efl-ce  faire' 
autre  chofe  que  marquer  Tabus  du  Gouvernement  Arifto-- 
cratique  ?  L'Ariflocratie  peutfe  tourner  en  Dynaftie  ,,comme^ 
la  Monarchie  peut  dégénérer  en:  tyrannie  ,  cela  n'eft  pas 
douteux,  mais  cen'eft  pas  là  une  forme  de  Gouvernement > 
c'eiLTun  des  abus  de l'Ariftocratie  ,  &  chaque  forme  a  les- 
liens.. 

Si  le  peuple  ne  confulte  pas  les  Loix ,  s'il  n'a  aucun  égard 
au  bien  public ,  fi  enfin  il  n'a  pas  de  principes  fixes  de  Gou- 
vernement, la  Démocratie-  devient ,.  dit  -  on  encore,  une* 
Ochlocratie  (^)  ,. c'efl-à-dire   un  Gouvernement  où  la  vile* 
populace  conduit  tout  au  gré  de  fes  partions ,  &  où  le  Gou- 
vernement tumultueux  &  fans  règle  tombe,  dans  un  defpotif- 
me  populaire  •&  dans  T Anarchie*  Ce  n'eft-là  encore  qye  Tabus» 
du.  Gouvernement  Démocratiqiue.  Anarchie  fignifie  défaur 
de  Chef  y  &  par  conféquent  confiifion ,  où  chacun  vit  à  fa  fan- - 

(À)  Ongarchie  vient  de  deux  mots  Grecs  qui  répondent  aux  mow  Latin*;  P4f*- 
IWJ  ,  paucus ,  &•  principatus. 
(4>/D*ua  mot  Qjrec  q^i  réppndaumot  Laik  P/fix.'- 


3i8  se  T  E  N  CE 

taifie  &  fans  aucun  rcfpeft  pour  les  X»oix.  Le  défaut  gucxrô 
mot  fignifie  ,  exclufif  de  toute  forme  de  Gouvernement ,  ri-eft 
pas  moins  oppofc  à  la  Monarchie  &  à  PAriftocratie^  qu'à  la 
Démocratie.  L'Anarchie  eft  contraire  à  toute  règle  ,  elle  dé- 
truit toute  forme ,  &*ce  qui  exclut  tout  Gouvernement  n*ea 
peut  être  une  efpèce  ;  c'eft  .âinfi  que  dans  les  Républiques  ^ 
la  diverfité  des  Rcglemens  ^ne  conftituepas  diverfes  formes 
•d'Ariftocratie  &  de  Démocratie  proprement  dites. 

S'il  eft  évident  que  les  défauts  de  la  Conftitution  de  l'Etat 
ne  multiplient  pas  les  formes  de  Gouvernement ,  îl  ne  Teft 
pas  moir^  que  les  défauts  des  perlonnes  qui  gouvernent  ne 
les  multiplient  pas  non  plus.  Les  Ecrivains  dont  je  réfuœ  ro-- 
pînion ,  ont  foutenu  que  l'Etat  Monarchique  devient  une  yé^ 
ritable  Oligarchie ,  Jorfqu'un  Roi  fuit  aveuglement  les  ins- 
pirations d'un  petit  nombre  de  pcrfbnnes  qui  abufent  de  fa 
facilité  ;  8c  ils  ont  prétendu  que  TÊtat  Démocratique  fetour^ 
ne  en  une  véritabje  Monarchie ,  lorfque  y  dans  un  Gonfeiî 
Souverain  ,  un  Sénateur  donne  Je  mouvement  à  toutes  les  dé- 
libérations. Mais  toutes  ces  opinions  font  vifiblement  erro-» 
iiées ,  &  Terreur  qu'elles  renferment  eft  une  fuite  de  celles 
.que  }c  viens  de  réfuter.  Les  dé/auts  du  Gouvernement  ^  foie 
,qu'ils  fe  trouvent  dans  le  Gouvernement ,  ou  dans  les  liom- 
;nes  qui  gouvernent ,  ne  changent  ni  k  fujet  commun ,  ni  le 
iujet  propre  de  la  Souveraineté.  S'il  y  a  quelquefois  de  U 
rdifférence  entre  la  forme  de  l'Etat ,  &  la  maniei^  dont  il  eft 
gouverné  ^  ce  n'eft  que  dans  les  chofes  de  peu  de  conféquen- 
x:e  qui  ne  conftituent  pas  la  forme  du  Gouvernement ,  &  quî 
jfont  fimplemenr  des  fymptomes  infailhblcs  de  la  maladie  de 
de  TEtat  :  or  un  Etat  malade  &  dont  la  difpofitLon  eft  trou-^ 
i).lée  ^  peut  bien  périr  ou  changer  de  forme^  fi  l'on  ne  remédie 


15  tJ    G  O  U  V  E  R  N  Ê  M  EN  T.      jip 
aux  maux  qui  Taffligent  ;  fa  forme  peut  bien  produinï  des  df-- 
fête  contraires  à  fa  nature ,  parce  qu*il  n'y  a  plus  de  concert 
entre  les  différentes  parties  ;;mais  tant  que  la  forme  demeure,^ 
il  faut  juger  de  fà.Conflitution  par  fcs  Loix  fondamentales , 
&  non  pas  T-adminiflration  aâuelle  &  momentanée  qui  s'c-- 
Ibigne  de  ces  Loix.  Penfer  autrement  ^c'cft  juger  de  Tauto- 
rite ,  non  par  ce  qu'elle  eft  en  foi  ,.mais  par  Tabus  qu'on  en- 
fait- 

Ainfî ,  un  Gouvernement  Démocratique  demeure  toujours 
Démocratique,  quoique  cinq  ou  fix  tctes  gouvernent  ceux ^ 
qui  croyent  gouverner ,  &  quoique  le  peuple  charge  de  quel- 
x|ues  affaires  particulières  une  ou  plufieurs  perfonncs.  Ceux- 
qui  exercent  un  pouvoir  précaire,  un  pouvoir  emprunté  & 
non  propre,. peuvent  en  être,  dépouilles  ,  à  la  volonté^  d^' 
ceux  dont  ils  le  tiennent.  < 

Ainfi,  ni  le  changement  d'un  Miniftre  rfopére  un  intèr-- 
règne  dans  un  Etat  Monarchique ,  ni  Tadminiitration  des* 
affaires  publiques  confiée  à  quelques  Minières  pendant  un  ^ 
certain  tcms ,  ni  le  nombre  de  ces  Miniftres  augmenté  ou  ^ 
diminué ,  ne  changent  la  forme^  du  Gouvernement  Ariflocra"- 
d^ue  ou  Démocratique. - 

Ainfi,  la  capacité  ou  Tignorance  ,  Jes  vertus  ou  les  vices» 
de  ceux  qui  s'emparent  de  lautorité,  par  la  voie  de  la  per- 
fuafion ,  ou  à  qui  lé  Souverain  la  confie ,  peuvent  bien  appor-- 
ter  du  changement  dans  l'exercice  du  pouvoir  Souverain  ;; 
•mais  elles  ne  changent  pjas  la  nature  même- du  Gouverne^ 
iBcnt*^ 


^1(5  SCIENCE 

SectionIIL 

DâS  défauts  de  tous  les  Gouvernemensi 

rt3.ceqtt*flT«  Cc  quHl  y  a  de  dcfeckieux  dans  un  Gcaivernement  eft  aîlë 
xAansunGouvcr-  a  rcmarQuer ,  on  le  lent ,  on  en  lounre  ,  on  en  parle  tou- 
aiféà  remarquer  jouFs.  Ce  ouc  cc  mciTic  Cjrouvemement  a  a  avantageux  n  elt 

.que    ce  que    ce''  *  ir-  ai» 

«êmeikHiverne.  pas  appefçu  fi  facilement ,  il  ne  fait  que  nous  empêcher  de 
*î^ue  wu'our^  fouffrii ,  CHTi  Hc  le  fent  point ,  on  n'en  parle  point.  II  en  eft  > 
îîac'^iS'wrmei  ^  <^^^  égard ,  du  Gouvernement  comme  de  la  famé ,  le  plus 
:2oni?e  irîSrmc  infenfiblc  de  tous  les  biens  ^  lorfquon  en  jouit ,  la  privation 
^t  &"comîi  feule  de  ce  grand  bonheur  en  fait  connoître  tout  le  prix^ 
xew  qui  couver-  £)^jx  ^  Tinjullicc  OU  Terreur  de  la  plupart  des  j^gemens  que 
les  hommes  portent ,  fur  les  Conftitutions  d'Etat  &  fur  ceux 
qui  gouvernent.  L'efprit  Républicain  exagère  les  défauts 
<ies  Monarchies ,  l'efprit  Monarchique  exagère  ceux  des  Ré- 
publiques ;  mais  fi  Ton  comptoit  bien  les  avantages  &  les  in^ 
convéniens  des  unes  &  des  autres  ^  le  calcul  feroit  à  peu  prc» 

Les  hommes  ne  fe  contentent  pas  toujours  d'attacher  aux 
termes  l'idée  des  chofes  mêmes  qu'ils  fignifient,  ils  y  atta- 
<:hent  fouvent  celle  du  iDépris  qu^ils  en  font.  L'amour ,  la 
haine ,  le  préjugé ,  toutes  les  palfions  règlent  les  noms  qu'on 
-donne  aux  chofes.  Examinons  donc ,  lorfque  nous  entendons 
appliquer  des  termes  odieux  aux  Souverainetés  &  aux  Sou- 
i/erains  ^  fi  ces  termes  leur  conviennent  y  ou  s'ils  portent  feu- 
jement  le  caractère  de  la  paflîon  de  celui  qui  les  employé. 
Dans  la  bouche  d'un  homme  emporté ,  le  terme  de  tyrannie 
fignifie  quelquefois  fimplement  que  cet  homme  eft  mécontent 
iJesperibnnes  ^ui  ^ouveinçnr.  Un  orgueilleux  ,  indigné  dç 

régalité 


DU    GOUVERNEMENT.      321 

régalîté  de  PEtat  populaire  ,  &  fâché  du  droit  de  fuflfrage 
qu'a  chaque  Citoyen  dans  les  affemblées  de  la  Republique  , 
appelle  le  Gouvernement  une  Ochlocratie ,  c'eft-à-dire  félon 
lui  un  Gouvernement  où  la  vile  populace  domine  &  où  une 
perfonne  de  mérite  n'a  aucun  avantage.  Un  ambitieux ,  ex- 
clus du  Sénat  où  il  fe  croyoit  auffi  digne  d'entrer  qu'aucun 
autre ,  appelle  le  Sénat  par  mépris  une  Oligarchie ,  &  il  en- 
tend par-là  un  Gouvernement  où  un  petit  nombre  de  gens 
exerce  avec  infoknce  le  pouvoir  Souverain  fur  des  peribn- 
nes  d*un  mérite  fupérieur  au  leur.  Les  hommes  nourris<lans 
l'égalité  du  Gouvernement  Démocratique  ,  confondent  le 
pouvoir  abfolu  avec  le  pouvoir  arbitraire  y  quelques  diftinds 
qu'ils  foient  y  &  appellent  efclaves  les  fujets  foumis  à  un  Etat 
Monarchique.  L'amour  de  la  liberté  qui  eft  le  cri  des  Répu- 
blicains ,  eft  fi  efficace  ,à  les  entendre  >  qu'il  force  des  coeurs^ 
libres  à  tout  entreprendre ,  quand  il  s'agit  d'écarter  le  joug 
d'une  domination  étrangère  ;  comme  fi  les  peuples  qui  vivent 
fous  un  Gouvernement  Monarchique  étoient  infenfibles  aux 
charmes  de  la  liberté,  &  qu'ils  fuflent  moins  libres  que  les 
Républicains ,  à  caufe  que  ,  comme  ceux-ci  y  ils  ne  multi- 
plient pas  leurs  Maîtres.  Ceft  ainfi  que  les  Grecs  qui  avoient 
beaucoup  fouffert  du  Gouvernemement  Monarchique ,  ac- 
coutumés dans  la  fuite  à  mettre  la  fouveraine  félicité  des  Etats- 
dans  le  Gouvernement  populaire  ,  appelloient  tyrans  les 
Monarques,  fans  confidérer  fi  l'origine  de  leur  Gouverne- 
ment étoit  légitime  ,  &  s'ils  rempliflbient  bien  ou  mal  les  de- 
voirs  du  rang  fuprême  {a).  C'cft  ainfi  que  les  Romains  mar- 

(a)  Dans  fon  origine ,  le  terme  de  Tyran  ne  figniiîoît  pas  un  Ufurpateur  > 
un  Souverain  opprefleur  de  fes  peuples.  Parmi  les  fept  Sages  de  la  Gré- 
ce,  il  y  a  eu  des  Princes  appelles  par  les  Grecs  &  par  les  Latins  Tyranni. 
Cléobule  ^toit  Tyran  de  Lîndc  ;  Pittacus ,  de  Lcsbos  ;  Ihrafybulc ,  de  Milet;  Pé- 

Tom:  /.  S  f 


gouvern^cx. 


522      .  SCIENCE 

quoienc  tant  d'horreur  pour  la  qualité  de  Roî ,  &  tant  de 
mépris  pour  les  peuples  qui  vivoient  fous  un  Monarque  y  eux 
qui  avoient  vécu  fous  la  Monarchie  ,  &  qui  y  retournèrent 
après  ravoir  profcrite  &  déteftée  pendant  long.tems. 
14.  Les  Défaut»      La  naturc  du  Gouvernement,  les  qualités  dô  ceux  auî 

dans  le  Gouvcr-  111  \^  vv«-n.    v|ut 

"cnr3iSSu:S^"^^^^^^^'^^"c  d^  «"X  qui  font  fCQuvernés;  voilà  les 
d'^'Sc'sqïï  ''""'^  ^''"'^^^  ^^  ^^^^  ^^^  ^^*'^^^s  ^^•îis  le  Gouvernement. 
L"iX;"  Von"  ^^  Gouvernement  elî;  vicieux  en  foi.  i^.  Quand  les  Loîx 
Jie  conviennent  ^pas  aux  mœurs  du  peuple ,  aux  intérêts  de 
la  Natiop  ^  ^  \^  fitu?tion  du  pays  qu'elle  habite.  2*.  Quand 
elles  donnent  occafion  aux  citoyens  de  caufer  des  troubles 
au-dedans  ou  de  s'attirer  des  querelles  au-dehors ,  parce  que 
FEtat  eft  purement  militaire,  &  que  les  Sujets  ne  peuvent  vî* 
vre  que  par  les  armes.  3®.  Quand,  par  les  privilèges  attar- 
chés  à  un  certain  ordre  de  perfonnes ,  le  Légiflateur  a  favo- 
rifé  la  prévention  où  elles  font  que  la  plus  noble  des  diftinc-* 

riandtc ,  de  Corinthe  ;  &  Pîfiftrate  d*Athènes.  Strabon  dit  que  les  Princes  du 
Bofphorc  &deSycione  étoïent  des  homm$s  juftesSc  néanmoins  il  les  appclleTyrans 
de  ces  Contrées.  On  trouve  même  dans  Paufanias  unAriilodème  Tyran  d*Arcadie, 
fumommé  par  fa  vertu  l'homme  de  bien.  Virgile  fuppofe  que  le  Roi  Latinus  te* 
garde  comme  un  bonheur  de  toucher  la  main  d*£née  qu'il  appelle  Tyran  : 

Pars  mîhi  pacis  erit  dextram  tetîgîjfe  TyrannL 

Un  autre  Poëte,  Stiius  ïtalicus  ,  parlant  de  Hieron  Roi  de  Syracuft ,  bon  Ac 
&  vertueux  Prince  ,  l'appelle  le  Tyran  de  Sicile  ; 

Vos  etiam  Zanclem  Siculi  contra  arma  T^rannL 

Platon ,  Ariftote ,  &  Xe'hophon  ont  traité  des  devoirs  des  Tyrans.  Eft-ce  qu*a$ 
ont  voulu  donner  des  règles  de  Tyrannie ,  en  prenant  ce  mot  dans  le  fens  qu'il  a 
aujourd'hui  ?  Non  ;  c'eft  que  la  Tyrannie  fignifie  dans  leurs  écrits  Royauté.  Ce  font 
Les  devoirs  de  la  Royauté  que  ces  Philosophes  ont  expliqués.  Le  mot  de  Tjran 
ne  prcfentoit  pas  alors  à  refprît  l'idée  odieufe  que  les  Romains  y  ont  attachée  ; 
îl  ne  (îgnifioit  qu'un  Roi ,  qu'un  Souverain  ,  foit  qu'il  fût  légitime  ,  foit  qu'il  fût 
ufurpateur ,  foit  qu'il  traitât  les  peuples  avec  bonté ,  foit  qu'il  les  gouvernât  avec 
violence.  Ce  terme  convenoit  proprement  à  ceux  qui  étoîent  revêtus  de  fauto* 
ri  té  Souveraine  ,  dans  un  Etat  originairement  libre  9  comme  parloient  les  Grtçi  iÇ 
lii  Romaiw ,  ç'cft-à-dirc  un  Et^t  <jui  fe  gouycrooil  lui-mtoç» 


DU    GOUVERNEMENT.      325 

tîonseft  celle  qui  exempte  leurs  biens  de  toutes  contributions 
aux  Charges  publiques*  4^.  Quand  le  Fondateur  d'un  Etat  y 
pour  contenir  un  peuple  nouvellement  fubjugué  &  dont  la 
Religion  eft  différente  ,  a  dépeuple  les  villes  &  fait  une  foli- 
tude  du  plat  pays.  5®.  Enfin , quand  les Loix contiennent,  de 
quelqu*autre  manière  que  ce  foit  ^  des  difpofitions  contraiics 
âux  principes  de  la  faine  politique^ 

Ce  n'eft  pas  uniquement  la  fagefle  des  Loîx  qui  peut  opé- 
rer le  bonheur  d'un  Etat,  &  furtout  celle  des  perfonnes  qui 
gouvernent*  Les  défauts  de  cette  efpcce  fc  trouvent  dans  la 
Monarchie,  lorfque  le  Monarque  manque  detalensnéceffaircs 
pour  le  Gouvernement ,  ou  que  ,  les  polfédant ,  il  gouverne 
moins  <tn  perc ,  qu'en  tyran  ;  dans  les  Ariftocraties,  lorfque 
des  voies  obliques  ouvrent  Tentrée  du  Confeil  aux  méchans 
&  aux  ignorans ,  au  préjudice  des  gens  de  bien  &  des  gens 
habiles  ;  &  dans  les  Démocraties ,  lorfque  les  aflemblées  du 
peuple  font  corrompues,  &  que  de  mauvais  fujets  font  élevés 
aux  emplois  ,  au  préjudice  des  citoyens  plus  dignes  de  les 
remplir*  On  peut  encore  compter  parmi  les  défauts  des  per- 
fonnes qui  gouvernent,  la  légèreté  d'cfprit  qui  porte  les  Ma- 
giftrats  trop  frappés  des  inconvéniens  de  quelques  Loix ,  à 
tifurper  la  fonction  du  Légiflateur  ,  eux  qui  ne  doivent  faire 
que  celles  de  Miniflres  de  la  Loi.  Les  défauts  de  ceux  qui 
gouvernent ,  rendront  toujours  chaque  conftitution  d'Etat 
<iéfe6lucufe  ,  ils  tfinfeûent  pas  moins  les  Républiques  que  les 
Monarchies^ 

Enfin  ,  les  défauts  des  peifonnes  qui  font  gouvernées  ^ 
viennent  en  quelques  Etats ,  de  ce  que  le  peuple  frappé  d  un 
T'iin  fafte ,  obéit  moins  volontiers  aux  vrais  dépotitaires  de 
l'autorité  fouveraine ,  qu'aux  perfonnes  diftinguées  par  Icor 

Sf  4J 


324  S  C  I  F  N  C  E 

naiffance  ;  en  quelques  autres  pays  ,  de  la  pente  naturelle  cfa 
peuple  à  la  fainéantife  Se  de  fort  averfion  pour  Texercice  des 
arts  &  des  métiers;  en  tous ,  de  ce  que  les  hommes  ne  fçavenc 
ni  obéir  ni  vivre  indépendans.  Ils  font  avides  de  la  liberté,  & 
ils  n'en  fçavent  pas  jouir,  ils  fouffrent  donc  Tefclavage.  Non, 
ils  ne  peuvent  fupporter  ni  d'être  tout  à  fait  efclaves  ,  ni 
d'ctre  tout  à  fait  libres  (a).  Eft-ce  qu'ils  s'accommodent  d'un 
mélange  de  liberté  &  d'efclavage  ?  Ils  ne  fçauroicnt  encore  f 
ni  le  trouver ,  ni  s'y  tenir  s'ils  l'avoient  trouvé»  C  eft  le  pro* 
pre  de  la  multitude  ou  de  fervir  lâchement  ou  de  dominer 
avec  infolence  ;  elle  ne  fçait  ni  fe  paffer  cette  liberté  qui  tienc 
lieu ,  ni  la  confervcr  (^)* 
is.  Tomei  les      Croirc  Que  les  maladies  du  Corps  politique  n'ayent  qu'une 

Ccnlhiutions  r  r  r     r  ^  i?i 

j^Trai^fuicurt  fource  ,  ce  feroit  fe  tromper.  Comme  il  n'y  a  point  dnomf- 
me  qui  ne  foit  fujet  à  des  maladies  >  il  n'y  a  point  de  Go»- 
vernement  qui  n'ait  quelques  défauts  ;  &  il  n'y  en  a  jamais  en 
qui  n'ait  fouffert  de  violentes  fecoufles  ,  qu'elle  qu'ait  été  fa 
conflitution.  Les  Gouvernemens  lont  nés  de  l'injuflice ,  & 
tel  eft  raffujettiffement  de  l'humanité,  qu onne  peut  fouvenc 
éviter  un  mal  que  par  un  autre.  Les  chofes  humaines  font , 
de  tous  côtés  y  fujettes  à  des  inconvéniens ,  &  la  politique 
cfl  toujours  défedueufe  par  quelque  endroit»  Pour  rendre 
un  Gouveruement  très-bon ,  il  faudroit  un  Roi  Républicain 
&  un  peuple  Royalifte ,  un  Roi  qui  gouvernât  en  père  tenr- 
dre,  &  un  peuple  qui  obéît  en  fils  foumis  ;  mais  ks  pallions 
des  Princes  &  celles  des  Sujets  font  difficiles  à  concilier  ^ 
&  fi  les  Princes  abufent  de  leur  puiffance ,  ks  peuples  abu* 

(a)  Nec  totam  fervitutem  pâti  vqfunt  »  nec  totam  lihmatem.  Tacït.  Hifi.  Lit.  i. 

{b)  Hac  natura  multïtudinis  ejt  y  aut  fervit  humiliter  y  autfuperbê  dominatur. 
Liberratem  qm^  midia  cjl ,  nccfpcrncre  modki ,  ace  haine  fciunu  Tiu  Liy.  Dccad^ 
3-  Lit.  I. 


DU    G  ô:U  VE  tl  N  Ë  MË  N  r.    y^ 

fcnt  autant  ou  plus  de  leurs  privilèges*  La  Majcfté  lutte  fans 
ccffe  contre  la  liberté  pour  la  détruire  ;  &:  la  liberté  veut  fe- 
couér  le  joug  de  la  Majefté  qui  la  contraint* 

Une  forme  de  Gouvernement  parfaite  eft  un  être  de  raifoft  $ 
parce  qu*un  bonheur  complet,  à  tous  égards,  n'cft  pasfaic 
pour  être  le  partage  des  hommes ,  &  que  la  fageffe  humaine^ 
avec  fe^us  grands  efforts ,  ne  peut  fe  promettre  que  de  di- 
minuer la  mefure  du  mal  fur  la  terre.  Qu'on  fafle,  tant  qu'on 
voudra,  des  plans  pour  [trouver  une  Gonftitution  d'Etat  quî 
n'ait  aucun  défaut  j  qu'on  cherche  avec  foin  le  moyen  de  gou-» 
verner  les  hommes  plus  fûrement  &  de  les  rendre  meilleurs  ; 
qu'on  invente,  au  gré  de  l'imagination,  une  forme  de  Gouver-* 
nement  plus  parfaite  que  la  Republique  de  Platon,qUe  TAtlan- 
tis  de  Bacon,  que  l'Utopie  de  Morus ,  que  la  Cité  du  Soleil  de 
Campanella ,  8t  s'il  eft  poflîble ,  que  le  Roman  de  Fenelon , 
on  pourra  bien  trouver  l'idée  d'un  Gouvernement  parfait, 
mais  il  en  faudra  toujours  demeurer  à  la  fpéculation  ,  quoi-* 
qu'il  Toit  utile  de  préfenter  aux  hommes  l'idée  de  la  perfec-* 
tion ,  pour  les  encourager  à  en  approcher.  Cette  idée  ^  dèà 
qu'on  voudra  la  réduire  en  pratique ,  paroîtra  ce  quVlIe  eft^ 
une  vraye  chimère.  Toutes  les  fcîences  ont  la  leur*  La  Chy* 
mie ,  a  fa  pierre  Philofophale  ;  la  Gcomérrie  fa  quadrature 
du  cercle  ;  l'Aflxonomie ,  fes  longitudes  j  la  Méchanique , 
fon  mouvement  perpétuel  ;  la  morale  ,  fon  défintéreflement 
total.  La  chimère  de  la  Science  du  Gouvernement ,  cVfl  une 
conftitution  parfaite.  Il  eft  auffi  difficile  de  donner  l'être  à 
une  telle  fociété ,  qu'il  eft  aifé  d'en  faire  le  plan  j  &  il  fauC 
penfer  ,  de  la  recherche  d'une  forme  excellente  de  gouver- 
nement ,  ce  que  les  gens  fenfés  penfent  de  celle  du  grand 
œuvre  j  les  Chymiftcs  croyent  toujours  tenir  la  pierre  philo- 


^iê  SCIENCE 

fophàlê  9  JRiàis  elle  leur  échappe  toujours  >  elle  ils  nVn  âUtôllIf 
jamais  la  poiTeflion.  Il  efl  ^  dans  la  Science  du  gouverne^ 
ment ,  un  certain  ordre  de  chofes  dans  lequel  les  Legiflateurs 
ne  doivent  pas  s  arrêter  au  mieux,  parce  qu'il  eft  impratica« 
ble  8c  combattu  par  dès  paflîons  dominantes  quUIs  ne  peu« 
vent  dompter.  La  politique  ne  doit  pas  fuppofer  dans  les 
hommes  une  perfedion  que  Thumanité  ne  comporte  pas  ; 
elle  doit  proportionner  fa  conduite,  nonà  uneefpèce  d*Etre^ 
fupérieurs  à  Thomme  ,  mais  à  notre  nature  corrompue  ;  elle 
doit  fçavoir  que  les  hommes  font  toujours  prêts  à  abufer  des 
Loix  j  &  elle  n*eft  fage  que  quand  elle  fçait  intéreffer  les  paf- 
fions  au  maintien  du  bon  ordre ,  &  par  une  combinaifon 
adroite  &  fçavante ,  les  en  rertdre  les  garantes* 

Il  fe  glifle  toujours  des  défauts  dansT  Tinflitution  de  quel- 
tjue  gouvernement  que  ce  foit*  Lés  Légiflàteurs  font  hom- 
mes &  fujets  à  toutes  les  illufions  des  autres  hommes ,  ilsonc 
rarement  là  liberté  de  fairt  un  fyftême  bien  fuivî ,  ils  font 
forcés  d*acc6mmoder  leurs  Loix  aux  circonftances  où  ils  fe 
trouvent ,  8c  ces  circonftances  changent.  Mais  quand  même 
les  Loik  ne  fe  fentiroient  pas  des  foiblcffes  de  ceux  qui  les 
ont  faites,  &  quand  les  conjondures  où  elles  ont  été  publiéeSj^ 
feroient  immuables  ,  il  ne  fçauroit  y  avoir  de  gouvernement 
parfait ,  parce  que  ce  font  des  hommes  qui  gouvernent.  Il  y 
a  de  l'injuftice  à  vouloir  que  les  Princes  voyent  toujours  d'une 
manière  tûre  ce qu*il convient  de  faire,  qu'ils  le  fàffent ,  qu'ils 
ne  fe  trompent  jamais  dans  ïa  multitude  des  affairés  <jui  les 
environnent,  qu'ils  en  foûtiehnent  toujours  &  avec  une  égale 
force  tout  le  poids.  Si  l'on  veut  que  cela  foit  ainfî  ^ 
"qu'on  demande  à  Dieu  »  dans  im  fens  plus  jufte  que  les  liraë*^ 


.  D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.        347 

lites  ne  le  dem^ndoient  à  Aaron  :  Fdites-nous  des  Dieux  qui 
marchent  devant  nous.  Ajoutons  que  ce  font  des  hommes  qui 
font  gouvernés ,  9c  que  fi  aucune  çonftitution  d'Etat  ne  peut 
détruire  entièrement  les  paflîons  de  ceux  qui  gouvernent  y 
elle  peut  encore  moins  changer  les  vices  de  ceux  qui  font 
gouvernés. 

Des  Loîx  bonnes  pour  fonder  l'Etat ,  ceflent  de  Têtre  pour 
maintenir  l'Etat  fondé.  Les  liens  qui  forment  les  fociétés  ci- 
ciles  ,  s'affoibliffent  par  la  fucceffion  destems,  parla  variété 
des  efprits  j  par  le  mélange  des  Nations  conquérantes  & 
conquifes.  L'ambition  ^  la  haine  ^  l'antipathie  réciproque  des 
peuples  y  la  domination  tyrannique  ,  l'amour  d'une  faufle  li^ 
berté,  mille  autres  principes  de  défunion ,  altèrent  les  Etats 
les  plus  floridans. 

Ce  que  les  maladies  font  dans  le  corps  humain ,  les  défauts 
de  Gouvernement  le  font  dans  le  corps  politique.  Les  Royau« 
mes  &  les  Républiques  naiffent,  fleuriflent,  &  vieilliflent 
comme  nous.  On  apperçoit  dans  le  corps  humain  y  dès  qu'il 
commence  à  vieillir,  &  fouvent  même  plutôt,  quelle  eft 
celle  de  fes  panies  nobles  qui  pèche  davantage ,  &  dont  il  9 
le  plus  à  craindre  ;  il  n'y  a  de  même  aucun  corps  politique 
où  l'on  ne  découvre  ,  dès  qu'il  a  duré  quelques  (îécles  ,  un 
vîcç  dç  conformation  qui  eft  toujours  la  principale  caufe  des 
malheurs  qui  lui  arrivent,  &  qui  le  menacent  fouvent  d'une 
deftrudlion  prochaine.  La  corruption  croît  &  fe  nourrit  avec 
la  forme  de  Gouvernement ,  elle  ne  ceffe  de  le  ronger ,  &  4 
la  fin  elle  le  détruit. 

L*Etat  où  il  eft  permis  à  un  feul  de  faire  tout  k  fon  gré  ^    ^^,1^^^^ 
eft  expofé  aux  inconvénieris  des  règnes  des  Princes  ou  mau?  ^^JJJ^'*'*^ 


328  SCIENCE 

vais  ou  foibles  ;  à  ceux  des  minorités  (a) ,  Si  la  Couronne  eA 
héréditaire  ;  &  aux  changemens  fréquens  des  Minières  y  8c 
par  confçquent  aux  variations  qui  réfultent  des  diverfes  fa- 
çons de  penfçr  des  hommes.  Tout  cela  empêche  qu'on  ne 
fuivc  toujours  les  mêmes  principes  de  Gouvernement.  Un 
feul  homme  ne  peut  ni  tout  voir  ni  tout  entendre,  &  une  au- 
torité fans  frein  corrompt  fouvent  Thomme  le  plus  vertueux. 
Il  eft  impofliblç  qu'un  Monarque  puiffe  entrer  dans  tous 
Jes  détails  de  fon  Etat.  Il  faut  nççcflairement  qu'il  s'en  fie  au 
rapport  d'autrui  ;  &  ce  rapport  cft  rarement  fidèle ,  parce  que 
~  les  gens  qui  font  prépofç?  pour  Iç  faire ,  confultent  bien 
moins  la  vérité  y  que  l'intérêt  qu  ils  trouvent  à  fervir  ou  à 
nuire.  Il  eft  rare  de  voir  la  vérité  aimée  fur  le  trône ,  &  c'eft 
prefque  une  merveille  de  ïy  voir  connue.  L'égarement  n'eft 
pas  fouvent  bien  loin  de  l'autorité ,  dans  un  homme  abfolu* 
Son  ambition  tient  prclque  toujours  fcs  fujets  &  fes  voifins 
çn  armes.  Ses  conquêtes  même  font  pernicieufes  à  l'Etat ,  par 
lé. luxe  qu'elles  y  introduifent ,  fiç  parles  révolutions  dont 
elles  font  fyiviest  On  peut  en  général  appliquer  à  l'Etat  Mo- 
narchique ce  que  Tite  -  Live  a  dit  du  luxe  de  Capoue  (h). 
Valeur,  conquête,  luxe.  Anarchie;  voilà  le  cercle  fatal  & 
les  différens  périodes  de  la  vie  politique  de  l'Etat  Monar- 
chique* 
17.  wfautf  ac      Si  la  Monarchie  abfolue  fait  dépendre  la  fortune  du  peuple 

I2  Monarchie  U- 

«W«^f  (a)  ITét  tibi  terra  ^  cujus  Rex  puer  efiy  dit  dans  rEccîéiîafle  le  plus  (kge  det 

Roit. 

(b)  Jam  nunc  minime  falubris  militari  difdplina  Capua  injlnimentum  omnium  v%* 
'    luptatem ,  dçlinitot  militum  animos  avertit  à  memorid  patria.  Tiu  LiV,  i ,  Decai^ 

^  Pejor  ferpenrihùs  afris 

l^UXuriAiflcubuit,  yiSumque  mifritur^orbem* 

Pit  Martial  parlant  de  Rom^^ 

de 


DU  GOUVERNEMENT.  ^25? 
«deîa  volonté  d'un  feul  homme  que  la  raifon  ne  conduit  pas 
toujours,  la  Monarchie  limitée  la  fait  dépendre  des  vues  8c 
•des  partions  du  Prince  &  de  ceux  qui  partagent  avec  lui  Tau- 
toritc  Souveraine^,  Deux  Puiflances  qui  dcvroient  agir  de 
concert,  fe  combattent  bien  plus  qu'elles  nes'a,ppuyent.  Ccft 
4in  malheur  que  tout  dépende  d'un  feul^  fujet  à  fe  laifrergouf* 
verner  aveuglement;  &  c'en  eft -un  auflî ,  par  une  raifon  toute 
contraire  9  que  tout  dépende  de  plufieurs  qu'on  ne  peut  gou- 
'verner  ,  parce  que  chacun  a  fes  idées ,  fon  goût ,  fes  vues  ^ 
•&  fes  intérêts  particuliers.  Quefi  cette  Monarchie  tempérée 
«ft  élcdive  ^  elle  eft  livrée  à  tous  les  inconvénient  des  in- 
terrègnes. Qu'on  fe  Teprélente  ces  cxhalaifons  qui  s'élèvent 
de  la  terre  &  dont  fe  forment  ces  foudres  qui  menacent  de 
ia  confumcr;  &  Ton  aura  une  jufte  idée  d'un  Prince  qui  d'une 
«condition  privée  a  été  élevé  fur  le  trône,  A  peine  y  eft  -  il 
affis  qu'il  voudroit  anéantir  tout  ce  qui  a  contribué  à  l'y 
placer.  Le  Roi  contraint  par  les  privilèges  des  peuples  fe  fait 
tin  honneur  de  méprifer  leurs  droits  ;  &  comme  l'air  à  qui  la 
compreflîon  donne  plus  de  force ,  il  éclate  contre  eux  avec 
<i'autant  plus  de  violence  qu'il  eft  plus  gêné  dans  l'exercice 
des  fondions  de  la  Royautés 

Les  fijjets  quiobéiffcnt  à  un  Roi  y  font  moins  agîtes  de  ^^,x>éf^anSk 
7alou{îe ,  que  ceux  qui  vivent  dans  une  Ariftôcratîe  hércdi-  Î^^^S^ 
îairc.  Le  Prince  eft  à  une  fi  grande  diftance  de  fes  fûjets  , 
<ju il  n'en  eft  prefquc  pas  vu;  il  eft  fi  élevé  au  deflus  d'eux  ^ 
qu'ils  n'imaginent  aucun  rapport  qui  les  puifle  choquer  ;  mais 
les  Nobles  qui  gouvernent,  font  fous  les  yeux  de  tous  les  con- 
citoy cnsç&  ils  ne  font  pas  fi  élevés  que  des  comparaifons  odieu% 
fes  ne  fe  faflTcnt  fans  ceffe ,  aufli  a-t-on  vu  de  tout  tems  le 
peuple  dctefter  les  Sénateurs»  Cette  jaloufic  eft  un  peu  moins 


J30  S  C  I  E  N  C  E 

vive  dans,  les  Républiques  où  la  naiffance  ne  donne:  aucune 
part  au; Gouvernement ,  parce  que  le  peuple  envie  moins,  una* 
autorité  qu  il  donne  à  qui  il  veut ,  &  qu'il  reprend  lorfqu  ili 
1è  juge  à  propos.. 

Aucun  bon  traitement  ne  peut  adoucir  le  chagrin  d'ctrc^ 
«exclus  dune  adrniniftration  Arillocratiquc.  Ce  bon  traite- 
ment même  eft  moins  ordinaire  qu'on  ne  penfe.  Les  Grands: 
foulent  aux  pieds  les  perfonnes  qui  ne  font  pas  deftinées  ài 
gouverner  ,&  ils  oublient  que  leur  rang,  ell  pour  eux  un  enr 
gagement  de  faire  du.  bien  à  leurs  inférieurs..  L'intérêt  par- 
ticulier de  ceux  qui  ont  part  aux  délibérations  publiques  jj, 
dicîe  ordinairement  chaque  avis  ;  &  c'ellcet  intérêt  particu- 
lier qui  règle  Lufage  que  les  Sénateurs  puiifans.  font  de  Icuir 
crédit*. 

Le  Gouvernement  Ariflocratîquc  fomente  une  rivalité^ 
Uangereufe  entre  ceux  qui  gouvernent..  Jaloux  de  fon  opi- 
oion  ,  on  devient  aifément  Tcnnemi  de  ceux  qui  cn:ont  une; 
différente.X'un  (4)  ne  peut  fouffrir  d'égal ,  l'autre  (/*)  na  veut: 
point  de  fupérieur;  &  peu  de  perfonnes  font  contentes  de  lai 
fcconde  place  ,^  quand  elles  ont  vu  de  près  la  fplendcur.  de  lai 
première  (^).,»  En  feignant  de  vouloir  nous  égaler  aux.au— 
»»'tres(dit  un  grand  Hillorien)  nous  nous  élevons  infenfîble-^ 
^>  ment  au^defTusd'eux  ;  &  les  précautions  que  nous  prenons-,, 
»»pour*empêeher. qu'ils  ne  nous  donnent  de  la  crainte,  font; 
»  que:  nous  leur^deyenonanousi- mêmes  redoutables  ,  &  que! 
H  nous  rejettons.fur,  eux  l'injuftice  qu'ils  nous  préparoient:,, 
»>comme  fi.c'éioit  une  néccflité  de  la  fouffrir,  o.ude.lafaire(^)^- 

(^),Céfar;-. 

Cç)k  *..,.. y ^.Omnisquep§teJtà4> 
Impaims..confçTtis  erir». 


B  XJ    G  O  tJ  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      53Ï 

On  ne  remarque  en  effet ,  dans  un  Gouvernement  Arifto 
cratique^  quejaloufie  entre  les  Citoyens  >  que  faâiions  pour 
parvenir  aux  dignités  ,  qu  intrigues  pour  s'enrichir  aux  dé- 
pens les  uns  des  autres  ;  q[ue  confpirations  pour  s  emparer 
de  la  Souveraineté*  Un  y  a  rien  de  f  lus  mifèrMe  {dit  l'Ora- 
teur Romain)  x^ue  C ambition  (jr  les  comeftaiiiyns  ou  rontntre 
four  Its  grandes  places.  Ce  grand  homme ,  qui  avoit  lui-même 
•eu  tant  de  part  au  Gouvernement  fur  le  premier  théâtre  de 
l'Univers  ^  qui  avoit  vu  de  près  les  maux  que  caufe  l'ambi- 
tion des  Grands  ,  qui  en  avoit  fouffert  l'exil ,  &  à  qui  il  en 
coûta  à  la  fin  la  vie ,  dit  9  d'après  Platon ,  que  ceux  qui  con- 
teftent  entre  eux  à  qui  gouvernera  la  République  ^  font 
comme  des  Pilotes  qui ,  au  lieu  de  fe  défendre  contre  la  tem- 
pête y  fe  battroicnt  à  qui  riendroit  le  gouvernail  {a). 

Si  ceux  qui  gouvernent  font  unis  ,  ils  confpircnt  enfem- 
ble  contre  la  liberté  de  la  patrie ,  &  fe  prêtent  un  fecour$ 
mutuel  dans  Fabus  qu'ils  font  de  l'autorité.  S'ils  font  divifés, 
ils  déchirent  le  fein  de  la  patrie  ,  par  des  guerres  inteflines  , 
&  aucune  autorité  n  eft  capable  de  les  contenir  {b). 

Les  délibérations  d'un  corps  nombreux  font  lentes ,  &  les 
dcfleins  peu  fecrcts*  Comment  éviter  d'ailleurs  que  les  Prin- 
ces voifîns  ne  corrompent  quelques  membres  du  Sénat  ! 

De  toutes  les  efpèces  de  foibleffes  ^  de  vices  ^  de  folies    t^.Diffiiutjai, 
même  a  quoi  un  particulier  eft  lujer,  il  n  y  en  a  aucune  dont  DémQctm^^ 
une  aflemblée  nombreufe  ne  foit  fufceptible*  Qu'il  fait  beau 
voir  une  multitude  ignorante  décider  de  la  paix  &  de  la 
guerre ,  &  difpofer  des  places  au  gré  de  fes  caprices  &  de 
ies  emportemens  ! 

ia)  Cicrr,  Off.  Lih.  f .  Cap.  25. 

ib)  Majoribus  Pra/idiis  ac  €0])iis  oppngnaZuT  RepulUca  ^  quam  iefendhur.  Ccer^ 

Ttij 


5j»  SCIE  NCET 

Dans  les  Etats  populaires  >  les  efprics  bornes  qulfenc  tour- 
jours  le  plus  grand  nombre ,  regardent  toute  efpèce  de  fupc^ 
xiorité.  comme  contraire  à  la  Conflitution  du  Gouvernement;^ 
Ils.  ne  foufFrent  quavce  impatience  que  des  particuliers,  âfe: 
moins  encore  des  familles,  entières  ^  s'attirent,  plus  de  confi— 
dcration  que  les  autres,  tls  trouvent  qu'ils  ceffent  d'être  Itr- 
bces  y  dès  qu  ils  ceffent  d'égaler  quelqu'un  de  leurs  conci- 
toyens. De- là  font  venues  ,^  en  quelques  Républiques,  lea^ 
Loix  qui  renfermoiènt  dans  de.  certaines  bornes  ,  l'étendue: 
des.  terres,  qu'on  pouvoir  pofféder  y  aulli  bien  que  le  com--- 
merce  qu  iLétoit  permis  de  faire.. 

Dans  une  Monarchie,  il  fuffir  de  plaire  au  Prince  ;.  maî^ 
dans  une  République ,  il  faut  plaire  à  la  multitude ,  ce  qui  eft 
finon  impoffible,  au  moins  d'autant  plus  difficile  que  la  nai£- 
lance,  les  biens,  les  honneuts,  &  la  vertu  même  attirentr 
fouvent.  des  ennemis  (^)^  D'un  autre  côté  ,  il  n'y  a  point  de 
joug  que  les  Grands  ne  veuillent  bien  porter  plutôt  que  dor 
dépendre  du  peuple ,  &  d^être  obligés  de  lui  faire  la  cour 
pour  obtenir  les  emplois,.  G'eft  par  cette  raifon  que  le  Gott- 
iternement  Démocratique  eft  toujours  de  peu  de.  durée  dans 
les  Etats  où'  il  fe  trouve  beaucoup  de  Nobles; 

De  mauvais  fujets  font  fouvent  chargés  de  l'adminiffratio» 
des  affaires  publiques  ,  tandis  que  des  gens  de  mérite  en  font: 
exclus..  Le  peuple  élève  aux  Magiftratures  les  Citoyens  lesu 
plusfcmblablesà  lui  ;&  c'efl  fouvent  une  marque  de  mérite 
que-  d'en  recevoir  de  mauvais  traiteracns.  Il  veut  s'épargner 
b  mortification  de  voir  plus  de  talcns  en  autrui  qu'il  n'en  ». 
ki-mcme  ;  il rallentit  lardcur  des  grands  génies  &  anéantie: 
fe  mérite,  en  éloignant  les  récompenfes  qui  animent  à  L'àc— 


D^  0  G  OXTV  E  K  N  E  M  E  N  r.  j^^ 
^érirf,&^n  expfofent  à.  des  inlultes  qui  ïe  rendent  dange- 
«ux..  Un  Etat  populaire  porte  fouvent  les  précautions  juf- 
qui  ^ingratitude  &  à  Finjuftice*-  On  conferve  quelquefois 
•^lanS'lafplendeur  les  hommes  d'un  mérite  diftingué^  pendant: 
•out  le  tems^quïls  peuvent  fcrvir  de reffources  pourries  be^ 
.-fcins  preffans*  La  néceflité  eeffe-t-elle  l  J^eur  élévation  .d?-^ 
-vienc  iufpeéle  8c  hue  grandeur  odieu£^>^9a€heIXIhç>àia& 
détruire-  •'    ^..:•^. 

Le  gouvernement  populaire  donne  lieu  ^^  encore  plus  qac 
te  gouvernement  Ariflocratique,  à  des  faftipns,  à  des  ca- 
bales y  à  des  brigues  pour  les  éle£tions..  L'intérêt  particulier 
^fl  plus  cortfultd  par  ceux  qui  gouvernent  que  rintérct  pur 
J^lic;  La  lenteur  desdélibérationsefl  un  grand  inconyén;^iir 
danS'  les  dangers  de  l'Etat ,;  &  personne  n'apporte  à  ces  délir- 
bératicms-  le  même  efprit ,  le  même;  jugement  >.  la  même  pn*. 
dence  que  chacun  a  pour  fes  affaires  particulières-,  ibicpiar'- 
ce  qu'on,  ferepofe  fur  les  autresdufoin  des  aflàires  cpramur 
iies ,  foie  parce  qu'on  s'intèrefTe  toujous  moins^à  lachofe  pui*r 
Jblique  qu'à,  l'affaire  perfonnelle^ 

Le  peuple  ne  rendjuftice  au  mérite  que  par  câprîccr^  Tou-* 
p)urs  amoureux  de  la  nouveauté ,  il  accable  à  la  fin  ceux  quiï 
avoit  élevés  au  commencement.  Egalement  prodigue  de  les 
feveurs;  &  de  fes  difgraces  >,  il  ell  capable  de  donner  en  un- 
moment  dans  les  deux  extrémités  du  bien  &  du  maL  Ilfaic 
fens  cefTe  des  projets ,  fans  en  exécuter  aucun.  Il  ne  peur  ja- 
mais demeurer  longtems*  dans  le  parti  qu'il  a  choifî>  parccr 
qui!  ne  fijait  pas  la  raifon  qui  l'y  a  fait  entrer..  Il  fait  tout 
Éins  Religion  >  fans 'ménagement  ,.ians  bicnfeance- 

Phocion  ,  haranguant  un  jour  le  peuple^  &fe  voyant ap-'  ' 
plaudi  de  toute  rafFcmblce^  demanda  froidement  à  kssxûiSp. 
s*il  avoît  dit  quelque  extravagmcc^ 


554  SCIENCE 

Ciceron,  qui  avoir  vu  une  infinité  d'aflemblécs  du  peuple 
'  &qui  étoit  obligé  de  s^exprimer  avec  quelque  circonfpeâion 
fur  les  défauts  de  la  multitude  >  Ciceron,  dis-je ,  ne  nous 
donne  point  d^autre  idée  des  Etats  populaires  que  celle  q^e  je 
préfente  ici.  Selon  lui ,  les  plus  dignes  d'un  emploi,  ne  font 
jpas  ceux  qui  Tobticnnenc  ordinairement  à  la  pluralité  des 
* voîXi  II  j  va  de  mon  honneur  (  difoit  un  Romain  )  quon  dit 
donné  U  frcfcrena  À  un  autre ,  pour  une  Charge  que  nous  de- 
mandions tous  deux  au  peuple.  Je  vous  croirois  plus  flétri  (  lui 
répond  Ciceron  ^fi  dix  hommes  fages  &  jufles  vous  avoient 
trouvé  indigne  de  cette  Charge  ,  que  Ji  toute  rajfemblèe  du  peur 
avoit  fait  de  vous  $e  jugement  {a).  Le  peuple  ne  juge  pas  tou- 
jours dans  fes  affemblées ,  il  choific  fouvenr  par  faveur ,  il  cè- 
de aux  prières ,  il  préfère  ceux  qui  ont  le  plus  brigué*  S*il 
•juge ,  ce  n'eft  point  par  choix  ou  par  lumière  ,  c  eft  par  im- 
pétuoficé  &  par  boutade.  Il  n*y  a  en  lui  ni  confeil ,  ni  raifon , 
ïiî  dïfcernement ,  ni  application,  ni  cxaâitude,  &  les  Sages 
ont  penfé  qu'il  falloit  toujours  fouffrir ,  mais  non  pas  tou- 
jours louer  ce  qu'il  faifoit  (^).  Un  peu  après,  Ciceron  com- 
pare Taffcmblée  du  peuple  aux  flots  de  la  mer  excités  par  des 
tempêtes  fubites  qui  les  pouffent  d'un  côté  &  les  éloignent 
de  Tautre ,  &  il  remarque  qu'on  a  très- fou  vent  vu  avec  un  pa- 
reil étonnement ,  qu'un  tel  étoit  préféré  &  qu'un  tel  ne  i'étoit 
jpas  (^).  Il  dit  ailleurs  ,  que  le  peuple ,  auteur  de  la  préfé- 
rence ,  s'en  étonnoit  quelquefois  lui  -  même.  Il  s'y  mocque 
de  ceux  qui  s'imaginoient  que  lorlque  ce  peuple  s'étoit  con- 
duit une  fois  d'une  certaine  manière ,  c'éroit  de  fa  part  un 
engagement  à  fuivre  toujours  la  même  lOMlt.Maisou  eft  Œtê^ 

(ff)  Gcer.proPlanâOf 

ib)  Ibil 
(0  lbi(L 


DU  GOUVERK  KM  E  N  T.  Jjy 
npe'f^  dit-il  ,  qui  foit  fi  fujct  du  flux  &  au  reflux  l  Un  délai 
dTun  jour  renverfe  toutes  les  mefures  qu'on  avoit  prifes ,  un. 
feruir  répandu:  en  fait  autant;  &  fouvent ,  fans  que  Pon  lâche 
pourquoi  ^  le  peuple  change  du  blanc  au  noir  (if).. 

Les.  Gouvernemens  compofés  ont    tous   les  inconvé--  4o.D<&utiaèt 
niens  des  formes  dont  ils  font  compafcs.  J'ai  dit  dans  la  pré-  ^^^"^ 
çcdente  Sedion  qail  y  en  a  de  deux  fortes  >  &  je  donnerai 
ici  des  exemples  tirés  de  Tun  &  de  l'autre.. 
.   Pour  la  première  efpèce  ^  qu'on  voye  ce  que  c'efl:  que  Taf-^ 
femblage  du  Royaume  de  Pologne  &  du  grand  Duché  de 
Liihuanie;  &  celui  du  Royaume  de  la  grande  Bretagne  avec: 
Ife  Royaume  d'Irlande;. 

Les  inconvéniens  des  Gouvernemens  compofés  de  la  fe«- 
conde  efpëce  font  extrêmes.  Pour  le  comprendre ,  il  fuflît  de^ 
confidérer  quelle  feroit  la  force  du  Corps  Germanique  ,  & 
une  feule  tête  le  gouvernoit.  Il  n'efl  point  d'Etat  dans  l'Eu- 
rope à  qui  il  ne  pût  infpirer  de  la  terreur ,  mais  la  forme  de- 
Gouvernement  qni  y  eft  reçue,  l'afîoiblit  infiniment,  &  les: 
malheurs  qui  l'ont  accablé  à  l'occafion  de  la  guerre  excitée^ 
par  les  diverfes  prétentions  à  la  fucceffion  de  Charles  VI  y, 
guerre  où  l'Empire  fe  déclara  neutre ,  &  le  fut  dans  fa  pro^- 
gre  caufe  ,  en  font  une  preuve  bien  récente*. 
.  On  connoitra  tous  les  défauts  des  Gouvernemens  com-- 
pofés,en  s'inftruifant  de  ceux  des  Gouvernemens  irréguliers. - 

A  en  croire  les  partifans  des  Républiques,. les  prérogatives   si<DéfiD»Mv 
dû-Prince  >  des  Grands,. &  duPeuplê,iont  fi  bien  tempérées uï^g^Sw.. 
Ifes  unes  par  les  autres,  dan  s  les.  Gouvernemens  que  nous- 
avons  appelles  irréguliers ,.  qu'elles  fe  foutiennent. mutuelle-- 
ment..  A  s^n  rapporter  au  fentiment- des  £anifans  de-lâi 


3315  SCIENCE 

Monarchie,  ces  prérogatives  s'entrechoquent  &[s'entredé- 
cruifent* 

Du  mélange  de  deux  Bqueurs  faïutaîres^  il  peut  rè&lter 
un  poifon,  &  il  eft  aufli  des  antipathies  dans  leschofes  nuH 
xale&p  L'union  de  la  Monarchie  &  de  T  Ariflocratie  produit 
hs  plus  grands  maux.  Tant  qu'on  fe  formera  une  idée  fauffe 
4de$pa(fions  du  cœur  humain^  on  pourra  trouver  dans  la  théo* 
rie  quelque  point  où  le  Prince  &  fes  fujets  n'auront  que  le 
même  but  ^  &  en  ne  faiiant  qu'une  même  chofe  du  comman* 
dément  &  de  l'obéiflance  ^  par  le  partage  de  l'autorité  fou- 
veraine  ;  mais  dans  la  pratique ,  tour  cet  édi£ce  fe  détruit  cfe 
lui-même.  Cette  union  qui  dcvoit  donner  à  tout  l'Etat  un 
même  intérêt  &  une  même  fin ,  fe  changera  en  une  divifion 
fiinefle  ^  à  moins  qu'on  ne  luppofc  un  peuple  dont  chaque 
citoyen  foit  Philofophe ,  ou  qui  (bit  gouverné  par  un  Prince 
dont  la  politique  foit  encore  plus  habile  à  donner  des  vertus 
à  fes  Sujets,  que  l'éloignement  qu'ils  ont  pour  être  gouvernés^ 
fiTefl:  capable  de  les  rendre  méchans. 

Dans  ces  Gouverncmens  irréguliers ,  la  fuprcme  puîflànce 
cft  partagée  à  deux  ou  à  trois  ,  &  fou  vent  à  quatre  ou  à  cinq 
ordres  de  perfonnes.  Ils  font  par  conféquent  contraires  au 
premier  principe  de  gouvernement  qui  eft  l'unité  (a). 
'  Quelques  Nations  fc  glorifient  d'avoir  donné  à  leur  Prince 
toute  l'autorité  néceflaire  pour  faire  le  bien,  fans  lui  laiffer le 
pouvoir  de  faire  le  mal.  Elles  difent  que  la  Souveraineté  étant 
partagée  entre  le  Roi ,  les  Nobles ,  &  le  peuple ,  entre  un 
ieul ,  plufieurs  ,  &  la  multitude  ,  le  peuple  ne  gémit  pas  dans 
la  fervitude  ^  &  n'abufe  pas  non  plus  de  fa  liberté  ;  &  qu'une 

(a)  Voy«2  le  Oiapkrc  II  du  Traité  du  Diok  Public,  où  il  cil  prouvé  que  Ib 
Souycraioetc  ne  peut  eue  panagée* 

puilfance 


DU    G  O  tJ  V  2  H  K  E"M  E  N  T.      ^37 

jjjûîflfence  écAOt  balahtëe^»  Pautre,  elles  demeurent  toutes 
V  dam  un  jufte  équilibre  ;  mais  quand  on  veut  pénétrer  lefens 
de  ces  paroles  j  on  eft  étortné  de  n'y  en  "point  ïroirvet.  lleft 
împoffiblc  de  conferver  Tharmonie  d'un  tel  corps.  Le  ttïélan- 
ge  de*  qualités  contraires  détruit  prefque  toujours  le  fijjet  qui 
en  eft  compofé. 

Les  différentes  puiflâSncCs  d*im  cofps  irriégulier  fofit  àes 
^efforts  pour  en  ufurper  le  pouvoir  abfolu.  Le  Roi  ^  les  No- 
bles*, fe  Jes  communes  sV)ccupeftt  continuellement  '<iu  foin 
de  renvcrfer  la  balance  qu'ils  paroiffent  vouloirétabliiv  i.'E-. 
tat  irrégulier  reffemble^  ufi  vaiffeau  battu  de  vents  xotttrai-^ 
ires  avec  uiïe  gnmde  voile  &  fans  gouvernaik  Leis  *divcr« 
pouvoirs  qu'on  y  voit  indépendans  les  uns  des  autres^  Yie 
^retracent  pas  mal  l'indépendance  où  les  Souverains  vivent 
«entre  eux  ;  &  les  mouvemens  de  l'Etat ,  les  voyes  de  fak  q^e 
les  Souverains  employent  les  uns  contre  les  autres  parce 
/^qu'ik  n'ont  point  de  fupérieur  commun* 

Il  eft  -difficile  de  trouver  le  point  d'équilibre  que  chaque 

Tuifïance  femble  chercher  j^  8t  encore  plus  difficile  de  s'y  te* 

nir ,  lorfqu'on  l'a  trouvé,  De-là  viennent  que  *ous  cc$  tîoit- 

vernemçns  irréguliers  inclinent  toujours  phis  v«:sXMieïbrme, 

♦qu'ils  ne  tiennent  de  l'autre.  Rome  >  3lépubliqufe^^  |5ettchà 

«tour  à  toirr  vers  FArifk)cralie'&'vers  la  Dcttodratie^  La  Ré- 

lïHiblique  de  Carthage  œnoit  pkade  l'Ariftocratie  que  de  la 

Démocratie.  L^ Ariflocratie  prédomine  ^uffi  dans  le  Corp* 

<Gerraafiicpie  &  en  Pologne.  Le  Gouvernement  de  la  Gran* 

xie-Bretagne  ,T)ar  Fautorité  de  la  Chambre  des  Communes  ^ 

iparoît  tendre  à  Ja  Démocratie. 

Suppofons  que  la  ^puiffance  d'un  Etat  ïbît  de  dix  degrés  || 
'J^^me  1%  y  V 


^^%:  $  C  l  E  N  G  E^ 

^ue  lé  Monarque  ne  foit  dépoiitaire  que  de  cinq ,  que  feNbf^ 
Vleficenair  deux ,  &  le  peuple  trois  :  il  fera  moralement:  im;- 
poffible  que  les  trois  ponions  de  ce  pouvoir  ne  reçoivent 
dtçrOfitLvement  quelque  atteinte.  Tantôt  un  audacieux  aura;. 
lemoyen.de  réunir  les  Grands  &  le  peuple  ^  on  répandra  du. 
fang,  &le  Monarque^  ou  les  Grands  &  lepeuple.ferontopprir. 
u\a^s.  Quelquefois,  le  Monaïque  s^'attacheraJcsGxands.par'fes-^ 
faveurs ,  Se  le  peuple  cntreca enfureur^Dautces^circonflances. 
réuniront  le.  Roi  &  le  peuple ,  &  voilà  la  Nobleffc  dans  les: 
fers..  Qu'on  ne  dife  point  que  le.  dépofitaiie.  de  cinq  degrés^ 
D-aquà  fcL  renfermer  dans  les  bornes,  de  fon pouvoir  :  le  peu^ 
pic  en  wudra.  avoir,  quatre,  &  la  NobleiTe  trois  ^  il  faudra 
jque  !e  Monarque  intervienne  avec  les  cinq  degrés ^  &par  la- 
parti  qu'il  fera  force,  de  prendre ,  la  chimérique  balance,  s'ér- 
Yanouira.. 

.    E(i  un  mot ,  le  .partage. dé  là  Souverainetés  eftiuv  principe 
ncceffàire  d'altération  Ôc  de  maladie.  Xoin  de  mettre  unéqui^- 
libre  entte  les  Puiflances ,  il  en  caufe  le  combat .  perpétuel  ,,. 
jufqu'à.  ce  que  l'une,  ait  .abattuiks  .autres  ,  &  qu!elle  ait  tout 
.riduit  au  Gouvernement  Monarchique  ou  à  l'Anarchie.  Le 
Politique.  Romain  a  ^a  raifou-»de  dire,  qu'il  efl  plus  ailie  de- 
Ic'uer  que.  d'établir,  une.  former  de  Gouyernemenc  compofécr 
de  ce  qu'il  y  a  de.  meilleur- dans  les-  trois  formes ,.  mais  quor 
quand  elle,  feroir  poflible  ,  elle  ne.  £ourroit  fubfiiler.  longj- 
jtems  (a):*  . 


IDV    G  0  17  V.Ê  R  N  EvM  E  N  T^       j^jjr 

Section    I  V* 
Quelle  ejt  U  meilleure  forme  de  Gouvernemen^t% 

Les  Etats  font  moins  puiflans  par  leur  dtenàûe,  par  le    «.  t)r«ctiiié^ 
«lombre  de  leurs  troupes ,  par  la  force  de  leurs  frontières  ,  ^cacQucftiom 
<juc  par  leur  Conftitution  :  ainfi  la  ^jueftion  de  fçavoir  quelle 
«ft  la  meilleure  forme ,  e'eft-à-dire  quelle  efl:  la  plus  propre  à 
procurer  l'avantage  des  Etats  &  la- moins  fujette  à  des  in* 
convéniens  ^  eft  une  queïlion  très-importante^ 

Elle  a  été  traitée  par  plufieurs  Ecrivains  (4)  ,  -&  le  plus 
.:grand  nombre  Tadécidéepour  la  Monarchie  (/>);mais  on  peut 
la  regarder  comme  un  problème  encore  abandonne  à  la  difpu»- 
te  des  hommes.  La  plupart  de  ces  Ecrivains  vivoient  dans  des 
Etats  Monarchiques ,  &  on  peut  les  recufer.  Lorfqu  on  efl 
trop  loin  d'un  objet ,  on  ne  le  voit  que  confufcment  &  rare- 
ment  tout  entier.  Quand  on  en  eft  trop  près ,  on  ne  voit  que 
Jui ,  il  ofTufque  la  vue ,  &  Ton  ne  peut  le  comparer  avec  les 
•autres.  Ce  ji  efl:  que  dans  une  jufle  diflance  qu'on  peut  cfpc* 
rer  d^éviter  Tun  &  Tautre  de  ces  inconvéniens.  Ce  milieu 
raifonnabfe  entre  deux  extrémités  également  vicicufes ,  où 
Je  trouver  ?  Pour  être  juge  compétent  de  la  queflion  propo* 
fée,  il  faudroit  être  placé  entre  les  différentes  formes  de 
Gouvernement ,  fans  ctreaifujetti  à  aucune  ;  mais  le  fort  qui 

(a)  Hérodote  ;  Thalie  ;  Plutarque  ;  'Agnppa  de  vànitate  fcîentîirum  Cap.  yy, 
■paffendorfFtfe  Jure  narurali  &•  gentium ,  Ub.  7.  Cap.  Jr.  Denis  d'Halicamailè  Lib.  4% 
Dion  CafSus  Lib.  5^2.  Hobbes  de  Imperio  Cap.  10.  de  in  Leviath,  Cap.  ip*  Bodin  ^ 
.Républ.  pag.  71  j.  Barclay  ,  Argenis  Lib.  i.  &  plufieurs  âutreJ. 

^b)  Homète  Iltad.  IL  Herodoc.  Lib.  j.  Euripid.  dans  Ardromaque  Verf.  470W 
.Platon  dans  fe^  Politiques  ;  Ariil.  Polit.  Lib.  t.  &  4.  Xdnophondans  la  Cyropé* 
vdie  ;  Senec  de  Benef  Ub.  ^- Cap.  lo,  Héfîod.  Maxime  de  Ty r  ;  S»  Jérôme  ^  S.  Cy% 
jftkaiJS.  Xhonuu  i  ^ajlc;.&j^luâeuiiauue«« 

Vvij 


j4*  SCIENCE 

nous  attacLç  à  Tune  ou  aux  autres,  par  les  Iîënst)u  dé  la  i 
naiffance  ou  de  la  fortune  ,  ne^nous  pcxmet  pas  de  demeurer  : 
neutres. 

On  eft  cependant  obligé  de  dfre  fon  opinion- ,  lorfqu'on  a  : 

entrepris  de  difcuter  toutes  les  matières  de  Gouvernement»  - 

Je  vais  donc  examiner  cette  grande  queftion,  &•  je  penfe 

que,. pour  le  faire. avec . fruit  >  il  eft  néceflaire  de  faifu-  dV  - 

bord  quelques  idées.  . 

»s.€c  luccvft      De  tous  les  attributs  delTlomme ,  iln^eheft  point  qui  luî  • 

ît«%^urdtVen  loit  plus  précieux  ni  qui  en  foi-même  Toit  plus  grand  que  la  : 

pï^«k  raifon  J&  liberté.  Elle  eil  Tappanage  de  la  créature  raifonnable  *  les  . 

^-tft.  fc  tromper         ,  .        ,  il-  J     T  T  1        r  . 

^c  dr  croire  ao^maux  qui  aont  pas  la  Jumiere  de  la  raiion  *  les  fous  oui  \ 

«jy'on  n'cft. point  l  *.  '  1 

ïO^vçfoui^Gpu-  rcjQt  perdue  ,  les  cnfans.en  qui  elle  ne  fé  développe  pas  en-  - 
core  j.  n  y  participent. point».  Elle  eft  Tunique  principe  du  me-  - 
rite  &  dUdémérite  deS:  Jiommcs ,  la  véritable  fource  de  Teftî-  - 
me  qulls  prétendent  .&;  de  la  honte  quils  craignent ,  le  feul  î 
fondement  des  récompcnfcs  quils  peuvent  efpérer,  oudes .. 
ch^timens  qu'ils  ont  à  redouter. 

La  liberté  proprement  dite  eft  la  puiflance  dé  faire  ce.  * 
quon  veut ,  &  de  s'ahûenir  de  ce  qu'on  ne  veut  pas*  Ceft, 
Tafle   de  la  volonté  ,. en:. tant  quil  n'eft  gcnc  par  rien  ,  & 
qu  il  a  fon  plein  effet*.  Mais  j  dans  un.  fens  moins  étendu  & 
Ciwnme  on  rentend. ordinairement.,  la  liberté  eft  la  faculté  de  • 
choifir  ce  qui  parciHe  plus  grand  bien ,  ou^de  rcjetter  ce  qui  ^ 
femble  mauvais ,  au  moment  de  la  délibération.  Il  n  eft  pas  , 
nécef&ire:  d!examiner  en  quoi  cette  faculté ,  dépend,  du  juge- 
ment,. &•.  comment  elle  fait. partie  de  la.- volonté.,  ilfujQSt  de,, 
montrer  que  là  liberté  ne  perd  rien  defes,  droits  y.  &  qu'au., 
contiaiicelleacquien:  fa  plus  grande  perfeftiony  quand  nôtre- 
choix  fuit  e^âÊlemenr:  le^.  lumière,  de.  la,,  railbn ,  &  cck.cifc 
ijSi  à  établie,^ 


DU    GO  U  V  E  R  N  KM  E  N  T.      54^ 
lies  Romains  parlant  de  la  libené  en  général ,  ont  dît  que 
défl:  la  faculté  de  faire  tout  ce  qu'on  veut ,  fi  ce  n'eft  qu'on 
en  foit  empêché  par  la  force  ou  par  la  Loi  (a).  Dans  une 
fociété  oùJl  y.  a  des  Loix  y  la  liberté  ne  peut  en  effet  confif- 
ter  qu  à  pouvoir  faire  ce  qu'on  doit  vouloir ,  &  à  n'être  point 
contraint  de  faire  ce  que  Ton  ne  doit  pas  vouloir.  Tout  le 
jppuvoir  effréné  d'agir  au  gré  des  paffions,  ne  fe  trouve  dans  ' 
aucune  fociété  civile.  -  Ofer  au  préjudice  de  Tordre  &  en  ren- 
verfcmient  des  Loix ,  ce  feroit  une  licence  odieufe  ^ .  une  foi*  - 
blefTe  extrê  me ,  une  véritable  fervicude  (h).- 

Lorfque  nous  fuivons  les  lumières  de  la  raifon ,  nous  ^ 
nous  procurons  ce  qui  nous  cfl  véritablement  plus  avan- 
tageux y   8c  puifque   la  liberté    confifte  dans    le  pouvoir  ' 
qua  notre    volonté  de  fe  porter  à  un-' objet  ou   de  ne 
s'y  porter  pasr  ,  un   homme   n'efl    libre  qu'à  pirôportion  » 
que  la  raifon  le  conduit.  Alors  c'eft  lui  qui  fe  détermi-- 
ne  j  c'efl'lui  qui  choifit  ^  c'cft  lui  qui  eft  fon  maître ,  parce  * 
qu  il  fait  ce  qu'il  veut  &  ce  qu'il  a  diflinftement  connu  être  ' 
fon  véritable  bien  :  au  lieu  que  dès  que  nous  vivons  fousTEm- 
pire  des  paffions  ^  le  diicerncment  de  ce  qui  nous  efl:  plus  - 
avantageux  devient  impoflible.  Leur  yvreffe  confond  toutes 
nos  idées,  &  leur  violence  nous  entraîne  malgré  ce  qui 
nous  relie  encore  de  lumières  pour  nous  retenir.  L'ambitieux^^-i 
l'avare ,  le.  débauché  ,  font  de  véritable  efclaves^^ 

Expofés  comme  ils  le  font  à  cet  inconvénient ,  les  hom^ 
mes  ont  befoin  de  trouver  hors  d  eux-mêmes  un  frein  qui  les  -- 
retienne  ,  &  ils  le  trouvent  dans  les  Loix.  Leur  aucoritéii'efl'^ 
pas  un  joug  pour  les  fujets,^  mais  une  regk  qui  les  conduit  ,.. 
un  fecours  qui  les  protège  y  une  vigilance  paternelle  qui  ne 

(a)  Lîbercai  ex  qud  étiam  lileri  vocamut ,  efl  Maatralis  facultas  ejus  quoi  cuîquêf 
ficert  licety  nijiji  quid  vi  aux  Jure  prohibeatur,  J.  /.  Inftit*  de  Jure  perJonATum^ 
i^T)  Jn^cni  jçliuiquc  &  magis  Jm  dfmino  guam  ialibnt  ^rc«  T^çiu- 


:54i  -S  <:  I  E  JJ  C  E 

Vaflurc  de  la  foumifTion  des  Ibjets,  que  parce  quVIIe  VaDûré 
leur  tcndroflc.  C  eft  un  genre  de  dépendance  qui  ne  doit  ja- 
mais cefler ,  c'eft  le  fondement  du  repos  public  &  du  bon-^ 
lieur  de  chaque  particulier.  Quelque  prccieufe  que  Toit  la  lU 
bertcaux  hommes,  elle  leur  devicndroit  bientôt  nuiiîble,  fî 
la  fociété  où  ils  vivent  n  en  rcgloit  Tufage.  Us  trouvent  dans 
Jes  Loix  ,  des  décifions  faites  par  une  raifon  tranquille ,  état 
où  rarement  la  leur  fe  trouve.  Leur  rigueur  falutaire  redou-* 
!ble  les  forclos  de  chaque.cîtoyen ,  aulieu  de  3es  afFoiblir»  On 
iOe  nous  prive  pas  de  notre  liberté  ,  quand  on  fixe  les  mou- 
vemens  de  notre  cœur  Çc  qu'on  donne  à  la  .volonté  des  règles 
fages  qui  la  déterminent  au  bien  général  de  la  fociété,  &  qui 
du  bien  général  font  naître  le  bien  particulier.  Les  Loix  éta- 
blies pour  prévenir  &  pour  punir  le  vice  ,  laifïent  toute  la  li- 
berté à  la  vertus;  elles  confervent  aux  hommes  la  force  de  la  lî^ 
berté  ,  8c  les  empêchent  de  tomber.dans  la  foiblefle  de  la  li- 
cence. Ceft  conferver  la  liberté  des  hommes  ,  c'efl.la  défen- 
4re  &  non  la  détruire^  que  de  leur  prefcrire  des  règles  de 
/Conduite.  Obéir. aux  Loix ,  cen'efl  jpas  être  efclave  des  Loix, 
c'efl  être  affranchi  despaffions* 

Qu'il  eft  difficile  de  ne  jpas  abufer  de  la  liberté  !  LTiomme 
a.été  obligé  ,  pour  Tamour  même  qu'il  a  pour  fçs  droits  na- 
.turels ,  dt  les  dépofer  en  des  mains  qui  les  lui  confervaflcnt 
j8c  qui  îempechaOent  d'pn  abufer.  Que  fcroient  devenus  nos 
Anccçres  ,  fans  les  focictcs  civiles  qu  ils  formèrent  ?  Ils  k 
feroient  fait  la  guerre  :  vainqueurs  ,  ils  auroient  été  des  ty--- 
rans  ;  vaincus  ,  des  jefdaves.  Parmi  fes  droits  ,  ITiom^ 
me  compte  celui  de  fîiire  des  conventions  «xvec  d'autres  hom^ 
jnoies  ,  de  déroger  jufqu'à  un  certain  point  à  fa  liberté  natu^- 
isfdie,  &  de  s'affujettir  à  des  règles  qui  lui  afliirc;nt  la  maniéi^ 


t)  rr  G  O  Û  V  Ê  R  NE  M  E  N  T.  3(45 
îJb  vivre  donr  il  fait  le  choix  ,  fujét  à  faire  dû  mal,  &  à  en« 
fouffrir  de  la  part  des  autres? ,  il  eonttade  avec  eux ,  afin  de^ 
k  mettre  à^  l'abri  dcsr  injuftices ,  &  de  s'empêcher  lui-mcmef 
d'en  commettre.  Cefl:  ce  qui  forme  les  Loix  civiles.  Elles; 
fbnt  fondées  fur  le  droit  de  la  nature ,  &  quoiqu'elles  puif-» 
fcnt  empêcher  le  particulier  d'exeircer  tous  fes  droits  natu-* 
Tels  ,  elles  ne  laifïentpas  d'être  juftcs,  parce  quon^peùt  ref-- 
tj-aindre  les  droits  de  la  nature  y  par  k  crainte  d^ênabufer,. 
&  pour  s^aflurer  l'ufage  légitime  qu'on  en  veut  faire  :  ainfî  les- 
tioix  civiles  ne  paroiflentrnous  priver  du- Droit  naturel,  qutf 
pour  nous  en  faire-jouir.  plus  fûremenr.> 

Dieu  &  la  raifbn^nous  obligent. d'obéir  aux  Souverains ,  8i 
€'eft  à  Dieu:  &  khc  raiforr  qu'on,  obéit  plutôt  qu'aux  hommes 
quand  on  obéit  aux  Souverains.  Qu'y  a-t-il  de  plus  conforme 
à  l'ordre  que  la  Providence  a  étabK>iju^a-t  il  de  plus  raifon-i 
nablè,que  d'obéir  à  ceux  qui  exercent  fur  nous^  pour  notre 
propre  bien ,  une  autorité  légitime  &  réglée  par  les  Loix  ?• 
Tout  excès  de  liberté  eft  licence,. &  la  licence  eft  le  renvcr-^ 
fcmentde  la  liberté.  > 

Qui  pourroit  être-  appelle  libre,  fi  l'on  cefFoit  de  l'être" 
]pour  être  foumis  à  l'ordre  !  Les  Rois  eux-mêmes*  ne  le  fe^ 
roient  point (f)..Lesrbons  Rois  ne  reconnoiflcnft-ils  pas  l'au^ 
torité  des  Loix  ?  Les  Rois  politiques  ne  font-ils  pas  aflujettisw 
à  l^intérêt'  de  leur  Età5  l  Les  Rbig  les  plus  abfolus  ne  font* 
ils  pas  affujettis  à  l'ordre  du  Gouvernement?  Tous  les  Princes* 
ne  doivent-il  pas*  être  fbumis  à. la  juflice ,  &  ne  font-ils  pas.^ 
dans  là.  dépendance  des  engagemens  qu'ils-  prennent  &  pa5. 
leurs  Loix  &  avec  leurs  alliés  ?:Ne  dépendent -ils  pas  de 

(€)  Vojcz  les  réflexions  que  j*ài  faites  à  ce  iujct  dkni  le  fécond  Chàpître  du  Droîir 
des  Gens ,  au  texte  à  la  marge  du^i)^l  eft  ce  Sonuxuike  ;  Manifejcs  gue  Us  PrUta^» 


5^  SCIENCE 

^ous  leurs  fujcts ,  dans  le  même  fens  que  les  maîtres  dépoli 

;dciit  de  leurs  domeftiques?  Jous  les  hommes.,  lans  en  cx-^ 

/cepter  ceux  qui  gouvernent.,  ne  reccmnôififem-ils  pas  Tem^ 

pire  des  bienleances?  Quçleft  Je  lieu  iur  la  terre, pour  le 

dire  en^un  mot,  où  les  hommes  ne  ticnnem  pas  à  certains 

liens^  &  où  il  n*y  ait  pas.Mi>e  fubordination  qui  efl  tout  à  la 

fois  Çc  nécef&ire  &  unie ,  &  qui  les  mçt  indifpenlablemem; 

dans  la  dépendance Jes  uns  desautres? 

Il  faut  donc, rejetter  comme  une  erreur  populaire  cette  opî- 
^nion  qui  n'eft  que  trop  généralement  répandue ,  qu*onrfeft 
point  libre  fous  un  Gouvernement.  Tout  ce  que  certains  au^ 
:  teurs  débitent .  au.fujet  de  la  liberté  &  .de  Tefclavage.,  ?n*e{l 
quune  vaine  €c  téméraire  déclam^ioa.  Ce  font  de  grands 
mots  que  Tart  prjitoire  fera  toujours  vgloir  auprès  des  efpriO 
fuperficiek  ou  de  mauvaife  humeur ,  mais  doqt  les  Sages  coiv» 
.noîtront  toujours  le  prix  dansia  précifion  conven;dble.  Laili» 
•bertéj  dans  l'étendue  qu'on  voudroic  lui  donna:,  eft,unç 
fChimère  dont  les  hommes  ne  peuvent  jouir  ,-&  dont  il  ferok 
pernicieux  qu  ils  pufTent  jouir.  Les  fers  font  durs  à  porter, 
,dit-on,xeft;Une  cxpreffion  poétique  qu'on  emploie  d'ordi* 
naire  en  amour  ,  &  dont  les  Citoyens ,  fous  uh  fagc  Goup 
jvernement ,  ne  doivent  pas  êtreplus  effrayés  ,  que  leç  amans 
ne  le  font, à  Cyrhère. 
'^.conUéTU     ^^^  ^^^^^  opinion  qui  rfeft  ni  moins  générale  rti  moins 
-ïr£^^^^^^^^^  c'eft  celle  quVn  a  des  anciennes  Républiques  ,  donc 

'm^rdxnèé^'  on  çrok  que  le  Gouvernement  étoit  fort  heureux.  X>es  Livret 
*^^^'         font  pleins  des  éloges  qu'on  leur  a  prodigués ,  mais  dans  les 
îSaêmôS  endroits  ,  nous  trouvons  dos  faits  qui  démentent  C9$ 
^éloges.  Les  diqmmes  d'aujourd'hui  font  trop  vivement  frap- 
jpés  4e  ce  qui  js'eft  jpaflc  j)açmi  les  Grecs^  moins  libres  gii'ir> 

^QcUes; 


DU  GOUVERNEMENT.  345 
dociles.  La  haute  opinion  que  nous  avons  de  cet  ancien  peu- 
ple nous  féduit ,  &  nous  fait  regarder  ces  anciens  gouverne- 
mens  comme  merveilleux.  J'ai  tâché,  dans  un  aytre  endroit 
(a)  ,  de  détruire  cette  opinion  qui  me  paroît  pleine  d'erreurs. 

Pour  parler  devénemens  moins  éloignés  ,  fixons-  nous  à 
deux  Républiques  célèbres  parmi  les  Gouvernemens  mo- 
dernes. 

Quel  ell  le  pays  de  l'Europe  où. Ion  paye  autant. d'impôts 
qu'en  Hollande  ?  Le  mot  feul  de  liberté  fait  tant  d'impref- 
fion  fur  les  habitans  des  Provinces-Unies ,  qu'on  les  dé- 
pouille de  tout  ce  qu'ils  poffcdent ,  en  leur  difant  qu'on  le 
leur  demande  pour  les  maintenir  libres  contre  les  Puiflances 
étrangères.  Quel  efl  le  pays  de  l'Europe  où  le  peuple  foit 
plus  indocile  ,  moins  fage  ?  Quel  efl  encore  le  pays  où  un 
Citoyen  ofe  moins  qu'en  Hollande  avoir  quelque  difcuffion 
d'intérêt  avec  les  chefs  des  villes  ?  Nous  plaidons  en  France 
contre  le  Roi,  &  il  le  trouve  bon.  Ofe-t-on  plaider  en  ce 
pays-là  contre  les  Magiftrats?  La  Hollande  cft  l'afyle  com- 
mun de  la  plupart  de  ceux  que  la  crainte  oblige  à  fe  garan- 
tir contre  l'infortune  où  ils  font  dans  leur  pays.  L'indulgence, 
à  cet  égard  y  pour  être  trop  générale ,  ne  va-t-elle  pas  trop 
loin  ?  La  permidion  par  exemple  de  tout  imprimer  fur  la  Re« 
ligion ,  fans  diflin£lion  de  ce  qui  lablefTe  ou  lafert  ,  efl-elle 
bien  raifonnable  ?  La  licence  dans  les  opinions  efl  -  elle 
moins  à  craindre  que  dans  les  mœurs  Se  dans  les  œuvres  ? 
L'opinion  fouvent  ne  détermine- 1 -elle  pas  la  conduite  ? 
Si  c'ell  un  défaut  de  liberté  que  la  défenfe  de  rien  écrire  qui 
foit  contraire  à  la  Religion  ,  au  bon  ordre,  à  la  police  d'un 
pays ,  &  s'il  fuit  de- là  que  les  fujets  d  une  telle  domination 

(a)  Voyez  le  fécond  Chapitre  de  cette  latroduAioat 
Tome  L  X  X 


34^  SCIENCE 

ne  foîent  pas  libres  y  on  pourroit  donc  conclurre  auffi  par 
ce  même  principe ,  qu  on  cft  efclavc  partout  où  il  eft  défendu 
d^empoifonner  !  La  tolérance  de  toutes  les  Religions  ,  dan- 
gereufe  partout ,  eft  comme  ncceffaire  en  Hollande  j  mais 
cette  néceflîtc  en  ôtc-t-elle  le  danger  ?  Les  hommes  célèbres 
jouiflent-ils  d'ailleurs  bien  tranquillement  dans  les  Provin- 
ces-Unies ,  de  la  confidération  qu  ils  auroient  dans  un  Etat. 
Monarchique  ?  Le  grand  Barneveld  ,  le  fameux  Grotius ,  & 
plufieurs  autres  excellens  Citoyens  ne  furent-ils  pas  accablés' 
(<r)  par  les  brigues  ordinaires  dans  les  Républiques  ?  Les 
fept  Provinces-Unies  pcnferent  périr  par  les  faftions  de  NaC- 
fau  &  de  Witt  qui  cherchoient  chacune  à  fe  cohferver  Tauto- 
rité  &  à  Tcnlevcr  à  fa  rivale.  Il  en  coûta  la  vie  à  Jean  &  à 
Corneille  de  Witt  maffacrés  dans  la  Capitale  de  l'Etat,  avec 
tant  d'impunité  ,  qu'ils  fembloient  avoir  été  égorgés  par  au- 
torité publique.  Ce  fut  fur  le  débris  du  parti  de  ces  deux 
frères  que  s'éleva  la  fa6lion  de  Naffau  ;  &  elle  vient  encore 
de  faire  violence  aux  Loix.  Le  peuple  a  demandé  un  Stad- 
thouder  les  armes  à  la  main ,  &  il  a  fallu  lui  en  doner  un(^). 
La  forme  du  Gouvernement  eft  changée ,  &  rétabliflemcnt 
d'unStadthouder  prépare  vraifemblablement  à  la  République 
des  révolutions  qui  ne  finiront  peut-être  qu'avec  elle,  Qu'eft- 
ce  que  ce  Gouvernement  des  Ilollandois  ?  Ils  fe  font  donnés 
un  Prince  qui  n'eft  ni  maître  ni  dépendant  du  Gouverne- 
ment de  la  Nation  j  &  par  une  fuite  néccflaire  >  l'autorité  fe 
trouve  divifée  8c  n'a  plus  de  force  par  elle-même.  De  -  là  , 
double  Tribunal ,  double  intérêt  :  de-là  ,  le  befoin  du  fou- 
tien  &  de  l'appui  du  peuple  de  part  &  d'autre ,  de  crainte  que 

(a)  En  itfrp. 

(b)  Voyez  dans  le  fepticrae  Chapitre  de  cette  Introdudlion ,  la  Sediondu  Gou- 
vernement des  Provincci-Unics, 


DU    GOUVERNEMENT.       347 

la  faveur  ne  mette  un  trop  grand  poids  de  Tun  ou  de  Tautre 
côté  de  la  balance.  De-Ià ,  les  ménagemens  &  les  égards 
pour  la  multitude.  Dc-là ,  plus  de  Magiftrats  refpedés  y  plus 
de  Juges  redoutes ,  plus  de  Gouverneurs  obéis ,  plus  de  Loix 
en  vigueur ,  plus  d'Ordonnances  fuivies,  plus  d'impôts  ni  de 
charges  payés ,  plus  de  menaces  appréhendées.  Dans  ce  bou- 
leverfement  obfcur  de  la  République  ,  la  populace  trouve  fa 
joie  &  fon  triomphe.  Le  Stadthouderat  héréditaire  eft  une 
Souveraineté  de  fa  façon.  Elle  regardé  le  Prince,  qui  en  eft 
revêtu, comme  fon  Patron,  fon  avoué.  Moyennant  cet  appui, 
elle  brave  les  placards  émanes  de  l'ancien  Gouvernement  , 
&  n'honore  que  d'un  refpeû  ftérile  les  Ordonnances  rendues 
par  fon  Stadthouder. 
S'il  en  faut  croire  les  Vénitiens  ,  leur  Ecat  participe  des 
•  trois  formes  de  Gouvernement,  &  c'eft  la  meilleure  de  toutes 
les  Conftitutions.  Le  Doge  repréfente  la  Majefté  Royale ,  fa 
dignité  eft  perpétuelle,  &  l'adminiftration  publique  fe  fait  en 
fon  nom.  Le  Sénat ,  le  Confeil  des  Dix  ,  &  le  Collège  y  for- 
ment une  véritable  Ariflocratie.  Le  Grand -Confeil,  où  en- 
trent tous  les  Citoyens  pour  créer  les  Magiftrats  &  établir  les 
Loix ,  y  fait  voir  le  gouvernement  populaire.  Telle  eft  l'idée 
que  nous  donne  de  Venife  un  noble  Vénitien  (4) ,  diftingué 
par  fes  Ambaffades  &  par  fes  Ouvrages.  Mais  l'Empire  n  eft 
abfolu  nulle  part  dans  aucun  Etat  comme  dans  celui  de  Ve- 
nife ;  &  je  ferai  voir  (b)  que  les  fujets  de  la  République  font 
de  vrais  efclavcs.  Le  joug  févére  du  gouvernement  Vénitien 
péfe  également  fur  le  Noble  &  fur  le  Citadin  ,  fur  l'habitant 
de  Venife  &  fur  celui  de  terre  ferme ,  fur  le  Magiftrat  &  fur 

(a)  Panita  ,  Délia  perfetvione  délia  vita  politîca.  Lib.  3. 
Çb)  Voyez  daas  le  fepMéme  Chapitre  de  cette  Introduftion ,  le  Gouvernement 
de  Vcûifc, 

Xxij 


34»  SCIENCE 

rhomme  privé  ;  &  néanmoins  à  entendre  parler  un  Républi- 
cain ,  la  liberté ,  chaflee  de  tout  Etat  Monarchique ,  s'eft  ré- 
fugiée dans  le  fcin  des  Républiques. 

Les  autres  Républiques  dltalie  ,  qui  vantent  la  perpétuité 

de  leurs  gouvernemens  y  n'ont  fait  que  perpétuer  des  abus. 

Audi ,  n'ont-elles  pas  plus  de  libené  ,  ni  même  plus  de  puif- 

fance  que  Rome  n'en  eut  fous  le  gouvernement  des  Décem?* 

virs. 

*5.  On  nvft      ^3  véritable  liberté ,  toute  fondée  fur  l'ordre  ,  doit  toiH 

EL'înl^Monar!  jours  être  fubordonnée  aux  Loix.  Elle  tient  un  jufte  milieu 

une  kéîiwiqw!  entre  la  tyrannie  &  l'anarchie  ,  &  eft  également  éloignée  de 

toutes  les  extrémités.  Il  faut  fc  perfuader  ,  car  cela  eft  vrai  y 

qu'on  n'cft  pas  moins  libre  dans  une  Monarchie  que  dans 

une  République. 

Il  n'eft  peut-être  perfonne  qui  y  lorfqu'on  a  difputé  fur  la  • 
meilleure  forme  de  gouvernement ,  n'ait  entendu  dire  mille 
fois  :  Dans  un  Eut  libre  y  on  ne  dépend  que  des  Loixy&pour-- 
'vâ  quon  ne  les  viole  pas  yon  efi  en  fureté  :  raifonnemenc  des- 
titué de  fens  !  Ne  doit-on  pas  être  en  lûreté  fous  les  gouveP* 
nemens ,  dès  qu'on  refpede  les  Loix  ?  Et  les  Républiques 
n'ont-elles  pas  leurs  tyrans  auflî  bien  que  les  Monarchies  ? 

Ceux  qui  afpirent  aux  grandes  charges  dont  le  peuple  eft 
le  diftributeur ,  ne  parviennent  à  lui  commander  y  qu'en  fe 
rendant  fes  efclaves.  Que  ne  faut-il  pas  faire  pour  gagner 
un  peuple  compofé  de  tant  de  têtes  où  règne  une  (î  grande 
diverfité  de  goûts  &  de  fentimens  !  On  simpofe  une  fcrvi- 
tude  certaine  pour  courir  après  une  puiflance  à  laquelle  on 
parvient  rarement. 

Dans  un  gouvernement  Ariftocratîque ,  que  nVt-on  pas  à 
effuycr  de  fes  rivaux  y  de  fes  envieux  ,  de  fes  ennemis  y  des 


DU    GOUVERNEMENT.       54P 

cabales  qui  remuent  le  corps  entier  du  Sénat  ?  Dira-t-on  qu'il 
n*y  a  qu'à  n  être  pas  ambitieux  ?  Mais  comment  eft  on  gou- 
verné par  ceux  qui  le  font  !  Et  que  n'a-t  on  pas  à  craindre  de 
fes  fupérieurs  ^  de  fes  égaux  ,  de  fes  inférieurs  ? 

On  ne  fçauroit  réfléchir  fur  la  fin  que  les  hommes  fe  font 
propofée  en  fe  raffemblant  pour  vivre  en  fociété ,  &  fur  la 
néceffité  où  ils  étoient  d'affujettir  leurs  paflions  fous  l'Empire 
des  Loix ,  fans  que  ces  deux  vues  réveillent  dans  l'efprit  l'i- 
dée^ d'une  fubordination  exaâe ,  d'un  pouvoir  abfolu  dans  le 
Souverain ,  &  d'une  obéiflance  entière  dans  les  fujets.  Tous 
les  gouvcrnemens  tendent  à  la  même  fin ,  qui  eft  le  maintien 
des  Loix.  Ils  ont  tous  le  même  principe  de  fubordination , 
c'eft  d'obliger  les  particuliers  à  obéir.  Ils  ne  différent  entre 
eux  que  par  les  différentes  combinaifons  dont  une  même 
chofe  eft  fufceptiblc  fans  changer  de  nature ,  &  ils  n'appro- 
chent  du  degré  de  pcrfedUon  que  la  politique  fe  propofe  , 
qu'à  proportion  qu'ils  font  plus  ou  moins  propres  à  afllirer 
l'Empire  des  Loix  fur  nos  pallions.  Dans  chaque  Conftitu- 
tion  d'Etat ,  il  eft  un  ordre  &  une  fymétrie  dont  l'effet  eft 
de  lier  toutes  les  panies  entre  elles  ,  &  de  les  rappeller  par 
ce  moyen  à  l'unité*  Il  y  a  dans  tous  les  gouvernemens  un 
premier  mobile ,  une  puiffance  fuprème.  Ce  qu'eft  le  Prince 
dans  la  Monarchie  j  le  plus  grand  nombre  des  Citoyens  l'eft 
dans  une  Démocratie  ,  &  le  Corps  des  Magiftrats  dans  un 
gouvernement  Ariftocratique.  Que  ce  foit  un  ou  plufieurs 
qui  commandent ,  c'eft  toujours  une  Puiffance  abfolue  (a)  , 
à  laquelle  tous  les  fujets  font  également  obligés  d'obéir.  Les 
mots  (b)  par  lefquels  les  Républicains  croyent  diftinguer  la 


(a)  Voyez  le  Traité  du  Droit  Public    Chap.  II. 
\b)  Sic  voloyJicjubeOfJîcpro  rationfvolunus. 


350  .SCIENCE 

Monarchie  d'avec  rAriftocratie  &  la  Démocratie,  mots  qu'ils 
ont  (î  fouvcnt  dans  la  bouche  ,  font  tout  aulïi  propres  à  dé- 
figner  la  nature  du  gouvernement  Républicain ,  que  celle  du 
gouvernement  d'un  feul.  Les  fujets  ne  font  pas  plus  libres 
fous  une  forme  de  gouvernement  que  fous  une  autre,  parce 
que  dans  toutes  ils  font  forcés  de  fe  foumettre  aux  Loix  8c 
aux  volontés  du  Souverain.  Tout  le  monde  eft  fujet ,  fous 
quelque  forme  de  gouvernement  que  ce  foit ,  fi  ce  n'eft  fous 
la  Monarchie  où  le  Monarque  eft  le  feul  qui  ne  le  foit  point. 
i«.  Dansqucj  Les  Grccs  &  après  eux  les  Romains  plaçoient  la  fouverai- 
qiics  font  appel,  ne  félicité  d'un  Etat  dans  la  liberté. 

lecsdes  Euu  li*        ^^      ,  ^        i  ,  t^         i  i 

^"-  Quelquefois  les  anciens  entendoient  par  un  Etat  libre ,  ce- 

lui où  le  citoyen  ne  dépend  que  de  la  Loi ,  &  où  le  Magif- 
trat  eft  fans  autorité.  C'eft  ainfi  qu  a  la  vue  des  malheurs  qui 
affligent  le  Corps  politique ,  quelques  Philofophes  ont  penfé 
que  le  feul  moyen  d'éviter  les  abus  de  Tautorité  fouvcraine  , 
c'étoit  que  chaque  peuple  eût  des  Loix  écrites ,  toujours  cer- 
taines ,  toujours  facrées,  &  que  ceux  qui  gouverneroient 
n'euflent  d'autorité  que  celle  des  Loix ,  &  autant  qu'ils  s'y 
conformeroient.  Le  plan  eft  beau ,  &  les  hommes  le  fuivroient 
fans  doute  ,  s'ils  marchoient  toujours  dans  les  voies  que  la 
droite  raifon  leur  montre  j  mais  ils  font  aveuglés  par  leurs 
paffions ,  &  ennemis  d'eux-mêmes.  Pour  les  rendre  capables 
d'exécuter  ce  plan ,  il  faudroit  les  délivrer  de  tous  les  affu- 
jettifTemens  de  l'humanité.  La  Loi  ne  fçauroit  s'interpréter 
elle-même ,  il  eft  abfolument  néceflaire  que  des  hommes  l'ex- 
pliquent &  en  faflent  l'application  ;  chacun  prétend  qu'elle 
lui  eft  favorable ,  &  le  droit  de  l'interpréter  confère  néceffaî- 
rement  de  l'autorité  à  l'Interprète.  Il  ne  faut  pas  confidérer 
les  hommes  dans  une  abftràclion  métaphyfique ,  mais  tels 


DU    GOUVERNEMENT.      351 

qu*ils  font  :  or  les  hommes  tels  qu  ils  lont  y  tels  qu*ils  ont 
toujours  été,  tels  quils  feront  toujours  ,  ont  befoin  d'être- 
gouvernés ,  non  .pas  feulement  par  une  Loi  écrite ,  règle 
muette  de  la  raifon  ,  mais  pair  une  puiflancc  fupérieure  qui 
foit  vivante  dans  l'Etat  y  l'interprète  de  l'intention  de  la 
Loi  ,  la  difpenfatricc  de  fes  Ordonnances. 

Les  Grecs  regardoient  leur  liberté  comme  leur  héritage  y 
comme  un  bien  patrimonial,  comme  un  privilège  fînguUcr 
qui  les  diflinguoit  de^  Afi^tiques.  Occupés  du  foin  d'une 
petite  République  qui  n'étendoit  fon  domaine  qu'à  quel- 
ques lieues  des  murs  de  la  ville  qui  laTenfermoît ,  ils  fen- 
toicnt  que  la  moindre  révolution  pouvoir 'leur  donner  un 
Roi^  &  cetoit  autant  par  politique  que  par  habitude  qu'ils 
déclaraoient  contre  la  Royauté  &  fe  la  rendoient  mutuelle- 
ment odieufe.  Les  fuccès  éclatans  quUls  avoiént  eus  fur  les 
Perfes  nourriflbient  ces  idées  fàflueufes,  &  ils  aimoient  mieux 
attribuer  tarit  de  défaites  hontélifes  pour  TAfie,  àuGouver-^ 
nement  Monarchique ,  qu^au  Defpotifme  qu'ils  confondoîent 
avec  la  Monarchie ,  s^u  qu'à  ce  luxe ,  à  cette  moUeffe  des 
Souverains  qui  s'eny vroient  de  leur  pouvoir.  Les  Grecs  qui 
croioient  voir  par  toute  la  terre  la  lâcheté  des  Afiatiques  , 
ne  regardoient  la  Royauté ,  que  telle  qu'elle  étoit  établie  - 
chez  les  Perfes  >  ou  par  rapport  aux  effets  qu'elle  auroit  pro- 
duits chez  ces  petits  peuples  qui  compofoient  la  Grèce.  Dans 
Tun  &  dans  l'autre  cas  ,  ils  avoient  raifon  de  la  condamner. 
Le  Defpotifme  le  plus  dur  regnoit  alors  comme  il  règne  au- 
jourd'hui dans  toute  l'Afie ,  &  quelques  familles  réunies  dans 
les  mêmeJs  miirs  ne  font  pas  faites  pour  obéir  à  un  Prince. 
De  cette  manière  de  pcnfer ,  fortifiée  par  les  guerres  des  Per- 
fes &  des  Grecs,  vint  la  haine  implacable  de  ceux-ci»  La 


352  SCIENCE 

Grèce  ne  pou  voit  fouffrir  que  TAfie  penfit  à  là  fubjuguen  Sî 
elle  eût  été  obligée  de  fubir.le  joug  des  Afiatiqucs,  elle  eût 
crû  la  vertu  aflujettie  à  la  volupté  ;  refprit  y  au  corps  ;  &  le 
véritable  courage,  à  une  force  infenfée  qui  ne  confifloit  que 
dans  la  multitude.  Que  les  Républiques  jugent  fi  ces  différen- 
ces fe  trouvent  entre  elles  &  nos  Monarchies  ?  * 

Les  hommes  tombent  communément  dans  le  défaut  de 
faire  des  règles  abfolues ,  de^ce  qui  n  eft  dans  le  fond  qu'un 
goût  relatif  a  leur  état.  Ariftote,  malgré  le  fejour  qu'il  avoit 
fait  à  la  Cour  de  Macédoine  fous  Philippe  &  fous  Alexan- 
dre dont  il  étoit  né  fujet ,  dit  que  les  Afiatiques  &  les  Afri- 
cains étoient  efclaves  par  nature ,  parce  que  ces  peuples  lâ- 
ches &  efféminés  n'avoient  pas  été  foigneux  de  conferver 
leur  liberté  y  &  n'avoient  pas  été  capables  de  fe  gouverner 
eux-mêmes  {d).  C'eft  dans  la  manière  peu  exaâe  dont  les 
peuples  le  confidérent  y  qu'il  faut  chercher  Forigine  de  ces 
opinions  ahfurdcs  des  Grecs  &  de  ces  noms  de  Barbares  (t) 
&  d'efclaves  par  nature  y  qu'ils  donnoient  aux  Perfes  &  aux 
autres  peuples.  Voilà  la  fource  decefentiment  erroné  du  Phi- 
loibphe  Grec.  Les  Barbares  font  efclaves  par  nature  y  les 
Grecs  font  libres  y  il  eft  donc  jufte  que  les  Perfes  obéiffent 
aux  Grecs. 

(a)  Ariil.  Polit.  Lîb.  ).  Cap.  TO.  it»  &  il.  EurSp.  IphSg.în  Aultd.  Vcrf.  1400» 
1401.  Beaucoup  d'autres  Philofophes  ont  parlé  comme  Ariltote. 

(b)  Les  Grecs  appelloient  Barbares  tous  ceux  qui  nVtoîent  pas  de  leur  pays  ; 
&  ce  mot  ne  fîgnifioir  dans  leur  langue  qu'Etrani^fr.  Les  Romains ,  à  peu  prèl 
dans  ce  même  fens  ,  appelloient  Barbares  gc^néralement  tous  les  peuples ,  hormis 
les  Grecs  &  ceux  qui  vivoient  félon  les  Loix  Romaines.  Cen'étoit  pasd*ab6rd 
proprement  un  terme  de  mépris  parmi  eux  ,  comme  c*en  efl  un  parmi  nous  ;  ipais 
on  s'accoutuma  infenfiblemcnt  à  attacher  à  ce  mot  Tidée  de  quelque  chofe  de  rude» 
de  fauvage  >  de  peu  poD  9  par  une  fuite  de  la  prévention  favorable  où  les  Grecs  6c 
les  Romains  étoient  pour  leurs  uûiges.  Il  n'y  a  pas  encore  long-tems  que  les  Ita- 
liens appelloient  Barbares  y  les  François  ,  les  Efpagnols  ,  les  Allemands,  &  tout 
les  peuples  qui  font  en-de^à  des  Alpes.  Voyez  Guidiardin  y  Machiavel ,  &  les  au» 
très  Hiilorieas  d'Italie. 

Ceft 


D  U    G  0  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      355 

Cell  par  un  femblabic  préjuge  que  les  P.omains  adorerenr 
la  libcrré  fous  î>figure  d'une  Décfle  ,  après  qu'ils  eurent  fe- 
couc  le  joug  des  Tarquins.  La  tyrannie  des  Tarquins  8c  U 
politique  de  Brurus  imprimcrcnt  cîaqs  bur  eîprit  une  haine 
invincible  pour  le  nom  de  Roi.  Quoique ,  dans  les  plus  beaux 
rems  de  la  République  ^  plufieurs'de  fes  citoyens  euffent  joui 
d'une  autorité  prefque  aufïî  grancic  fous  le  titre  de  Diftatcur^î 
&  que  dans  la  fuite  Syîla,  Marius ,  Pompée  ,  euffent  exercé 
un  pouvoir  arbitraire,  on  rie  put  pardonner  à  Céfar  aufïî 
puilTant  queux  ,  la  tentative  .cl' Antoine  qui  liii  offrit  une  cou- 
ronne. Dès-îcrs,  les  Romains  le cruçént  digne  de  périr,  & 
il  femble  que  peu  jaloux  de  rautoritc ,  ils  ne  haiffoicnt  que 
le  nom  de  Roi.  L'ignorance  où  les  Romains  étoient  des  prin- 
cipes de  la  Monarchie ,  peut  en  quelque  forte  juflifier  la  haî- 
ne  injufle  qu'ils  avoicnt  pour  cïle/Sur  quelque*  pays  qu'ils 
jettaffent  les  yeux,  ils  ne  voyoient  régner  à  la  place  que'-'l^ 
Dcfpotifme.  Ils  appelloient  peuple  libre ,  celui  dont  le  gou- 
vernement étoit  populaire  &  qui  n'étoit  point  fournis  à  là 
puiffancc  d'un  feul.  Cefl  dans  ce  fens  que  Tite-Livc ,  après 
avoir  raconte  de  quelle  manière  le  pouvoir  Monarchique  fut 
aboli  a  Rome ,  dit  qu'il  va  parler  de  ce  que  fit  le  peuple  Ro- 
main, depuis  qu'il  fut  libre  (4).  Cefl  dans  Icmcmé  fjnsque 
Ciceron  rapporte  que  l'éloquence  a  toujours  dominé  dans  les 
Etats  libres  (A)  ,  c'efl-à-dire  dans  les  Etats  populaires.  La 
fauffe  idée  que  les  Romains  avoientou  qu'ils  vouloient  don- 
qer  du  gouvernement  Monarchique  ,  les  failôic  parler  ainlî  ; 
ils  étoient  bienj  aife  d'entretenir  cette  idée  dans  l'elpric  du 
peuple ,  pour  l'affeclionner  au  gouvernement  reçu.  Les  Ro- 

O1)  Lib,  2»inprîncip.  Liberi  féun  hinc p^puli  Romani  rcs  pace  tillo^uege^is  p^r*^ 
ib)  Lib,  h  df  Qrau  Hdcfimptr  in  liberis  cîritutibut  dominât^  efi* 

jQmc  L  Y  y       - 


354.  S  C  I  E  N  CE 

■mains  appellôient  aufli  peuples  libres  y  ceux  qui  n'étoient  fou- 
rnis à  aucun  autre  peuple,  II  y  eaavoit  dc-cetce  efpècedans- 
prefquc  t<»is  les  pays  qu'ils  avoient  conquis.  Bbdin  (-«),  par- 
lant du  dénombrement  des  citoyens  Romains  ,  du.  tems  de 
Tibère  ,  ajoute  ces  mots  i/a^s  y  comprendre  les  Frovixtc4S 
mdtUimcs  ni  les  autres  peuples  libres  aux  enclaves  de  F  Emf  ire- 
qui  avoient  leur  Etat  h  part  en  titre  de  Souveraineté  y  ccîiÀ^ 
dire  les  peuples  qui  n'avoient  point  été  réduits  fous  la  puif- 
fancc  Romaine  &  qui  avoient  confervc  leur  liberté ,  -leurs 
jyia^iftrats ,  leurs  Loix,  y  leur  Souveraineté  y  (bus  Taliiance  y ., 
ou  fous  la  proteéliôn  des  Romains.  Ceft  dans  cefens.quiine. 
Kation  jcftappellée  libre  dans  une  Loi  qui  parle  .d'une  allian- 
<çc  inégale ..eçitre  Rome  &  ce  peuple  (^).  - 

.  ..Dans  quelque  acception  qu'on  prenne  ce  mot,  la  liberté. 

:.tant  vantée  dçs  Grecs  &  des  Romains  ctoit  une  vraiexhimè-  ^ 

xe.  LWage  nous  gouverne. avec  empire.  On  fait  aujourdlmi 

ce  qu'on  faifoit.  hier ,  &  nous  parlons  comme  parloienc  .nos 

pères  ,  &ns  .obferyer  h  difFcrence  des  chofes  qui  auroit  xlû 

CB  mettre  dans  les  mots.  .Kous  adoptons  jufqu'à.un..ccrtain 

■-ppint  la  manière  de  parler  des  Grecs  &  des  Rowains^  quoi- 

-que  nous  rejettions  leiirsf  idées.  Nous  appelions  ordiriaire- • 

ment  une  République  un  Etat  libre ,  &  nous  entendons  par- ■ 

là  ua  .peuple  qui  s'eft  re'ervc  le  droit  de  faire  luirmcmcJcs 

IhpiK  Se  de  fe  gouverner  ;  mais  ceux  qui  vivent  feus  Ics.Ré-- 

publiques,  en  abuftnt  &  appliquent  Je  mot  de  liberté  aux 

î Kcpublicains  pris fépa'cment .,  par  oppofition  aux.Sujmdes . 

^(a)  RepubL  Lib,  i.  Capta.- 

'  (i)  I.ege  non  dabîto.  Jf  de  Captivât:'' r-oP^îm.  Libfrpopulus  eftis  qui  huUkis  ai- - 
T^Urius  fcpali  factjiati.^ji  Jubjeâus^^JIye  isjœdezatusejly  4temjivt  xqiiofitdiri  in  : 
im.iicithim.rtnîtpjivè  fx-Jétt  com^ithenjum  sftyUtis  populus. alterius popuHnmtf- 
Tn:t^rn.çQmi?tr  eoiiferitaretii^hûc soaimj^jiciwr rut  imeÙ^^  pofulujf^e^' 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      355 

\Wfonarchies,> Tnot  Ghîmcriquc, mot  vuidc de  fcm ,  exprcffion 
videufe  dans  cette  acccpt'on.  Que  veulent  dire  ceux  qui 
Temploycnt  ?  S'ils  entendent  par  ce  mot  lil^re  y  que  les  Ré- 
publicains ne  font  point  fournis  àun  Souverain  ,  c-efl:  une 
erreur ,  puifque  tout  Etat  fuppofe  d'un  côté  une  Souverai- 
neté, 8c. éo  Tautre  k  fujettion  de.  ceux  qui  en  dépendent. 
S'ils  veulent  dire,  que  le  Gouvernement  ell  moins  dur,-c'cft 
encoreune  erreur  >  je  Tai  montré.  S-ils  prétendent  enfin  qu'on 
conçoive  que FEtateft" gouverné  par  fcs propres  membres ^ 
Tcxprcffion  donron  le  fert,  ne  fignifie  rien.  Un  Monarque 
n'eïl-il  pas  membre  de  rEtar;  &  un  Etat ,  pour  erre  gouver- 
Jidparplufieurs  têtes^en^eft-il  plus  libre  que  s'il  n'étoir  gouver- 
né par  une  Iculc/*  L'opinion  d'Ariflote  (4)  ,  que  Tobjct  de 
la  Démocratie  eft- la  liberté ,  e(l  donc  infoutenable.  La  pro- 
-position  n'efl  pas  plus  vraye  de  la  Démocratie ,  que  des  au- 
tres formes  dxî  -Gouvernement. 

Le  Gouvernement,  quelle  qu'en  foit  laforme  ,  n'cft  jamais    ty.  ta  tyrin- 
tvrannique^  lorfaucrutilitc  publique  efl  la  règle  de  l'admi-  à  craindre  dam 
niftration  ;  &ni  la  Jiberté.,  ni  la  tyrannie  ne  font  Tappana-  ^^/j^^*"***^ 
:gc  d'aucune  forte  de  Gouvernement*  Quand  radminiflration 
eflfagc,  la  liberté  fe  trouva,  au  milieu  de  la  Monarchie,  & 
lorfque  l'adminiilration  eft  paniale^  la  tyranniercgne  dans 
les  Républiques.  De-là ,  il  fuit  que  la.tyrannic  éft  tout  auffi 
À  craindre  dans  les  Républiques^  que  dans  Tes  Monarchies. 

A  Sparte,  les  Ephores  uliirpcrent ,  à  différentes  -reprifes^. 
irautorité  abfoluc  ^  ne  furent-ils  pas  des  Tyrans  ? 

A  Rhod«^.,  quelque  Citoyens  sVtant  emparés»  du  gduver^ 
aiemcnt ,  exercèrent  des  violences  &  des  injuftices  infuppçr-- 
ïtables.  Ik  inventèrent  un  jeu  qui  fut  nommé  le  jeu  àHHegéfi^ 
dochusj  dont  la  Loi  étoit  ^e  les  Cardans  dévoient  livrer  ^à 


35^  SCIENCE 

celui  c]Uî  gagnoît ,  la  femme  qu'il  fouhaitoit»  S'il  s'y  rencon- 
troit  quelque  obftacle ,  tous  ceux  qui  gcuvernoienc ,  étoienc 
obliges  de  prêter  main  forte  (4)»  N'étoit-cc  pas  là  la  plu» 
grande  de  toutes  les  tyrannies  ? 

A  Argos  ,  les  Orateurs  du  peuple  fouleverent  les  Com- 
munes c^omre  les  Nobles  dont  leizc  cens  furent  maflacrés  tout 
à  la  fois.  Les  Orateurs  le  furent  eux-mêmes  à  leur  tour  (^). 

A  Athènes ,  les  quatre  cens  hommes  à  qui  les  Athénien» 
confièrent  Tadminiftration  des  affaires ,  après  la  malheureufc 
expédition  de  Sicile  (r)  ,  ns  formerent-ils  pas  comme  un 
corps  de  tyrans  ?  Les  trente  hommes  que  Lyfandre  y  après 
s'être  rendus  maîtres  d'Athènes  y  établit  pour  gouverner  cet- 
te vitlc  (d) ,  ne  furent-ils  pas  auiTi  des  tyrans  ?  îls  firent  plus 
de  mal  auj^  Athéniens,  que  ne  Icurcnavoit  fait  l'ambition  de 
Pififtrate.  Le  peuple  Athénien,  fi  jaloux  d'une  apparence  de 
liberté  y  étoit  plus  efclave  en  effet ,  qu'il  ne  l'eût  été  fous  tout 
autre  Gouvernement.  Ni  la  Macédoine  ni  la  Perfe  ne  four- 
niffoient  pas ,  à  beaucoup  près  ,  tant  d'exemples  de  tyran- 
nie ,  que  la  feule  ville  d'Athènes  en  faifoit  voir* 

Syracufe,  libre,  puifque  c'cft  ainfi  qu'on  veut  appeller  les 
pays  gouvernés  en  forme  de  République,  ne  fut-elle  pas  pref- 
que  continuellement  abreuvée  du  fang  de  fes  habitans  ? 

Dans  le  tem%  de  la  féconde  guerre  Punique  ,  la  balance  du 
pouvoir  à  Carthagc  penchoit  du  côté  du  peuple,  à  un  tel  de- 
gré que ,  félon  quelques  Auteurs ,  le  Gouvernement  Cartha- 
ginois éroit  alors  une  domination  popuîaire  (c)  ou  une  ty- 
tànnic  des  Communes.  Qu'étoicnt  les  fupplices  âréquens  de 

'  (à)  Athen.  Deipnofoplu 
ib)  Diùdou  Lia'  75. 
(c)  Thcjd.  Lib.  8. 
(d}  XenopfuHifl.  Grecque  Ut.  fb 

if^Toljb.  Frai  Lib.  €. 


Ï)U    GOUVERNEMENT.      357 

leurs  Généraux  qui  avorent  pafTé  en  coutume  parmi  eux, 
comme  nous  Tapprend  un  ancien  Hiftorien  (4) ,  finon  une  ty- 
rannie du  peuple  ? 

Tout  le  monde  fçait  la  conduite  que  tinrent  les  dix  Lcgif- 
lateurs  que  la  République  Romaine  choilit  fous  le  nom  de 
Décemvirs ,  pour  rédiger  un  corps  de  Loîx.  Leur  tyrannie  j 

fut-elle  moins  grande  que  ne  Tavoit  été  celle  de  Tarquin  le 
Superbe  ?  Rome  eût-elle  jamais  tant  à  fouffrir  des  Rois  que 
des  Décemvirs,  des  Triumvirs ,  des  Diôateurs  ?  Au  rapport 
de  Tite  -  Live  &c  de  tous  les  anciens  Hiftoriens ,  le  peuple 
Romain  fut  à  peine  délivré  de  la  crainte  des  Rois,  qu'il  com- 
mença à  être  violemment  agité  par  les  troubles  qu'excitèrent 
les  Tribuns  (h)  :  le  peuple  Romain  étoît  affûrément  plus  li- 
bre fous  Tite  &  fous  Trajan,  qu'il  ne  lavoît  été  fous  les  Dé- 
cemvirs &  fous  les  Tribuns» 

J'ajoute  qu'il  n'y  a  point  de  pire  tyrannie  que  celle  qui 
s'exerce  fous  le  nom  de  la  liberté.  Jamais  l'Angleterre  ne  fut 
moins  libre  que  fous  Cromvel ,  &  jamais  le  peuple  ne  parla 
avec  plus  de  véhémence  de  fcs  droits  &  de  fes  préroga- 
tives. 

J'ai  crû  devoir  développer  ces  idées  avec  quelque  étendue  ,  ti.faojunjtf 
parce  que  ces  obfer varions  étant  faites  ,  il  eft  aifé  de  voir^^^^J^ 
quelle  eft  la  meilleure  conftitutîon  d'Etat.  Je  croîs  que  le  SjSfpr^^ 
gouvernement  Monarchique ,  à  ne  parler  quVn  général ,  eft  ^m^dcISSS 
préférable  aux  autres  formes  de  Gouvernement. 

Il  eft  le  plus  naturel  &  le  plus  ancien  ,  je  l'ai  fait  voir  (c)  ; 
il  eft  par  conféquent  le  plus  durable ,  8c  dès-là  le  plus  fort  Bc 

(a)  DiodoK  Lib,  *. 

ib)  Plebs^foluta  regi9  metu  ,  ^gitciti  cmfit  Tribunitiis  ftoceUis.  Ttt.  tiv.  Lïb*ê\ 

(s)  Pans  la  fccoade  Seâioo  du  premier  ClUfUre  de  cette  iBcroduAioa^ 


35»  S  CI  EN  C  E 

le  plus  oppofc  à  la  divifion  qui  efl  le  plus  grand  fl'cau  des  fo- 
cictcs  civiles. 

Ces  grandes  &  anciennes  Monarchies  quî>  pour  parler  le 
langage  de  TEcriture ,  animées  par  un  feul  efprit ,  •marchent 
fous  les  ordres  de  leurs  Rois^  comme  un  feul  homme  (a)  ,- 
ont  des  reflburces  qui  manquent  aux  autres  formes  de  Gou- 
vernement. Quel  avantage  l'Etat  Monarchique  ne  tire-t-il 
pas  de  l'union  intime  de  toutes  fcs  parties? -On  ri'eft  jamais 
plus. uni  &  plus  fort  que  fous  un  chef,  parce  que  tout  con- 
court, par  la  volonté  d'un  feul  homme ,  au  but  du  Gouverne- 
menu  La  Monarchie  peut  s'aider  de  la  pluralité  des  bon« 
•Confcils  ^  autant  que  les  autres  formes  de  Gouvernement  ; 
jTiais  s'ilfaut  pluficurs  têtes  -pour  délibérer ,  il  efl  bon  qu'il 
n'y  en  ait  qu'une  pour  réfoudre  & -pour  préfider  à  l'exécu- 
tion. L'unité  cft  la  feule  fource  de  plufieurs  biens  ;  Srlaplu* 
fralitc ,  le  principe  de  plufieurs  maux.  Le  Monarque  a  l'avan- 
^tage  de  pouvoir  prévenir  toujours  &  n'ctre  jamais  prévenu^ 
Une  .République  .qui  attend  tout  du  tcms ,  le  Taifle  perdre  f 
pendant  qu'elle  délibère  ,  le  Monarque  attaque  &  exécute. 

Dieu  étant  un  f^  fimple  ,  dans  fon  Etre ,  on  ne  peut  dou- 
iter  que  le  Gouvernement  qui  imite  Le  fien.,  nefoit  le  meil- 
leur &. le  plus  parfait  .(^).  De  toutes  les  parties  de  l'Univers  ^ 
.-auflî  bien  que  de  toutes  les  produdions  de  la  terre  ,  quoique 
îiiiultipliées  &  diverfi£écs^n  une  infinité  de  manières,  U  m 
•compoféun  Quvrage.unique  &  .un  tout  parfait-emcnt  xégulieiv 

.tO  Egreffits  eft  IfrOîl  quafi  vît  unm. 

ib)  Optima  oràînptio  çivitatU  vei  popuU  cujufcttmque  efi  cf  guhernetuT  per  jRç**^ 
femi  quiihujufmodi  maxime  repréffentae  divinum  Regnum,  S.  llicmas  /.  2.  quétJL- 
iO^^  Art.  I.  Je  ne  prétends  pas  donner  trop  d!éiendiie  à  cette  raifon  fur  l'aoto- 
fi^c  de  s.  Thomas  ,  pircc  qu'on  peut  répondre  5[ue  la  bonté  &  la  juilicc  .fiiiseP- 
:icntteUes  k  Qieu  y  jk.  ne  le  font  pas-,aux  Rois  }  je  n'en  .veux  cirer  de  con£égiuBBaaflr 
.j}ue  ^Hr.l!uiûws  à  U^eiltM  fa^c  Acce^&iiameac  ra^gpeUer.touc  ^jouvemcmcai. 


.    JJJJ  vjG  O  -U  V  Ë  Ji  :N  É  ME  :HÎ  f.     ^^p^ 
St  ron  fait  réÔéxion  que  tout  dans  l!Univers  pairoît  tendre  4 
Itunitd;  qu'un  feuLDieu  fouttent  ce  Vàfte  Univers  ;  qu'un  So-^ 
4éil  fuiEt  ;poiH:;iclairer&  pour  enrichir  la  terre  ;  que  TariDee 
la  plus. iwmbreufe-n^aqtf un  (général,  &  qu'une  famille  n'a 
qu'un  Chef  ;  fi  4e  plus  on  porte  la  vue  fur  les  quatre  pa^des 
de.  la  :terre  qui,  malgré  la  différence  des  mœurs  ,  concourent 
la  plupart;. a  ne. dépendre  que  d'une  feule  tête  ;  fi  enfin,  on 
xonûdéreles  fréquentes  fecouflfes  qui  ébranlent  les  Rép^ibli- 
ques ,  les  divers  troubles  qui  les  agitent  ,^^:les'révo]uriQns  ' 
qui  caufeni  leur  ruinig ,  Ton  trouvera  que  tout  parle  pour  l'É- 
tat Monarchique,  rinftinâxle  la  nature,  les  luniieres ^eja- 
.iaifon,  &  le  témoignage  de  prefque  tout  l'Onivers. 

Toutes  les^fociétes  doivent  être  formées  ,  toutes  les  Loîx 
.-doivent  être  portées,  &  tous  lés  établifrepiefls  doivent  e.trc 
.ifaits  relativement  au' bonheur  dû  ptuple  pris  colle^ivémç^nt. 
;ILe  grand  avantage' de  la  foçiété,  ceft  le  bien'  commun  <Jc 
r-rous.  .X^union,  des  familles*  eft  leur  bien  commun  ,  parce 
^qu'elle  éteint  les  'cabales  &  éloigne  les  guerres  civiles  :.  pr 
l'unité  de  la  Puifllânce  fuprême  eft^  rtéccflaire  pour  maintenir 
•:là  fubordination  entre  les  différens  ordres  dés  grands  Etats. 
iQuand  le  Gouvernement  efl  entre  les  mains  des  Nobles,  Us  - 
:Oppriment  ie  peuple  ;  &  les  Nobles  eux-mêmes:  font  expo- 
iés  aux  infultes.du  peuple  ,  lorfque  çeft  le  peuple  qui  gou- 
verne. Si  l'autorité  efl  partagée  entre  le  peuple  &  lçs.Graçid|, 
ielle  dégénère  ,  ou  en  abus  de  la  liberté  par  les  féditions  du 
;paté  du  peuple  comme  ççlaétoit  ordinaire,  à ;>AthèneSj^^ 
.idans  toutes  les  Républiques  Grecques  ;  pu  çja  pppreffipn  de 
Liai. liberté  publique  du  coté;. des  vGraqds  par  jatyranrye^ 
(^:comme.  cela  arriva  à  Athènes  ,  à  .Syraçufe ,  à  Çpriathe  ^iv 
"îaChèbes  ,.à  JioiBe jnç»^^du jtejns  de  Sylls^^ie  jQçiw:. ^  ' 


3^o  SCIENCE 

Dans  toutes  les  formes  de  gouvernemcnr  ^  on  trouve  Vit^ 
nicc  9  puifquc  la  Souveraineté  cfl  une  dans  les  trois  formes  , 
&  que  le  poovoir  fouverain  ne  peut  ccrc  partage  (/r)  ;  mais 
c'eft  d'une  manière  îrrégulicre  que  Tunitc  fe  trouve  dans  TA- 
riftocratié  &  dans  la  Démocratie.  Toutes  les  ConHitutions 
font  fujcttes  prcfque  aux  mêmes  inconvéniens  que  la  Mo- 
narchie ,  &  cette  forme  qui  rend  les  reflbrts  de  h  fociétc  plu$ 
ilmples  ,  â  de  grands  avantages  que  les  autres  n*ont  pas.  La 
tyrannie ,  les  paflions ,  Tabus  de  Tautorité  font  des  malheurs 
communs  à  tous  les  gouvcrnemens  ;  mais  les  avantages  de 
Tunité  &  de  l'équilibre  entre  les  Nobles  &  le  peuple  ,  fcnt 
propres  de  la  Monarchie  feule* 

Si  Ton  en  excepte  la  minorité  des  Rois ,  les  autres  in- 
convéniens des  Monarchies  font  plutôt  des  défauts  par- 
ticuliers du  Prince  ,  que  des  défauts  de  la  Confiitution  de 
TEtat  ;  mais  les  Ariftocratics  &  les  Démocraties  font  alfujet- 
ties  aux  défauts  du  Gouvernement  comme  aux  défauts 
des  pcrfonnes  qui  gouvernent.  Qu  on  ic  repréfeme  un 
Royaume  &  une  République  réduits  aux  dernières  extré- 
mités ,  par  les  vices  de  ceux  qui  y  commandent  ;  dans  lequel 
de  ces  deux  Etats  le  remède  fera-t-il  plus  facile  &  plus 
prompt  ?  Le  mal  n'cft  que  paffager  dans  une  Monarchie;  Içs 
vices  d'un  Monarque  meurent  avec  lui ,  &  ordinairement  fon 
fucceffcur  n*a  pas  les  mêmes  défauts  ;  lî  un  Prince  n^embraf- 
fe  pas  à  la  fois  toutes  les  parties  de  l'Etat ,  il  eft  rare  qu  U 
n'en  affe£lionne  pas  quelqu'une  d  une  manière  particulière* 
La  Religion ,  la  guerre ,  la  jufticc,  les  finances ,  le  commçr- 
ce  y  les  arts ,  offrent  mille  objets  diffçrens  j  corriger  les  abus 

( j)  J>vertif  çncore  ^u'il  faut  yoir  U  Tmtd4u  Proit  Public ,  oi  cette  Prqpot 
£àoD  cft  démontrée»  .  '^^ 

d*une 


D  U    G  O  Û  V  E  R  N  E  M   E    N  T.    ^61 

tî'une  de  ces  parties  du  Gouvernement ,  c'eft  travailler  indi- 
reélementau  progrès  des  aurres,  8c  préparer  du  moins  les 
fuccès  du  règne  fuivant;  cVft  même  par  le  goûc  différent  des 
Princes  quife  fuccédent ,  qu'un  Etat  devient  ou  continue 
d'être  floriflant.  Un  Prince  qui  aime  la  paix  répare  les  fautes 
<ju  un  trop  grand  amour  pour  h  guerre  a  fait  faire  à  fon  Prc* 
decefTeur,  comme  celui-ci  avoir  corrigé  hsabus  nés  dans  la 
milice  par  une  trop  longue  paix.  Le  mal  eft ,  au  contraire  , 
prefque  incurable  fous  les  autres  Gcuvcrnemens  ;  &  un  Sénat 
une  fois  corrompu  ne  laiffe  aucune  efperancc  à  ceux  qui  vi» 
vent  fous  fes  Loix.  Dès  que  fes  mœurs  font  dépravées,  elles 
empirent  de  jour  en  jour*  Des  Sénateurs  vicieux  ont  beau 
mourir,  ceux  qui  les  remplacent,  adoptent  les  mœurs  cor- 
rompues de  ceux  dont  ils  deviennent  les  compagnons.  Il  n'y 
a  plus  de  remède  quand  les  parties  faines  de  l'Etat  ont  été 
infeÛées  ,  &  la  République  eft  accablée  fous  fes  propres 
ruines.  Ajoutons  que  les  Etats  qu'on  appelle  libres  durent 
moins  que  les  autres  ,  parce  que  les  fuccès  &  les  malheurs 
contribuent  également  à  leur  ravir  la  liberté  ,  au  lieu  que  les 
fuccès  &  les  malheurs  d'un  Etat  Monarchique  confirment 
également  la  fujettion  du  peuple. 

L'inconvénient  des  minorités  eft  confîdérablc ,  je  Tavouci 
c^eft  le  tems  critique  des  Monarchies  ;  mais  la  mort  du  Prin- 
ce fe  la  minorité  de  fon  fuccefleur  ne  font  pas  tomber  le 
Koyaume  dans  l'Anarchie.  L'Etat  eft  gouverné  par  un  Ad- 
miniftrateur  qui  eft  quelquefois  aidé  par  un  Confeil  de  Ré- 
gence ,  &  toujours  par  les  Confeils  ordinaires  de  l'Etat* 
-Ceux  qui  étalent  les  inconvéniens  des  minorités ,  pour  en 
conclurre  que  les  autres  formes  de  gouvernement  font  préfé- 
rables à  la  Monarchie  ,  ne  raifonnent  pas  jufte.  Le  grand 

Tûmc  L  Z  z 


j^2,  S  C  i  E  N  C  E 

mal  des  minorités,  c'eft  que  rautorité  du  Régent  n'èff  pas^ 
lout-à-fait  fi  abfolue  que  colle  du  Roi  ,&  que  les  divers'Gorp^v 
tempèrent  fa  puiffance*  Le  défaut  le  plus  confidcrablè  do  la: 
Monarthic  confîile  donc  à  ne  pouvoir  être  tellement  conti^ 
nuclle,  que  les  inœnvéniens  qui  font  attachés  au  gouverncr- 
ment  Républicain  ne  viennent,  quelquefois  aflfoibJir  le.  goo» 
verncment  Monarchiquei. 

Enfin^  des  hommes  confîdércs  féparcment,  les  uns  font 
Bons  &  les  autres  mauvais  ;  &  par  conlcquent ,  un  Etarcon* 
duit  par.  un  homme  feul  fera  tantôt  bien  ,^  tantôt  mal  goaver* 
né.. Mais  les  hommes  ,  confidérés  dans cette^totalité  quis'àp:. 
pelle  peuple,  n'ont  été ,  ne  font ,  &  ne  feront- jamais- qu une: 
multitude  d'cfprits  bornés ,.  prévenus ,  foibles ,  paflîônncs  ,.^ 
craignant  &  fc  raffurant  fans  fu jet ,  dépourvus  d'expérience:- 
&;  de.  prévoyarrce ,.  &  pouflcs  par  inflinél  vers  le  feul  bieiu 
être  aduel  ;  &  par  conféquent,  un  Etat  conduit  par.  la  muhf- 
ritude  fera  mal  &  toujours  mal  gouverné. , 

Toutes--  ces  raifôns  reçoivent  un  grand  poids  dû.  fuflffagc- 
dés. Nations.,. Le.peuplé  dlfracl  fe  réduifit  de  lui-même  à  Ja. 
Monarchie  >  comme,  au  gouvernement  univerfellement  reçu— 
Cn-le  voitétabli  dans  rhiftoire  faintc  ;  &  fi  nous  avons  re-- 
,Mftirs  à  Phiftoire  profane,. nous  y  trouverons  que  tout.Etati 
Républicain afubfifté-prcmîertment  fous  des  Rois... 

La  Grèce-,  tant  de- fois. citée  dans  les  exemples  des-gou^ 
vcrncmens- Républicain^  ,  .fi  connue  par  fon  averfion*  pourr 
rEtat.Monarchique  ^.  eut  dix  fépt  Rois  depuis  Cetrops^Roii 
d^Athches-  jufqua.Cadmus  Roi  de  Thcbes*  Elle  varia  fôm 
gouvernement:,  &  lui  donnadiffercmcs  formes;  mais  «lie  ne.-* 
Ib  fut: pas  pfùiôt* tom-née: en  République  , ,qu clic  fiitv  agjcéè- 
dJrmiUcrmj^UYCîiîccsy^&qtt^llèrta^     fous  là  piallance-dcsi 


DU  G  ^  U  y  E  U  N  î:  M  E  N  T.  -^6^ 
Macédoniens  Se  cnfuke  fous  celle  des  Romains.  Ce  ne  fut 
que  tard  &  peu  à  peu  que  les  Républiques  Grecques  fe  ibr- 
mercnt.  L*opinion  ancienne  des  -Grecs  étoit  celle  qu'exprime 
5>âr  cette  fentencc  FAuteur  de  Jlliade.:  PïurdUté  its  Princes 
fiefl  pis  4me  benne  choft.  Qnil  ny  aif  quun  Adaître  ér  quum 
JRoi  ,(if  )♦ 

Deux  Princes  qui  gouvernent  le  même  Etat  ne  doivent 
pas  attendra  de  fidélité  l'un  de  Tautrç  (hy.  Ge  quona  dît 
sdans  tous  les  tems ,  qutin  f?ul  trône  ne  peut  être  r>empli  par 
deux  Maîtres  (c)  ,  fe  vérifia  à  Rome*  L'Empire  des  Plébifci- 
îtes  y  fut  toujours  oppofé  à  l'autorité  des  Senatus-Corrfitkes  :: 
Pluralité  de  Céfar6  ne  vdiét  rien  ,  dit-on  à  Augufte  l^d).  Ea 
«cflfet  J'Ètat  rfayaBt  qu'un  Corps,,  il  ne  lui  faut  qu'un  efprit 
jpour  le  gouverner.  Les  Jbommes  ont  un  penchant  naturel  à 
ie  contTedirc  &  à  ufurper  toute  l'autorité.  Gomme  la  plura- 
lité des  Dieux  feroit  qu'il  tf y  auroit  point  de  Dieu ,  la  plura- 
lité des  Princes  fait  qu'il  n'y  a  point  de  Prince*  Auguftc- 
trouva  l'avis  qu'on  lui  donnoit  judicieux  ^  &  il  y  conforma 
fa  conduite* 

Rome  commença  par  le  gouvernement  Monarcïiique ,  & 
:après  avoir  effayé  de  toutes  les  formes  de  gouvernement  ^ 
Tevint  à  la  domination  d'un  fcul  comme  à  fon  état  naturel. 
Dans  les  tems  même  où  Rome  ie  conferva  République ,  dès 
que  quelque  grand  péril  le  faifoic  fentk:  ,  elle  fe  rcduifoit  à 

X-i)  Homère  ,  Lîv.  a*  Vcrf.  104. 8c  loj^.  Homère -met -ce  fentimeot  dans  latoo» 
43>e  d'Ulyffe. 

\h)  Eamrem  minus  étgrè  quAm  dignum  trat ,  ruliffi  Romulum  férunt  ^feuob  in^ 
Jidamfocietatem  regni  »  ù'c.  Th.  Liv, 

(c)  Non  capitfulium  duos.  Sencca.  Iftfociàbile  rtgnitm^  dh  Tadt.  ArmaL  tj. 
{à)  L'an  713  de  Kome  9  Augufte  délibc'rant  en  Egypte  s'il  feroit  mourir  CéHàm 
xioa>  Arée  «  PtHlofophe  Eeyptien  y  doinc  il  recevoic  lesconftils  ,  Kii  dit  :  /  e  monde 
Jtroit  embarrajfé  de  dtuH  CtJ'ars  »  il  n\n  ^tutfcuffrir  gu'un.  JPlutar,  in  AriA.  Ces 
Busts  fuient  f uacfte«  à  C^fark»» 


5^4  SCIENCE 

lunité.  Ou  elle  confioit  le  Gcuverncirt^nt  aux  Confufs ,  oa 
cHe^réoit  un  Diftateur..  Que  les  Confuh  ajent  fain  ^  difoir  le 
Sénat  ^  ^ue  U  République  ne  reçoive  ducrtn  dommage  {£)  ;  8c 
dans  nnftant  ,  les  Confuls  avoient  tautorité  fuprême  ^  & 
kurs  décifions  croient  ablblucs.  Le  Diûateur  droit  une  efpece- 
de  Monarque  dont  le  règne  n  étoit  pas  long  ,  mais  dont 
Tautorité  étoit  abfolue,  De-là  il  efl  aifé  de  conchirre  que  lés. 
Romains  eftimoient  que  le  commandement  d'un  feul  avoir 
une  plus  grande  autorité  y  &  que  les  délibérations  enctoient: 
plus  libres  ,  le  Confeil  plus  ferme ,  FobcilTance  plus  exaâe* 
Non-feulement  la  République  revenoit  à  1  unité ,  en  confiant 
la  puiffance  fuprême  aux  Confuls ,  ou  en  créant  des  Diâa- 
teurs  ,  elle  s*y  attachoit  même  dans  la  manière  de  créer  lé: 
Didateur ,  car  c  etoit  aux  Confuls  qu  elle  donnoit  le  pouvoir 
de  le  créer  y  pour  éviter  les  inconvéniens  du  choix  du  peu- 
ple peu  éclairé,  agité  de  partions,  aifé  à  corrompre*  De  tous. 
}tts  Di£Uteurs  qui  furent  nommés  par  les  Confuls  dans.  Télpa- 
cje  de  trois  cens  ans,  il.  n'y  en  eut  jamais,  aucun  qui  eut  la: 
penfée  d'opprimer  la  liberté  ;  mais  la  République  fe  trouva, 
très-mal  dé  la  Diftacurede  Sylla  &  de  Céfar  qui  avoient.  étér 
éjus  par  le  peuple*. 

Que  (îgnifient  ces  Comités  fecrets  que  les  dernières  Dîet— 
tes  générales  de  Suéde  ont  établis,  fi  ce  n'cft  Tinconvé— 
ruent  du  grand  nombre  dans  les  délibérations  ,,&  Tavantager. 
du  fecret  particulier  aux  Monarchies? 

Dans  les  autres  parties  du  monde ,  on  connoît  fi  peu  TE— 
tat  Républicain  ,  qu'on  n'en  a  pas  même  l'idée.  Lorfque  1er 
Roi  de  Pégu  apprit  qu'il  n'y  avoit  point  de  Roi  à  Vcnife  „ 
&  que  c'eft  le  Sénat  qui  ea  eft  le  Souverain ,  il  tir  un  graqd 

(fi).  Videant  ne  quid  Repihïïca  detrimtntï  cafereu  Tiu  Liv*  Lib^jm, 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       ^6s 

éclat  de  rire  ,  comme  fi  on  lui  eût  parlé  d'une  chôfe  fort  ab* 
fiirde  (if)  ;  Et  les  Ambaffadeurs  des  Hollandoîs ,  n  ayant  pu 
faire  comprendre  la  nature  de  leur  Gouvernement  aux  Offi-^ 
ders  de  l'Empereur  de  la  Chine  ,  furent  obliges  d'y  négocier 
fous  le  nom  de  leur  Stadthouder  ,  d'employer  le  nom  dif 
îrincc  d'Orange  y&  de  feindre  que  les  préfens  venoientde 
fa: part  ^  comme  fi  ces  Ambaffadeurs euffent  été  les  fujets  (è)^ 

Dans  notre  Europe  même ,.  nous  ne  voyons  point  de  Ré-- 
publique  qui  n'ait  été  foumife  à  des  Monarques^  Les  Suiffes^ 
ont  été  fujets  ou  des  Empereurs  d'Allemagne  ou  de  l'a  mai- 
fbn  d'Autriche.. Les  Provinces-Unies  ne  font  forties  que  de-^ 
puis  fort  peu  de  tems  de  la  domination  d'Efpagne.  Quelques; 
villes  d'Allemagne  ont  leurs  Seigneurs  paniculiers  outre  le' 
Chef  commun  du  Corps  Germanique.  Luques,.Gènes,  Bo-- 
k)gne>  Florence  y&  les  autres  villes  d'Italie  y  ne  fe  font  af- 
franchies du  joug  Impérial  qu'à  prix  d'argent,  fous  le  règne' 
de  l'Empereur  Rodolphe  (r).  Venife  même  qui  le  vante  de* 
n'être  guères  moins  ancienne  que  la  Monarchie  Françoife  te 
qui  prétend  avoir  été  République  dès  fon  origine ,  recevoir: 
de  fon  Doge  des  Loix  abfolues  y  8r  étoit  encore  fujette  des» 
Empereurs  fous  le  règne  deCharlemagne  &  longtems  après.- 
Ellefe  forma  depuis  en  Etat  populaire,  d'où  elle  efl  venueaf- 
liez  tard  à  l'état  où  nous  la  voyons  (^)*- 

Tout  le  monde  a  donc  commencé  par  des  Monarchies ,  & 
prefque  tout  le  monde  s'y  eft  confervé  comme  dans  l'état  le 

(a)  Itinéraire  de  Gafpard  Balbi,  fous  Tan  Jf66y8c  Recueil  des  Voyages  quïi 
ont  fervià  rétablifTement  de  la  Compagnie  des  Indes  >.  Ton.  i»  première  partie ,> 

Bag;3î- 
.  ib)  Neuhoff.  in  Légat.  &  Hift.  ge'héralê des- Voyages  ,  Tom.  y.  pag.  2^7; 

(c)  Ce  que  je  dis  ici  eft  confiant  de  la  plupart  de  ces  Républiques.  Voyez,  pour 
ctlle  deLuques  ,  robferyation  que  j*ai  faite  dans  le  feptiéme  Chapitre  de  ce  Vo-r 
lîime. 

i4)  Voyez  U  quatorzième  Seâion  du  feptiéme  Ch4j>im  de  cetic  latroduAiôlft. 


^6  '   sciî:tî«e 

l>Ius  natureK  Audi  a-?t-il  foa  fondement  &  fon  modèle  dans. 
Tempire  paternel  j  c*eft-à-dire  dans  la  naturci  Les  liommes 
naiflent  dans  la  dépendance  de  leurs  parens ,  &  J'Empire  p«- 
cternel  qui  les  accoutume  a, obéir,  les  .accoutume  en  même  rems, 
.à  n'avoir  qu'un  Chef •   . 

Un  mot  de  Lycurgue  peut  tout  feul  faire  fentîr  combiem 
vaines  font  Jes  raifons  de  préférence  que  les  partifans  de«; 
Républiques  oppofent  au  gouvernement  Monarchique.  Un 
îiomme  JoUoit  en  fa  ^préfence  la  Démocratie*  ComwnKccz,  (  lut 
St  ce  Légiflateur  )  f^r  tctAbitr  djtns  'votre  mai/on  ;  c'eft  a- 
idtre  par  établir  ^u'U  y  ait  dans  votre  maifon  autant  demaî- 
itres  que  de  domeftiques* 

Telles  font  les  confidéradons  qui  paroiflent  réfoudre  ea 

!feveur  de  la  Mcnar-chiela  queflion  propofce  en  géndraLMaîs 

il  faut  recormoître  un  xaerne  teqis,  que  ce  gouvernement , 

préférable  à  tous  les  autres  ,  toutes  chofes  d'ailleurs  égales  ^ 

efl  le  plus  pernicieux  de  tous  ,  lorfqu  il  dégénère  (if).  Il  eft 

xle  tous  les  gouverncmens  le  meilleur ,  ou  le  pire;  ex<:ellent 

fous  unbonRoi,.perùicicux/fous  un  mauvais  Prince* 

0  t^îiKwri      ^^  fôreté  publique ,  le  repos ,  la  paix,  l'abondance  >  tous^ 

l^^t^^^l^^'X  ^^^  biens  poffedcs  doivent  être  l'objet  des  Loix  ;  &  piiifque 

P^s^ï^l'tcmdt^  c'efl:  pour  les  peuples  qu'elles  font  faites  ^  c'eft  aux  befoins 

.îrc*  L'r^*  '^d^  des  pcuphs  qu'elles  doivent  être  proportionnées.  Lorfqu'oa 

*  ''**^*''^*"*^"^'  demanda  à  Sbbora ,  fi  les  Loix  qu'il  avok  données  aux  Athc- 

jfiens  9  étoient  les  meilleuries  ;  je  leur  donne  ,  répondit-H  , 

tes  meilleures  de  celles  quits  fourr oient  fouffrir  :  réponfe  qui 

fîippofe  que  les  Loix  doivent  être  relatives  aux  mœurs  des 

tiommes.  Ce  que  nous  difons  des  Loix  ,  di!oni  le  auffi  de  la 

ferme  des  gouvememens.  Il  iaut  diftinguer  deux  fçxiçs  àc 


DU   G  O  U  \r  Ê  R  N  EM  E  NT:      ^^r 

bontés >.  l'une <jui  lui  eft  propre,  Tautre  qu'on. peut  nommer' 
jBclative  &:  qjii  dépend  dès  conjonflures  dans  Icfquelles  un 
peuple  ft  rencontre;  C*eft'  moins,  à  la*  bonté  abfolue  d'une- 
conftitution  d'Ëut-qu^lll^ut  faire  attentions  qu'à>fa  bomé  ré- 
lative».  La'  même  forme  qui*,*  dans  .un  certain  pays ,  efl  la' 
Iburce  du -bonheur  public ,.  peut  produire  ailleurs  les  plus 
grands  maux  ;  8c  il- efl  prouvé  par  Thilloire  de  toutes  les- 
Nations  ^  qU2  les  circonftantes  agiflçnt  avec  affez  de  pouvoir 
fur  les  différentes  formes  de  gouvernement  ,  pour  changer 
en  quelque  forte  leur  nature  ,  &  pour  rendre  mieux  en  un- 
temsce  qui'^  dans  un  autre,xontribue  le  plus  efficacemcm  au- 
bonheur  &  à  la  gloire  dun  peuple.  Les  préjugés  de  la  naif- 
fânce,,de  Icducation,  de  l'habitude,  font  &  lesrefTorts  de 
l!ame  &  le  principfe  de  toutes  nosaûions*  Cèft  fur  les  idées 
dominantes  dans  une  Nation ,  c'eft  relativement  au  nombre 
du  peuplé,  à  ies  inclinations  ,  à  fes  charges',  à  la  fîtuation 
&  à  lafercilité  du  pays,. que  l'Etat  doit  être  fondé.  Chaque 
Nation  a  fès  mœurs  particulières  ,.&  les  goLv^rnemens  ne 
{çauroient  être  plus  uniformes  que  les  caradères.  Si ,  pour 
fortifier  des  p laces, il  efl  nécélFaire  deconfidérer  la  fîtuation 
&.  lan^urc  du  terrain  ,  il  fauràuffi,  pour  former  le  plan  d'un- 
gouvernement  y:  confulter  les  miœurs ,  le  nombre  des  habi-  " 
tans  qui  doivent,  le  compofer  ^.&  la  fîtuation  du  pays  qu'ils- 
doivent  occuper;- 

La  Monarchie  convient  aux  grands  Etats.  Dès  que  plu-- 
fièurs  Provinces  ne  forment  qu  une  feule  fociété  ,1a  politi- 
que ,  qui  ne  peut  établir  une  égalité  réelle  dans  la  fortune  de-' 
fès  citoyens,. n'y  fçauroirafrermir  le  gouvernement  populai- 
re* Le  peuple  cefïc  bientôt  d'être  libres  parce  que  les  CL-- 
tDycns  pauvres  doivent  être  nccefTairement  fournis  aux  Q^- 


3^8  SCIENCE 

toyens  riches  ;  &  ce  peuple,  après  avoir  excité  quelques  ora- 
ges inutiles ,  cherche  lui-même  un  maître  qoi  les  délivre  de 
fes  propres  caprices. 

L'Ariflocratie  ou  la  Dcmocraticflroiflcnt  propres  â  un 
peuple  renfermé  dans  une  petite  enceinte.  Un  Prince  ne  s*y 
fouticnt  que  par  Tintimp  confiance  de  fon  peuple ,  ou  par  le 
Defpotifmelc  plus  rigoureux.  Le  premier  qui  s'élève  contre 
lui ,  n'a  befoîn  ni  d'un  génie  fupérieur,  ni  d'un  courage  ex- 
traordinaire pour  l'abbattre.  De  tant  de  paniculiers  qui  ufur- 
perent  autrefois  Tautorîté  dans  une  feule  ville,  peuréuffirerit; 
&  foit  que  leur  politique  employât  la  force  ou  la  douceur  , 
aucun  ne  tranfmit  la  Couronne  ci  fon  petit-fils.  Le  gouver- 
nement d'un  Prince  eft  mal  affuré  dans  un  petit  Etat ,  par- 
ce que  naturellement  les  hommes  font  indociles  au  joug  & 
qu'ils  peuvent  facilement  le  fecouer ,  fi  celui  qui  gouverne  , 
n'a  pour  maintenir  fon  autorité ,  que  le  peuple  même  qui  en 
eft  mécontent  :  au  lieu  que ,  dans  les  grandes  Monarchies  oii 
le  mécontentement  ne  peut  pas  être  fi  général ,  les  forces 
des  parties  faines  de  TEtat  appuyent  l'autorité  du  Souverain 
dans  les  lieux  où  elle  eft  attaquée. 

Que  le  gouvernement  influe  fur  le  bonheur  &  fur  la  gîoîre 
des  Sujets  ,  agiffe  fur  toutes  les  fociétés  politiques  ,  &  mette 
autant  de  différence  entr'elles,  que  l'éducation  en  met  entre 
les  diffcrens  ordres  de  citoyens  ,  c'cft  une  vérité  incontefta- 
ble.  Il  faut  donc  néccffaîrement  confulter  les  mœurs  de  la 
Nation.  Il  eft  des  peuples  qui  ne  pourroient  être  que  mal- 
heureux fous  un  feul  maître ,  parce  que  leur  fituation  ne  leur 
permet  point  de  fournir  à  toutes  les  dépenfes  d'une  Cour  | 
Idns  fc  réduire  à  une  extrême  mifere.  Il  en  eft  dont  Topulen- 
te  &  l'humeur  faôieufe  font  incompatibles  avec  la  tranquil- 
lité 


DU  GOUVERNEMENT.  ^69 
lité  d*un  Etat  Républicain ,  les  Romains  réprouvèrent,  Lorf- 
qu^ils  fe  trouvèrent  accablés  fous  leur  propre  grandeur.  Il  en* 
cft  qui ,  accoutumés  à  obéir  à  un  feul  ,  ne  fçauroient  Te  gou* 
verncr  eux-mêmes.  On  fçait  que  la  famille  qui  regnoit  fur  la 
Cappadoce  étant  venu  à  s'éteindre ,  par  la  mort  d'Ariarathe  Roî 
de  Cappadoce  ^  vers  le  milieu  du  feptiéme  fiécle  de  Rome ,  la' 
République  Romaine  qui ,  fous  le  doux  nom  d  alliance ,  gou- 
vernoit  Souverainement  prefque  toute  la  terre  ,  permit  aux 
Cappadociens  de  fe  choifir  des  Magiftrats  pour  les  gouverner  ; 
mais  bientôt  embarraflcs  de  la  liberté  que  Rome  leur  avoir  ac- 
cordée, ils  demandèrent  à  la  République  d'être  gouvernés  par 
un  feul ,  comme  ils  avoient  accoutumés  de  Têtre  (a) ,  elle  leur 
permît  de  fe  choifrr  un  Roi  y  &  d*affurer  le  diadème  à  la  pofté* 
rite  du  Prince  qu'ils  feroient  monter  fur  le  thrône  (b);  &  ils 
reçurent  comme  une  grâce  la  liberté  de  plier  fous  le  joug  d'un 
feul.  L*Angloîs  foupçonneux  ne  confie  le  Gouvernement  qu'à 
la  Nation  aiferablée.  Le  François  ,  naturellement  impétueux, 
veut  être  conduit  par  l'autorité  d'un  feul  ! 

Le  Gouvernement  Monarchique  eft  ou  héréditaire  ou  élec-  hér^îïi?rdok^ 
tif ,  &  il  faut  connoîtfe  la  nature  des  éleûions  pour  pouvoir  u^Hvef'^'^**^* 
les  comparer  avec  les  Succeflîons  héréditaires. 

Plufieurs  peuples  anciens  attachés  à  ce  principe ,  que  laCou^ 
tonne  doit  être  ta  récompenfe  de  la  vertu ,  ont  regardé  l'ordre 
deSucceffîon  établi  fur  les  droits  de  la  naiffance,  comme  un 
ufage  groffier  &  barbare,  qui  foumet  fouvent  le  peuple  à  ^es 
Princes  indignes  de  régner ,  Se  qui  l'expofe  aux  orages  trop 
ordinaires  pendant  les  minorités. 

(4)  MiJ^s  legath  lihertatem  repudîaverunt  ,  ut  fuam  Jîbi  dUerent  tjfc  ïntoUrabiUnti 
Jtegemfihi  dari  poflulavcrunt,  Strab.  lib.  XII. 

Qf)  Ce  fut  Ariobanane  qu'ils  choiûrçnu 

Tome  U  A  a  a 


370  SCIENCE 

Nous  apprenons  d'Hérodote  (  a)  ,  que  les  Ethiopiens  étoîenr 
les  mieux  faits  de  tous  les  hommes  &  de  la  plus  belle  taille  ; 
leur  efprit  étoit  vif  &  ferme  ;  mais  ils  prenoicnt  peu  de  foin 
de  le  cultiver  ,  &  mettoient  leur  confiance  dans  leurs  corps 
robuftes  &  dans  leurs  bras  nerveux.  La  Couronne  étoit  élec- 
tive ,  &  ces  Peuples  plaçoient  fur  le  thrône  Phomme  le  plus 
grand  &  le  plus  fort. 

Au  rapport  d'Ariftote  ,  les  Scythes  élifoient  pour  Roi  celui 
qui  bûvoit  le  mieux* 

Les  enfans  de  Mammelus  étoient  ,  dès  le  berceau  y  con- 
damnés à  vivre  dans  un  perpétuel  efclavage  ;  leurs  pères  ne 
leur  faifoient  aucune  part  de  leurs  biens  y  &  les  empêchoienc 
de  porter  les  armes  &  de  monter  à  cheval  ;  ils  alloient  acheter 
chèrement  des  Succeifeurs  chez  les  Nations  accoutumées  à  ven- 
dre leurs  enfans  ;  &  ceux  que  la  nature  leur  avoit  donnés  ^  ils 
les  réfervoient  pour  cultiver  la  terre.  Ceft  la  paflion  qu'ils 
avoient  pour  un  Gouvernement  éleftif  qui  les  avoit  mis  dans 
cette  habitude  cruelle.  Pour  pouvoir  être  élu  Sultan  parmi  eux  , 
il  falloit  être  étranger  ^  avoir  été  vendu  comme  efclave ,  &  avoir 
porté  les  armes  en  qualité  de  fimple  Soldat. 

Le  Peuple  de  Tlflc  de  Trapohane  n'éUfoit  pour  Roi  que  des 
vieillards  qui  rfavoient  point  d'enfans.  Si  le  Roi  devenoit  père, 
il  étoit  dépouillé  de  toute  autorité  y  &  Ton  en  mettoit  un  autre 
à  fa  place,  (fe) 

Qui  ne  feroit  étonné  de  la  bizarrerie  de  ces  ufages  I 

Dans  un  Etat  où  les  Citoyens  feront  affez  vertueux  pour 
couronner  le  mérite,  &  affez  redoutables  à  leurs  voifîns ,  pour 
n'en  pas  recevoir  la  loi ,  que  la  Couronne  foit  éleilive  j  mais 

'(tf)Liv.  III.  Chap.  XX. 
O)  Solia ,  Poly.  Hift.  Chap.  56; 


DU     GOUVERNEMENT.       ^yt 

une  pareille  Société  n*a  jamais  exifté  ,  tf  exifte  ^  &  n'cxîflera 
point.  L'ambition  &  les  autres  pallions  feront  toujours  plu» 
puiflantes  fur  le  cœur  des  hommes  que  la  vertu  ,  &  il  fera 
toujours  infiniment  avantageux  aux  Monarchies,  que  Dieu  le» 
fkffe  tomber ,  par  le  bonheur  de  la  naiflance ,  à  qui  il  luLpîlaira 
de  les  donner. 

Ce  rfeft  guère  que  par  la  force  ou  par  des  brigues  qu'ofl 
monte  fur  les  thrônes  des  Monarchies  qui  fc  donnent  des  Maî* 
très  à  la  pluralité  des  voix.  Qu'on  life  ce  qu'en  écrivent  les 
Hiftorîens  même  du  pays  (a).  Un  feul  peut  être  élu ,  combien 
afpirent  à  l'être  !  Dans  les  Monarchies  héréditaires ,  l'inconvé- 
nient des  minorités  cfl  confîdérable ,  mais  celui  qui  réfulte  des 
troubles  ,  des  interrègnes ,  &  des  brigues  ,  dans  le  concours 
des  éle£lions ,  Teft  mille  fois  davantage.  Il  eft  auffi  plus  fré- 
quent ,  parce  qu'il  fe  renouvelle  à  la  mort  de  chaque  Prince 
éleflif ,  &  qu'affez  communément  dans  les  Etats  héréditaires  , 
THéritier  préfomptif  fe  trouve  majeur  à  la  mort  du  Prince  reg- 
nant. 

Dans  un  Royaume  éleâif  y  les  projets  qui  doivent  mûrir  ^ 
les  deffeins  qui  ont  befoin  de  beaucoup  de  tems  pour  être  exé- 
cutés y  les  vues  fuivies  demeurent  ordinairement  fans  exécu- 
tion ,  parce  que  d'un  Roi  à  l'autre  ,  le  fil  des  négociations  eft 
coupé. 

Pendant  Tinterrégne  ',  TEtat  eft  comme  dans  l'Anarchie  ^ 
privé  de  fa  forme  ofdinaire  ,  &  demeurant  fans  celui  qui  a 
accoutumé  de  le  gouverner  y  ainfi  qu'un  Vaiffeau  fans  fon  pi- 
lote. Les  cabales  fe  forment  ,  les  partis  s'entrechoquent ,  les 
Loix  gardent  le  filence  ,  &  la  guerre  embrafe  les  Provinces» 

{a)  Rtvolvite  annales  noflros  ,  vix  unum  cxemplum  libéra  eUftionls  invenietis,  où  ali^ 
qua  vis  aut  4rs  immixta  nonfuerii*  Sanùcky ,  Aateur  Polonois. 

Aaaij 


57*  SCIENCE 

Les  voteurs  ^  dans  refpcrance  d'avoir  leur  grâce  du  nouveair 
Roî  y  commettent  raille  crimes  ,  comme  cela  fe  voit  à  Rome  , 
lorfquc  le  Siège  PontÛical  efl  vacant ,  &  comme  cela  s'eft  vu 
en  Allemagne  ,  où ,  après  que  Guillaume ,  Comte  de  HoUandcj; 
eût  été  tué  ,  TEmpire  vaqua  pendant  dix-huit  ans.  L'intervalle 
du  règne  de  Charles  d'Autriche  (a) ,  à  celui  d'Albert  de  Ba- 
vière (b)  ,  a  vu  une  guerre  fanglante.  (c)^  Les  brigues  ,  dans 
le  cours  de  Téleûion  ,  rendent  non- feulement  le  choix  d'un 
Roî  extrêmement  dangereux ,  mais  la  pluralité  des  voix  même 
ne  fait  pas  toujours  recevoir  ce  choix  dans  le  cœur  de  tous 
les  Sujets  après  l'cledion.  Qui  ne  connoît  les  troubles  que  eau- 
ia  (d)  l'éleûion  d'Augpfte  IL  &  celle  du  Prince  de  Conti  !  Qui 
ignore  que  la  dernière  éleftion  de  Pologne  (e)  a  été  la  caufe 
d'une  guerre  qui  a  coûté  plus  de  deux  cens  mille  hommes  à 
l'Europe  (/). 

Il  y  a  des  Royaumes  où  le  droit  d'éleSion  efl:  joint  à  celui 
du  fang  ^  8c  où  l'on  confîdére  l'origine ,  fans  s'arrêter  au  degré 
de  proximité.  Pendant  long-tems ,  les  Dicttes  de  Pologne  choî* 
jÇrenr  toujours  ks  Rois  dans  les  &mrlles  de  Piajjte  8c  à^JagtU 
Ion.  Lorfque  ces  Familles  étoicnt  éteintes  ,  les  Polonois  cher^ . 
choient  même  pour  régner  fur  eux  ceux  qui  en  dcfcendoient 
par  les  femmes  (g).  Ceft  ainfi  que,  pour  éviter  les  Brigues,, 
on  élit  fouvcnt  dans  d'autres  pays  ,  l'héritier  du  Roi  mort,  s'ît 
fb  trouve  en  état  de  commander^  &  par-là ,  Ton  rifque  de  vois 

20  d*Oftobre  1740» 
•Janvier  1742- 

i  des  Alaifons  de  Brandebourg,,  de  Bavière  &  de  Saxe,  avec  la  fiUè 
a&iie'^  de  Charles  V.L 
Cd)  En  1697. 
(OEn  1733, 

(/)  Pour  connohre  les  inconvénicns  des  éle£Hons  dé  Pologne ,  voyez  le  fîxicme  clr# 
fb  cette  Introduftion ,  Se^.  XIX. 
{£)  ^oycz  la  XIX^'  Seâion  du  ûxiéme  chapitre  de  cette  Introduâion» 


DU     GOUVERNEMENT.       373 

le  Gouvernement  éle£tif  devenir  héréditaire  :  Danger  confidé- 
rable  ,  puifque  tout  changement  dans  la  forme  primitive  & 
accoutumée ,  ébranle  les  fondemens  de  TEtat  :  Danger  dont  on 
trouve  un  grand  exemple  dans  le  Corps  Germanique  ,  qui  a  eu 
feizc  Empereurs  de  la  Maifon  d'Autriche ,  fans  compter  celui 
qui  y  régne  aujourd'hui ,  pour  avoir  époufé  la  fille  du  dernier 
de  ces  Empereurs  :  Voye  dangereufe  que  les  cabales  encore 
font  ou  réuflfir  ou  manquer.  Ne  vaut-il  pas  mieux  être  foumîs 
une  fois  pour  toutes  à  une  Monarchie  héréditaire  où  Ton  n'eft 
pas  expofé  à  tant  dlnconvéniens  ? 

Dieu  avoit  établi  pour  fon  Peuple  le  Gouvernement  hérédi- 
taire ,  il  avoit  attaché  la  Royauté  par  fucceffion  à  la  maifon 
de  David  &  de  Salomon ,  &  il  femble  difpofer  lui-même  plus 
immédiatement  du  Gouvernement  auquel  il  appelle  les  Princes 
par  leur  naiffance  ,  que  de  celui  qui  eft  fondé  fur  un  choix 
toujours  expofé  à  Terreur,  Ce  choix  dépend  y  d'une  part,  d'une 
eftimation  difficile  &  fouvent  dangereufe  ,  du  mérite  perfon- 
nel  ;  &  de  l'autre,  d'une  éleftion  où  chacun  des  Eleveurs  con- 
fulte  bien  plus  fes  intérêts  particuliers  y  que  le  bien  public. 

Un  Roi  qui  n'a  rien  à  efpérer  pour  fes  defcendans ,  n'eft  oc- 
cupé que  de  fes  vues  particulières  :  Au  lieu  que  le  Prince  dont 
la  Couronne  eft  héréditaire  ,  regarde  l'Etat  comme  un  héritage 
<ju  il  doit  laifTer  à  fa  poftérité^  En  travaillant  pour  fon  Royau- 
me j  il  travaille  pour  fes  enfans  ;  &  l'amour  qu'il  a  pour  fon 
Royaume  ,  confondu  avec  celui  qu'il  a  pour  fa  famille  ,  lui 
devient  naturel.  Les  Grands  ne  s'accoutument  pas  aifément  à 
regarder  comme  leur  Souverain  un  homme  avec  qui  ils  avoient 
vécu  comme  avec  leur  égal  ^  ils  n'obéiflent  qu'avec  peine  à  un 
Roi  qui  eft  leur  ouvrage.  Les  Peuples  refpefteht  bien  davan- 
tage un  Prince  que  la  naiidance  a  appelle  au  thrône  ^  que  celui 


374^  SCIENCE 

qui  ne  doit  la  Couronne  qu  à  réle£tion  ;  ils  attachent  leur  vé- 
nération à  une  Maifon  toujours  régnante  ,  &  la  jaloufie  qu*oa 
a  naturellement  contre  ceux  qu  on  voit  au-deffus  de  foi  ,  fe 
tourne  ici  en  amour  &  en  refpeâ:.  Les  Grands  même  obéïffent 
fans  répugnance  à  une  Maifon  perpétuellement-mîiîtreffe ,  &  à 
laquelle  on  fçait  que  nulle  autre  ne  peut  être  comparée* 
La  MonafcWe      Ccfl  un  avantage  pour  le  Peuple  ,  que  le  Gouvernement  fe 

inirementhéréai.  ,  i  ^  •  /  l  i  . 

taire  doit  être  pcrpctue  par  les  mêmes  voyes  qui  perpétuent  le  genre  humam  ^ 
oûi'éreftion&ie  &  qu'il  aille  pour  ainfi  dire  de  pair  avec  la  nature.  Toutes 

droit  au  fang  doi-  \  •*•  "  * 

arent  concourir,  chofcs  d'aillcurs  cgalcs  ,  il  faut  préférer  ce  qui  cft  réglé ,  par 
Tordre  fixe  &  confiant  de  la  nature ,  à  ce  qui  rfeft  que  Teffet 
de  la  volonté  capricieufe  &  inconftante  des  hommes. 

Ces  mêmes  raifons  fervent  à  montrer  que  la  Monarchie  pu- 
rement héréditaire  eft  prcférabl«i  celle  où  le  droit  d'éleélion 
doit  être  ajouté  à  celui  de  la  naiffance  y  telle  que  la  Monarchie 
de  Ruflîe  où  le  Prince,  les  Grands  &  les  Soldats  choififlent 
fouvcnt  quelqu'un  de  la  Famille  régnante  pour  1  élever  à  l'Em- 
pire y  fans  s'aftreindre  au  droit  de  primogéniture  >  &  fans  gar- 
der Tordre  de  la  naiffance  (a).  Il  eft  ailé  de  comprendre  que 
cette  manière  de  donner  des  Souverains  a  les  mêmes  inconvc- 
nîens  qu'on  vient  de  remarquer  dans  les  Etats  purement  élec- 
tifs y  8c  que  les  cadets  qui  font  élevés  au  thrône  au  préjudice 
de  leurs  aînés  ,  ont  toujours  à  craindre  les  mouvemens  d'un 
parti  favorable  au  droit  d'aîneffe  reconnu  partout  ailleurs. 
Li  Monarchie      On  ne  fçauroit  examiner  fi  la  Monarchie  abfolue  doit  être 

préférée  a  utem.  préférée  à  la  tempérée,  ou  la  tempérée  à  Tabfolue,  que  Tidée 
de  la  Monarchie  Françoife  &  celle  de  la  Monarchie  Angloife 
ne  fe  préfentent  à  Timagination,  Où  pourroit^ron  trouver  un 
exemple  plus  illuftrc  du  Gouvernement  abfolu  qu'en  France  ^ 

{a)  Voyez  b  XXIV*  Seâion  du  ûxiéme  Chapitre  de  cette  latrodaâion. 


DU  GOUVERNEMENT.  375^ 
&  de  tous  les  Peuples  qui  vivent  fous  un  Gouvernement  Mo- 
narchique ,  quel  eft  celui  qui  foit  réputé  plus  libre  que  T An- 
glois  ? 

L'Hifloîre  des  deux  Nations  eft  fi  connue  ,  qu'avoir  pofé  h 
queftion  ,  c  eft  l'avoir  décidée. 

On  ne  fçauroit  choifîr  deux  plus  habiles  Ad  verfaires  du  Gou- 
vernement abfolu,  que  ceux  dont  je  vais  rapporter  les  opinions: 
Un  Secrétaire  d'Etat  d^ Angleterre  ,  qui  a  fort  exalté  le  Gou- 
vernement auquel  il  eut  part  y  le  met  fort  au-deffus  du  Gou- 
vernement Républicain  de  Rome.  >>  Les  trois  Puiflances  qu  on 
j>  voyoit  à  Rome ,  (  les  Sénateurs  ,  les  Nobles ,  &  les  Tribuns  ) 
^  n'étoient ,  dit-il  y  ni  fi  diftindes  ni  fi  naturelles  qu'elles  le 
»  paroiffent  dans  la  forme  du  Gouvernement  d'Angleterre.  En- 
»  tre  plufieurs  objeÛions  qu'on  peut  faire  y  les  principales  re- 
»  gardent  le  pouvoir  des  Confuls  y  qui  n'avoient  que  le  dehors 
&  non  la  force  de  la  Royauté,  Ils  manquoient  d'un  tiers  ou 
ï>  d'une  voix  décifive  y  lorfqu'ils  n'étoient  pas  du  même  avis* 
»  C'eft  pour  cela  que  les  affaires  du  public  demeuroient  quel- 
»  quefois  fufpendues  ,  à  moins  que  l'un  d'eux  ne  fut  abfenr* 
M  D'ailleurs ,  je  ne  trouve  pas  qu'ils  euffent  une  voix  négative; 
ï>  lorfqu'il  s^agiffoit  d'une  Loi  ou  d'un  Décret  du  Sénat ,  enforte 
•e  qu'ils  étoient  plutôt  les  principaux  de  la  Nobleffe  ou  les  pre- 
w  miers  Miniftres  de  l'Etat ,  qu'une  branche  diftinâe  de  la  Sou- 
M  veraineté  dont  aucun  ne  peut  faire  partie ,  s'il  n'a  quelque 
»chofe  du  pouvoir  légîflatif.  Si  les  Confuls  avoient  eu  Ja  même 
»  prérogative  que  nos  Monarques  ,  jamais  Rome  n'auroit  eu 
••  befoin  de  créer  des  Didateurs ,  qui  y  m'unîs  de  tout  le  pouvoir 
5>  des  trois  Etats  y  renverferent  à  la  fin  fon  Gouvernement,  (a) 
Un  François  ,  plus  Anglois  par  fon  inclination  que  l'homme 

{a)  Addiflbn,  dans  le  Sp^âateur  j  ou  le  Socrate  modemc» 


37<î  SCIENCE 

dont  je  viens  de  parler ,  ne  Tctoit  par  fa  naiflfance^  ne  trouve 
guère  dans  le  monde  de  liberté  fur  la  terre  que  dans  la  Grande- 
Bretagne  ;  &  rien  n'eft  fi  fingulier  que  les  deux  Chapitres  où 
il  a  traite  particulièrement  du  Gouvernement  de  ce  pays-là  (a)  ; 
dont  réloge  fe  trouve  d'ailleurs  répandu  dans  prefque  toutes 
les  pages  de  fon  Ouvrage.  Jamais  Terreur  n'emprunta  de  plus 
vives  lumières ,  &  n'employa  tant  d'efprit  pour  féduire. 

J'ai  réfuté  tous  les  raifonncmens  de  ces  deux  Ecrivains  ,  en 
expliquant  les  défauts  des  Gouvernemens  irréguliers  {b).  Ils 
ont  donné  Tun  &  l'autre  dans  toutes  les  erreurs  de  la  fpécula- 
tion ,  &  n'ont  pas  voulu  voir  que  les  idées  riantes  qu'ils  fe  font 
faites  de  la  liberté  Britannique ,  font  détruites  par  les  exem- 
ples que  chaque  fîécle  ,  chaque  année ,  chaque  jour  a  fournis 
dans  ce  pays-là.  Ce  qu'il  y  a  de  remarquable  ,  c'eft  que  le  plus 
récent  de  ces  Auteurs ,  a  réfuté  lui-même  le  merveilleux  fyf- 
tême  de  Gouvernement  dont  il  efl  idolâtre ,  par  ces  feuls  mots 
qui  terminent  fon  Ouvrage  :  Ce  n'eji  point  à  moi  à  examiner  Ji 
les  Anglois  jouirent  a6luellement  de  cette  liberté  ou  non.  Il  m& 
fuffit  de  dire  qu'elle  ejl  établie  par  leurs  Loix  y  (fje  rCen  chercha 
pas  davantage,  (c)  Pourquoi  cft-ce  que  l'Auteur  n*en  cherche  pas 
davantage?  L'Angleterre  n'eut  jamais  tant  de  puifTance^  tanc 
d'éclat  qu'elle  en  a  aujourd'hui  ;  &  même  en  faififfant  ce  mo- 
ment heureux  ,  l'Auteur  n'a  pas  çfpéré  de  pouvoir  juflifier  fes 
fpéculaiions,  11  falloir  qu'il  en  cherchât  davantage  y  &  il  auroic 
trouvé  que  cette  liberté  tant  vantée,  n'exifle  que  dans  la  théor 
rie ,  &  efl  nulle  dans  la  pratique. 

Les  Anglois ,  d'un  côté  ,  louent  avec  excès  la  forme  de  leuf 
Gouvernement  i  &  de  l'autre ,  ils  fe  plaignent  avec  amertume 

ia\  Chap.  VI.  du  Liv.  XI,  &Chap.  XX  VII  du  XIX*  de  FEfprit  des  Loix; 
b  )  Dans  ce  Chap.  de  mon  Introduôion ,  Seft,  III. 
c)  Chap,  VL  du  Liv.  XI  de  TEffrit  dç$  hm. 

dif 


DU     GOUVERNEMENT.       577 

du  vîolement  continuel  de  leurs  Loix.  Ceft  ou  vanter  un  Gou- 
vernement qui  rfexifle  que  dans  leur  idée ,  ou  déplorer  les  mal- 
heurs qui  n'ont  point  de  réalité.  Si  l'origine  du  Gouvernement 
de  la  Grande-Bretagne  fe  perdoit  dans  Tobfcurité  des  tems  ; 
il  un  repos  confiant  pendant  une  longue  fuite  de  fiécles  avoir 
fuccédé  aux  diffenflîons  cruelles  &  aux  feénes  tragiques  aux- 
quelles il  doit  fa  naiffance  ;  fi  les  noms  des  partis  prefque  igno- 
rés ne  fubfiftoient  que  dans  de  vieilles  chroniques  ;  fi  le  même 
efprit  animoit  la  Nation  Britannique  fans  aucune  di(lin£lion  de 
principes  j  de  fentimens ,  d'intérêts ,  &  de  Religion ,  il  feroic 
difficile  de  ne  pas  foufcrire  aux  éloges  qu'on  fait  de  cette  conf- 
titution.  Mais  les  chofes  en  font-elles  à  ce  jJoint ,  &  peut-on  • 
fe  perfuader  qu'elles  y  foient  de  long-tems  ?  Qu'on  life  l'Hifloire 
de  la  Grande-Bretagne ,  qu'on  réfléchiffe  fur  les  maux  que  cette 
Ifle  a  foufFerts  fi  fouvent  &  prefque  continuellement ,  qu'on  . 
oppofe  ce  Gouvernement  à  celui  de  France  >  qui  fubfifle  depuis 
treize  cens  ans,  avec  t^nt  de  gloire  pour  le  Souverain  8c  tant 
de  bonheur  pour  le  Peuple  ;  &  qu'après  cette  comparaifon  on 
décide,  fi  on  l'ofe,  que  la  Monarchie  tempérée  doit  être  pré^ 
férée  à  la  Monarchie  abfoluë  (û). 

Après  avoir  difcuté  le  Gouvernement  en  foi ,  fi  l'on  examine    te  Gouverne* 

Il  I  ^  tni  it  »tr.  /^/       ment  des  hommei 

auquel  des  deux  fexes  il  eft  plus  convenable  qu'il  loit  confie ,  doitêtrcpréféiéà 

*  celui  des  £eizuxMs« 

cette  queflion  qui  a  partagé  les  deux  plus  grands  Philofophea 
de  l'antiquité ,  paroît  facile  à  décider. 

Platon  (  b  )  foutient  que  les  femmes  doivent  être  admifes 
comme  les  hommes  au  maniement  des  affaires  publiques ,  à  la 
conduite  des  Guerres  ,  au  Gouvernement  des  Etats.  Il  veut  ^ 

{a)  Il  a  péH  quatre- vingt  Princes  de  mort  violente  dans  les  démêlés  des  deux  M^ 
fons  de|Lancaftre  &  dTorc,  pluflcurs  millions  d'hommes.  Hifl.  des  dçux  Rofes^ 
Le  régicide  de  Charles  I  fera  horreur  à  la  poftéritç* 
(J?)  llb.  K  de  Reput.     .  '  ' 

Tomsix  Bbb 


378  SCIENCE 

par  une  conféquence  néceflaire  y  qu'on  les  applique  aux  mêmes 
exercices  que  les  hommes  ,  pour  leur  former  le  corps  &  Tef- 
pric;  Il  n'excepte  pas  même  de  ces  exercices  ceux  où  les  anciens 
combattoient  tous  nuds  ,  &  il  en  donne  cette  raifon ,  que  les 
femmes  fur  J'arène  feront  couvertes  de  Thonnêteté  publique^ 
Cette  raifon,  que  j'ai  réfutée  ailleurs  (a)  ,  eft,  à  ne  rien  dif- 
iîmuler ,  plus  propre  à  être  employée  dans  une  converfation 
badine ,  qu'à  entrer  dans  une  matière  fi  férieufe. 

Le  fentiment  de  Platon ,  affez  réfuté  par  la  pratique  conf- 
iante de  tous  les  fiécles  &  de  prefque  tous  les  anciens  Peuples 
de  la  terre  ,  (  les  Chaldéens,  les  Egyptiens ,  les  Parthes,  les 
Perfes  ,  les  Médcs ,  les  Romains  ,  les  Chinois^  les  Tartares>  les 
Turcs  )  ,  n^a  pas  été  fuivi  par  Ariftote.  Ce  difciple  de  Pla- 
ton (  6  ) ,  a  marqué  la  différente  deftination  de  l'homme  &  de 
la  femme  ,  par  la  différence  des  qualités  du  corps  &  de  l'efprit 
que  l'auteur  même  de  la  nature  a  mife  entre  eux  ,  en  donnant 
à  l'un  une  force  de  corps  &  une  intrépidité  d'ame  qui  le  met- 
tent en  état  de  fupporter  les  plus  dures  fatigues  &  d'affronter 
les  plus  grands  dangers  ;  &  à  l'autre  ,  au  contraire ,  une  com- 
plexion  délicate  &  foible ,  accompagnée  d'une  douceur  naturelle 
&  d'une  modefte  timidité  qui  la  rendent  plus  propre  à  une  vie 
fédentaire ,  &qui  la  portent  à  fe  renfermer  dans  l'intérieur  de  la 
maifon  &  dans  les  foins  d'une  induftrieufe  &  prudente  œconomie* 

Ceft  en  fuivant  l'opinion  de  ce  dernier  Philofophe  ,  que 
j'effayerai  de  montrer  que  le  Gouvernement  des  femmes  cfl 
moins  naturel  que  celui  des  hommes. 

Dieu  a  fournis  les  femmes  à  la  domination  des  hommes  (c) 
dès  la  naiffance  du  monde  ,  &  il  a  menacé  les  hommes  de  leur 

M  Dans  mon  Examen ,  au  mot  PLiton. 

ibS  De  cur,i  ràfamiUaris,  Lib.  I.  Cap.  III. 

yc)  $uh  v'uipotefiat€  crU,  &  ïpft  dominabitur  tWi  Genef.  Cap.  2» 


DU  GOUVERNEMENT.  si9 
donner  des  femmes  pour  maîrrefles ,  comme  une  marque  de  ùl 
malédiûîon  (  ^  ). 

Le  peuple  de  Dieu  n'admettoit  point  au  Gouvernement  le 
fexe  qui  cft  né  pour  obéir  ,  &  la  loi  de  Moïfe  refufoit  aux 
femmes  le  droit  de  porter  témoignage ,  à  caufe  de  leur  incont 
tance  &de  leur  légèreté  {h). 

Les  Athéniens  ne  leur  permettoîent  point  de  faire  un  marché 
qui  excédât  une  mefure  d'orge  (c). 

Les  Latins  voulurent  que  les  femmes  vêcuffent  fous  Tempire 
de  leurs  pcres  ,  de  leurs  frères  ,  de  leurs  maris ,  &  fi  elles 
n'en  avoient  point ,  fous  Tempire  du  Préteur  {d).  Les  Loix  Ro- 
maines tenoient  les  femmes  fous  une  perpétuelle  tutelle  ',  à . 
moins  quelles  ne  fuffent  fous  Tautorité  dun  mari.  (e).  Au- 
gufte  fut  le  premier  Empereur  Romain  qui  mit  hors  de  tutelle 
les  femmes  qui  auroient  eu  trois  enfans ,  par  une  loi  (/)  dont 
Tobjet  fut  d'animer  la  propagation ,  en  la  récompenfant. 

Chez  les  premiers  Germains ,  les  femmes  étoient  auffi  dans 
une  tutelle  perpétuelle  (  g  ). 

Une  femme  qui  vouloit  fe  mêler  d'affaires  d'Etat ,  étoit  quel- 
que chofe  de  fi  extraordinaire  parmi  les  Romains ,  quelorfqu'A- 
mafie  fe  préfenta  pour  parler  devant  le  Sénat  ,  la  République 
envoya  confulter  l'Oracle  ,  pour  fçavoir  ce  que  lui  prcfageoit 
un  Phénomène  fi  rare.  Tibère  diibit  qu'il  falloit  modérer  les 
honneurs  des  femmes  (/i). 


{a)  Le  Prophète  Ifaïe  (chap,  III.  verf.  12.)  menace  les  Juifs  de  la  domination  des 
enfans  &  de  celle  des  femmes ,  comme  de  deux  malédi^ons  égales. 

U?\  Jofeph  ,  14.  Antiq.  Jud.  Cap,  VI IL 

hrs  Dion  Chryfoft.  Orat.  y$  in  crédit. 

{a)  Majores  noflri  nullam  ne  privatam  guident  rem  ,fceminas  aztre  fine  autore  voluerunt 
in  manu  parcntum ,  fratrum,  virorum  effe  jujferunt,  AinTi  parle  Caton  dans  Tite-Live. 

(e)  Nifi  convenijent  in  manum  viri, 

(/)  La  Loi  Papienne. 

Cg)  Mundeburdium. 

Qi)  Modcrandos  frminarum  honores  diâiians.  Tacit.  Annal.  Liv.  i. 

Bbbij 


380  SCIENCE 

Sparte  ne  laiflbît  pas  même  le  titre  deReîoe  aux  femmes  de 
fes  Rois  ,  &  Venife  refiife  le  titre  de  Duchefle  à  celle  du 
Doge. 

Dans  les  Royaumes  éledifs  ,  les'Eledleurs  s'avifent-ils  de 
faire  tomber  leur  choix  fur  les  femmes  ?  Si  les  Polonois  pla- 
cèrent fur  le  thrône  la  Princefle  Hedwige ,  ce  fut  par  vénéra-' 
tion  pour  Piajle  ,  dont  les  dcfcendans  leur  avoient  donné  des 
Ducs  &  des  Rois  près  de  500  ans  de  fuite,  &  dont  elle  ctoit 
Tunique  rejetton.  Si  Marguerite  de  Waldemar  régna  fur  les 
Suédois  ,  ce  fut  à  caufe  des  avantages  que  les  trois  Royaumes 
du  Nord  dévoient  trouver  dans  l'union  qui  fut  faite  à  Calmar. 
.  Si  enfin  laDiette  de  Suéde  élut  en  j  7 1 8  Ulrique-Elconore ,  fœur 
&  héritière  de  Charles  X I  !•  ce  fut  pour  l'obliger  de  renoncer 
au  droit  héréditaire. 

Les  exemples  des  Monarchies  purement  mafculines  font 
abondans  ;  mais  pour  en  Vbir  de  purement  féminines ,  ce  n'eft 
pas  ordinairement  dans  Tcfpcce  humaine  qu'il  en  faut  chercher  , 
on  n'en  trouve  gueresque  parmi  les  autres  animaux.  (  û  )  Je  dis 
ordinairement  ,  parce  qu'il  y  a  quelques  petits  Royaumes  en 
A  fie ,  où  ce  font  les  femmes  qui  régnent  &  qui  excluent  l'autre 
fexe.  Tels  font  les  Royaumes  d'Anchin  &  de  Bornéo. 

Je  ne  parlerai  ici  ni  du  Gouvernement  d'Olimpias  mère  d^A- 
lexandre,  ni  de  celui  d'Irène ,  Impératrice  d'Orient ,  ni  des  Ré- 
gences de  Brunehaut,  de  Frcdcgonde,  de  Catherine  de  Mc- 
dicis  ;  ce  font  des  exemples  particuliers  dont  on  ne  peut  tirer 
aucune  conféqucnce  générale  contre  les  femmes-  Par  h  même 
raifon  ^  je  ne  dois  rien  conclure  pour  elles ,  de  plufieurs  exem- 
ples de  femmes  qui  ont  gouverné  heureufemcnt  des  Etats.  Celui 

(j)  Un  Auteur  A'ngîois  nommé  Majow,  a  fait  un  Traité  des  Abeilles  ,  intitulé  : 
Âton^rchid  frminina  ,  Jeu  apum  hijloriiu  l!  prcteud  que  le  Roi  des  Abeilles  eft  en  effet 
fcmelJe  »  &  qu*il  a  une  marque  au  front  qui  lui  fert  de  diadème  &  de  couronne. 


DU    GOUVERNEMENT.        381 

de  cette  Héroïne ,  que  le  monde  renaiflant  après  le  déluge  a 
vue;  (a)  celui  de  cette  Reine  de  Carie  ,  également  habile  Se 
courageufe  >  qui  fît  la  guerre  à  la  Grèce  ;  (  &  )  &  tous  ceux  que 
THiftoire  ancienne  &  moderne  fournît,  (  c)  ne  prouvent  rien, 
Jefçais  que  la  plupart  des  Couronnes  de  l'Europe  peuvent  être 
portées  par  des  PrincefTes  ;  qu  il  cneft  aduellement  qui  honorent 
le  Sceptre  qu'elles  manient  ,  &  qu  il  y  en  a  en  France  qui  fe- 
roient  très-dignes  de  donner  des  loix  aux  peuples,  J'çxamineraî 
jfimplement  la  queftion  en  général ,  comme  mon  fujet  m'y  en- 
gage, &  je  dis  que  le  Gouvernement  des  hommes  eft  commu- 
nément préférable  à  celui  des  femmes. 

Les  femmes  font  ordinairement  inférieures  aux  hommes  en 
foliJité  de  jugement,  en  bon  fens  &  en  raifon.  La  délicateffe 
qui  fe  trovuc  dans  leurs  fibres ,  ne  leur  donne  une  grande  intel- 
ligence que  pour  ce  qui  frappe  les  fens  ,  elles  font  d'ordinaire 
incapables  de  pénétrer  des  vérités  un  peu  cachées  ;  elles  ne  con- 
fîderent  que  Técorce  des  chofes  ,  &  leur  intelligence  n'a  point 
affez  d'étendue  &  de  force  pour  en  percer  le  fond.  Parmi  les 
Livres  que  nous  devons  aux  perfonnes  du  fexe ,  on  trouve  quel- 
ques Romans ,  quelques  jolies  Comédies  ;  mais  y  trouve-t-on 
de  grands  Ouvrages  ?  A-t-on  vu  quelques  femmes  exceller  , 
par  exemple ,  dans  la  compofition  des  pièces  tragiques  ?  Cela 
ne  prouveroit-il  pas  que  le  fexe ,  généralement  parlant,  eft  peu 
propreà  tout  ce  qui  doit  être  conçu  fortement. 

{ai  Semlramîs,  femme  de  Ninus,  &  belle-fille  de  Nemrocl. 

{b)  Arthemife,  Reine  de  Carie  ,  &  fille  de  Lycdamis  ,  différente  de  la  Reine  de 
Carie  qui  a  éternifé  fon  nom  en  éternifant  fa  tendreile  pour  Maufole  Ton  mari. 

(c)  ^cnobie.  Reine  de  Palmire,  vaincue  par  Aurelien,  très-brave  &  très-habile 
Fiinccffe;  Pulchérie ,  foeur  deThéodofe;  Blanche,  mcre  de  Saint  Louis;  Ifabelle» 
fjnime  de  Ferdinand  ;  Catherine  Paléologue,  Duchefle  de  Mantoue ,  &  Marquife  de 
Monrtèrrat;  Elifabeth  ,  Reine  d'Angleterre;  Marguerite  de  Waldemar,  &  quelque» 
autres» 


)8i  SCIENCE 

Telle  eft  la  deftînation  du  Créateur  que  ,  pour  Téducation 
des  enfans  y  pour  la  fubfiftance  des  familles ,  pour  le  gouverne- 
ment des  Etats  >  il  eft  ncceflaire  que  les  uns  s'appliquent  à  des 
travaux  laborieux,  tandis  que  les  autres  s'occupent  des  foins 
domeftiques.  La  nature  a  fait  elle-même  ce  partage.  Elle  donne 
d'un  côté  aux  hommes  un  tempéramment  plus  robufte  &  un  ef- 
prit  plus  fort  ;  &  de  l'autre,  elle  afTujettit  les  femmes  à  des  in- 
commodités dont  les  hommes  font  exempts.  La  grofleffe ,  jointe 
à  la  nourriture  des  enfans ,  engage  les  femmes  à  une  vie  féden- 
taire;  la  force  eft  le  partage  du  fexe  mafculin  deftiné  à  des  ou- 
vrages pénibles  :  mais  comme  le  corps  de  l'homme ,  naturelle- 
ment le  plus  fort ,  eft  le  plus  redoutable ,  la  nature,  pour  met- 
tre les  chofcs  dans  une  égalité  qui  entretint  la  tendrefle  &  la 
confiance ,  a  donné  aux  femmes  des  armes  convenables  à  leur 
ïexc  ,  ce  font  la  douceur ,  l'agrément ,  &  les  autres  charmes 
■qui  les  rendent  fi  dignes  de  toute  notre  tendrefle.  Par  le  pouvoir 
qu  elles  ont  de  fc  faire  aimer ,  elles  captivent  ceux  que  la  force 
rendroit  redoutables ,  &  elles  tempèrent  la  rudefle  que  les  tra- 
vaux pénibles  communiquent  înfenfiblement  aux  hommes,  La 
nature  indique  aflez  par- là  quel  eft  le  fexe  Icjplus  capable  dç 
gouverner. 

Le  fexe  fémîaîn  n'eft  pas  propre  au  commandement  des  Ar- 
mées ,  il  n'eft  pas  élevé  dans  les  connoiffances  importantes,  & 
Ton  ne  lui  apprend  ni  à  connoître  ni  à  defirer  le  bien  de  l'Etat. 
La  plupart  des  femmes  ,  toujours  occupées  de  leur  beauté  , 
toujours  placées  dans  un  cercle  d'occupations  frivoles  ,  font 
moins  capables  de  fecret  que  les  hommes.  Leur  inconftance 
naturelle ,  la  légèreté  de  leur  efprit ,  le  penchant  qu'elles  ont 
à  mettre  dans  les  affaires  les  paflions  de  leur  état ,  font  fouvent 
de  leur  cœur  un  théâtre  d'incertitudes.  Si  la  Puiflance  fuprême 


DU     GOUVERNEMENT       38J 

corrompt  quelquefois  des  hommes  donc  le  cœur  étoit  fait  pour 
aimer  la  vertu ,  que  rfa-t-on  pas  à  craindre  des  femmes  !  (  a  ) 

Les  Loix  civiles  de  tous  les  pays  interdifent  aux  femmes  la 
liberté  decontraâcr  j  fi  elles  ne  font  autorifces  par  leurs  maris. 
Ces  Loix  les  éloignent  des  emplois  publics  ;  elles  ne  leur  per- 
mettent ni  de  régenter  ,  ni  de  prêcher,  nidepoftuler,  ni  de 
juger.  Eft-il  plus  convenable  de  leur  confier  la  fuprême  direc-» 
tion  des  peuples  qui,  outre  le  droit  de  légiflation  &Ja  force 
coadive ,  comprend  éminemment  le  pouvoir  judiciaire. 

Ces  femmes  que  la  nature  n'a  pas  rendues  propres  à  des  fonc- 
tions laborieufes ,  ces  femmes  qu'on  a  eftimées  incapables  des 
fondions  qui ,  dans  les  fociétés ,  demandent  des  connoiflan- 
ces  ,  de  l'application  &  du  travail ,  ces  femmes  enfin  que  les 
Loix  tiennent  fous  le  joug  d'une  tutelle  aufii  longue  que  leur 
vie  ,  les  jugera-t-on  dignes  du  plus  grand ,  du  plus  relevé  ,  du 
plus  noble  ,  du  plus  pénible  de  tous  les  emplois ,  de  celui  de 
gouverner  le  genre  humain  ? 

La  dignité  des  Maifons  régnantes  ne  paroît  pas  àfiez  foute- 
nue  en  la  perfonne  d'une  femme  qui  fe  donne  un  maître  en  fe 
mariant.  Elle  quitte  fon  pays ,  fes  parcns  ,  fon  domicile,  fon- 
nom,  comme  pour  prendre  une  nouvelle  vie  &  fonder  une 
autre  famille  fous  les  loix  de  fon  mari.  Aufli  n'eft-il  pointa 
d'homme ,  quelque  médiocre  que  foit  ia  condition  j  qui  nefou* 
haite  laifler  fes  biens  à  un  fils  plutôt  qu'à  une  ou  plufieurs  fiUies. 
Celles-ci  perdent  leur  nom  en  entrant  dans  d'autres  familles  où 
il  meurt  bientôt  avec  elles  ;  mais  le  nom  dé'pcre  fe  perpétue  en 
la  perfonne  du  fils ,  &  en  fe  perpétuant  devient  plus  illuftre  ^ 

(tf)  Etji  viri  interdum,  quorum  maxime  efl  propria  fonîtudo  y  quiquc  Sapicntiores  & 
cvrdaiiorcs  foUnt  effc  naturd  ,  impmum  adepti ,  tamcn  Ueenùi  corrumpuntur  ,  ac  deptit*  '' 
va/itujr;  quidà  mulieribus  ,  quitus  nUiil  nature  finxit  moU'ûis ,  nequc  motUJif  ,  ncqucijt* 
/miij,  «^dftfW(Awi?Dîonys,  Lainbinu^,in  ComdîôNcpoté,       '  J    \ 


384  SCIENCE 

&  acquiert  'une  çfpèce  d'immortalité  ,  dont  Pçfpérance  feule 
fiate  un  père  qui  s'imagine  devoir  vivre  en  quelque  forte  dans 
yne  nombreufe  poftérité.  Si  ce  defu:  eft  dans  le  cœur  de  tous 
les  hommes ,  il  eft  propre  fur- tout  des  Princes  j  &  les  Peuples 
fiâtes  de  la  grandeur  de  leurs  Rois  y  le  partagent  avec  eux* 
pans  les  Etats  où  les  filles  fuccédent  y  les  Couronnes  ne  fortent 
pas  feulement  de  Maifons  régnantes }  elles  fortent  quelquefois 
4.e  toute  la  Nation:  or  il  eft  bien  plus  convenable  que  le  Souvo* 
rain  foit  né  dans  le  pays  où  il  exerce  fon  empire ,  afin  qu'il  ait 
UafFeûion  qu  on  a  naturellement  pour  fa  Patrie ,  &  qu'il  con^ 
qoiffe  fes  mœurs ,  fes  Coutumes  y  fes  Loîx* 
i^indîvifibîiité  .  L'indivifibilité  eft  infiniment  utile  aux  Monarchies.  Tout 
eft  auffi^'utHca^  pattage  aiFoiblit  la  puiffance  partagée.  Chaque  Prince  eft  plus 

Etats,  <iuc  la  trop  ^   .,  ,         ^  „^  «  1        o    •  •      1       m 

«ande  inégalité  foiblc,  &  coçttc  1  Etranger ,  &  contre  les  Sujets  indociles  ,  Se 

«es  fortunes  par-  r      /»  1 

ticdicres  leur  eft  ]fis  co-partagçans  fe  font  ordinairement  la  guerre  «ç  s'entr^dé* 
ttuifent,       ç  . 

Les  deux  enfans  qu'Aribert  Roi  de  Lombardie  laîfTa  en  bas 
âge ,  Bertharite  &  Gundebert  >  fe  partagèrent  ce  Royaume  5 
l'uaeut  M.ilaft>  8ç  l'autrç  Payie  pour  Capitale  y  &  ils  furent  d'à* 
bord  vaincus. 

'.  La  France  fournît  elle  feule  plufieurs  exemples  éclatans  des 
înconvéniens  de  la  divifibilité, 

,  Les  Gaules  étoient  un  Etat  patrimonial  dans  les  mains  do 
Çhilderic  &  deClovis  fon  fils  y  ils  en  ctoicnt  les  Conquérans  y 
Us  pouvoient  &  ils  dévoient  déclarer  indivifib^c  un  Royaume 
qui  étoit  leur  conquêcet.  Mais  parmi  les  Francs  ,  à  la  mort  d'un 
Seigneur  particulier ,  fes  enfans  mâles  partageoient  également 
fes  biens  ;  &  malheureufemeut  pour  le  Roi  &  pour  les  Peuples  y 
cette  coutume  excellente  parmi  les  Sujets  ,  comme  je  vais  Tex- 
pliquerj  paffa  4ç5  femilles  parçiciilieires  dans  la  Maifon  ré- 

0nante« 


DU     GOUVERNEMENT.       38^ 

gnantc.  A  peine  cette  Monarchie  avoit-ellc  étc  fondée ,  qu'elle 
fut  partagée  entre  les  quatre  enfans  de  Clovis.  (  a  )  Ce  fut  la 
première  fource  des  guerres  civiles  qui  inondèrent  la  France 
de  fang.  Ce  Royaume  réuni  fur  la  tcte  de  Clotaire  ,  (  6  )  fut  di- 
vifé  en  plufieurs  Etats ,  (  c  )  entre  fes  fils  ôc  fes  petits  fils ,  & 
ce  fut  une  nouvelle  fource  de  guerres  inteftines.  Clotaire  IL  vit 
encore  tous  les  Etats  des  Carlovingiens  réunis  fous  fon  Scep- 
tre, (d)  Mais  le  Royaume  fut  bientôt  partagé  de  nouveau  ,  & 
ne  ceffaprefque  jamais  de  Tctre  pendant  cent  dix  ans  que  dura 
l'autorité  des  Maires  du  Palais  fous  les  Rois  fainéans.  (  e  ) 

Pépin,  Chef  de  la  féconde  race  de  nos  Rois  ,  partagea  aufll 
fes  Etats  à  fes  enfans  ,  &  Charlemagne  tomba  dans  le  même  in- 
convénient. Ce  Prince  qui  rétablit  TEmpire  d'Occident  que  les 
Barbares  du  Nord  avoient  détruit ,  fit  deux  grandes  fautes. 
10.  Satisfait  queTEmpire  fût  hériditaire  dans  fil  famille  ,  il  dif- 
tingua  toujours  avec  foin  fa  Souveraineté  y  comme  Roi  de 
France  &  comme  Roi  de  Lombardie  ,  d'avec  celle  qu  il  avoir 
comme  Empereur  des  Romains,  au  lieu  d'unir  à  la  Couronne 
de  France  le  Royaume  de  Lombardie  &  TEmpire.  2^.  11  parta- 
gea fes  Etats  à  fes  trois  enfans ,  (/)  fuivant  la  coutume  pcrni- 
cieufe  obfervéc  fous  la  première  race  ,  à  laquelle  le  Roi  fon  père 
s'étoit  exaâement  conformé.  Deux  des  enfans  de  Charlemagne 
moururent  avant  leur  père ,  &  Louis  le  Débonnaire  ,  affocié  à 
TEmpire  ,  demeura  feul  maître  de  toute  la  Monarchie  Fran- 

(a)  En  511. 

hj  En  549. 

(c)  En  562. 

r^)  Vers  Tan  613. 

(e)  Depuis  Tan  638  jufqu'en 748. 

(/)  En  806.  Voyez  ce  partage  dans  les  Conftîtutîons  Impériales  de  Golftat  ;  dans  les 
Capitulaircs  de  Bafuze  ;  dans  les  Annales  de  Baronnius ,  dans  celles  de  Pithou  ;  6c  dans 
le  Corps  nniverfel  Diplomatique  du  Droit  dçs  GcAs ,  pag.  4,  de  h  première  Partie  du 
premier  Tome. 

Tom&  I.  C  c  c 


386  SCIENCE 

çoife.  Ce  Prince  imita  fon  père ,  comme  fon  pereavoît  îmîté  fes 
Prédeceffeurs.  (  a  ) 

Si  Charlemagne  ou  quelque  autre  Roi  de  France-Empereur 
eût  déclare  fes  Etats  indivifibles ,  il  auroit  évité  que  FEmpire 
d'Allemagne  &  plufieurs  autres  Provinces  qui  tombèrent  en  des 
mains  étrangères  ,  n'cuflent  été  démembrés  de  la  Monarchie 
Françoife.  Mais  ce  tf  cft  qu  avec  la  troifieme  Race  de  nos  Rois 
qu'a  commencé  lufage  de  n'aflfigncr  aux  puînés  que  des  appa- 
nages  toujours  relevans  de  la  Couronne  >  &  toujours  reverfibles 
à  la  Couronne ,  faute  de  mâles.  (  &  ) 

Le  Roi  Jean  laiffa  (  c  )  le  Duché  de  Boorgogne  à  Philippe 
fon  fils ,  &  forma  ainfi ,  dans  la  Maifon  de  France ,  la  branche 
de  Bourgogne  qui  au^^menta  confidcrablement  fes  Etats ,  &  qui 
ne  cefTa  prelque  de  faire  la  guerre  à  nos  Rois  qu^n  ceffant  d  e- 
xiftcr ,  à  la  mc^  de  Charles  tue  devant  Nancy.  A  cette  occa- 
fion  ,  Louis  XL  réunit  le  Duché  de  Bourgogne  à  fa  Couronne 
dont  il  relcvoit  ;  mais  le  mariage  de  Marie  de  Bourgogne  avec 
Maximilien ,  fit  paflcr  dans  la  Maifon  d  Autriche  tous  les  autres 
Etats  de  la  Maifon  de  Bourgogne, 

On  a  été  enfin  défabufc  dans  ce  Royaume  ,  d^un  partage  dont 
l'expérience  avoitfait  fcntir  tant  de  fois  les  inconvéniens.  Ceft 
à  la  nouvelle  Coutume  toujours  inviolablement  obfervée  de- 
puis ,  que  la  France  doit  l'avantage  d'avoir  repris  une  partie  de 
fon  ancien  éclat. 

Tous  les  Etats  d'Efpagne  qui  étoient  fous  la  domination^  des 
Chrétiens  ^  avoient  été  réunis  fous  Sanûius.  (  ^  )  Le  Succeffeur 

ta)  En  837.  Voyez  cet  autre  partage  dans  Goldaft,  dans  Baluze,  &  dans  le  Corps 

Di])lomaiique ,  p.  8.  •  *^ 

(Vi  Voyez  la  première  SeÛion  du  fixieme  Chapitre  de  cette  Introduûioiu 

tc^En  1363. 

(4  Mort  en  1055,  * 


DU     GOUVERNEMENT.       387 

de  ce  Prince ,  s'il  n'en  avoîc  eu  qu'un ,  auroit  pu  facilement  con- 
quérir ce  que  les  Maures  tenoienten.Efpagne  ;  mais  il  partagea 
fes  Etats  entre  fcs  quatre  enfans  ;  &*ces  quatre  Princes  fe  firent 
prefque  toujours  la  guerre.  Ferdinand ,  furnommc  le  Grand  (a)y 
partagea  auffi  fes  Etats  à  fes  trois  fils  ;  &  de  ce  partage  naquit 
le  même  inconvénient  que  du  précédent.  Alphonfe  (b)  eut 
deux  fils  à  qui  il  partagea  encore  fes  Royaumes  de  Caftille  , 
de  Léon ,  &  de  Galice  ;  &  chacun  de  ces  deux  frères  voulut 
reculer  fes  frontières  au  préjudice  de  Tautre. 

Le  premier  afFoibliffement  que  reçut  la  puiflance  formida- 
ble de  la  Maifon  d'Autriche  fous  Charles'-Quint  (c) ,  vient  du 
parcage  qu'il  fit  avec  fon  frère  Ferdinand  à  qui  il  céda  les  Pro- 
vinces d'Allemagne  j  &  qu'il  fit  enfuite  élire  Roi  des  Romains. 
L'Empire  &  les  Provinces  d'Allemagne  ayant  été  ainfi  féparés 
de  la  Monarchie  d'Efpagne  &  des  Indes  &  des  Provinces  d'Ita- 
lie, on  fçait  dans  quel  état  de  foiblefle  tombèrent  les  Succef- 
feurs  de  Philippe  II  (d). 

Quels  efforts  n'a  pas  fait  l'Empereur  Charles  VI  ?  Quelles 
mcfurcs  n'a-t-il  pas  prifes  pour  faire  ,  de  tous  les  Etats  héré- 
ditaires qu'il  poffédoit,  un  corps  îndivifible  &  impartageable  (e)? 

Les  Empires  qui  ont  établi  la  loi  de  l'indivifibilité ,  fe  font 
confervés  dans  leur  fplcndeur.  L'ancienne  Allemagne  con- 
noiflbit  peu  l'ufage  de  l'indivifibilité  des  grands  Fiefs  ;  mais 
l'Empereur  Charles  IV,  voulant  donner  ou  préparer  un  nou- 
veau relief  au  Corps  Germanique  ,  établit  par  la  Bulle  d'Or 
la  primogéniture  &  l'indivifibilité  dans  les  Eledorats.  C'eft  un 

(a)  Mort  en  1065. 
(in  Mort  en  1157. 

fc)  Mort  en  y  58>  après  avoir  abdiqué. 

(^)  On  peut  conlulter  dir  tout  cela  rintroduftîon  à  rHlftoîre  de  PufFendorfî",  pp; 
90,91,92,93,94,  95  ,96,  i}i,  132,  133,  &  iuivantes  de  TEdition  de  1722. 
(e)  Voyez  le  Chapitre  VI  dq  ce  Volume, 

Cccij 


388  SCIENCE 

exemple  que  les  autres  Princes  d'Allemagne  îmîtent  tous  les 
jours  [a). 

L'ufage  des  partages  avoit  énervé  TEmpîre  de  la  Chine  ;  la 
loi  de  Pindivifibilitc  a  fait  fa  grandeur  &  fa  durée.  Jamais  les 
Empereurs  de  la  Chine  ne  donnent  à  leurs  enfans  cadets  nî 
à  leurs  frères  un  pouce  de  terre  en  Souveraineté  (6).  Ils  tien^ 
nent  tous  leurs  parons  dans  Tétat  de  fujettion. 

Les  Romains  fçurent  unir  les  parties  d'un  grand  Etat ,  & 
en  faire  un  tout  régulier ,  &  c'ell  ce  qui  fit  la  grandeur  de 
TEmpîre ,  comme  la  divilibilité  fut  dans  la  fuite  lune  desprinci* 
pales  caufes  de  fa  décadence  (  c  )• 

L'union  de  TEcoffc  avec  F-Angleterre  a  été  le  plus  grand  & 
le  plus  utile  événement  du  règne  de  la  Reine  Anne. 

En  voilà  plus  qu  il  ne  faut  pour  prouver  que  rindîvînbilîté 
eft  infiniment  avaritagcufc  aux  Monarchies.  Il  n'en  eft  pas  de 
même  dans  les  familles  particulières.  De  tous  les  ufages  ,  le 
droit  d'aîiicffc  ( J)  eft  le  plus  injufte ,  confidéré  par  rapport 
aux  membres  d'une  même  famille,  des  enfans  qui  ont  une  ori- 
gine commune,  ne  devroient-ils  pas  avoir  une  égale  parr  aux 
biens  de  leur  père  ?  Il  eft  aufti  le  plus  pernicieux ,  confidéré 
par  rapport  au  bien  public  ,  en  ce  qu'il  met  une  trop  grande 
difproportion  dans  les  fortunes  dont  l'égalité  forme  l'opulence 
publique ,  &  en  ce  qu'il  nuit  a  la  propagation ,  parce  qu'il  porte 
l'attention  d'un  père  fur  un  fcul  de  fes  enfans  ,  &  l'engage  , 
pour  rendre  folide  la  fortune  d'un  fcul,  de  s'oppofer  à  Téta- 
bliflement  de  plufieurs.  Le  Corps  politique  ne  peut  fe  bien 

(a)  Voyez  dans  la  IV  Seaion  dû  fixieme  Chapitre  de  cette  Introduaion  fommaire. 
m  Voyez  le  IV  Chapitre  de  cette  liitroduaion ,  Seaion  II. 
(c)  Voyez  le  V  Chapitre  de  ce  Volume ,  au  fommaire  :  Cjufes  cU  la  décadence  de 
r Empire  Romain,  ^ 

(^  Voyez,  fur  le  droit  d'ainefTe ,  ce  que  j'ai  dit  dans  la  féconde  Seaion  du  pre- 
mer  Chapitre  de  ce  Volume ,  au  fommaire  :  L'empire  paternel  efi  le  premier  auquel  les 
hommes  oru  été  fournie,  ^  -  "^  .  rï  «=*»^* 


DU  GOUVERNEMENT.  385^ 
porter ,  qu'autant  que  les  richeffes  ,  qui  en  font  comme  le  fuc 
&  le  fang,  font  diftribuées  dans  tçutes  fes  parties. 

Il  importe  peu  aux  Citoyens  pris  féparément ,  que  TEtat  foit  l,  ^^me  èi 
Monarchique,  Ariftocratique  ,  ou  Démocratique.  Il  leur  fuffit  «^^oT^T^^^^^^ 
que  la  forme  du  Gouvernement ,  telle  qu'elle  eft ,  foit  refpec-  f/pSnt/  ^Le 
tée  ,  &  que  ,  puifquils  font  deflinés  à  fouf&ir  les  défauts  de  aieitT  c>ft^  que 

M  -1  r  •  •     '     J      r  rs»  cette  forme,  telle 

cette  forme ,  ils  ne  ioient  pas  prives  de  les  avantages.  Si  nous  qu'elle  eft ,  foit 

,  n  /       Ul-  .       /    A  I  refpe&ée.    Sous 

vivons  dans  une  République  y  nous  avons  intérêt  que  le  peu-  quelque  couver- 
ple  ne  prétende  qu'à  des  prérogatives  fondées  fur  les  Loix  ;  &  vciienfautob- 
lorfque  nous  fommes  foumis  à  une  Monarchie ,  qiie  Tautorité 
fouveraine  foit  affermie  fans  contradiÛion.  Autrement ,  les  ré. 
gles  fondamentales  recevant  une  atteinte ,  la  conflitution  du 
Gouvernement  eft  énervée. 

Tout  Etat  eft  un  établiffement  de  Société  j  à  certaines  con- 
ditions dont  il  exige  Tobfervation.  Si  un  Citoyen  pouvoit  faire 
tout  ce  que  les  Loix  défendent ,  il  n'auroit  plus  de  liberté  , 
parce  que  fes  compatriotes  auroient  le  même  pouvoir ,  mais 
aucun  Gouvernement  ne  laifle  au  Citoyen  une  liberté  abfoluë  , 
indépendante  des  Loix.  Il  y  a  donc  peu  de  différence  entre  la 
liberté  dont  on  jouit  fous  un  Gouvernement ,  &  celle  qu'on  a 
fous  un  autre.  ^ 

Sous  quelque  Gouvernement  qu'on  vive,  il  faut  en  refpeûer 
les  Loix ,  &  Ion  peut  établir  comme  un  principe  inconteftable  , 
que  chaque  particulier  a  intérêt  &  eft  obligé  en  confcience  de 
fe  conformer  au  Gouvernement  reçu  dans  le  pays  où  la  Pro- 
vidence l'a  fait  naître ,  ou  dans  lequel  elle  l'a  conduit. 

Nous  devons  préfumer  que  l'Etat  où  nous  fommes  nés  y  étoît 
le  plus  propre  à  ceux  qui  l'ont  choifi  ;  &  il  nous  fera  toujours 
avantageux  de  croire  qu'il  eft  auflî  celui  qui  nous  convient  le 
mieux  à  nous-mêmes.  Heureux  les  hommes ,  s'ils  ne  régloient 
leurs  opinions  fur  des  préjugés  >  que  dans  des  cas  où^  commq 


35?d  SCIENCE 

ici ,  les  préjugés  font  utiles  !  Il  rfefl  pas  queftîon  y  pour  des 
fujets  ,  de  choifir  une  forme  de  Gouvernement ,  ils  n'ont  be- 
foin  que  d'être  affez  fages  pour  s'accommoder  à  celle  qu'ils  trou- 
vent établie. 

Les  Citoyens  conçoivent  communément  de  grandes  efpéran- 
ces  d'un  nouveau  Gouvernement ,  ils  fe  flattent  que  celui  qui 
commence  fera  meilleur  que  celui  qui  finit  ;  mais  il  entre  dans 
le  fentiment  qui  nous  attache  à  un  nouveau  Prince  ,  moins 
d'amour  pour  lui  9  que  de  haine  pour  celui  qui  l'a  précédé. 
Telles  font  les  mœurs  du  peuple ,  il  loue  le  paflfé  ,  blâme  le 
préfent ,  &  fouhaitc  Pavenir.  Tout  changement  de  maître ,  qui 
qe  fe  fait  pas  naturellement ,  efl  pernicieux.  Il  y  aura  des  vices 
tant  qu'il  y  aura  des  hommes.  On  doit  fouflTrir  le  luxe  ^  l'ava- 
rice, &  les  autres  paflîons  des  Puiffances ,  comme  l'on  fupporte 
les  années  de  ilérilité  j  les  orages  ,  &  les  autres  calamités  aux- 
quelles la  nature  nous  a  affujettis.  Le  mal  n'cfl  pas  continuel  , 
on  en  efl  dédommagé  par  le  bien  que  des  intervalles  heureux 
procurent.  Ce  font  des  inconvéniens  paffagers  ,  auxquels  la 
juflice  d'un  fuccefleur  ,  homme  de  bien ,  apporte  un  prompt 
remède. 

Dieu  approuve     Dieu  nc  fe  déclarc  pas  plus  pour  une  forme  de  Gouverne- 
toutes  lescohiu-  xt     1  .«•/  T  /   .n 

tutions  dEtat ,    ment  que  pour  une  autre.  Il  a  lame  aux  Legiflateurs  &  aux  peu- 

âuelle  que  foit  la  ^         *        ^  O  r 

ebjgton  qu'on    pjgs  Ja  liberté  du  choix. 

profeflc  ,  ôc  de  * 

""ue^irG^vtr!  Q"^  ^  ^'^^  demande  ce  qu'il  faudroît  penfer  d'un  Etat  où 
peinent  ait  été  é-  pautorité  pubUque  ne  fe  trouveroit  établie  fur  aucune  Religion  , 
la  queftion  fera  chimérique.  De  tels  Etats  ne  furent  jamais.  Les 
peuples  qui  n'ont  point  de  Religion ,  font  en  même  tems  fans 
police ,  fans  véritable  fubordination ,  &  entièrement  fauvages* 
Un  fyftême  de  Gouvernement,  dont  la  Religion  ne  feroit  pas 
le  foutien  ,  pêcheroit  par  quelque  endroit.  S'ils  ne  font  liés  par 
U  confcience  j  les  homjBaes  jie  peuvent  s'affurer  les  uns  des  au* 


DU  GOUVERNEMENT.  3^1 
1res.  Dans  les  Empires ,  dont  les  Hiftoires  rapportent  que  les 
Sçavans  &  les  Magiftrats  font  fans  Dieu  dans  leur  cœur ,  les 
Peuples  font  conduits  par  d'autres  principes ,  &  ont  un  culte 
public.  Toutefois ,  s'il  fe  trouvoit  une  Nation  qui  eût  un  Gou- 
vernement &  nulle  Religion  ^  il  y  faudroit  conferver  le  bien 
de  la  Société  le  plus  qu'il  /eroit  poffible.  Ce  Gouvernement  > 
le  plus  imparfait  de  tous  >  vaudroit  mieux,  qu  une  Anarchie  al> 
folue  y  qui  efl  un  état  de  guerre  de  tous  contre  tous. 

La  Religion  du  vrai  Dieu  rend  la  forme  d'un  Etat  plus  folide  ; 
mais  l'idée  de  la  divinité  8c  les  principes  de  la  Religion ,  quoi« 
qu  appliqués  à  l'idolâtrie  ^  fufBfent  pour  former  un  Gouver- 
nement. Autrement  ,  il  n'y  auroit  point  de  légitime  auto- 
rité hors  de  la  vraie  Religion  :  Conféquence  abfurde  &  con- 
traire à  tous  les  paflkges  de  l'Ecriture ,  où  Ton  voit  que  le 
Gouvernement  des  Empires  même  idolâtres  ,  eft  inviolable  ^ 
ordonné  de  Dieu  ^  &  obligatoire  en  confcience. 

w  Dieu  (  dit  Saint  Auguflin  )  fait  régner  les  Tyrans  comme  les 
i>  Rois ,  &  f a  providence  feule  leur  met  entre  les  mains  laFuif- 
«  fancc  fouveraine ,  lorfqu'il  juge  que  les  hommes  font  dignes 
•>  d'avoir  de  tels  maîtres,  (a)  Ceft  en  parlant  de  Néron  que 
ce  Père  de  l'Eglife  fait  cette  réflexion. 

Le  Sauveur  du  monde  n  efl  entré  dans  aucune  difcuflîon  fur 
le  Gouvernement  Romain ,  fous  lequel  il  a  trouvé  le  peuple  de 
Dieu,  &  où  il  a  voulu  naître  lui-même.  Ilafuppofé,  dans  tous 
fes  difcours  ^  que  ce  Gouvernement ,  tel  qu'il  le  trouvoit ,  étoît 
légitime  en  foi  >  &  dès-là  établi  de  Dieu ,  à  fa  manière.  Ceft 
ce  que  Notre  Seigneur  a  expreffément  expliqué  en  deux  en^ 
droits  :  L'un  où  j  confulté  captieufement  par  les  Pharifiens  fur 
le  tribut  qu'on  devoit  à  Céfar ,  en  regardant  les  formes  de  Gou- 
vernement publiquement  éublies  comme  légitimes  ^   il  pro-- 

{a)  Aug.  de  Civit^  Dei^  Liv.  V«  Cbap.  XIX, 


,5>2  SCIENCE 

nonça  une  décîfion  qui  oblige  de  rendre  à  Céfar  ce  qui  eji  à  Ce- 
far ,  Cf  à  Dieu  ce  qui  ejl  à  Dieu,  (a)  L'autre ,  où  étant  accufé 
devant  Pilate  j  Gouverneur  de  la  Judée  pour  les  Romains  ,  il 
reconnoît  que  la  puiffance  que  ce  Magiftrat  Romain  exerçoic 
fur  Jefus-Chrifl  même ,  lui  était  donnée  d'en  haut  {b)  ;  &  par 
conféquent ,  qu  elle  étoit  légitime.  Ci  lesCéfars  s'étoient  empa* 
V   rés  avec  raifon  de  la  fouveraine  puiflance  ;  fi  pour  Texerccr  , 
ils  avoient  légitimement  uni  Tautorîté  des  Tribuns  à  celle  d'Em- 
pereur &  aux  autres  dont  on  avoît  formé  celle  des  Célars  j  fi  le  . 
Sénat  &  le  Peuple  Romain  avoient  été  libres  pour  raflembler 
cous  ces  droits  fur  une  même  perfonne  ;  fi  les  Céfars  les  pou- 
voient  tranfmettre  à  leurs  enfans  ;  fi  enfin  Tadoption  acquéroit 
un  droit  légitime  à  la  fucceffion  de  TEmpire  de  TL/nivers  ,  c*efl 
fur  quoi  le  fils  de  Dieu  n  a  point  prononcé ,  Dieu  veut  que  le 
monde  foit  gouverné ,  parce  qu  il  veut  que  les  hommes  vivent 
dans  Tordre  &  dans,  la  paix  ^  &  c'efl  tout  ce  qu'il,  falloit  fça- 
voir.  On  doit  refpeûer  le  Gouvernement  publiquement  établi  ^ 
&  obéir  au  Prince  qui  efl  aûuellement  en  poffcffion  ,  qui  eq 
porte  les  marques ,  &  qui  en  exerce  Tautorité. 

Jcfus-Chrifl  a  donné  l'exemple  de  la  foumiffion  qui  efl  due 
même  au  Gouvernement  des  Infidèles.  Il  obéît  dès  le  premier 
moment  de  fa  naiffance ,  aux  Edits  d  un  Empereur  idolâtre  ; 
pendant  tout  le  cours  de  fa  vie ,  aux  Loix  &  aux  coutumes  des 
Juifs  î  au  moment  de  fa  mort ,  aux  Sentences  injuftes  des  Prin^ 
ces  de  la  Synagogue,  &  aux  Arrêts  impics  du  Gouverneur  de  la 
Judée  ;  &  il  n'appéfantit  fa  main  fur  fes  ennemis  >  ni  loirfqu'il  for- 
tit  du  tombeau  vidorieux  de  la  mort ,  ni  lorfqu  il  monta  au  Ciel 
triomphant  de  l'Enfer,  ni  lorfqu'il  fut  affis  à  la  droite  dçfon  père» 

(tf)  Matth,  Cap.  XXII  ^verf,  jj, 
{b)  Joan.  XIX,  tt. 


3P3 
CHAPITRE     TTÎl  O  I  Q  I  E  M  E. 

Du  Gouvernement  aUuel  de  chaque  Peuple  de  CAJie  ,  conjidéri 

en  particulier. 


SECTION    PREMIER  £• 

Gouvernement  du  Japon. 

LE  S  Annales  du  Japon  font  remonterj'orîgîne  de  cette        ^ 
Nation  à  plufieurs  millions  d'années.  S'il  en  falloit  croire  l'Empi/ aT  ja! 
ce  peuple ,  il  auroit  été  gouverné  par  des  Dieux ,  par  des  efprits  ^^"^ 
céleftes ,  dont  quelques-uns  n'auroient  point  été  mariés ,  dont 
les  autres  auroient  eu  des  femmes  de  même  nature  qu'eux  ,  & 
dont  la  poftérité  auroit  formé  une  race  de  demi-Dieux.  Les  Ja- 
ponois  comptent  trois  Dynafties  de  leurs  Empereurs.  Les  deux 
premières  font  composées  de  ces  Dieux ,  de  ces  efprits  céleftes  ^ 
de  ces  demi-Dieux,  &  font  par  conféquent  fabuleufes.  La  troi- 
fiéme  fixe  l'époque  de  l'Empire  du  Japon  à  6^0  ans  avant  l'Ere 
Chrétienne,  d'une  manière  qui  paroît  inconteftable  à  l'Ecrivain 
qui  en  a  fait  PHiftoire  (a).  Cet  Empire,  fouvcnt  déchiré  par 
des  guerres  inteftines ,  n'a  jamais  fubi  un  joug  étranger. 

Langue,  Religion,  Mœurs,  Loix,  tout eft fingulier  au  Ja-         n. 
pon.   L'ancien  &  le  nouveau  monde  ne  re^nferment  rien  qui  ligion  des  habi^ 
le  foit  autant  que  là  Nation  Japonoife.  Séparée  des  autres  habi- 
tans  de  la  terre  par  une  mer  toujours  en  fureur  j  &  n'entretenant 

{a)  Charlevoix  ^  HifVoire  du  Japon,  Paris  i''36,  2  vol.  />ï-4®.  On  peut  auffi  voir 
fur  tout  ce  qui  regarde  le  Japon  ,  Marci  Pauli  Vcneti  de  regiunibus  Orientaitbus ,  lïbri 
très  ,  de  rédition  de  1671  ;  les  voyages  de  la  Compagnie  Holiandoife  aux  Indes 
Orientales ,  7  vol.  //2-12 ,  AmOerdam  ;  Lettres  de  S.  Fran^^ois  Xavier  i/2.8<>.  ;  THiftoire 
^  Kœmpfer,  2  yoXin-foL  la  Haye  1729,  ou  3  voL  w-12  ,  Amfterdam  173a  ,  &c% 

Tomeh  Ddd 


3P4  SCIENCE 

prefque  aucune  communication  au  dehors,  on  dîroît  qu'elle  n'a 
rien  de  commûh  tTans  fon.  origine  avec  les  autres  peuples.  Il  pa<^ 
uoît  au.  moins  certain  que  les  Japonois  ont  tiré  de  leur  propre 
fonds  jufqu'à  leurs  Dieux  dont  ils  prétendent  être  defcendus. 

lis  font  atï^itieux',  toujours  portes  à  de  grands  deffeins ,  ro^ 
bulles ,  dégagés ,  &  par  conféquent  propres  aux  exercices  de 
la  guerre  >  dont  ils  cultivent  merveillèufferaent  Part.  Ils  fuppor-- 
tent,  avec  une  patience  admirable ,  la  faim,  la  foif ,  le  froid ^ 
le  chaud ,  les  veilles  ,  les  travaux ,  &  toutes  les  incommodités 
de  la  vie.  Ils  font  defians  ,  mais  Honnêtes ,  civils ,  &  en  géné- 
ral gens  d'efprit  ^ubtils ,  curieux ,  &  doués  d'un  bon  jugement.. 
Diflblus ,  ils  ont  grand  nombre  de  maifons  publiques ,  même 
de  ces  maifons  infâmes  où  Ton  oublie  la  différence  des  fexes* 
Pleins  d'eftime  pour  eux-mêmes ,  ils  méprîfent  les  Etrangers ,. 
parce  qu'ils  penfent  n'avoir  befoin  de  perfonne ,  &  qu'ils  ne 
craignent  rien,  pas  même  la  morr,  qu'ils  femblent  regarder 
avec  une  gay été  féroce ,  5r  qu'ils  fe  donnent  pour  le  plus  léger 
fujet;  Ils  font  fuperftîtieux  comme  toutes  les  autres  Nations  de 
VAiit;  mais  il  n'en  eft  aucune  dans  tout  l'Orient,  quifoît  ni  plus 
fenfiblê  à  là  gloire ,  ni  plus  touchée  dii  point  d'honneur,  ni  plus 
capable  de  confiance  dans  les  travaux  &  de  fermeté  dans  les' 
malheurSé 

Les  parenis  dés  deux  côtés  marient  leurs  enfans ,  fans  conful- 
ter  leur  inclination',  &  fans  même  que  les  enfans  fe  connoi/Tenr, 
mais  ileft  permis  aux  mariés  defe  féparer ,  &  les  hommes  ufenr 
glus  fbuvent  de  cette  liberté  que  les  femmes ,  quoiqu'ils  puiflenr 
avoir  autant  de  concubines  qu'ils  veulent.  L'adultère  efl  puni' 
dèmrort  dans  Ifes  femmes,  &  une  fîmple  liberté  leur  coûte  même 
quelquefois  là  vie*.  Rien  n'efl  égal  à  la  contrainte  où  elles  fonti 
tenues  ,,q^e;lèur.  modèûîe.  fc  leur-  fidélité,.  Les  Jagonoislonti 


DU     GOUVERNE  MENT^      3p; 

peut-être  (  continue  PHiftorien  )  les  feuls  hommes  du  monde 
qui  aient  trouvé  le  fecret  de  gagner  &  de  fe  conferv^er  le  cœur 
àe  leurs  cpoufcs ,  en  les  re  en  nt  dan^.  une  efpece  de  captivité  ; 
on  a  vu  des  femmes  qui  n'avoient  pu  fe  donner  la  more ,  pour- 
fuivre  leurs  maris  au  tombeau ,  fe  lailfer  mourir  de  faim  (a). 

La  fidélité  des  domeftiqu  s  n*eft  pas  inférieure  à  celle  des 
femmes ,  &  il  ne  meurt  pas  au  Jupon  un  homme  de  condition  , 
qu'un  certain  nombre  de  fes  ferviteurs  ne  fe  fende  le  ventre  (  c'eft 
ia  manière  ordinaire  de  fe  tuer  )  pour  l'accompagner  en  Tautre 
monde.  Il  y  en  a  même  qui  s'engagent  à  le  faire ,  ou  en  entrant 
au  fcrvîce  de  leur  maître ,  ou  à  l'occaÇon  de  quelque  marque  de 
bonté  qu'ils  en  ont  reçue  (i)). 

L'ufage  pjarmet  aux  percsjd'jétouffar  ou  d'expofer  les  enfans 
qu'ils  ne  font  point  en  état  d'élever,  &  les  Japonois  pauvres 
xrroyent  faire  Ain  aûe  d'humanité ,  en  délivrant  les  enfans  qui 
viennent  de  naître ,  d'une  vie  qui  leur  feroit  à  charge  (cy 

Tous  les  Hiftoriens  nous  difent  que  cet  Empire  delpotîque 
^ft  bien  policé ,  mais  il  faut  bien -qu'il  le  foît  mal ,  puifqufà  une 
.«ncrevûe  du  Chef  de  la  Religion^ôc  de  TEmpereur,  il  y  eut  un 
il  grand  nombre  dépens  étouffés,  tués,  enlevés^  violés,  ^o-î 
lés,(i). 

Les  Japonois  font  idolâtres ,  &  regardent  comme  une  partie 
^ifentielle  de  leur  Religion ,  la  vénération  qu'ils  ont  pour  leur 
Z>aïru  Ils  ont  reçu ,  ^n  divers  tems ,  des  Religions  étrangères  ^ 
&  ils  en  profeflbient  quatre ,  il  y  a  peu  d'années.  La  première, 
eft  Fancien  culte  des  idoles  du  pays.  La  féconde ,  celui  des  ido* 

£a)  Hîftoire  du  Japon,  par  Cbarlevoix^ Tom.  J ,  j>ag.  6a* 
?^)  Ibid.  ^ 
jTc)  La  même. 

(d)  Le  Recueil  de3  Voyages  qui  ont  feryi.ji  r.établifleinextf  id^  la  Compag^  4t|t 
indes  ,  Tom.  V^  pag.  %. 


35)(5  SCIENCE 

les  étrangères  portées  de  la  Chine  9  de  Sîam ,  &  des  Indes  au 
Japon.  La  troifiémej  la  dodrine  des  Philofophes  &  des  Sages 
du  pays  ^  qui  ont  enfeigné  la  morale.  Chacune  de  ces  trois  Re- 
ligions a  diverfes  branches.  Le  Chriftianifme  faifoit  la  qua- 
trième ,  mais  on  Ta  aboli  ^  comme  je  le  dirai  fur  la  fin  de  cette 
Seûion. 
!"•  L'Empire  du  Japon  eft  vafte ,  &  il  confiftc  principalement  en 

Forces  de  cet-  *  ^  /  i»  i  r  •  i 

tcMonatchiç,  trois  grandes  Ifles ,  entourées  d  un  nombre  preique  mnombra- 
ble  d  autres  (a) ,  dont  quelques-unes ,  pleines  de  roches  &  fté- 
riles ,  font  petites ,  &  les  autres  riches ,  fertiles ,  &  affez  grandes 
pour  avoir  befoin  d*être  gouvernées  par  des  Princes  particuliers, 
dcpendans  de  l'Empereur  du  Japon  ,  dont  ils  font  comme  les 
Lieutenans. 

Tout  le  Japon ,  d'abord  divifé  en  6S.  Provinces ,  fur  fubdi-r 
vifé  en  tfo^.  diflriûs.  Les  Gouverneurs  qui  avoient  Tadminî- 
flration  des  58.  Provinces  y  s'en  étoient  rendus  les  maîtres ,  à  la 
faveur  des  guerres  civiles ,  &  avoient  agi  envers  le  Cubo-Sama  , 
comme  le  Cubo-Sama  envers  le  Daïri ,  ils  avoient  ufurpé  la  Sou- 
veraineté. Quelques-uns  de  ces  nouveaux  Princes ,  fe  livrant 
aux  mouvemens  de  leur  tendrefle  pour  tous  leurs  enfans ,  par- 
tagèrent entre  eux  leurs  Etats ,  &  les  rendirent  indépendans  les 
uns  des  autres.  Les  Empereurs  du  Japon  ont  fçû  profiter  de  ces 
fréquens  partages,  ils  ont  tour-à-tour  remis  fous  leur  puiffance 
tous  ces  petits  ufurpateurs  ainfi  afFoiblis  :  enforrc  que ,  fous  le 
nom  de  Rois  &  de  Princes ,  les  polièffeurs  de  ces  Gouvernemcns 
obciffent  comme  des  fujets. 

Cette  Monarchie  eft  bornée  par  des  côtes  pleines  de  rochers 
&  de  montagnes  ,  &  entourée  d'une  mer  orageufe ,  qui  n'ayant 

{a)  Selon  Marc-Paul  de  Venife ,  les  Matelots  faifoient  monter  les  petites  ifles  à 
7440,  paruHQ  exagération  outrée.  Us  y  comprenoient  fans  doute  (  dit  Charlevoix) 
les  rochers  &  les  écueils  qui  s'élèvent  un  peu  au  dcffus  de  la  mer. 


DU    GOUVERNEMENT.       3P7 

que  très-peu  de  fond ,  ne  peut  recevoir  que  de  petits  bâtimens. 
Les  petits  bâtimens  même  rifquent  beaucoup,  lorfqu'ils  en  ap- 
prochent ,  parce  que  la  profondeur  de  la  plupart  des  golfes  & 
des  havres  n'efl  pas  encore  connue.  Il  femblc ,  dit-6n ,  que  la  na- 
ture ait  voulu  que  ces  Ifles ,  qu'elle  a  pourvues  abohdamment  de 
tout ,  &  qu'elle  a  rendu  d'un  accès  fi  difficile,  formaffent  comme 
un  monde  fcparé  des  autres  Etats.  Ces  Infulaires  trouvent ,  dans 
la  bonté  de  leur  pays  &  dans  leur  induftrie ,  de  quoi  fournir  aux 
befoins  &  même  aux  délices  de  la  vie. 

Le  pays  cft  fi  gras  &  fi  fertile,  qu'il  porte  deux  fois  l'année; 
en  l'une  >  du  bled  ;  en  l'autre ,  tiu  ris ,  dont  les  habîtans  vivent , 
ainfi  que  de  venaifon ,  de  poiflbn ,  de  fruits ,  &  de  légumes.  Il 
a  les  plus  belles  manufadures  du  monde ,  &  quantité  de  mines 
de  toutes  fortes  de  métaux ,  même  d'or  &  d'argent  ;  mais  il  efl 
fujct  à  de  fréquens  &  terribles  tremblemens  de  terre. 

Le  climat  du  Japon  eft  très-fain.  Ses  habitans  peu  fujets  aux 
maladies ,  vivent  fort  longtems.  Les  chaleurs  qui  y  font  grandes 
en  été ,  font  tempérées  par  la  fraîcheur  que  renvoyent  les  mers> 
dont  les  Ifles  font  environnées ,  &  les  rivières  qui  les  coupent. 
Le  froid  y  eft  plus  long  &  plus  grand  que  le  chaud ,  parce  qu'il 
y  tombe  fouvent  de  la  neige  en  abondance ,  ce  qui  vient  des 
montagnes  dont  le  Japon  eft  couvert. 

L'Empereur  du  Japon  eft  très-riche,  &  fes  revenus  montent 
fi  haut  qu'ils  furpaffent  de  beaucoup  fa  dépenfe ,  qui  eft  au  moins 
de  300  millions  de  notre  monnoie,  tant  pour  fa  Maifon  &  les 
appointemens  des  Officiers  ,  que  pour  la  folde  des.troupês.Que 
fcroit-ce  s'ilaccordoità  fes  Sujets  &  aux  Etrangers  la  liberté  in- 
définie du  commerce  ?  Celui  du  dedans  eft  très-confidérable  ; 
celui  du  dehors ,  médiocre.  j  v. 

Il  n'y  a  dans  tout  l'Empire  du  Japon  ,  qu'un  poids  & 


Son  Gouimne» 
ment. 


3p8  SCIENCE 

une  mefure  >  qu'une  Loi  &  un  Souverain  qui  eft  très-abfolu; 

Les  Seigneurs  y  les  maris  y  &  les  pères  ont  droit  de  vie  &  de 
mort  fur  leurs  vaflaux,  leurs  femmes ,  &  leurs  enfans.  Les  Maî- 
tres n'ont  pas  tout-à-fait  le  même  droit }  mais  comme  ils  répon- 
dent des  fautes  de  leurs  domeftiques  >  ils  ojit  fur  eux  une  très- 
grande  autorité ,  &  s'ils  les  tuent  dans  un  mouvement  de  co^ 
1ère ,  ils  font  abfous ,  en  prouvant  la  faute  pour  laquelle  ils  les 
ont  tués.. 

Les  Loix  du  Japon  au  fujet  des  crimes  ^  font  extrêmement 
feveres.  On  les  punit  prefque  tous  de  mort^  &  Tatrocité  du  ca- 
radere  de  ce  peuple  femble  avoir  rendu  iodifpenlable  ratrocit^ 
des  peines. 

Suivant  ces  Loix ,  lorfque  quelqu'un  efl:  difgracié  ou  conp 
damné  à  mort  y  tous  ceux  qui  lui  font  unis  par  les  liens  du  fang 
doivent  fubir  le  même  fort,  û  le  Prince  ne  leur  fait  grâce  (a). 

Aucup  délit  tfeU  reprimé  par  des  peines  péa^niaires ,  fur  ce 
principe  que,lorfquil  s'agit  dePintérêt  public^  il  ne  doit  point 
y  avoir  de  diflinéïion  jentre  les  pauvres  &  les  riches  ;  mais  ceux 
qui  font  chargés  dje  veiller  fur  la  conduite  des  autres ,  font  fou* 
vent  punis  pour  eux.  On  voit  au  Japon  des  perfonnes  condam- 
nées^ pour  des  fautes  aifez  légères  j  au  banniflement  ^  ou  à  une 
prifon  perpétuelle ,  à  la  confifcation  de  tout  leur  patrimoine  ^ 
ou  à  la  privation  de  leurs  emplois ,  ce  qui  efl  fans  doute  exceflif 
pour  ceux  qui  ne  font  pas  pcrfonnellement  coupables.  Rien  n'eft 
cependant  plus  ordinaire.  Les  Officiers  prépofés  à  la  fureté  de$ 
rues  répondçnt  pour  les  Cbefs  des  familles ,  les  Chefs  de  fa- 
mille^ pour  tous  ceux  qui  les  compofent  ;  les  Propriétaires  ^ 
pour  les  Locataires  ;  les  Maîtres  ,  pour  les  domeftiques  ;  le? 
Compagnies  ,  pour  chacun  de  leurs  membres  5  les  voifins ,  le^ 

j^a)  Çharlçvoix ,  page  8a* 


DU    GOUVERNEMENT,       jpp 

uns  pour  les  autres ,  &  quelquefois  les  enfans  pour  leurs  pères. 
Il  eft  vrai  (  dit  THiftorien)  qu'en  les  condamnant ,  on  a  égard 
à  tout  ce  qui  peut  diminuer  la  faute ,  à  la  condition  du  crimkiel  j 
&  à  la  proportion  de  la  peine  que  chacun  doit  porter,  lorfque 
plufieurs  font  punis  pour  le  crime  d'un  feul  {a). 

S'il  s'élève  dans  une  rue  quelque  querelle,  les  voifins  les  plus 
proches  font  obligés  de  féparer  d'abord  ceux  qui  fe  battent , 
car  l'un  d'eux  venant  à  être  tué ,  non-feulement  l'autre  payeroit 
ce  crime  de  fa  tête ,  n'eût-il  fait  que  fe  défendre ,  mais  les  trois 
feimilles  les  plus  voifines  de  Pendroit  où  le  meurtre  auroit  été 
commis ,  feroient  encore  obligées  de  garder  leurs  maiions  pen-- 
dant  plufieurs  mois.  On  ne  leur  donneroit  que  la  liberté  de  faire* 
des  provifions  pour  ce  tems-là,  après  quoi  leurs  portes  &  leurs 
fenêtres  feroient  condamnées.  Tous  lesautres^habitans  de  la  rue* 
auroient  aufli  leur  part  au  châtiment ,  on  leur  impoferoit  de  rudes 
corvées  plus  ou  moins  longues ,  à  proportion  de  ce  qu'ils  auroient 
pu  faire,  pour  prévenir  les  fuites  de  la  querelle.  Les  Chefs  de 
Compagnie  font  toujours^  plus  rigoureufement  punis  que  les  au-- 
très,  &  lorfque  l'un  des  membres  de  la  Compagnie  fe  fauve  des- 
mains  de  la  Juftice ,  ils  en  font  refponfables  (&). 

Tout  homme  qui  met  le  fabre  ou  le  poignard  à  la  main ,  efl 
condamné  à  mort ,  s'il  eft  dénoncé,  quand  même  il  n'auroit  pas 
touché  celui  à  qui  il  auroit  paru  en  vouloir  (  c  )• 

Le  Japon  eft  foumis  à  deux  Puiffances ,  dont  l'une  s'appelle         y: 
le  Daïri ,  &  l'autre  le  Cvbo-Sama.^  fa„?e  ^i:"K'- 

Le  Dàiri,  qui  defcend  de  Syn-Mu ,  fondateur  &  légiflateur  &afsoumâ- 
de  la  Monarchie ,  réputé  defcendu  lui-même  des  Dieux  du  pays,-  ""*^^' 
étoit  regardé  comme  un  Dieu ,  le  plus  pur  lang  du  foleil ,  &  rer 

ld\  CharlevDix,page70^-  ' 

IhS  Ibid,page72. 

(ç)  MêiM  pagÇt.  I 


40O  SCIENCE 

vêtu  d'un  droit  înconteftable  à  TApothéofe  ;  il  réuniffoit  en  fa 
perfonne  tout  ce  qui  peut  fonder  dans  Tefprit  des  peuples  une 
autorité  fans  bornes  ^  reconnue  pour  légitime.  Les  fucceffeurs 
du  fondateur  confervcrent  pendant  plufieurs  fiécles  le  double 
empire  de  la  Religion  &  des  affaires  temporelles  j  mais  le  Dàirt 
n'a  aujourd'hui  qu  une  puiffance  religieufe ,  &  fes  honneurs  ont 
augmenté  j  s'il  étoit  poflîble  qu'ils  augmentaflent ,  à  mefure  que 
fa  puiffance  a  été  anéantie.  Les  Princes  de  fon  fang  qui  font 
également  des  perfonnes  facrées ,  compofenr  avec  lui  Ja  Cour 
Eccléfiaflique  ^  qui  prononce  fur  la  fucceflion  à  cette  première 
dignité  de  TEmpire  ^  lorfque  le  Daïrl  n'a  point  déclaré  fon  fuc- 
ceffeur ,  &  que  le  titre  pour  la  fucceffion  eft  contefté.  Cependant 
on  a  vu  des  Daïris  abdiquer  la  Couronne  en  faveur  d'autres  que 
de  leurs  enfans  ^  &  quelquefois  même  en  faveur  de  Prînceffes, 
qui  à  la  vérité  étoient  de  leur  fang ,  mais  dans  un  degré  affez 
éloigne  i  des  Impératrices ,  fucceder  immédiatement  à  leurs 
maris ,  au  préjudice  des  plus  proches  mâles  de  ceux-ci  j  des 
fœurs ,  régner  après  leurs  frères  ;  des  filles ,  après  leurs  mères  ^ 
8ç  avoir  pour  fucceffeurs  des  Princes  qui  auroient  dû  ^  ce  fcmble^ 
les  précéder  dans  l'ordre  de  la  fucceffion  ;  enfin ,  des  collatéraux 
monter  fur  le  trône  avant  les  fils  de  leurs  prédéceffeurs  ;  mais  la 
Couronne  n'eft  jamais  fortie  de  la  Maifon  de  Syn-Mu^Sc  elle 
y  eft  depuis  vingt-quatre  fipcles. 

Le  CubO'Sama  du  Japon ,  affez  femblable  à  nos  anciens  MaU 
res  du  Palais ,  n'écoic  anciennement  que  le  Général  des  armées; 
mais  il  s'eft  infenfiblement  approprié  la  fouveraine  puiffance , 
&  n'a  laiffé  au  Daïri  que  les  vains  honneurs  du  Pontificat.  Cette 
ufurpat^on ,  l'ouvrage  de  plufieurs  guerres  civiles ,  s'eft  faite 
dans  le  douzième  fiécle  de  l'Ere  Chrétienne  (a)  ,  &  a  donné  la 

{a)  En  ii8i. 

naiffance 


pu    GOUVERNEMENT.       401 

tiaîiTance  à  d'autres  troubles  înteftins ,  dont  la  fin  a  été  la  ruine 
xle  la  puiflance  des  Daïris ,  &  rafFermiffement  de  celle  des  Cubo- 
Marnas. 

Le  Daïri ,  pour  qui  les  peuples  ont  confervé  jufqu*à  préfent 
la  plus  profonde  vénération ,  a  encore  aujourd'hui  le  pouvoir 
de  faire  des  grâces  ,  de  donner  des  titres  honorables  aux  Prin- 
ces y  aux  Seigneurs ,  &  aux  Nobles  du  Japon ,  le  lieu  du  monde 
où  ces  titres  font  plus  recherchés. 

Le  CubO'Sama  eft  maître  de  toutes  les  forces  &  de  tous  les 
revenus  de  TEtat ,  &  même  de  la  perfonne  du  Daïri.  Il  a  toute 
la  réalité  de  la  puifTance  dont  le  Daïri  n'a  que  le  nom. 

Le  Daïri  tient  fa  Cour  à  Miaco ,  dans  un  vaile  Palais  auquel 
le  Monarque  féculier  affigne  une  nombreufe  garde ,  en  appa- 
rence pour  faire  honneur  au  Daïri  ^  mais  en  effet  pour  s'afliirer 
de  fa  perjfonne. 

Les  Cufeo-5amflî  qui  ft  voient  auffî  leur  Cour  à  Afîaco,  &  qui 
t)nt  cru  n'avoir  plus  befoin  de  réfîder  auprès  du  Daïri ,  ont  tranf- 
y orté  le  Siège  de  TEmpire  à  Jeào ,  où  ils  ont  formé  une  féconde 
Capitale  bien  plus  confidérable  que  la  première,  &  où  ils  font  ré- 
iîder  les  femmes  &  les  filles  des  Seigneurs  dePEmpire,  autrefois 
Souverains  dans  leurs  Provinces ,  pour  retenir  les  maris  &  les 
pères  dans  la  foumil|ph.  A  cette  précaution,  les  Cubo-Samas  ajou- 
tent celle  d'entretenir  des  efpions  auprès  de  ces  Seigneurs ,  pour 
être  avertis  de  tout  ce  qui  peut  intéreffer  la  Puiflance  fuprême: 

Trois  Marchands  Pourtugais  (a)  qui  étoient  partis  d^un  port        vl 
du  Royaume  de  Siam,  nommé  Doàra,  &  qui  faifoient  voile  Japon  ;Etia)iifle- 
vers  la  Chine ,  furent  jettes  par  la  tempête  vers  les  llles  du  Jar-  ^  <iu  chriftia. 
j)on  (& )  >  &  prirent  port  au  Royaume  de  Cangoxima»  Cette  dé-  ^J"pj[«jj ^  ^>  i!« 

fon   ée   fermer 

(tf)  Antoine  Mota,  François  Zeimot  ,&  Antome  Peixot,  pt^s'^rJ^  '^^'"'^ 

^i)  Vers  l'an  1541.  get&        ^^"^^ 

Tpm6  h  Eee 


402  SCIENCE 

couverte  donna  Heu  aux  établiffemens  que  firent  au  Japon  pîu- 
fi^urs  Nations  Européennes;  ces  établiffemens  mirent  les  Mif- 
iîonnaires  en  état  d'y  port  er  la  lumière  de  la  Foi.  Saint  François 
Xavier  y  alla  planter  la  Croix  (û)  ;  &  TEglife  qu'il  y  fonda  fut 
long-tems  floriffante.  Les  Miffionnaires  y  avoient  fait  des  fruits 
admirables ,  l'entrée  du  Japon  ctoit  ouverte  aux  Etrangers,  8c 
les  Japonois  jouiffoient  de  la  liberté  de  voyager  &  dans  leur  pays 
&  dans  les  pays  étrangers.  Toutes  les  Nations  pouvoient  aufli 
jerter  Tancre  dans  leurs  ports  ,&  les  Portugais  y  ctoient  fur-tout 
attirés  par  tous  les  petits  Princes  des  Ifles  &  des  Provinces  qui 
alors  n'étoient  point  foumis  à  TEmpereur ,  comme  ils  le  font 
aujourd'hui.  Les  Portugais  recherchés  de  toutes  parts  ,  négo- 
cîoicnc  librement  &  avantageufement  dans  tout  TEmpire ,  & 
les  Miffionnaires  tâihoient  de  faire  des  Profclytes  au  Chriflia- 
nifmc  ;  mais  le  peu  de  concert  entre  les  Miffionnaires  de  diffé^ 
rens  Ordres ,  la  mefintelligence  des  Catholiques  &  des  Proie- 
flans  Européens  ,  que  le  commerce  y  attiroit ,  &  les  intrigues 
des  Bonzes ,  auxquels  les  Juponois  convertis  ne  portoient  plus 
d'offrandes ,  excitèrent  une  perfecution  qui,  en  une  feule  année, 
fit  périr  plus  de  vingt  mille  Chrétiens  (6).  On  ferma  les  EgUfes, 
&  les  Miffionnaires  ne  laiffcrent  pas  de  faire  encore  des  Profc- 
lytes ;  mais  l'imprudence  de  quelques  PG|ipgais  ,  &  le  zélé  de 
quelques  Miffionnaires  excitèrent  de  nouvelles  perfécutions  | 
&  la  Religion  Chrétienne  fut  entièrement  profcrite  de  l'Em- 
pire (c).  L*Hiftorien  du  Japon  rapporte  qu  il  y  avoit  déjà  1 8oo 
mille  Fidèles  &  200  Miffionnaires,  lorfque  le  Chriftianifme  y 
fut  aboli.  Il  fut  défendu  aux  Japonois  d'en  fortir ,  les  Portugais 
en  furent  bannis  à  perpétuité ,  &  tous  les  ports  furent  fermés  aux 

W  En  M49- 

(h)  En  1590,  20  570  pcrfonnes  furent  martyrifces  pour  la  foi. 

(0  £a  1637. 


DU    GOUVERNEMENT.       ^03 

Etrangers ,  excepte  aux  Chinois  &  aux  Hollandois ,  qui  ont 
confervé  la  liberté  d*avoir  un  Comptoir  dans  Tlfle  de  Défima. 
L'année  d*aprcs,  unfeul  jour  (a)  vit  périr  37  mille  Chrétiens^ 
maflacre  qui  abolit  notre  Religion  dans  TEmpire  du  Japon  ^ 
au  point  que  qu'il  n'y  étoit  refté  quelques  particuliers  qu'on  a  ex- 
terminés ,  à  mefure  qu'on  lésa  découverts.  Les  Hollandois  ne  fe 
font  confervés  la  liberté  de  négocier  au  Japon ,  qu'en  aflliranc 
que  leur  Religion  n'eft  pas  la  même  que  celle  des  Portugais  & 
&  des  Efpagnols ,  qu'en  s'intcrdifant  toute  pratique  extérieure 
du  Chriftianifme ,  &  f e  livrant  à  beaucoup  d'ulages  qui  font 
comme  une  abdication  de  la  Religion  Chrétienne. 

Les  Chinois  gagnent  mille  pour  cent  fur  le  fucre  qu'ils  por- 
tent aux  Japonois ,  &  quelquefois  autant  fur  les  retours  de  ce 
qu'ils  rapportent  chez  eux  (  &  ).  Les  Hollandois  font  fans  doute 
des  profits  à  peu  près  pareils  avec  les  Japonois.  C'cft  une  des 
pertes  que  fait  la  Chine ,  pour  s'être  fequeftrée  du  refte  du  genre 
humain  ;  &  ceft  le  fort  de  tout  peuple  qui  ignore  que  la  con- 
currence feule  des  acheteurs  met  le  prix  aux  marchandifes  ^  âc 
établit  les  vrais  rapports  entre  elles. 

Kœmpfer  (  c  )  examine  s'il  eft  avantageux  au  Japon  d'être 
fermé  comme  il  l'eft ,  au  point  que  les  Etrangers  n'y  fçauroient 
entrer ,  ni  les  habitans  en  fortir  ;  il  fe  détermine  pour  l'affirma- 
tive ,  &  entreprend  de  nous  inftruire  des  raifons  qui  ont  déter- 
miné les  Monarques  Japonois  à  fermer  leur  Empire ,  enforte 
qu  à  l'exception  de  ce  peu  de  commerce  qu41s  permettent  aux 
Chinois  &  aux  Hollandois ,  dans  un  feul  de  leurs  ports  ^  ces 
Infulaires  font  dans  1  Univers  comme  s'ils  y  étoient  feuls.  Char- 
le  voix  trouve  que  Kœmpfer  efl  auffi  peu  jufte  dans  fesRéfle:(ions 

{a)  Le  II  d'Avril  1638. 

{b)  Duhaldc  ,  Defcription  de  la  Chine ,  Tom.  II ,  pag.  17O. 

(c)  Dam  le  dernier  article  de  ion  Uiiloire  du  Japon. 

Eceîj 


404  SCIENCE 

IPolitîques ,  &  auflî  peu  exaSt  dans  Jes  faits  qu'il  rapporte  ^  qulï 
cft  admirable  dans  fes  Obfervations  fur  THiftoire  Naturelle  des 
pays  qu'il  a  parcourus.   Ce  Jéfuite  s'élève  avec  force  con- 
tre un  Auteur  Chrétien  qui  >  après  avoir  compté  Tabolition  du 
Chriftianifme  parmi  les  moyens  dont  les  CuhoSamas  fe  font  fer- 
vis  pour  établir  leur  nouveau  plan  de  Gouvernement ,  ne  craint 
point  d'avancer  que  ces  Monarques,  ont  en  quelque  manière 
rcffufcité  l'innocence  &  le  bonheur  des  premiers  âges  (a).  Le 
Japon  n'eft  pas  le  feul  pays  dont  l'accès  ait  été  défendu  (b).  Les 
cxpreflîons  de  Kœmpfer  renferment  fans  doute  quelque  exagéra* 
tion  y  &  fes  idées  ne  font  pas  jufles.  Pour  traiter  la  queftion  fur 
laquelle  lui  &  Charlevoix  font  partagés  ,  il  faudroit  difcuter  le 
ftiit  &  le  droit..  Les  Japonois  trouvent-ils  de  l'avantage  à  s'être 
fequeftrés  dli  genre  humain  ?.  Voilà  la>qiieftion  de  fait  :  Or  quoi- 
qu'on nous  dife  du  Japon  ^  il  eft  peu  vraifemblable  que  cet  Erax 
pire  foie  inacceflible  dans  toutes  les  faifons ,  dans  tous  les  temsy 
dans  toutes  les  circonftances ,  &  que  les  Nations  Etrangères  ne 
puiffent  jamaîs.y.  pénétrer.  Lafameufe  muraille  de  la  Chine  a- 
t-elle  empêché  que  ce  grand  Empire  n'ait  été  fournis  parles  Tar- 
tares  ?U  eft  d'ailleurs  évident  que  l'effet  de  la  Loi  qui  défend' 
aux  Etrangers  d'entrer  au  Japon ,  ne  peut  être  que  d'arrêter  les 
progrès  dû  commerce ,  d'es  arts ,  &  des  fciences ,  &  de  contri- 
buer par-là  à.  perpétuer  dans  le  pays  Pefclavage^  l'ignorance,  & 
k fuperftition.  Nous,  adorateurs  du  vrai  Dieu, .ne  pouvons 
point  en  particulier  n'être  pas  touchés  que  les^  Japonois  ayent 
fermé  l'entrée  de  leur  pays  aux  Etrangers ,  parce  qu'il  eft  certain 
que  la  PuifTance  Eccléfiaftiqucdu  Japon ,  pour  laquelle  les  peu- 

(a)  Pages  613  ,614,  615  &6i5.du  fécond  Volwne  de  THiftoire  du  Japon,  par 
Charleyoïx. 

i^]y^7^^t  ^^,^*^"^V  ^"  Chap.  II  de  cette  Intfoduftîon  ,  au  Sommaire  :  LoL 
jptf  defcndoit  rcntrccdu  pays  mx  itran^rs^ 


BUGOtJVERNEMENT^      40J 

pies  ont  tant  de  vénération ,  &  qui  ne  fe  foutient  que  par  la  fu- 
perfticion ,  feroit  renverfée  auflitôt  que.la  Religion  Chrétienne 
y  feroit  introduite  &  folidement  établie.  Les  Japonois  perdent 
affurément  beaucoup  à  fe  fequeftrer  du  genre  humain.  Le  peu- 
vent-ils faire  légitimement  ?  Ne  font-ils  pas  injure  à  la  Loi  na- 
turelle ?  Ne  blcffent-ils  pas  les  règles  de  l'humanité  &  de  la  fo- 
ciété  univerfellc  des  hommes?  Ceflla  queflion  de  droit.  Je  Tai 
traitée  amplement  ailleurs  (a). 

SECTION      II. 

Du  Gouvernement  de  la  Chine. 


o 


N  nous  repréfente  cette  Monarchie  comme  la  plus  an-       vu. 

j      -  /-         1.  »   11  1  Fondation  de 

cienne  de  1  Univers  ^  &  comme  11  polie  qu  elle  ne  le  cède  '^™p»f«  <*«  ** 


guère  aux  Etats  fes  mieux  policés  de  TÈurope.  A  retrancher  les 
millions  d'années  que  les  Annales  Chinoifes  donnent  à  cet  Em- 
pire y  &  auxquelles  les  Sçavans  même  du  pays  n'ajoutent  pas 
foi  9  il  fubfifte,  dit-on,  depuis  plus  de  quatre  mille  ans.  Les 
Hiftoriens  Chrétiens  nous  en  racontent  ainfi  la  fondation  (fe). 

Les  fils  de  Noc  fe  répandirent  dans  TAfie  Orientale.  Leurs 
defcendans  pénétrèrent  dans  la  Chine ,  environ  deux  fiécles 
après  le  déluge.  Les  Chefs  de  plufieurs  familles  confidérables 
en  habitèrent  quelques  terres  ^  y  multiplièrent  beaucoup ,-  &  y 
formèrent  peu  à  peu  une  Monarchie.  D'autres  Colonies  s^établî- 
rent  dans  d'autres  Cantons ,  s'inftrufircnt  dans  les  arts  les  plus 
néceffaires,  &  s'adonnèrent  principalement  à  l'agriculture.  C'ell 
ainfi  que  s'élevèrent  plufieurs  petits  Etats ,  lefquels  ne  reconnu-^ 

(j)  Dans  mon  Traité  de  Politique,  Idée  de  la  Politique ,  au  Sommaire  :  De  la  morr 
raie  des  Princes ,  &c. 

{b)  Duhalde ,  Defcription  de  U  Chine ,  IV!  Volume  in-foL  Paris ,  173.5  • 


Chine. 


40(5  SCIENCE 

rcnt  pas  d*abord  le  Souverain  qui  a  voie  fait  le  premier  &  le  plu9 
conlîdérable  ccabliflement  dans  le  pays;  mais  l'es  l'ucccfTcurs  fe 
mirent  infenfiblement  en  fituation  de  dUpoUr  de  fes  Souverai- 
netés particulières ,  qui  devinrent  comme  des  fîefs  de  la  Souve- 
raineté principale.  Apres  avoir  affuré  leur  Couronne  à  leurs  fils 
aînés ,  ils  abandonnoient  ces  autres  régions  à  leurs  autres  enfans 
ou  à  leurs  neveux,  &  quelquefois  ils  en  difpofoient  en  faveur  de 
perfonnes  de  mérite.  Ce  partage  de  puiflance  toujours  pernî-- 
cieux,  fut,  fous  des  règnes  foibles ,  la  fource  des  guerres  intef- 
tînes  qui  déchirèrent  la  Chine.  Ceux  qui  avoient  reçu  de  l'Em- 
pereur le  titre  de  Prince ,  voulurent  être  appelles  Rois ,  &  en 
exercer  Tautoritc.  Les  invafions  mutuelles  rcduifirent  l'Empire 
à  fept  grands  Royaumes.  A  la  fin,  ces  divers  Etats,  réunis  ou 
par  la  force  ou  par  la  fageffe ,  formèrent  cette  vafte  Monar-^i 
chie ,  telle  qu  elle  eft  aujourd'hui  fous  un  feul  Souverain. 

Neuf  Empereurs  font  regardés  comme  les  premiers  Maîtres 
qu  ait  eu  la  Chine  ;  mais. les  Chinois  ignorent  quelle  a  été  la  du- 
rée du  règne  de  ces  Princes.  Ils  comptent  enfuite#par  une  dé- 
duâion  Chronologique  bien  fuivie ,  vingt-deux  Dynafties  ou 
familles  Impériales  qui  ont  occupé  fucceffivement  le  trône  ,  & 
qui  toutes  enfemble  ont  donné  231  Empereurs.  Le  Prince quî 
règne  aujourd'hui  à  la  Chine ,  eft  le  cinquéme  Empereur  de  la 
famille  d'un  Tartare  qui  en  a  fait  la  conquête. 

C'eft  ,  ajoute-t-on ,  depuis  un  Empereur  nommé  Yao ,  quî 
commença  à  régner  2557  ^^^  avant  J.  C.  que  la  Chronologie 
de  TEmpire  Chinois  eft  bien  éclaircîe ,  &  que  le  nom  des  Em- 
pereurff ,  la  durée  de  leur  règne  ,  les  divifions ,  les  révolutions, 
les  interrègnes ,  tout  eft  marqué  dans  une  grande exaditude.  On 
peut  voir ,  dans  THiftorien  que  j'ai  cité  (a)  y  les  railbns  qu'il  a 
d'ajouter  foi  à  cette  Chronologie. 

W  Duhaldc  ,  page  164  &  fuivantes  du  premier  Volume; 


Ferma  t:eGou% 
veruemeuu 


DU    G  O  U  V  E  R  NE  M  E  N  T.        407 

L'autorité  de  TEnipercur  eft  abfolue ,  &  les  Chinois  font  cle-       vin. 
vés  dans  un  refpe£l  pour  le  Souverain ,  qui  tient  de  l'adoration , 
&  qui  rejaillit  fur  les  Mandarins.  Ccft  de  ce  nom  que  les  Por- 
tugais ,  imites  par  toutes  les  Nations  Européennes  ,  ont  appelle 
les  Officiers  de  l'Empereur. 

Ce  Prince  eft  le  fcul  arbitre  de  la  fortune  &  de  la  vie  de  fes 
Sujets.  Ni  les  Vicerois ,  ni  les  Cours  Supérieures  de  Juftice  ne 
peuvent  faire^xécuter  à  mort  un  criminel ,  fî  la  Seftence  qui 
le  condamne  n'a  été  confirmée  par  le  Souverain  ;  mais  les  Arrêts 
qui  émanent  immédiatement  de  la  Puiffance  Impériale ,  font 
irrévocablement  exécutés.  Aucun  Gouverneur  de  Province  , 
aucun  Tribunal  rfofcroic  diffirer  d'un  moment  de  les  publier  & 
de  s'y  conformer. 

Les  Princes  du  Sang  Impérial  j  quelque  élevés  qu'ils  foîent 
au  deflus  des  autres  Sujets  >  n'ont  ni  puiflance  ni  crédit.  On 
leur  alfigne  une  Cour ,  un  Palais  ,  des  Officiers  ,  des  revenus 
proportionnés  à  leur  rang  y  mais  ils  n'ont  pas  la  moindre  autorité 
fur  le  peuple ,  qui  a  néanmoins  le  plus  grand  refpe£l  pour  eux. 
Autrefois  ,  ils  é  oient  difperfés  dans  les  Provinces^  &  les  Offi- 
ciers de  l'Empereur  leur  en voy oient  leurs  revenus  tous  les  trois 
mois ,  afin  que  les  dépenfant  à  mefurc  qu'ils  les  recevoient ,  ils 
ne  fiffcnt  pas  des  épargnes ,  dont  ils  auroient  pu  fe  fervir  pour 
^citer  des  troubles.  Il  leur  étoit  même  défendu,  fous  peine  de 
la  vie,  defortir  du  lieu  marqué  pour  leur  féjouri  mais  depuis 
que  les  Tartares  font  maîtres  de  laChine,les  chofes  ont  changé, 
&  TEmpereur  a  cru ,  avec  raifon,  qu'il  étoit  plus  à  propos  que 
tous  les  Princes  demeuraffent  à  la  Cour  fous  les  yeux  du  Souve- 
rain. Au  refte ,  un  Prince  de  la  Maifon  Impériale  ne  peut,  ni 
en  prendre  la  qualité ,  ni  en  recevoir  les  honneurs ,  fi  l'Empe- 
reur ne  les  lui  fait  décerner.  Lorfque  ia  conduite  ne  répond  pas 


4o8  SCIENCE 

à  Tattente  publique ,  il  perd  fon  rang  &  fes  revenus  par  Tordre 
de  TEmpereur  ,  &  n*eft  plus  'diftingué  que  par  la  ceinture 
jaune  que  portent  les  hommes  &  les  femmes  de  la  famille  ré- 
gnante. Il  ne  jouit  alors  que  d'un  revenu  aflcz  modique  fur  le 
Tréfor  Royal. 

Aucune  place  rfeft  vénale,  l'Empereur  difpofe  de  toutes 
celles  di^rStat.  Il  établit  les  Vicerois  &  les  Gouverneurs, 
élevé  &  abaiffe  les  Officiers  félon  Topinion  qu'iliftn  a ,  donne  & 
ôte  les  emplois  à  fon  gré.  C'eft  fur  la  préfentation  des  Tribu- 
naux que  l'Empereur  donne  les  charges  ;  il  n'eft  point  obligé 
de  les  accorder  à  ceux  que  ces  Compagnies  ont  propofés,  & 
qui  ont  précédemment  tiré  au  fort  ;  mais  pour  l'ordinaire ,  il 
les  confirme  après  les  avoir  examinés.  Les  premières  places  y 
telles  que  celles  de  Vicerois  &  quelques  autres ,  font  données 
par  l'Empereur  ,  fans  que  les  Tribunaux  en  préfentent  les 
Sujets. 

Le  rang  eft  attaché  au  mérite  perfonnel,c'efl:  le  mérite  qui 
acquiert  les  emplois ,  &  la  Nobleffe  n'eft  autre  chofe  à  la  Chine 
que  la  poffeffion  adluelle  des  charges.  Le  fils  d'un  Mandarin 
du  premier  rang  eft  un  homme  du  peuple ,  s'il  n'eft  lui-même 
Mandarin. 

Toute  l'autorité  &  tout  l'éclat  réfident  dans  les  Charges 
qu^en  France  nous  appelions  de  Robe.  Avant  la  domination  des 
Tartares ,  les  Officiers  de  guerre  n'étoicnt  dans  cet  Empire  que 
des  malheureux  y  qui  ne  s'étoient  pas  fenti  affez  de  mérite  pour 
s'avancer  par  les  lettres.  Depuis  même  que  la  Chine  eft  devenue 
la  conquête  des  Tartares ,  les  Mandarins  de  lettres  font  infinî- 
jnent  plus  confidérables  que  les  Mandarins  d'armes.  On  ne  par- 
vient aux  emplois  que  par  le  fçavoir ,  &  TEtat  eft  toujours  gou- 
yprné  par  des  Mandarins  de  lettres.  Ce  font  encore  des  Gens  de 

Lettrçç 


DU    GOUVERNEMENT.      40^ 

Lettres  cjui  font  chargés  de  Téducation  du  Prince  héritier  de 
TEmpire  y  &  qui  doivent  lui  enfeigner  la  vertu  ,  les  fciences  8c 
Fart  de  gouverner. 

Dans  le  choix  d*un  Maître  ^  les  Orientaux  s'attachent  tout  au. 
plus  à  la  famille  Royale  ^  &  non  au  Chef  de  cette  famille  ^  in- 
certains dans  la  feule  chofe  où  les  Européans  ne  le  font  point  y 
car  dans  tout  le  refle  nous  varions  &  ils  ne  varient  jamais.  A  la 
Chine  ^  c'eft  l'Empereur  qui  choifit  parmi  fes  enfans  celui  qu  il 
croit  le  plus  prope  à  lui  fuccéder.  Lorfqu  il  ne  trouve  pas  dans 
fa  famille  des  Princes  capables  de  gouverner ,  il  lui  eft  libre  de 
fixer  fon  choix  fur  celui  de  fes  Sujets  qu'il  en  juge  le  plus  di- 
gne. L'on  en  a  vu  des  exemples  dans  les  tems  les  plus  reculés  ^ 
&  les  Empereurs  qui  les  ont  donnés ,  ces  exemples  y  font  en- 
core aujourd'hui  l'objet  de  la  vénération  des  Peuples ,  pour 
avoir  préféré  le  bien  public  de  l'Etat ,  à  la  fplendeur  particu- 
lière de  leur  Maifon.  Si  celui  qui  a  été  déclaré  fuccefleur  de  l'Em- 
pire ,  s'écarte  de  la  foumiflîon  qu'il  doit  au  Souverain ,  ou  tombe 
dans  quelque  faute  confidérable  y  l'Empereur  efl  le  maître  de 
l'exclure  de  fa  fucceffion  &  de  nommer  un  autre  héritier  à  fa 
place.  Cang'hi  (  a  )  ,  Empereur^fi  connu  en  Europe,  pour  avoir 
protégé  les  Miffionnaires  Chrétiens  j  ufa  de  ce  droit  y  en  dépo- 
fant  d'une  manière  éclatante  un  de  fes  fils  ,  le  feul  qu'il  eût  de 
fa  femme  légitime ,  lequel  il  avoit  nommé  Prince  héritier ,  mais 
dont  la  fidélité  lui  étoît  devenue  fufpeûe.  On  vit  chargé  de  chaî- 
nes celui  qui  peu  auparavant  marchoit  prefque  de  pair  avec 
l'Empereur.  Ses  enfaas  &  fes  principaux  OflSciers  furent  enve- 
loppés dans  fa  difgrace. 

Pour  récompcnfer  le  mérite  des  morts  ,  l'Empereur  leur 
donne  des  titres  d'honneur  qui  fe  communiquent  à  toute  leur 

[a)  Il  eft  mort  le  to  de  Décembre  ij^Zp 

TomL  Fff 


410  SCIENCE 

poftérîté.  Il  donne  auflî  aux  vivans  de  ces  titres  d'honneur  qui 
rej^UilTent  fur  leurs  ancêtres. 

Les  Chinois  ont  fait ,  du  premier  fentiment  de  la  nature  y  le 
premier  principe  de  Tadminiflration  publique.  Le  Gouverne- 
ment de  la  Chine  a  fon  modèle  dans  TEmpire  paternel ,  porté 
fj  loin  dans  ce  pays-là  j^que  les  pères  peuvent  vendre  leurs  en- 
fans  à  des  Etrangers.  C'eft  un  principe  né  avec  la  Monarchie  ; 
que  TEtat  eft  une  grande  famille  ;  qu'un  Prince  doit  être  à  Té- 
gard  de  fcs  Sujets  ^  ce  qu'un  père  de  famille  eft  à  l'égard  de  Ces 
enfans ,  &  qu'il  doit  les  gouverner  avec  la  même  affeflion.  Cette: 
idée  eft  gravée  naturellement  dans  l'efprit  de  tous  les  Chinois  y 
&  tous  leurs  livres  en  font  pleins.  Ils  ne  jugent  du  mérite  du; 
Prince  &  de  fes  talens ,  que  par  les  marques  qu'il  leur  donne  de 
fa  tendreffe  &  par  le  foin  qu'il  prend  d'eux.  Il  doit  être  le 
père  &  la  mère  du  Peuple  ,  &  il  ne  mérite  d'être  eftimé  des  Q^ 
toyens  >  qu'autant  qu'il  les  rend  heureux.  Tous  les  Sujets  de 
PEmpire  lui  doivent  une  obéiffance  abfolue ,  comme  les  enfans 
la  doivent  à  leur  pcre.  De  la  même  manière  que  PEmpereur  eft 
le  père  de  tout  TEmpire  ,  le  Viceroi  eft  le  père  de  la  Province 
qui  lui  eft  foumife  ,  &  le  Mandarin ,  celui  de  la  Ville  qu'il  gou- 
verne. De-là  y  ce  profond  refpeft  &  cette  prompte  obéiflance 

que  les  Chinois  rendent  aux  Officiers  qui  aident  l'Empereur  à 
porter  le  faix  du  Gouverncmenr* 

Un  Empereur  de  la  Chine  s'applique  continuellement  à  con- 

ferver  cette  réputation  de  père.  Si  quelque  Province  eft  affligée 

de  calamités  ^  il  s'enferme  dans  fon  Palais  ^  il  jeûne ,  il  s'interdit 

tout  plaifir ,.  il  décharge  la  Province  du  tribut  ordinaire ,  il 

donne  lès  ordres  pour  lui  procurer  des  fecours  abondans.  Ses 

Edits  publient  jufqu  à  quel  point  il  eft  touché  des  miferes  de  foiï 

Peuple.  7e  le  porte  dans  mon  coeur  ,  y  ^^'^^  dit  ^  je  gémis  nuit 


DU    GOUVERNEMENT.      411 

Sfjour  fur/es  malheurs  ,je  penfe  fans  cejfe  aux  moyens  de  le 
rendre  heureux.  C'eft  ainfi  qu'en  parle  l'Auteur  de  la  Defcrîp- 
tion  de  la  Chine. 

Un  Miflîonnaîre  de  la  même  Compagnie  (  a  )  croit  ^que  ces 
expreflîons  éroîent  finceres  ,  du  tems  que  la  Chine  étoit  gou- 
vernée par  des  Empereurs  de  fa  nation  ^  qui  regardoient  leurs 
5ujets  comme  leurs  propres  enfans  ;  mais  il  avoue  que ,  fi  le  lan- 
gage efl  encore  le  même  aujourd'hui  ^  la  pratique  n'y  repond 
qu'à  demi ,  faute  de  prendre  des  voyes  efficaces  pour  l'exécu- 
tion des  ordres  du  Prince.  Il  auroit  dû  dire  que  la  pratique  n*y 
répond  point  du  tout ,  s'il  eft  vrai  ^  comme  le  difent  la  plûparc 
des  Comraerçans  ^  des  Voyageurs ,  des  Marins ,  que  tous  les 
Mandarins  de  la  Chine  font  des  brigands  (&). 

Il  n'y  a  point  de  grâce  à  attendre  pour  un  Gouverneur  donc 
le  Peuple  fe  révolte.  Quelque  innocent  que  ce  Mandarin  puiffe 
être  y  il  efl  regardé  au  moins  comme  un  homme  fans  talens ,  & 
la  moindre  peine  qui  lui  foir  rçfervée ,  c*efl  d  être  deflitué.  Si 
Ton  commet ,  dans  un  département ,  des  crimes  d^une  certaine 
efpece  j  le  Mandarin  en  eflrefponfable.  Un  Officier  efl  puni  des 
fautes  d'un  autre  Officier  qui  efl  fous  fes  ordres ,  parce  que  l'Of-^ 
ficier  fupérieur  a  dû  veiller  fur  celui  qui  dépend  de  lui ,  & 
qu'ayant  le  pouvoir  de  le  corriger  ,  il  doit  répondre  de  fa  con- 
duite^i  Lorfqu'il  s'efl  commis  un  vol  ou  un  afFaffinat  >  il  faut  que 
le  Mandarin  découvre  les  voleurs  ouïes  afTaflîns  ^  autrement  il 
efl  dépofé.  S'il  fe  commettoit  un  icrime  énorme  y  un  parricide  ^ 
par  exemple  j  le  délit  neferoit  pas  plutôt  déféré  aux  Tribunaux 
de  la  Cour  ,  qu'on  dépouilleroit  de  leurs  emplois  tous  lc$  Man- 
darins du  Département.  Cçit  leur  faute  j  diroit-on  ,  ce  mal* 

(tf)  Parennîn.  Voyez  fa  Lettre  du  28  de  Septembre  1735 ,  dans  le  XVllI*  Recueil 
des  Lettres  édifiantes  &  curieufes  ,  aux  pages  71  &:72. 

(Jf)  Relastion  de  Langç,  &  voyage  autour -du  mondp^  d^AûTon» 

Fffij 


412  SCIENCE 

heur  ne  feroit  point  arrivé  >  fi  les  Mandarins  avoîent  veillé  avec 
plu$  de  foin  furies  mœurs.  Audi ,  le  perea*t-il  quelquefois  part 
à  la  punition  du  fils  ^comme  devant  répondre  de  Péducation  qu'il 
lui  a  dpnnée. 

Le  Souverain  de  la  Chine  n^îftpas  feulement  Empereur  pour 
gouverner  &  Pontife  pour  facrifier ,  il  eft  encore  Maître  pour 
cnfeîgner.  Il  affcmble  de  tems  en  tems  à  Peking ,  tous  les  Grands 
de  fa  Cour  &  tous  les  premiers  Mandarins  des  Tribunaux  ^ 
pour  leur  donner  une  inftruûion  dont  le  fujet  eft  toujours  tiré 
des  Kings^  livres  dont  je  parlerai  plus  bas«  De  même  y  le  pre- 
mier &  le  quinze  de  chaque  mois  ^  les  Mandarins  s'affemblent 
en  cérémonie  dans  un  lieu  où  Ton  fait  une  ample  inftruâion  au 
Peuple^  Cette  pratique  eft  ordonnée  par  un  des  Statuts  deTEm- 
pire  y  &  c'eft  TEmpereur  lui-même  qui  >  par  fes  Ordonnances  , 
fixe  les  matières  qui  doivent  être  le  fujet  de  ces  fortes  de  dif* 
cours» 

La  Puiflance  Impériale  y  toute  abfolue  qu'elle  eft ,  trouve  un 
frein  dans  les  mêmes  Loixqui  l'ont  établie.  Ces  Loîx  donnent 
le  pouvoir  à  des  Cenfeurs  publics  de  repréfenter  à  l'Empereur 
par  de'très-humbles  &  de  très-rcfpeâueufes  Requêtes  ,les  fautes 
qu'il  fait  dans  l'adminiftration  de  fon  Etat#  Chaque  Mandaria 
peut  ufer  de  la  même  liberté  que  les  Officiers  qui  font  expreffé- 
ment  établis  dans  cette  vue.  Si  l'Empereur  n'avoit  aucun  égard 
à  de  juftes  remontrances  ,  ou  s'il  faifoit  fentir  les  effets  de  fon 
indignation  à  celui  qui  a  eu  &  le  zèle  &  le  courage  de  les  faire  ^ 
ilfe  décrieroit  abfolument  dans  l'efprit  de  fes  Peuples  j  la  fer- 
meté de  la  perfonne  qui  fe  feroit  ainfi  (acrifiée  au  bien  public  , 
pafferoit  pour  héroïque  ,  &  devîendroit  le  fujet  d'un  éloge  qui 
immortaliferoît  à  jamais  fa  mémoire.  On  a  vu  à  la  Chine  plus 
d'un  exemple  de  ces  martyrs  du  bien  public  ^  que  ni  les  peines^ 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      415 

ni  la  mort  même  j  n'ont  pu  tenir  dans  le  filence ,  lorfque  le  Prince 
Vécartoit  des  règles  d'une  fage  adminiftiration. 

A  la  Chine  encore  plus  qu^ailleurs  ^  la  tranquillité  de  TEm- 
pîre  dépend  abfolument  de  l'application  du  Prince  à  faire  ob- 
fervcr  fes  Loîx.  Si  l'Empereur  &  fonConfeil  étoient  peu  atten- 
tifs à  la  conduite  de  ceux  qui  ont  de  l'autorité  fur  les  Peuples  , 
les  Vîcerois  &  les  Mandarins  éloignés  gouverneroient les  Sujets 
au  gré  de  leurs  caprices  ^  ils  deviendroient  autant  de  tyrans 
dans  les  Provinces ,  l'équité  feroit  bientôt  bannie  des  Tribu* 
naux  ,  &tout  refpeû  pour  le  pouvoir  fouverain  difparoîtroît. 
Alors  9  le  Peuple  qui  eft  fi  nombreux  à  la  Chine  y  fe  voyant  op- 
primé ,  s'attrouperoit  ;  le  premier  mouvement  feroit  bientôt 
fuivi  d'une  révolte  générale  dans  la  Province  ;  le  foulevement 
d*un  canton  fe  communiqueroit  en  peu  de  tems  aux  autres  y  8c 
l'Empire  feroit  tout-à-coup  en  combuftion.  Dans  tout  l'Orient  ^ 
fi  l'autorité  n'étouffe  d'abord  les  premières  femences  de  rébel- 
lion y  elles  produifent  en  peu  de  tems  les  plus  dangereufes  révo- 
lutions. La  Chine  en  fournit  divers  exemples ,  qui  ont  appris 
aux  Empereurs .  que  leur  autorité  n'eft  à  couvert  de  toute  at- 
teinte y  qu'autant  qu'ils  marchent  fur  les  traces  des  bonsPrinces.r 

Outre  la  pofleffion  de  ce  vafte  Empire  y  l'Empereur  a  pour  viii. 
tributaire  le  Roi  de  Corée  ,  &  poffede  encore  une  partie  de  pif^''*'"*'^^ 
l'Isle  de  Formofe  &  toute  la  grande  Tartarie ,  médiatemenf  ou 
immédiatement.  La  Tartarie  immédiatement  foumife  aux  Chi- 
nois ,  eft  divifée  en  fix  grandes  Provinces  ,  que  les  Mandarins 
gouvernent  comme  des  Provinces  Chinoifes.  Le  refte  de  la 
grande  Tartarie  eft  partagé  en  diverfes  Souverainetés  qui  re- 
lèvent toutes  de  l'Empire  de  la  Chine  ^  &  qui  lui  payent  un 
tribut, 

La  Chine  eft  fituée  très^heureufement  pour  n'avoir  point  de 


414  SCIENCE 

guerre  étrangère  à  craindre  i  elle  n'a  d'autre  voîfin  que  la  Tar- 
tarie  au  Nord ,  &  le  Tonquin  au  couchant  d'hiver  ;  la  nature  a^ 
pris  foin  de  la  fortifier  par  tout  ailleurs.  La  mer  qui  borde  fix 
de  fes  quinze  Provinces  ,  eft  fi  baffe  vers  les  côtes ,  qu'il  n^y  a 
point  de  grand  vaiffeau  qui  puiffe  les  approcher  fans  fe  brifer, 
&  les  tempêtes  y  font  fi  fréquentes ,  qu  il  n'eft  point  d^armée 
navale  qui  puiffe  s'y  tenir  en  fureté.  Un  défert  de  plufieurs  jour- 
nées de  chemin ,  des  forêts  &  des  montagnes  prefqu'impratica- 
bles  défendent  la  Chine  du  côté  de  TOccident.  Le  Tonquin  eft 
un  fort  petit  Etat ,  fi  on  le  compare  à  la  Chine  ^  &  il  eft  fitué 
fous  les  climats  chauds  y  d'où  il  n'eft  jamais  forti  de  Conquéi- 
rant.  Pour  le  Tartare  y  plus  accoutumé  à  faire  des  courfes  que 
des  conquêtes  y  Tinduftrie  humaine  lui  avoii  fermé  le  chemin  de 
la  Chine  ^  ôc  tout  le  monde  a*  entendu  parler  de  cette  muraille 
fameufe  qui  défendoit  cet  Empire  contre  TinvaHon  des  Tar- 
tares  avant  leur  union  avec  les  Chinois. 

La  grande  muraille  de  laChinea  cînqcens  lieues  de  longueur, 
6c  fa  largeur  eft  telle  que  fix  Cavaliers  y  peuvent  marcher  de 
front.  Deux  chofes  y  font  dignes  d'admiration*  L'une ,  c'eft 
que  dans  cçtte  longue  étendue  de  l'Orient  à  l'Occident  ,  elle 
paffe  en  plufieurs  endroits  ,  non-feulement  par  de  vaftes  cam- 
pagnes ,  mais  encore  par  deffqs  des  montagnes  très-hautes  y 
fur  lefquelles  elle  s'élève  peu  à  peu.  Elle  eft  fortifiée  par  inter*- 
valle  de  groffes  tours  qui  ne  font  éloignées  que  de  deux  traits 
d'arbalète.  L'autre  >  c'eft  que  cette  muraille  n'eft  pas  continuée 
fur  une  même  ligne ,  elle  eft  recourbée  er)  divers  lieux ,  félon  I4 
difpofition  des  montagnes  ,  de  telle  pianiere  qu'au  lieu  d'un 
mur ,  Ton  peut   dire  qu'il  y  en  a  trofc  qui  entourent  cette 
grande  partie  de  la  Chine.  Un  Miflîonnaire  moderne  trouve 
cet  ouvrage  d'architecture  fort  fupérievir  ,  dp  tout  point  > 


DU     GOUVERNEMENT.      41/^ 

à  tous*  ceux  que  les  voyageurs  admirent  en  Egypte  (a). 

Les  troupes  que  TEmpereur  entretient  &  qui  font  répandues 
à  Pekingy  dans  les  Places  de  guerre ,  dans  les  Villes  murées  ^ 
dans  toutes  les  Provinces  y  &  le  long  de  la  grande  muraille  , 
montoient  autrefois  à  770  mille  foldats.  Ce  nombre  fubfîfte 
toujours  y  car  à  la  Chine  on  ne  fait  point  de  réforme  ,  &  il  a  été 
même  augmenté.  Les  foldats  efcortent  les  grands  Mandarins  ^ 
les  Gouverneurs  ^  les  Officiers ,  les  Magiftrats  dans  leurs  voya- 
ges ;  &  pendant  la  nuit  y  ils  font  la  garde  autour  de  leur  barque  ' 
ou  de  leur  hôtel.  Ils  ne  font  qu*un  jour  en  fondion  ,  parce  que 
les  troupes  de  chaque  lieu  où'  arrive  le  Mandarin  ,  fe  fuccedent 
les  unes  aux  autres ,  &  retournent  à  leur  pofte  après  leur  jour  de 
fervice.  L'Empereur  nourrit  pareillement  environ  5^5  mille 
chevaux  pour  monter  la  Cavalerie  &  pour  le  fervice  des  Poftes 
&  des  Couriers  qui  portent  fes  ordres  &  ceux  des  Tribunaux 
dans  les  Provinces  ;  mais  ces  troupes  fi  nombreufes  font  peu  ag- 
guerries.  La  foibleffe  des  armées  eft  une  fuite  néceffairc  d'une 
longue  paix  &  du  défaut  d'exercice  militaire. 

Si  l'Empereur  de  la  Chine  eft  fi  puiflant  par  la  vafïe  étendue 
des  Etats  qtf il  poffede ,  il  ne  Teft  pas  moins  parles  revenus  qu'il 
en  tire.  Quel  moyen  de  les  fixer  '.'Le  tribut  annuel  fe  paye  partie 
en  argent ,  panie  en  denrées.  On  le  tire  de  toutes  les  terres  ^ 
même  des  montagnes  ,  du  fel,  des  foyes  y  des  étoffes  de  chanvre 
&  de  coton  ,  des  diverfes.  denrées ,  des  ports  y  des  douanes  , 
des  barques  y  des  forêts  y  des  Jardins  Royaux  y,  des  confifca-r 
tions  y  &c« 

Le  tribut  perfonnel  de  tous  ceux  qui  ont  depuis  vingt  juiqu'à 
foixante  ans  y  monte  à  des  fommes  immenfes  y  à  caufe  du  grand 

Parennin ,  Voyez  depuis  la  page  38  iufqu*à  la  page  43  du  XXVI^  Recueil  des  Lettref  ' 
édifiantes  Stcurieufes. 


^1^  SCIENCE 

nombre  des  Habîtans.  On  nous  afTure  qu'autrefois  il  y  avoit 
plus  de  cinquante-huit  millions  de  perfonnes  qui  le  payoient. 
Dans  le  dénombrement  qui  fe  fit  dans  le  commencement  du  ré- 
gne de  Canghi  ^  on  trouva  1 1  millions  $2  mille  872  familles  ^  8c 
55>  millions  788  mille  364  hommes  capables  de  porter  les  armes, 
fans  compter  les  Princes  y  les  Officiers  de  la  Cour ,  les  Manda- 
rins ,  les  Soldats  qui  avoient  fervi  &  obtenu  leur  congé ,  les  Ba- 
cheliers y  les  Licentiés ,  les  Doâeurs  y  les  Bonzes  y  les  enfans 
qui  rfa voient  pas  encore  atteint  Page  de  vingt  ans  ,  &  la  multi- 
tude de  ceux  qui  demeurent  fur  les  rivières  ou  fur  la  mer  dans 
des  barques.  Le  nombre  des  Bonzes  monte  au-delà  d'un  mil- 
lion. Il  y  en  a  dans  Peking  au  moins  deux  mille  qui  ne  font  pas 
mariés  i  &  dans  les  Temples  des  Idoles  en  divers  endroits  ^ 
350  mille  établis  par  des  Patentes  de  P Empereur.  Le  nombre 
des  feuls  Bacheliers  eft  d'environ  90  mille.  Les  guerres  civiles 
&  Finvafion  des  Tartares  avoient  ùàt  périr  une  grande  quantité 
d'hommes  ;  mais  la  Chine  s'efl  extrêmement  repeuplée  depuis 
qu'elle  jouit  d^une  paix  profonde  s  &  il  y  a  apparence  que  cet 
Empire  renferme  aujourd'hui  plus  de  cent  millions  d'ames. 

Dix  mille  barques  font  entretenues  aux  frais  de  l'Empereur  ^ 
6c  elles  font  deflinées  à  porter  annuellement  à  la  Cour  le  tribuc 
qui  fe  paye  en  ris  y  en  étoffes  y  en  foyes  y  8cc.  Si  le  calcul  qu'on 
a  fait  dans  la  defcriptîon  de  la  Chine  eft  jufte,  les  revenus  ordi- 
naires de  l'Empereur  montoient  à  200  millions  de  taëls.  Un 
taël  eft  une  once  d'argent  qui  vaut  cinq^e  nos  livres  numéraires; 
aînfi  le  revenu  de  ce  Prince  eft  de  mille  millions  de  notre  mon« 
noyé. 

L'Empereur  peut  imppfer  de  nouveaux  tributs  y  lorfque  les 
befoins  de  TEtat  le  demandent ,  mais  c'eft'un  pouvoir  dont  il 
n'ufe  prefque  jamais  j  les  tributs  ordinaires  étant  fuffifans  pour 

les 


DU    GOUVERNEMENT.       417 

les  dépcnfes  qu'il  eft  obligé  de  faire.  Loin  d'avoir  recours  aux 
fubfides  extraordinaires  y  il  n'y  a  guère  d'années  qu'il  ne  fafle 
une  remife  aux  Provinces  qui  ont  été  affligées  de  quelque  ca-- 
Jamité. 

Comme  les  terres  font  mefurées  y  &  qu'on  fçait  le  nombre 
des  familles  ôc  ce  qui  efl  dû  au  Souverain  y  on  n'a  aucune  peine 
à  déterminer  ce  qu'une  Ville  doit  payer  chaque  année.  Ce  font 
les  Officiers  des  Villes  qui  lèvent  ces  contributions.  Il  ne  leur 
eft  pas  permis  d'inquiéter  les  redevables  depuis  qu'on  a  com- 
mencé à  labourer  les  terres ,  ce  qui  fe  fait  vers  le  milieu  du 
Printems ,  jufqu^au  tems  de  la  récolte  ;  mais  dans  les  autres 
faifons  ^  on  punit  de  la  prifon  ou  de  la  baftonnade  ceux  qui 
cherchent  à  éluder  le  payement  ou  qui  font  lents  à  payer  ;  & 
comme  il  y  a  dans  chaque  Ville  un  nombre  de  pauvres  &  de 
vieillards  qui  font  nourris  des  charités  de  l'Empereur  ^  les 
Officiers  leur  donnent  des  billets  de  contrainte  pour  fe  faire 
payer  j  &  ces  gens-là  vont  auffitôt  dans  les  maifons  recevoir  le 
tribut. 

Ces  Officiers  rendent  compte  au  Tréforier  général  delà  Pro- 
vince qui  eft  le  premier  Officier  après  le  Viceroi*  Ils  font  obligés 
de  lui  faire  tenir ,  dans  un  certain  tems ,  tous  les  deniers  de  leur 
recette.  Le  Tréforier  général  rend  fes  comptes  à  celui  des  Tri- 
bunaux de  la  Cour  qui  eft  chargé  de  tout  ce  qui  concerne  l'admi- 
niftration  des  finances  y  6c  qui  eft  comptable  à  |bn  tour  à  l'Em- 
pereur. 

Une  grande  partie  des  deniers  impériaux  fe  confomme  dans 
les  Provinces ,  &  eft  employée  à  payer  les  penfîons  y  Pentretien 
des  pauvres ,  des  vieillards ,  &  des  invalides  qui  font  en  grand 
nombre ,  les  appointemens  des  Mandarins ,  la  foldèdes  troupes , 
les  ouvrages  publics  >  6cc.  le  furplus  eft  porté  à  Peking^  pour 
Tomel.  Ggg 


4i8  SCIENCE 

être  employé  aux  dépenfes  ordinaires  du  Palais  &  à  celles  de 

cette  Capitale  où  le  Prince  réfide. 

Dans  les  premiers  tems  de  la  Monarchie  Françoife  ^  il  fe 
faifoit  à  la  Cour  de  nos  Rois  des  diftributions  de  pain ,  de  vin  , 
de  viandes  y  de  chandelles  y  &  autres  chofes  qu'on  nommoit 
livrées ,  &  c'cfl  de  cet  ufage  que  vient  celui  de  donner  aujour- 
d'hui à  chaque  Officier  à  la  Cour  une  cenaine  fomme  en  argent 
pour  tenir  lieu  de  ces  livrées.  Ce  qui  fe  faifoit  alors  en  France 
fc  fait  encore  aujourd'hui  à  la  Chine.  L'Empereur  nourrir  plus 
de  cent  foixante  mille  hommes  de  troupes  qu'il  entretient  à 
Peking  y  &  aufquels  il  paye  d'ailleurs  une  fomme  en  argent.  Il 
fait  encore  diflribuer  tous  les  jours  à  cinq  mille  Mandarins  qui 
compofent  la  Cour  >  une  certaine  quantité  de  viande  ^  de  poifTon  ^ 
dé  fel  y  de  légumes  y  &c»  &c  tous  les  mois  du  ris  y  des  fèves  y  du 
boisj  du  charbon  y  8c  de  h  paille.  La  même  chofe  s'obferve 
envers  ceux  qui  font  appelles  des  Provinces  à  Pemr^  y  ou  que 
la  Cour  envoyé  dans  les  Provinces  y  ils  font  fervis  &  défrayés 
fur  la  route  y  eux  8^  leur  fuite  ;  on  leur  fournit  des  barques  y  des 
chevaux^  des  voitures,  &  des  hôtelleries  entretenues  aux  dépens 
de  l'Empereur.  Tout  cela  (e  fait  avec  une  grande  exaâitude  & 
dans  un  grand  ordres 
IX.  Les  Chinois  font  fï  anciens ,  qu'on  doit  préfumer  qu'ils  ont 

chiw^"^"  au  commencement  connu  le  vrai  Dieu  y  la  diftinâion  des  œuvres 
bonnes  ou  mauvaifes  y  &  les  récompenses  ou  les  peines  à  attendre 
de  ce  Juge  tout  puiffant  y  fir  que  peu  à  peu  ils  ont  obfcurci  & 
corrompu  ces  idées.  Dieu,  cet  Etre  fi  pur  &  fi  parfait ,  eft  devenu 
tout  au  plus  pour  les  Chinois ,  l'ame  matérielle  du  monde  entier 
ou  de  la  plus  belle  partie  qui  eft  le  CieL  Sa  Providence  &  fa 
Puiffance  y  n'ont  plus  été  qu'une  Puiflance  &  une  Providence 
bornées,  quoique  pourtant  beaucoup  plus  étendues  que  la  force 
&  la  prudence  des  homme&r 


DU    GOUVERNEMENT.      41^ 

Comme  Tame  de  riiommeétoic ,  félon  eux  ^  la  fourcc/de  tou- 
tes  les  avions  vitales  de  Thomme ,  ils  donnoîcnt  une  ame  au 
foleil ,  pour  être  la  fource  de  fes  qualités  &  de  fcs  mouvemens  ; 
&  fur  ce  principe,  lésâmes  répandues  par-tout,  caufant  dans 
tous  les  corps  les  avions  qui  paroiffent  naturelles  à  ces  corps ,  il 
n'en  falloir  pasdavantage  pour  expliquer ,  fuivant ce fyflême ji 
toute  Técononjîe  de  la  nature ,  &  pour  fuppléer  la  Toute-Puif- 
fance  &  la  Providence  infinies  qu'ils  n'admettoient  en  aucun  ef- 
prit  y  non  pas  même  en  celui  du  Qel. 

A  la  vérité ,  comme  il  femble  que  l'homme  ufant  des  chofes 
naturelles  pour  fa  nourriture  ou  pour  fa  commodité  ,  a  quelque 
pouvoir  fur  ces  chofes ,  l'ancienne  opinion  des  Chinois ,  don- 
nant un  femblable  pouvoir  à  toutes  les  âmes  ,fuppofoit  que  celle 
<lu  Ciel  pouvoît  agir  fur  la  nature  avec,  une  prudence  &  une 
force  incomparablement  plus  grandes  que  la  prudence  &  la  force 
humaines  ;  mais  en  même-tems ,  elle  reconnoiflbît  dans  l'ame  de 
chaque  chqfe,  une  forcé  intérieure  indépendante  par  fa  nature  ^ 
du  pouvoir  du  Ciel ,  &  qui  agiffoit  quelquefois  contre  fes  def- 
feins.  Le  Ciel  gouvernoit  la  nature  comme  un  Roi  Puiflant  ;  les 
autres  âmes  lui  devpierjt  obéiffance^  il  les  y  forçolt  prefque  tou- 
jours ;  mais  il  y  en  avoir  qui  fe  difpenfoient  quelquefois  de  lui 
obéir. 

La  Puiffance  &  la  Providence  divines  étant  aînfî  diftribuées 
comme  par  morceaux  à  une  multitude  infinie  d'ames  y  les  an* 
eiens  Chinois  fe  trouvèrent  obligés  d'adreffer  à  cette  infinité 
d'ames  ou  d'efprits  y  les  vœux  &  le  culte  qu'ils  ne  dévoient  ren- 
dre qu'à  unfeuU 

Ils  firent  de  la  Nature  une  Monarchie  învlfîb4e ,  dont  ils  for* 
merent  l'idée  fur  la  leur ,  &  dont  ils  croyoîent  que  les  membres 
InvifibW s  avoient  une  continuelle  correfpondance  avec  les. 


420  SCIENCE 

membres  de  la  Monarchie  Chinoife,  qu*ils  croyoîent  occuper  à 
peu  près  toute  la  terre^  Us  donnèrent  à  Tefprit  du  Ciel  fix  prin- 
cipaux Minières ,  comme  le  Roi  de  la  Chine  en  a  fix ,  qui  font 
les  Préfidens  des  fix  premiers  Tribunaux  où  eux  feulement  ont 
voix  déliberative.  Ils  croyoient  que  TEmpereur  du  Ciel  (  car  ils 
donnoient  ce  titre  à  Tefprit  célefte  )  ne  fe  mêloit  que  de  la  per- 
fonne  &  des  mœurs  de  TEmpereur  de  la  Chine  »  que  tous  les 
hommes  dévoient  honorer  ce  fuprême  efprit ,  mais  qu'il  n'y  avoit 
que  TEmpereur  de  la  Chine  qui  fût  digne  de  lui  of&ir  des  làcri- 
fices  y  8c  ils  n'avoient  pour  ces  facrifices  aucun  autre  Prêtre.  Les 
Miniflres  de  la  Chine  ofTroient  des  facrifices  aux  Miniflres  du 
Ciel ,  &  chaque  Officier  Chinois  honoroit  ainfi  un  Officier  pa- 
reil à  lui  auprès  du  Ciel.  Le  peuple  facrifioit  à  la  foule  des^fprits 
répandus  par-tout ,  &  chacun étoit  Prêtre  en  cette  forte  de  culte, 
fans  qu'il  y  eû&  aucun  Ordre  ou  Corp$  Religieux  pour  le  fervice 
des  Tçmples  &  pour  les  facrifices. 

^  Que  n  les  anciens  Chinois  avoient^  pour  ainfi  dire  9  mis  en 
pièces  h  Providence  &  la  Toute-PuilTance  de  Dieu ,  ils  n'a* 
voient  pas  mo'ns  divifé  fa  Juftice.  Ils  affuroient  que  les  efprits  ^ 
comme  des  Magiflrats  cachés  j  étoient  principalement  occupés 
i  punir  les  fautes  cachées  des  hommes  ;  que  l'efprit  du  Ciel  pi)« 
niffoit  les  fautes  du  Roi  ;  les  efprits  Miniflres  du  Ciel ,  les  fautes 
des  Miniflres  du  Roii  &  ainfi  des  autres  efprits ,  à  l'égard  des 
autres  hommes. 

Sur  ce  fondement  ils  difoient  à  leur  Empereur  ,  qu'encore 
qu'il  fut  le  fils  adpptif  du  Ciel ,  le  Ciel  néanmoins  ne  fe  laiffejroii 
conduire  à  fon  égard  par  aucune  forte  d'afFedipn  ,  mais  feule- 
metit  jparla  confidération  du  bien  ou  du  coal  qu'il  feroit  dans  le 
Gouvernement  de  foh  Royaume.  Ils  appelaient  l'Empire  Chi* 
nois  le  Commandement  célefle  ^  parce  que  f  difoiem-ils  ^.  un  Roi 


DU      GOUVERNEMENT.       421 

de  la  Chine  devoir  gouverner  fon  Etat  comme  le  Ciel  gouver- 
noit  la  nature ,  &  que  c  ëcoic  au  Ciel  qu  il  devoir  demander  la 
fcience  de  gouverner.  Ils  reconnoiffoient  que  non-feulement 
l'art  de  régner  étoit  un  présent  du  Ciel  ;  mais  que  la  Royauté 
même  étoic  donnée  par  le  Ciel,&  qu'elle  étoit  un  préfent  diffi- 
cile àconferver,  parce  qu  ils  fuppofoient  que  les  Rois  nefe  pou- 
voient  maintenir  fur  le  trône  fans  la  faveur  du  Ciel,  ni  plaire  au 
Ciel  que  par  la  vertu. 

Ils  portoîent  cette  doûrine  fi  loin,  qu'ils  prétendoient  que 
la  feule  vertu  des  Rois  pouvoir  rendre  tous  leurs  Sujets  ver- 
tueux y  8c  que  les  Rois  étoient  les  premiers  refponlables  envers 
le  Ciel  des  mauvaifes  mœurs  de  leur  Peuple.  La  vertu  des  Rois  ^ 
c'efl-à-dire ,  Vart  de  régner  félon  les  Loix  de  la  Chine  ,  étoit  9 
à  leur  avis  ,  un  don  du  Ciel  qu'ils  appelloient  raifon  célefie  y  ou 
raifon  donnée  par  le  Ciel  &  pareille  à  celle  du  Ciel  :  la  vertu  des 
Sujets  y  c'eft-à-dire ,  félon  eux  ,  les  égards  des  Citoyens ,  tant 
des  uns  envers  les  autres  ,  que  de  tous  envers  leur  Prince ,  félon 
les  Loix  de  la  Chine  ,  étoit  Touvrage  des  bons  Rois.  C'eft  peu  ^ 
difoient-ils ,  de  punir  les  crimes  >  il  faut  qu'un  Roi  les  empêche 
par  fa  vertu. 

Ils  louent  un  de  leurs  Rois  d*avoîr  régné  vingt-deux  ans  fans 
que  le  Peuple  s'en  apperçût ,  c'eft-à-dire  fans  qu'il  fentît  non 
plus  le  poids  de  l'autorité  Royale ,  que  la  force  qui  meut  la  na- 
ture &  qu'ils  attribuent  au  Ciel.  Ils  difent  donc  que ,  pendant 
ces  vingt-deux  ans ,  il  n'y  eut  pas  un  feul  Procès  dans  toute  la 
Chine ,  ni  une  feule  exécution  de  Juflice  :  merveille  qu'ils  ap- 
pellent gouverner  imperceptiblement  comme  le  Ciel ,  ce  qui  feul 
peut  faire  douter  de  la  fidélité  de  leur  Hiftoîrc.  Un  autre  de 
leurs  Rois  rencontrant  y  difent-ils ,  un  malheureux  que  l'on 
menoit  au  fupplice  ,  s'en  prenoit  à  foi-même  de  ce  que  ^  fous 


422  SCIENCE 

fon  régne  ^  il  fe  commettoit  des  crimes  dignes  de  mort.  Un  troî- 
fieme  voyant  la  Chine  affligée  d*une  ftérilité  de  fept  ans ,  fe 
condamna  ,  s^l  en  faut  croire  leur  Hiftoire ,  à  porter  les  crimes 
de  fon  Peuple  ^  comme  s*en  eftimant  feul  coupable  ,  &  voulut 
fe  dévouer  à  la  mort  &  fe  facrifier  lui-même  à  Tefprit  du  Ciel 
vengeur  des  crimes  des  Rois.  Mais  leur  Hiftoire  ajoute  que  le 
Ciel  j  content  de  la  piété  de  ce  Roi ,  l'exempta  de  ce  facrifice  , 
&  rendit  la  fertilité  aux  terres  par  une  pluye  fubite  &  abondante» 
Comme  le  Ciel  donc  ne  fait  juftice  que  du  Roi  &  quil  ne  s^en 
prend  qu  au  Roi  de  ce  qu'il  voit  de  puniffable  dans  le  Peuple  , 
les  Miniftres  du  Ciel  font  juftice  des  fautes  fecretes  que  font  les 
Miniftres  du  Roi  &  tous  les  Officiers  qui  dépendent  d'eux  ;  & 
de  la  même  manière  ^  les  autres  efprics  veillent  fur  les  aélions 
.  des  hommes  qui  ont  dans  le  Royaume  de  la  Chine  un  rang  pa- 
reil à  celui  que  ces  efprits  occupent  dans  la  Monarchie  invifible 
de  la  nature  ^  dontTefprit  du  Ciel  eft  le  Roi. 

Outre  cela  ,  Thorreur  naturelle  que  la  plupart  des  hommes 
ont  des  morts  qu'ils  ont  fort  connus  vivans ,  &  Topinion  que 
plufieurs  ont  de  les  avoir  vus  s'apparoître  à  eux ,  foît  par  un 
effet  de  cet  horreur  naturelle  qui  les  leur  repréfente ,  foit  par  des 
fonges  fi  vifs  qu'ils  reffemblent  à  la  vérité  ,  portèrent  les  anciens 
Chinois  à  croire  que  les  âmes  de  leurs  ancêtres  qu'ils  eftimoient 
être  d'une  matière  fort  fubtile  ,  fe  plaifoient  à  demeurer  auprès 
de  leur  poftérité  ,  &  qu'elles  pouvoient  encore  après  leur  mort  ^ 
châtier  les  fautes  de  leurs  enfans.  Le  Peuple  Chinois  eft  encore 
aujourd'hui  dans  cette  même  penfée ,  des  peines  &  des  récom- 
penfes  temporelles  qui  viennent  de  l'ame ,  du  Ciel  éc  de  toutes 
les  autres  âmes ,  quoique  d'ailleurs ,  pour  la  plus  grande  par- 
tie ,  ils  ayent  embraflë  l'opinion  de  la  Metempficofe  incon;}ue  À 
leurs  ancêtrest 


DU     GOUVERNEMENT.      42  j 

Maïs  peu  à  peu  les  Gens  de  Lettres  étant  devenus  tout  à  fait 
impies ,  &  n'ayant  pourtant  rien  changé  au  langage  de  leurs 
prédecefleurs  ^  ont  fait  de  Tame  du  Ciel  &  de  toutes  les  autres 
âmes  je  ne  fçais  quelles  fubflances  aériennes  &  dépourvues  d'in- 
telligence ;  &  pour  tout  juge  de  nos  œuvres,  ils  ont  établi  une 
^talité  aveugle  qui  fait ,  à  leur  avis ,  ce  que  pourroit  faire  une 
Juflice  toute  puifTante  &  éclairée. 

Les  Chinois  font  donc  idolâtres.  Fo  &  d'autres  Idoles  font 
révérées  dans  l'Empire.  Les  Tartares  qui  ont  conquis  la  Chine  , 
peuvent  auffi  paffer  pour  Gentils ,  quoiqu'ils  n'ayent  ni  Tem- 
ples^ni  Idoles.  Ils  rendent  à  leurs  ancêtres  un  culte  fuperftitieux. 
De  ces  conquérans  de  la  Chine ,  quelques-uns  adorent  les  Idoles 
du  pays  ,  les  autres  demeurent  attachés  à  leur  ancienne  Reli- 
gion ,  qu'ils  regardent  comme  le  fondement  de  leur  Empire  8c 
la  fource  de  leurs  profpérités. 

Les  Miffionnaires  Européansqui  avoîent  pénétré  à  la  Chine  ^ 
à  la  faveur  des  Mathématiques ,  avoient  converti  beaucoup  de 
Chinois  à  la  Religion  Qiretienne.  Les  Miflionnaires  &  les 
nouveaux  Chrétiens  effuyerent  en  divers  tems  des  perfécu- 
tions  (  ^  )  ;  mais  ils  étoient  parvenus  à  obtenir  (  6)  de  Cang^hi 
un  Edit  qui  permettoit  à  fes  Sujets  d'embraifer  le  Chriftianifme 
dont  il  s'étoit  déclaré  le  Proteâeur.  L'Eglife  de  la  Chine  comp- 
toir déjà  plus  de  trois  cens  mille  Chrétiens ,  lorfque  la  méfîntel- 
ligehce  fe  mit  parmi  les  Ouvriers  qui  travailloient  à  la  vigne  du 
Seigneur.  Yong-Tehing  ,  fils  &  fucceffeur  immédiat  de  Cang-hi  ^ 
dont  le  Prince  qui  régne  aujourd'hui  à  la  Chine  efl:  le  fécond 
fucceffeur,  détruifît  (  c  )  les  Temples  qu'on  avoit  élevés  au  vrai 
Dieu ,  &  profcrivit  la  Religion  Chrétienne  de  fes  Etats»  Le» 

<tf)  En  i664,&  x665« 
(^5  En  1601. 
le)  En  168 


X. 


424  SCIENCE 

Miflionnaîres  ne  font  plus  tolérés  qu'à  Peking  &k  Canton  ,  & 
tous  les  Chrétiens  de  la  Chine  ont  effuyé  en  dernier  lieu  (  a  ) 
une  des  plus  rudes  perfécutions  qui  aie  encore  été  exercée  dans 
cet  Empire* 
'  Il  refte  à  parler  de  Confucîus ,  ce  Philofophe  dont  nos  Mif- 
S^^t^'l  fionnaires  nous  ont  donné  une  fi  grande  idée  ,  &  dont  les  ou- 
chmc.&famo.  ^^^^^^  ç^^^  ^^  poffeffion  de  la  vénération  des  Chinois. 

Confucius  naquit  551  ans  avant  J.  C.  Sa  mémoire  n'efl:  pas 
dans  une  moindre  vénération  au  Japon  qu'à  la  Chine.  Il  n'y  a 
pas  long-tems  que  le  Cubo  Sama  du  Japon  lui  fit  bâtir  deux 
Temples  à  Jedo ,  &  lorfqu  il  les  vifita  pour  la  première  fois  ,  il 
fit  à  ceux  qui  Taccompagnoient  un  très*beau  difcours  y  fur  le 
mérite  de  ce  père  de  la  Philofophic  Chinoife  &  Japonoife  ,  Se 
fur  les  excellentes  maximes  de  Gouvernement  dont  on  prétend 
que  fes  Ouvrages  font  remplis. 

La  famille  de  Confucius  palfe  aujourd'hui  pour  la  plus  noble 
de  la  Chine  ^  &  Ton  peut  la  regarder  comme. la  plus  noble  de 
toutes  les  familles  particulières  du  monde,  fi  Ton  admet  fon 
ancienneté.  Il  n'y  a  proprement  dans  cet  Empire  que  la  nohkffè 
de  cette  famille  qui  foit  héréditaire  y  qui  fe  foit  maintenue  en 
ligne  direde  depuis  plus  de  deux  mille  ans  ^  8c  qui  fubfiile  au- 
jourd*huien  la  perfonne  de  Punde  fes  defcendans  ^  qu'on  ap« 
pelle  le  neveu  du  grand  homme  ou  du  fage.  C'efi  ainfi  que  les 
Chinois  nomment  par  excellence  le  Reftaurateur  de  leur  Thilc^ 
fophie  morale  ;  &  c'eft  en  confidération  de  cette  origine  ,  que 
tous  les  Empereurs  ont  conftamment  honoré  un  des  defccndans 
du  Philofophe  ^  de  la  dignité  de  Cong  qui  répond  à  celle  de 
nos  anciens  Ducs  ou  Comtes.  Celui  qui  en  eft  revêtu  aujour- 
d'hui 9  jouit  des  honneurs  attachés  à  ce  rang  ^  enmarchant  dans 

(tf)  Au  mois  de  Septembre  1748. 

les 


DU  GOUVERNEMENT.  42c 
les  rues  de  Peking ,  lorfqu'il  s'y  rend  de  Kio-feou^  Ville  de  la 
Province  de  Chantong  8c  lieu  de  la  naiflancede  Confucius.  Un 
Lettré  de  cette  famille  eft  toujours  Gouverneur  de  cette  même 
Ville  de  Kio-feou. 

Dans  chaque  Ville  ^  on  a  élevé  un  Palais  qui  fert  aux  affem- 
blées  des  i'çavans.  Les  Lettrés  lui  ont  donné  divers  noms ,  Salle 
Royale ,  Salle  de  fageffe  ou  de  perfe6Hon  y  le  grand  Collège ,  le 
Collège  de  i Empire.  On  y  voit  diverfes  petites  planches  dorées 
€c  vernies  j  fufpendues  à  la  muraille  ,  ou  Ton  écrit  les  noms  de 
ceux  qui  fe  font  diftingués  dans  les  fciences.  Confucius  y  tient 
le  premier  rang  y  8c  tous  les  Lettrés  font  obligés  d'honorer  ce 
Prince  des  Philofophes  Chinois.  On  fait  en  ce  pays-là  plus  de 
cérémonies  pour  créer  un  Bachelier ,  qu'on  n'en  fait  en  Suéde 
&  en  Pologne  pour  élire  un  Roi* 

Les  Ouvrages  de  Confucius  furent  imprimés  en  France  fur 
la  fin  du  dernier  fiécle  (  û  )•  Confucius  ne  les  a  pas  faits  lui- 
même  ^  on  les  doit  à  un  de  fes  difciples  qui  a  eu  foin  de  recueillir 
6c  de  faire  paffer  à  la  poflérité  fes  Difcours  &  fes  Sentences  y  en 
quoi  il  a  eu  le  même  fort  que  Socrate  ,  dont  les  di£cours  furent 
recueillis  par  Platon  &  par  Xenophon.  Voici  quelques  mor- 
ceaux de  la  morale  de  Confucius. 

Les  défauts  du  père  y  la  dignité  du  rang  du  fils  ,  rien  ne  doit 
altérer  le  refped  du  fils  pour  fon  père.  Qu'un  père  accufe  fon 
fils  de  quelque  faute  devant  le  Mandarin,  il  n-abefoin  d'aucune 
preuve.  Si  celui  qui  le  connoît  parfaitement  &  qui  Paime  avec 
tendrefle ,  ne  Lûife  pas  de  le  condamner  ,  comment  pouvons- 
nous  le  difculper  &  Pabfoudre,  difent  les  Chinois  ?  Le  fils  doit 
être  (  c'eft  Confucius  qui  parle  )  dans  une  perpétuelle  appréhen-i 

(a)  A  Paris  en  1687  en  un  feul  volume  in-foL  oui  a  pour  tître  :  Confucius ,  Sina^ 
rum  Philo fôphus^  fivefiieniia  Situnfis  Latine  txpojka  ^  éc. 

Tome  I.  H  h  h 


426  s  C  I  E  N  C  E 

fion  de  faire  quelque  chofe  qui  déplaifeà  fon  père.  Un  MagiT- 
trat  ne  doit  jamais  fe  relâcher  dece  jufte  devoir ,  fon  exemple 
doit  inftruire  le  Peuple.  L*Einpereur  lai-même  doit  avoicpour 
fes  parens  toutes  fortes  d'égards ,  c'eft  un  moyen  infaillible  pour 
lui  concilier  le  refpeâ  dès  Peuples  ;  ils  lui  obéiront  comme  à  leur 
père  commun  j  on  verra.par  tout  régner  la  paix  ;  TEmpereur  & 
£es  Sujets»  ne  feront  plus  quune  même  famille  y  &  TEmpire 
qu'une  feule  maifon  y  où.  les  Sujets  obéiront  à  leur  Empereur 
comme  à  leur  pere>  &  où  l'Empereur  aimera  fes  Sujets  comme 
les  enfans.  Cette  fage  inilruâioneft  fortifiée  dansConfucius^par 
un  exemple  qui  donne  une  grande  idée  de  Tamour  que  les  en« 
fans  doivent  à  leurs  pères.  Un  Magiflrat,  diD-on  dans  cet  Ou^ 
wage  i  mérita  là' mort  pour  avoir  prévariqué  dans  fa  charge* 
Son  fils  qui  n'a  voit  pas  quinze  ans  ^  alla  fe  jetteraux  pieds  de 
l'Empereur  ^.&  lui  offrit  fa  vie  pour  confervcr  celle  de  fon  père* 
L'Empereur,, touché  de  cette  marque  de  tendreffe,  donna  au 
fils  la  gracedu  peré ,  &  voulut  récompenfer  lavertu  de  ce  gé- 
néreux enfant ,  en  lui  accordant  des  àiflinûions  ;  mais  il  refufa 
des  marques  d'honneur,  qui  auroient  perpétué  le.  fouvenir  de  la 
faute  de  fon  père.. 

Les  idées  de  Confucius  fur  la  raifon  ne  font  pas  moins  faines; 
Ccft  d'elle  que  nous  devons  prendre  des  règles''  de  vertu.  Elle 
ofl  de  l'elTence  de  l'homme ,,  &  n'en  peut  être  féparée-  Elle  eft 
le  principe  de  cette  attention  continuelle  que  le  fage  a  fur  lui- 
même  y  de.  cet.  examen  fcrupuleux  avec  lequel  il  confidere  les 
moindres^  mouvemens  qui  s'élèvent  dans  fon  cœur  ,  de  cette 
drconfpeâion  8c  de  cette  refervequ'il  obferve  ,  même  dans  les» 
chofes  qui  ne  font  ni.  vûes^  ni  fçues  de  perfonne  y  &  de  l'unifor- 
mité qui  doit  toujours  régner  entre  fes  paroles  &  fes  aûions.  Le* 
%e  efl  4  lui-même  un  Çenfeur  rigide  >,il  nefait  rien  fans  coût 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       427 

fulter  fa  vertu  ^  il  fc  cite  au  tribunal  de  fa  confcience ,  il  eft  fon 
témoin ,  fon  accufateur  &  fon  Juge^  il  veut  bien  qu'on  fçache 
tout  ce  qu'il  fait. 

Telles  écoient  les  maximes  de  ce  Phîiofophe  for  la  recherche 
de  la  vérité.  Celui  qui  veut  travailler  à  devenir  fage ,  doit  avant 
tout  fe  défaire  de  fes  préjugés  ^  enfui  te  méditer  ,  raifonner ,  tâ- 
cher de  fe  former  ,  de  toutes  chofes ,  des  idées  claires  &  diftinc- 
tes  ^  pefer  tout  ,  examiner  tout.  Ceft  s'être  iemployé  utile- 
ment que  de  s'être  appliqué  à  connoître  la  vérité.  Il  doit  fe  dé- 
fier des  difcours  trop  rechercfhés  ,  fe  fixer ,  foit  par  des  réfle- 
xions, foit  par  des  expériences,  &  agir  conflamment  ^  lorit- 
qu'il  a  reconnu  ce  qu'il  doit  faire* 

Confucius  étoit  trop  vertueux  pour  ne  pas  bien  peindre  la 
vertu.  Lecaradcre  de  la  véritable  vertu,  dit^il,  eft  fimple;& 
fi  les  exemples  n'^n  font  pas  communs ,  c'eft  xjue  les  fages  dit 
fiécle  s'imaginent  qu'elle  eft  au-deffous  de  leurs^rands  deffeins 
&  4le  leurs  projets  ambitieux.  Plu  (leurs  fe  laiifent  entraîner  à 
l'exemple  de  ces  prétendus  fages  ;  d'autres  ne  connoiffent  pas  ce 
que  c^eft  que  vertu  ;  quelques-uns  affedent  des  vertus  extraor- 
dinaires. Us  veulent  qu'il  y  ait  du  merveilleux  dans  leurs  aâions; 
afin  que  la  poftérité  les  loue.  Ce  n'eft  que  par  vanité  &  par 
amour  propre  qu'ils  font  le  bien  ;  mais  la  vertu  veutitre  pratî-» 
quée  pour  l'amour  d'elle-même ,  elle  eft  ennemie  de  la  feinte  , 
de  l'impofture  ,  de  l'oftentation ,  elle  fe  renferme  dans  le  cœur 
de  ceux  qui  la  pofledent ,  elle  eft  pleine  d'attraits  pour  eux.  Le 
caraâere  de  la  vertu  fait  connoître  celui  du  fage.  Il  ne  fe  donne 
point  en  fpeâacle  ;  mais  comme  la  terre  ^  ilfaitronnoître  fa 
vertu  par  fes  effets.  Ses  allions  font  fimples  ,  fans  bruit  ,  ians 
éclat.  Il  agit  fur  les  efprits  par  une  douce  violence  ^  fes  mouve- 
jxitns  font  aufli  uniformes  &  aufti  tranquilles  que  ceux  des  aftres« 

»hhij 


4^8  SCIENCE 

Il  paroîc  ne  rien  faire ,  mais  réellement  il  fait  beaucoup.  Il  td 
aûif ,  dans  fon  inaâion  même.  Il  ne  fe  détermine  pas  légère* 
ment  à  parler ,  8c  encore  moins  à  décider.  Il  eflfî  occupé  de  fà 
vprtu  y  que  lors  même  qu*il  efl  dans  famaifon  ^  il  ne  recherche 
ni  fes  commodités  ^  ni  fes  plaifirs.  Il  eft  celui  à  qui  il  fe  fie  le 
moins  &  à  qui  il  plaît  le  moins.  Il  fe  conduit  félon  fon  état  pré- 
fent  i  &  ne  fouhaitèrien  au-delà.  Riche  fans  luxe  &  pauvre  fans 
baffeffe  ^  il  jouit  des  honneurs  &  des  dignités  fans  orgueil.  Il  eft 
humble  &  refpeûuéux  >  fans  être  lâche  ni  flatteur.  Il  ne  craint 
rien  >  parce  que  rien  n'efl  capable  de  lui  nuire.  Il  ne  s'af&ige 
point  y  parce  que  la  triflefTe  efl  inutile  y  6c  que  ce  qui  efl  une  fois 
arrivé  ne  peut  point  n'être  pas  arrivé. 

Ce  Philofophe  dit  que  le  fage  n'ambitionne  pas  les  dignités  ; 
mais  qu'il  tâche  de  s'en  rendre  digne  ;  qu'il  efl  des  gens  qui  affec- 
tent d'être  les  maîtres  par  tout ,  &  qui  toujours  remplis  d'eux- 
mêmes  y  font ,  à  chaque  infiant ,  le  récit  de  leurs  aâions  ;  que  le 
fage  au  contraire  ne  parle  de  lui  qu'avec  modeflie  y  6c  que  le  fi*, 
lence  efl  fa  vertu. 

Il  ajoute  fur  la  connoiffance  du  cœur  humain  :  «  Le  cœur  de 
w  l'homme  efl  ce  que  le  fage  doit  s'appliquer  le  plus  à  connoître  y 
»  &  c'efl  par  l'expérience  que  s'acquiert  cette  connoiffance.  Je 
M  m'imaginois  (  c'efl  toujours  Confucius  qui  parle  )  lorfque  j'é- 
M  tois  jeune  ,  que  tous  les  hommes  étoient  fmceres  ;  qu'ilsmet- 
»  toient  en  pratique  ce  qu'ils  difoient  ;  en  un  mot  y  que  leur 
w  bouche  étoit  l'interprète  de  leur  cœur.  Aujourd'hui  y  j'écoute 
»  les  hommes  ;  mais  j'examine  avec  foin  leurs  avions  ,  &  ce 
M  n'efl  que  par  leurs  aûions  que  je  juge  de  la  vérité  de  leurs  pà- 
M  rôles.  » 

Selon  Confucius  ,  la  vertu  efllabafe  des  Empires  &  la  fource 
d'où  découle  tout  ce  qui  peut  les  rendre  floriffans.  Il  rapporte  la 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      419 

belle  réponfe  d'un  Amb^iTadeur  du  Royaume  de  Cû  à  quiî  Ton 
avoit  demandé  fi  ^  dans  les  Etats  de  fon  Maître  y  il  y  avoit  de 
grandes  richefles  &  beaucoup  de  pierres  précieufes.  Il  n'y  arien  ^ 
dit  ce  Miniftre  y  qu  on  eflime  précieux  dans  le  Royaume  de  Cû  ^ 
que  la  vertu. 

Ce  fage  Chinois  s'étend  beaucoup  fur  les  obligations  des  Sou« 
verains*  Un  Roi  doit  agir  avec  circonfpedîon ,  il  doit  avoir  de 
la  bonté  pour  fon  Peuple  ^  aimer  fes  Sujets  comme  fes  enfans  9 

&  faire  refTentir  les  effets  de  fon^  amour  au  moindre  comme  au 
plus  grand.  Par  cette  conduite  ^  il  remplira  fon  Peuple  d'amour 
&  de  vénération  pour  lui.  Que  fi  au  contraire  ^  il  abandonne  la 
vertu  pour  fe  plonger  dans  le  vice  ,  il  s'attirera  Taverfion  de 
fes  Peuples,  ce  Ah  (  s'écrie  ce  Légiflateur  )  que  les  Rois  ont  un 
»  grand  intérêt  de  pratiquer  la  vertu  1  ils  doivent  s'en  faire  une. 
)3  habitude.  Leur  mouvement  détermine  celui  de  leurs  Sujets  > 
»  comparable  à  celui  d'un  grand  tourbillon  qui  entraîne  avec 
»>  lui  tous  les  globes  inférieurs.  Leurs  défauts  font  comme  les 
»  éclipfes  du  foleil  ^  ils  viennent  à  la  connoiffance  de  tout  le 
»  monde  y  &  leurs  crimes  font  toujours  plus  grands  que  ceux 
M  des  autres  hommes.  »  Cheu ,  le  dernier  Empereur  de  la  famille 
de  Xam  y  eut  une  fort  mauvaife  conduite  ;  fes  défordres  étoient 
ceux  de  fon  fîécle  ;  &  néanmoins ,  lorfqu  on  parle  à  la  Chine 
de  quelque  a£lion  lâche  ^  criminelle  ou  infâme  y  on  dit  c'ejl  le 
crime  de  Xarriy  parce  que  Xam  étoit  Empereur  &  méchant,  &  que 
les  mauvaifes  allions  des  Princes  font  contagieufes.  Un  Roi  qui 
veut  infpirer  l'amour  de  la  vertu  à  fes  Sujets ,  doit  la  pratiquer  , 
&  n'élever  aux  dignités  que  des  gens  -véritablement  vertueux. 
Les  grandeurs  font  des  biens  que  tous  les  hommes  défirent  natu- 
rellement ;  pour  les  pofféder  ,  chacun  tâchera  de  s'en  rendre 
digne.  L'Etat  en  retirera  encore  une  autre  utilité.  Le  Peuple  fe 


430  S  C  I  E  N  C  E 

foumec  fans  peine  aux  impofîtions  ^  k>rfque  le  Prince  sVft  fait 
une  grande  réputation  de  bonne  foi  ^  fans  quoi  il  croit  qu^on 
ropprimc.  Un  Roi  qui  veut  être  fervî  fidèlement ,  doit  mani- 
fefter  à  fes  Sujets  par  fa  conduite  y  qu'il  ne  penfe  qu'à  les  ren- 
dre heureux.  Jamais  la  crainte  toute  feule  n'a  fait  de  bons'  Su- 
jets. Il  faudroît ,  s'il  étoit  poflîble ,  qu'ils  ne  s'apperçuffent  point 
qu  ils  ont  un  maître.  Le  Prince  doit  principalement  travailler  à 
gagner  leur  confiance  >  il  doit  leur  demander  quelquefois  con- 
feil  ^  &  les  accoutumer  par-là  à  lui  donner  de  tems  en  tems  des 
avertiffemens  avec  liberté.  Le  moyen  le  plus  sûr  de  s'attirer  Ta^ 
mour  des  Sujets  9  cfefl  de  diminuer  les  impôts  &  le  nombre  des 
perfonnes  qui  vivent  aux  dépens  du  Public.  Le  Prince  xjui  les 
furcharge,  Ipio  d'en  devenir  plus  riche  ^  s'appauvrit  tous  les 
jours. 
XL.  La  diftance  qui  nous  fépare  des  Chinois  leur  eft  favorable  ^ 

uToîrduGoww-  ils  gagnent  à  être  confidérés  de  fi  loin.  L'éloignement  des  lieux 
««•  opère  la  même  chofe  que  Féloignement  des  tems.  Pourquoi 

cinq  ou  fix  mille  lieues  ne  produiroient-elles  pas  fur  nous  le 
même  effet  qu'y  produit  une  fuite  d'Archontes  &  de  Confuls 
pendant  cinq  ou  fix  fiécles  ? 

On  doit  louer  dans  le  Gouvernement  de  la  Chine ,  l'ordre 
qui  s*pbferve  dans  les  Tribunaux  de  Peking  &  qui  donne  le" 
mouvement  aux  autres  Villes  ^  les  Loîx  des  Empereurs  qui  ex- 
hortent les  Sujets  à  cenfurer  ce  qu'il  y  a  de  répréhen/îble  dans 
la  conduite  du  Souverain ,  les  courageux  avis  qu'on  nous  die 
que  les  Cenfeur$  publics  donnent  ^  la  docilité  qu'on  nous  aifure 
que  les  Empereurs  ont  àfe  conformer  à  ces  avis  ,  lorfqu'ils  les 
croyent  utiles  au  bien  public ,  le  modèle  du  Gouvernement  civil 
pris  dans  le  Gouvernement  paternel  ^  le  loin  que  les  Loix  ont 
^e  former  les  mœurs  ^  quelques  autres  Réglemens  &  quelque^ 


D  U    G  a  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.      431 

autres  ufages.  Mais  il  y  a  lieu  de  croire  que  les  portraits  des 
Miflionnaires  font  flattés  ;  &  combien  n'y  a-t-il  pas  plus  à  ré- 
prendre qu*à  louer  dans  ce  Gouvernement  !  Que  n'y  ^-t-il  pas  à 
rabattre  des  éloges  qu'on  en  fait  l 

Le  pouvoir  paternel  efl  fans  bornes  à  la  Chine  j  &  les  pères 
y  expofent  ou  même  y  tuent  leurs  enfans»  Les  Chinois  font ,  à 
cet  égard ,  tombés  dans  l'erreur  où  tomba  Rome  naiiTante.  Les 
Romains  ^  à  mefure  que  leurs  moeurs  s'adoucirent  y  cefferent  de 
donner  ces  exemples  de  fénocité  ^  &  les  Chinois  font  encore 
dans  cet  ufage  barbare ,  eux  qui  ont  une  averfion  invincible  pour 
la  difleâion  des  cadavres  ! 

L'Auteur  de  la  Defcription  de  la  Chine  en  parle  comme  d'un 
jpays  très-fertile  ^  très-abondant  ^  &c  qui  efl  habité  par  un  Peu- 
ple laborieux  y  fobre  &  induflrieux  ;  &  cependant  il  dit  que  le 
grand  nombre  d'Habitans  y  caufe  beaucoup  de  mifere ,  Se  qu'il 
y  en  a  de  fi  pauvres  y  que  ne  pouvant  fournir  à  leurs  enfans  les 
alimens  néceffaires ,  ils  les  expofent  dans  les  rues  ou  les  noyene 
dans  un  bafCn  plein  d'eau.  Cela  fuppofe  néceffairement  que 
l'Empire  de  la  Chine  efl  mal  gouverné.  Un  autre  Ecrivain  (a )y 
pour  fauver  cette  conféquence  ^  dit  que  dans  un  tems  de  di« 
fette  >  la  Chine  ne  peut  tirer  aucun  fecours  de  fes  voifins  ^  8c 
raconte  au  long  les  voies  que  le  Prince  prend  pour  foulager  fe^ 
Peuples  >  &.comment  fesordres  demeurent  fans  exécution.  Mais 
quelle  différence  y  ayt-il  entre  ne  pardonner  de  bons  ordres^  ou; 
ne  les  pas  faire  exécuter  ?  entre  ne  pas  faire  de  bons  Réglemens^ 
ou  les  laiffèr  enfreindre  ?  Quand  le  Peuple  efl  mal  gouverné  ,, 
c'efl  toujours  ou  par  le  vice  de  la  forme  du  Gouvernement,  ou; 
par  la  faute  de  ceux  qui  gouvernent  ;.&  dans  l'un  8c  dans  Pau-- 

{a)  Parennin.  Voyez  ùl  Lettre  dans  le  XXlV*  Recueil  des  Lettres  édifiantes  &  cm»* 
sieuTes ,  depuis  la  pagiç  63  )uiqu*à  la  pagp  84% 


4Î2  SCIENCE 

tre  cas  y  Téloge  qu^on  nous  fait  des  Chinois  8c  de  leur  Gouver« 
nement ,  porte  à  faux.  Si  la  Chine  eft  fi  peupïée  que,  coûte  fer* 
tile qu'elle  ed ,  elle  ne  puiâfe nourriras  habitans ,  comment  ns 
s'eft-îl  pas  trouvé  ,  dans  toute  Té  tendue  de  cet  ancien  &  vafte 
Empire,  unfeul  génie  afièz  profond  pour  imaginer  la  reflburce 
des  Colonies  ?  La  Chine  trop  peuplée ,  auroit  trouvé  dans  fon 
voifinage ,  des  Ifles  où  les  Européens  qui  en  font  éloignés  de 
cinq  ou  fix  mille  lieues ,  ont  fait  de  grands  établifTemens.  La 
Nation  Chinoife  fait  un  étrange  cf)ntrafte  avec  la  HoJIandoife 
qui  ,  dans  un  petit  coin  de  terre  ingrat ,  eft  dans  l'abondance 
de  toutes  chofes ,  &  augmente  fans  cefTe  le  nombre  de  fes  Ha- 
bitans. 

La  polygamie  eft  permife  aux  hommes  à  la  Chine ,  quoiqu'il 
y  naiffe  toutes  les  années  à  peu  près  autant  de  filles  que  de  gar- 
çons ,  moyennant  quoi  il  refte  bien  des  hommes  fans  femmes* 
Comment  accorder  ce  célibat  involontaire  avec  le  tempéram- 
ment  des  Chinois  qui ,  félon  les  Miifionnaires ,  tf  eft  pas  fort 
porté  à  la  continence  !  Cette  objeâion  faite  par  un  Académi- 
ei,en  de  Paris  à  un  Miffionnaire ,  Se  par  le  Miffionnaire  à  queU 
ques  Chinois ,  qu'ont-ils  répondu  ?  Qu'il  y  avoit  parmi  eux 
quantité  d'Eunuques  &  de  pauvres  qui  renonçoient  au  mariage, 
faute  d'avoir  les  moyens  d^entretenir  une  femme  (  a  ).  Eft-ce 
avoir  réfuté  l'objeftion  ?  N'eft-ce  pas  plutôt  nous  avoir  fourni 
la  preuve  de  la  multitude  des  débuts  du  .Gouvernement  que 
nous  examinons  ? 

Nos  Mifiionnaires  Mathématiciens  ont  trouvé  les  Chinois 
bien  inférieurs  aux  Européens  dans  les  Sciencesqui  ont  toujours 
été  à  h  Chine  un  objet  d'application  „la  Géométrie  &  l'Aftro- 
npmie.  Les  Chinois ,  dans  le  commencement  du  fiécle  pafle  ,  ne 

{a)  Parcnnin ,  depuis  la  page  9  jufqu*à  la  page  13  du  XXVI*  Recueil. 

fçavoîent 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       433 

fçavoicnt  pas  même  les  éicmens  de  la  Géographie  8c  de  la  Cof- 
mographie,  prefque  infcparables  de  rAftronomie.  Ils  ont  de  la 
poudre  à  canon  depuis  un  tems  immémorial ,  &  ils  n'ont  pas  fçu 
imaginer  le  canon.  Ils  ont  Part  de  TEftampe  ,  fans  avoir  celui 
de  rimprimerie  qui  Ta  fuivien  Europe  de  fi  près.  On  dit  ^u^iis 
ne  peuvent  avoir  Tart  de  llmprimerie  ,  à  caufe  de  la  multitude 
de  leurs  caraûeres  ;  mais  par-là ,  on  fait  remarquer  Fimperfee- 
tîcn  de  leur  langue  ou  de  leur  méthode* 

Les  Chinois  font  gens  fuperficiels  >  indolens ,  ennemis  de 
toute  application  (a) ,  &  ils  appellent  Barbares  tous  les  hommes 
qui  ne  font  pas  Chinois. 

Ils  n'ont  point  de  marine ,  &  n'auroîent  aucun  commerce  avec 
l'Etranger  ,  fi  les  Européens  ne  trouvoient  quelque  avantage 
à  négocier  avec  eux,  Très-ignorans  dans  le  commerce,  ils  y  font 
infidèles  par  principe.  Comment  la  police  fe  feroit-elle  perfe-^ 
âionnée  chez  les  Chinois  ,  qui  fe  vantent  de  voir  avec  deux 
yeux ,  pendant  que  les  autres  peuples  de  la  terre  ne  voyent 
qu^avec  un  !  Chez  une  Nation  qui  a  une  fi  haute  eftime  de  fes 
ufages ,  qu'elle  fait  gloire  d'ignorer  &  de  méprifer  ceux  des  au* 
très  Nations  ! 

L'ufage  d'envoyer  des  pauvres  en  garnifon  chez  les  redeva- 
bles lents  à  payer ,  répond  à  nos  exécutions  militaires.  Quelle 
ûianiere  de  lever  les  dehiers  publics  1 

Les  Chinois  n'ont*  pas  aflez  compris  que ,  pour  s'aflurer  la 
paix ,  il  faut  toujours  être  en  état  de  faire  la  guerre.j.&  que  les 
Trônes  n'ont  pas  moins  befoin  d'être  foutenus  par  la  valeur 
que  par  la  fagefle.  Leurs  troupes  ne  vallent  rien.  Si  leur  Em- 
pire a  peu  à  craindre  du  dedans ,  que  ne  doit-il  pas  appréhender 

{a)  Ce  font  les  propres  termes  de  la  Lettre  de  Parennin ,  rapportée  dans  le  Xjpv? 
Recueil, 

Tome  /t  li* 


4Î4  SCIENCE 

du  dehors  9  quelque  foin  que  la  nature  St  Tinduflrie  humaine 
aient  pris  de  fortifier  la  Chine  contre  les  invafions  étrangères! 
Au  commencement  du  dixième  fiécle ,  les  Tartares  qui  étoienc 
au  Nord  de  la  Chine  y  en  conquirent  les  Provinces  Septentrion 
nalos  9  &  y  fondèrent  une  Monarchie  qui  dura  environ  300  ans^ 
6c  qui  força  même  l'Empereur  de  la  Chine  à  fe  rendre  fon  tri- 
butaire. Dans  le  treizième  iiécle  ^  toute  la  Chine  devint  la  con- 
quête du  fameux  Gingiskam ,  ou  de  fon  petit-fils»  Ce  joug  ètianr 
ger  fut  fecoué  au  bout  d'environ  cent  ans  y  foit  que  les  mceurs^ 
Chinoifes  euflent  amolli  le  courage  des  conquérans^  foit  que  le 
Gouvernement  eût  été  afFoibli  par  la  négligence  des  derniers 
Empereurs  Tartares  ;  mais  il  n'y  a  guère  plus  d'un  fiécle  qu'un 
petit  Roi  Tartare  a  encore  fubjugué  la  Chine  (a).  Combien  le 
Japon,  qui  a  beaucoup  moins  d'étendue  que  la  Chine ^  luia-t«il 
donné  d'allarmes  !  La  paix  dont  les  Chinois  jouiffentn'eft  donc 
point  le  fruit  de  leur  Politique ,  c'eft  l'effet  de  leur  fituation  8c 
de  celle  des  peuples  voiiîns.  Ce  vafte  Empire  ^  je  l'ai  déjà  ob- 
fervé  j  n'a  pour  voifins  que  des  peuples  peu  nombreux ,  à  demi 
barbares ,  8c  incapables  de  rien  entreprendre  de  grand. 

Les  Chinois  ont  pour  les  cadavres  un  refpeû  religieux  q\û 
ne  leur  permet  pas  d'en  faire  Touverture.  Par- là ,  font  per- 
dus tous  les  fruits  précieux  que  Ton  peut  tirer  de  i'Anatomie^ 
qui  fait  connoître  les  parties  du  corps  humain»  Cette  fcience  a 
toujours  été  ignorée  des  Chinois  jufqu'à  ces  derniers  tems  , 
qu'ils  en  opt  oui  parler  aux  Européens  ;  mais  quelque  utile  que 
foit  aux  vivans  la  difFedion  des  mons  ^  elle  n'a  jamais  pu  être 
du  goût  des  Chinois  ^  &  ils  fe  révoltent  à  la  feule  propofition  de 
faire  l'ouverture  d'un  cadavre  humain. 

Les  Médecins  de  ce  pays-là  font  infiniment  plus  charlatans 


DU    G  O  U  V  E  R  NE  M  E  N  T.       435 

<jue  par-tout  ailleurs.  On  ne  peut  lire  ce  qu'on  nous  dît  de  {9, 
Doûrine  Chînoife  fur  le  poulx  y  fans  être  indigné  de  la  fourbe- 
rie des  Médecins  Chinois,  &  touché  de  la  fimplieité  des  peu- 
ples^ Ceft  des  Médecins  de  la  Chine  que  Ton  peut  donner  vé- 
ritablement la  définition  que  le  Comique  François  a  donné  des 
nôtres  :  Une  forte  d'hommes  payés  pour  conter  des  fariboles  auprès 
d'un  malade ,  jufqu'à  ce  que  la  nature  Vait  guéri ,  ou  quefes  rei 
medes  Valent  tué  (a). 

Uefprit  de  minucie  paroît  être  le  partage  de  la  Nation  Chî-» 
noife.  Tout  eft  réglé  à  la  Chine  jufqu'aux  devoirs  les  pluscom-^; 
muns  de  la  fociété  ^  8c  tout  eft  réglé  dans  un  fi  grand  détail  ^  8c 
fournis  à  des  cérémonies  fi  frivoles  &  fi  gênantes  ,  qu'on  y  perd 
la  plus  grande  partie  d'un  tems  précieux  ;  c'eft  peu  d'attacher 
le  refpeâ  dû  au  Souverain  à  des  poftures  &  à  des  profterne-» 
mens  tout  à  fait  incommodes.  Les  principaux  Magiftrats  ont  des 
fuppôts  qui  les  précédent  dans  leur  marche,  &  qui  châtîroient 
à  coup  de  bâton  ceux  qui  ne  donneroient  pas  les  marques  de 
vénération  qu'on  en  exige.  Le  cérémonial  inventé  pour  honorer 
les  morts  y  &  pour  inculquer  aux  enfans  un  refpeâ  religieux 
po«r  leurs  pârens ,  eft  porté  à  un  excès  intolérable.  Un  deuil 
de  trois  ans ,  accompagné  d'un  extrême  auftérité  &  féparé  de 
toute  fonâion  publique  >  que  les  Loix  Chinoifes  ordonnent  aux 
enfans ,  à  la  mort  de  leur  père  8c  de  leur  mère ,  8c  dont  elles  ne 
difpenfent  pas  même  les  Rois,  eft  un  ufage  bien  peu  fenfé  & 
bien  nuifible  à  l'Etat.  Qui  le  pourroit  croire  !  Un  Officier  ne 
peut  exercer  aucune  charge  publique;  un  Miniftre  eft  obligé 
d'abandonner  le  Gouvernement  ;  un  Mandarin ,  le  foin  de  fa 
Province  ;  un  Roi ,  celui  de  tout  l'Etat ,  pendant  les  trois  ans  du 
deuil  qu'il  doit  porter  de  la  mort  de  fon  père.  «  Les  Chinoia 

(a)  Molière, 

Ulj 


43^  S  C  I  E  N  CE 

»  (  nous  dit  THiftorien  (a)  )  confervenc  prccieufement  le  fbu- 
»  venir  de  la  piété  de  f^en  Kong  Roi  de  Cm.  Ce  Prince  avok 
»  été  chaffé  des  Etats  de  fon  pcre  Hieu  Cong  ,  par  les  adreffe^ 
>3  &  les  violences  de  Liki  fa  marâtre  ;  il  voyageoit  en  divers 
»  pays  pour  di(fiper  fon  chagrin^  &  pour  éviier  les  pièges  que 
»  cette  femme  ambitieufe  ne  ceffoit  de  lui  tendre  ,  lorfqu  il  fut 
M  averti  de  la  mort  de  fon  père  ^  &  appelle  par  Mokong  ,  qui 
a>  lui  offroit  des  foldats  ,  des  armes ,  &  de largent ,  pour  fc 
a>  mettre  en  pofleffion  de  fes  Etats.  Sa  rcponfe  fut  qu  étant  un 
>>  homme  mort  depuis  fa  retraite  y  il  n'ellimoit  rien  plus  que  la 
»  vertu  &  la  piété  envers  fes  parens ,  que  c'ctoit-là  fon  tréfor  , 
>3  &  qu'il  aimoit  mieux  perdre  fon  Royaume ,  dont  il  étoit  déjà 
»  dépouillé ,  que  de  manquer  aux  derniers  devoirs  de  piété  y 
»  qui  ne  lui  permettoient  pas  de  prendre  les  armes  en  un  tems 
>3  deftiné  à  la  douleur  &  aux  honneurs  funèbres  qu'il  devoir  à 
»  la  mort  de  fon  père  >».  C'eft  fans  doute  porter  la  piété  filiale 
fort  loin  ;  mais  c'ell  fe  manquer  à  foi-même  y  c'efl  manquer  à 
ia  famille  y  c'eft  manquer  à  tout  TEtat. 

Les  Kings  font  des  livres  qui  renferment  THîfïoire  du  com- 
mencement du  monde  &  de  ce  qui  doit  fuivre  y  celle  des  Chi- 
nois &  leur  morale.  C*efl:  par  Tétude  de  ces  livres  myfterieux  y 
dont  perfonne  n'a  la  clef,  qu'on  s'élève  aux  dignités  de  Dodeur 
&  de  Mandarin,  auxquelles  les  jeunes  gens  parviennent,  lorf- 
qu'ils  ont  le  degré  de  capacité  néceffaire.  L'étude  de  ces  livres 
conduit  aux  honneurs  &  aux  richeffes ,  les  Chinois  les  regar- 
dent comme  les  feuls  utiles  au  Gouvernement ,  &  c'eft  l'idée 
qu'en  a  auffi  l'Auteur  de  la  Defcription  de  la  Chine  ;  mais  ce  ne 
font  en  effet ,  outre  ce  qui  s'y  trouve  de  myfterieux  ,  que  des  li- 
vres d'Hiftoire  &  de  Morale  qui  exhortent  à  la  paix,  à  la  jullir 

•     WDuhaldc. 


DU    GOUVERNEMENT.       437^ 

ce ,  à  réquité ,  à  fe  bien  conduire ,  &  à  bien  gouverner  les  au- 
tres, ils  ne  contiennent  pas  une  feule  règle  de  Gouvernement* 
La  morale  du  Prince  cft  la  même  que  celle  des  Mandarins  6c 
des  autres  Sujets ,  &  il  n'y  a  rien  en  tout  cela  que  de  fort  trivial. 

Quelle  Nation  n'a  pas  un  Légiflateur  Religieux  ou  Philofo- 
phe  d'une  morale  aufli  faine  que  celle  de  Confucius  1  Quelle  Na- 
tion fe  conduit  en  conféquence  de  cette  morale  !  La  morale  efl- 
elle  d'ailleurs  la  feule  vertu  néceflaire  à  un  Souverain  ? 

Les  fciences  &  les  arts  fe  font  perfeftionncs ,  l'efprit  de  juf- 
teffe  &  de  critique  a  fait  des  progrès ,  le  tems  amené  d'ailleurs 
des  changemens  néceffaires  y  &  l'intérêt  des  peuples  demande 
que  les  Loix  foient  changées  quand  elles  font  nuifibles  à  ce  mê- 
me peuple  pour  lequel  elles  ont  été  faites.  Il  faut  qu'on  fublli- 
tue  à  d'anciennes  coutumes  abufives  des  ufages  plus  raifonna- 
bles  ;  mais  les  Chinois  ne  changent  jamais  rien  aux  leurs ,  tou- 
jours mêmes  Loix ,  toujours  mêmes  mœurs.  Ils  ont  cru  pour- 
voir à  la  durée  de  leurs  Loix  ^  par  la  crainte  des  morts  qu'ils 
fuppofent  devoir  s'irriter  en  l'autre  vie  ,  des  fautes  que  leurs  pa- 
ïens vivans  commettent  en  celle-ci  ^  &  principalement  du  grand 
manque  de  refpeû  queceferoit  aux  Chinois  envers  leurs  ancê- 
tres ,  de  changer  les  Loix  qu'ils  leur  ont  laiffées.  «  Si  la  Chine 
»  (  dit  un  homme  bien  inftruit  )  avoit  dans  fon  voifinage  un 
»  peuple  indépendant  de  l'Empire ,  où  il  y  eût  des  Sçavans  qui 
»  fuffent  en  état  de  relever  les  erreurs  aftronomîques ,  peut-être 
»  quilsfortiroient  de  leur  aflbupiffement ,  &  que  les  Empereurs 
»*  feroient  plus  attentifs  à  avancer  le  progrès  de  cette  fcience. 
»  Encore  ne  fçais-jc  (  ajoute  l'Auteur  )  fi  Pon  ne  prendroit  pas 
»  plutôt  le  parti  d'aller  fubjuguer  ce  Royaume,  pour  lui  impo- 
>3  fer  fîlence  &  le  forcer  à  recevoir  humblement  le  Calendrier 
V  Chinois»  Ce  ne  feroit  pas  la  première  fois  qu'on  auroit  vu 


4î8  SCIE  NC  E 

9  les  Chinois  faire  la  guerre  pour  un  Almanach  (a)  «•  Cet  at-^ 
tachemenc  aux  anciennes  Coutumes  efl  la  fource  d*une  infinité 
d'erreurs  pernîcieufes ,  auffi  anciennes  à  la  Chine  que  le  Gou-> 
vernement  même. 

La  Nation  Chinoife  eft  Philofophe  ^  mais  fuperftitieufe;  grave 
&  fimple  dans  fa  morale  y  mais  obfcure  &  guindée  dans  fa  Md« 
taphyfique  ;  féconde  en  bonnes  Lioix^  dirigées  vers  le  bien  de 
TEtat ,  mais  qui  demeurent  fans  exécution  ;  modérée  fur  le  Trî-. 
bunal ,  mais  cruelle  8c  fourbe  dans  les  procédés  particuliers  ; 
ingenieufe  dans  le  détail  &  Texaélitude  de  la  Police  y  mais  ufu^ 
riere  8c  trompeufe  dans  le  commerce  8c  dans  les  affaires.  Elle 
eft  enfin  remplie  de  contradi£Uons  entre  les  mœurs  publiques 
8c  les  mœurs  particulières >  qui  forment  le  génie  de  la  Nation, 
&  qui  par  conféquent  prévalent  toujours  fur  les  mœurs  publia 
ques. 

Le  Commandant  d'une  Efcadre  Angloifequi  vient  de  faire  le 
tour  du  monde  y  homme  de  tête  8c  de  main ,  porte  y  de  la  Chine  , 
en  divers  endroits  de  la  relation  de  fon  voyage^des  Jugemens  que 
je  tranfcrirai  ici  y  parce  qu'ils  achèveront  de  nous  faire  connortre 
ce  Gouvernement  célèbre.  «  Les  Mandarins  fe  fervent  de  l'auto^, 
i>  rite  que  leur  donnent  les  Loix,  non  pour  empêcher  le  crime  , 
u  mais  pour  s'enrichir  des  dépouilles  de  ceux  qui  le  commet-*^ 

*>  tent Les  peines  capitales  font  rares  à  la  Chine  ^  la  pol- 

m  tronerie  naturelle  à  la  Nation ,  8c  fon  attachement  à  l'intérêt 
»  y  réduifent  prefque  toutes  les  punitions  à  des  amandes  y  & 
m  c'eft  fur  cet  ufàge  que  font  fondés  les  revenus  les  plus  clairs 
•>  des  perfonnes  qui  compofent  les  Tribunaux.  Auffi  y  rien  n'eft* 
1^  il  plus  ordinaire  j  dans  ce  pays-là  ^  que  des  prohibitions  de 

{a)  Parennin  dans  une  Lenre  du  XXl«  RecueÛdes  Lettres  édifiantes  &  curieufi»^ 
Voyez  auffi  la  Lettre  du  même  Parennin  dans  le  XXIV;  RecueiL 


DU    GOUVERNEMENT.       43^ 

•  toute  efpecci  mais  fur  tout  dans  les  cas  où  la  vue  d'un  grand 

•  profit  peut  tenter  les  particuliers  d'enfreindre  les  Ordonnan- 
»  ces Le  grand  nombre  de  belles  manufaâures  établies  à 

•  la  Chine  y  &  que  les  -Nations  les  plus  éloignées  recherchent 

•  avec  tant  d'empreffemcnt ,  prouve  fuififamment  que  les  Chî- 
>3  nois  font  induflrieux  ;  cependant  cette  adreffe  dans  les  arts 

•  méchaniques ,  qui  paroît  être  leur. talent  favori,  n'eft  pas 
»  pouffée  au  plus  haut  point ,  les  Japonois  les  furpaffent  de 
>•  beaucoup  dans  les  arts  qu'ils  cultivent  également  les  uns  & 
M  les  autres  ;  &  en  plufîeurs  chofes>  il  ne  leur  efl  pas  poflible 
»  d'égaler  la  dextérité  8c  le  génie  des  Européens.  Ils  font  pro- 
»  prement  d'habiles  imitateurs  de  ce  qu'ils  voyent ,  mais  d'une 
»  manière  fervile  &  qui  marque  médiocrement  de  génie.  C'eft 
»  ce  qui  paroît  fur-tout  dans  les  ouvrages  qui  exigent  beau^ 
>3  coup  de  juflefTe  &  d'exaâitude ,  tels  que  les  horloges  y  les 
•>  montres ,  les  armes  à  feu ,  &c.  Ils  en  copient  bien  chaque 
a  pièce  à  part ,  6c  fçavent  donner  au  tout  affez  de  reffemblance 
m  avec  l'original ,  mais  ils  ne  peuvent  arriver  à  cette  juftefTe 
»  dans  la  fabrique ,  qui  produit  l'effet  auquel  la  machine  efl  de« 
a>  flinée.  Si  de  leurs  manufaâuriers  nous  paffons  à  des  Artifles 
»>  d'un  ordre  plus  relevé ,  tels  que  les  Peintres ,  Statuaires ,  &c. 
M  nous  les  trouverons  encore  plus  imparfaits.  Ils  ont  des  Pein- 
»  très  en  grand  nombre  ,  &  ils  en  font  beaucoup  de  cas  y  ce- 
i»  pendant  ils  réufliflent  rarement  dans  le  deifein  6c  dans  le  co- 
»  loris  pour  les  figures  humaines ,  &  entendent  aufll  peu  l'art 
m  de  former  des  groupes  ;  il  efl  vrai  qu'ils  réuffiffent  mieux  à 
i>  peindre  les  fleurs  8c  les  oifeaux  ,  ce  qu'ils  doivent  même  plu* 
n  tôt  à  la  beauté  &  à  l'éclat  de  leurs  couleurs  qu'à  leur  habileté , 
»  car  on  y  trouve  ordinairement  fort  peu  d'intelligence  dans 
»  la  manière  de  diflribuer  les  jours  6c  les  ombres ,  &  encore 


440  SCIENCE 

>>  plus  rarement  cette  grâce  &  cette  facilité  qu'on  voit  dans  les 
»  Ouvrages  de  nos  bons  Peintres  Européens.  Il  y  a  dans  toutes 
»  les  produdlions  du  pinceau  des  Chinois  quelque  chofe  deroide 
»  &  de  mefquin  qui  déplaît ,  &  tous  ces  défauts  dans  leurs  arts 
»  peuvent  fort  bien  être  attribués  au  caraflere  particulier  de  leur 

»  génie  qui  manque  absolument  de  feu  &  d'élévation A 

iy  l'égard  des  fciences ,  même  à  ne  confulter  que  les  Auteurs 
j>  qui  nous  ont  repréfenté  cette  Nation  dans  lé  jour  le  plus  fa- 
is vorable ,  il  faut  convenir  que  fort  obftination  &  Tabfurdité  de 
»  fes  opinions  font  inconcevables;  depuis  bien  des  fiécles,  tous 
»  leurs  voifins  ont  Tufage  de  l'écriture  par  lettres ,  les  Chinois 
»  ont  négligé  jufqu'à  préfent  de  fe  procurer  les  avantages  de 
M  cette  invention  divine  ,  &  font  reftés  attachés  à  la  méthode 
M  grofliere  de  repréfenter  les  mots  par  des  carafteres  arbitraî- 
i>  res.  Cette  méthode  rend  inceflamment  le  nombre  des  cara- 
»  ûeres  trop  grand  pour  quelque  mémoire  que  ce  foit  ;  elle  fait 
i>  de  récriture  un  art  qui  exige  une  application  infinie,  &  où  un 
V  homme  ne  peut  jamais  être  que  médiocrement  habile.  Tout 
w  ce  qui  a  jamais  été  ainfi  écrit  ne  peut  qu'être  enveloppé  d'obf- 
»>  curité  &  de  confufion  ;  car  les  liaîfons  entre  tous  ces  caraûeres 
«  &  les  mots  qu'ils  repréfentent ,  ne  peuvent  être  tranfmis  par 
M  les  livres ,  il  faut  de  toute  néceflîté  qu'ils  aient  pafTé  d'âge  eii 
•>  âge  parla  voie  de  la  Tradition;  &  cela  feul  fuffitpourrépan* 
»  dre  une  très-grande  incertitude  fur  des  matières  compliquées 
»3  &  fur  des  fujets  d'une  grande  étendue.  Il  ne  faut  pour  lé 
M  fentir ,  que  faire  attention  aux  changemens  que  fouflfre  un  fait 
t>  qui  paffe  par  trois  ou  quatre  bouches.  Il  s'enfuit  de-là,  que  le 
»  grand  fçavoir  &  la  haute  antiquité  de  la  Nation  Chinoife  ne 

»  peuvent,  à  plufieurs  égards,  qu'être très-problemariques 

?>  A  la  vérité ,  quelques-uns  des  Miflionnaîres  Catholiques  Ro- 
mains 


DU    GOUVERNEMENT.       441 

•>  mains  avouent  que  les  Chinois  font  fore  inférieurs  aux  Euro- 
^»  péens  9  jen  fait  de  fciences  ;  mais  en  même-tems  |  ils  les'don- 
»  nenr  en  exemple  en  juflice  &  de  morale  y  tant  dans  la  théorie 
»  que  dans  la  pratique.  A  les  entendre ,  le  vafte  Empire  de  la 
»  Chine  rfeft  qu'une  famille  bien  gouvernée ,  unie  par  les  liens 
i>  de  Tamitié  la  plus  tendre ,  &  où  Ton  ne  difpute  jamais  que  de 
H  bohté  &  de  prévenance.  Ce  que  j^ai  rapporté  ci-devant  de  la 
*>  conduite  des  Magiftrats ,  des  Marchands ,  &  du  peuple  de 
i^  Canton ,  eft  plus  que  fuffifant  pour  réfuter  toutes  ces  fixions  ; 
n  6c  pour  ce  qui  regarde  la  morale  théorique  des  Chinois  y  on 
M  en  peut  juger  par  les  échantillons  que  ces  Miflionnaires  eux- 
M  mêmes  nous  en  ont  donnés.  Il  paroît  que  ces  prétendus  fages 
w  nes'amufent  qu'à  recommander  un  attachement  affez  ridicule 
»  à  quelques  points  de  morale  peu  importans  y  au  lieu  d'établir 
»  des  principes  qui  puiffent  fervir  à  juger  des  aûions  humaines, 
»  &  donner  des  règles  générales  de  conduite  y  d'homme  à  hom* 
»  me ,  fondées  fur  la  raifon  &  fur  Téquité.  Tout  bien  confîderé  j 
M  les  Chinois  font  fondés  à  fe  croire  fupérieurs  à  leurs  voifîns 
o  en  fait  de  morale ,  non  fur  leur  droiture  ni  fur  leur  bonté  ^ 
n  mais  uniquement  fur  Tégalité  affeâée  de  leur  extérieur  &  fur 
M  leur  attention  extrême  à  réprimer  les  marques  extérieures  de 
•>  paillon  &  de  violence.  Mais  Thypocrifie  &  la  fraude  ne  font 
^  pas  moins  nuifibles  au  genre  humain  y  que  Timpétuolîté  &  la 
»  violence  du  caradere.  Ces  dernières  difpofîtions  peuvent  à  la 
M  vérité  être  fujettes  à  beaucoup  d'imprudence  j  mais  elles  n'ex- 
»  duent  pas  la  fîncérité  y  la  bonté  de  cœur  y  le  courage  y  &  bien 
»  d'autres  vertus  des  plus  eftimables.  Peut-être  qu'à  bien  exa- 
j>  miner  la  chofe  y  il  fe  trou  veroit  que  le  fens  froid  &  la  patience 
••  dont  les  Chinois  fe  glorifient  tant^  &  qui  les  diftingue  des  au« 
»  très  Nations  y  font  dans  le  fond  la  fource  de  leurs  qualités  les 
TomJ.  Kkk 


441  SCIENCE 

»  moins  excufables  ;  car  il  a  fouvent  été  obfervé  par  ceux  qui 

i>  ont  approfondi  le  c^Ëur  humain  ,  qu'il  e(l  bien  difficile  d*af<* 

M  foiblir  dans  un  homme  les  paffions  les  plus  vives  &  les  plus 

>9  violentes  y  farïsaUgtnenter  en  même-ten;is  la  force  de  celles  qui 

n  font  plus  étroitement  liées  avec  Tamour  propre.  La  timidité  ^ 

»  ladifllmulation,  &  la  friponnerie  des  Chinois ,  viennent  peut* 

i^  être  en  grande  partie  de  la  gravité  affeâée  &  de  Textrêine 

»  attachement  aux  bienféances  extérieures  y  qui  font  des  devoirs 

»  indifpenfables  dans  leur  pays.  •  •  »  •  Du  caraâere  de  la  Nsh 

»  tion  >  pafTons  à  fon  Gouvernement  y  qui  n'a  pas  moins  été  un 

>3  fujet  de  panégyriques  outrés.  Je  puis  renvoyer  au  récit  de  ce 

»  qui  eft  arrivé  à  M.  Anfon  dans  ce  pays-là>  &  c'eft  réfuter  fuf- 

»  fifàmment  les  belles  chofes  qu'on  nous  a  débitées  touchant 

t>  leur  économie  politique.  Nous  avons  vu  que  les  Magîflrars  y 

••  font  corrompus ,  le  peuple  voleur  y  les  Tribunaux  dominés 

)j  par  l'intrigue  &  la  vénalité.  La  conftitution  de  l'Empire  en 

»  général  ne  mérite  pas  plus  d'éloges  que  le  refte ,  puifqu'un 

»  Gouvernement  dont  le  premier  but  n'efl:  pas  d'aflurer  la  tran* 

j»  quillité  du  peuple  qui  lui  eft  confié  y  contre  les  entreprifes  de 

M  quelque  Puiffance  Etrangère  que  ce  foit  y  eft  certainement 

w  très-défedueux.  Or  cet  Empire  fi  grand  y  fi  riche ,  fi  peuplé, 

»9  dont  la  SagefTe  6c  la  Politique  font  relevées  jufqu'aux  nues  , 

n  a  été  conquis ,  il  y  a  un  fiécle  y  par  une  poignée  de  Tartares  ; 

•»  à  préfent  même  ,  par  la  poltronerie  de  fes  habîtans ,  Se  par  la 

»  négligence  de  tout  ce  qui  concerne  la  guerre ,  il  eft  expofé 

»  non-feulement  aux  attaques  d'un  ennemi  puiflant  y  mais  mê- 

V:  me  aux  infultes  d'un  forban  ou  d'un  chef  de  voleurs.  J'ai  déjà 

•»  remarqué  y  à  Toccafion  des  difputes  de  M .  Anfon  avec  les 

»  Chinois ,  que  le  Centurion  feul ,  qu'il  montoit  y  étoit  fupérieur 

»  à  toutes  les  forces  navales  de  la  Chine  (  a  )  w. 

(tf)  Voyage  d* Anfon  écrit  en  Anglois ,  &  traduit  en  François  en  1745^ 


DU     GOUVERNEMENT.      445 


SECTION      III. 

Gouvernement  du  Mogol^  principale  Monarchie  des  Indes 

Orientales. 

BRrama  eft  unLéffiflateur  fi  vénérable  aux  Indiens ,  qu'ils    ^  xir. 
•  A  111  Brama, U^î-' 

lui  rendent  un  culte  •  en  meme-tems  qu'ils  adorent  des  !«««  des  in- 
'  ^  dicns  »  partagée 

Dieux  particuliers ,  fclon  les  contrées  où  ils  habitent.  Ceft  Bra-t  ^^IJ^I'^^q^^^ 
ma  qui  le  premier  poliça  toutes  les  Indes  (a).  ;  principale*. 

Ce  Légiflateur  partagea  les  peuples  en  quatre  Caftes  ou  Trl^ 
bus  principales. 

La  première  des  Brahmanes^  qui  feule  donne  des  Prêtres  aux 
Dieux  y  des  Maîtres  aux  Ecoles  ^  &  des  Juges  à  la  Nation.  Us 
font  les  feuls  dépofitaires  des  fciences  dans  Tlnde. 

La  féconde  des  Rageputes,  dont  Tunique  emploi  eft  de  faire 
la  guerre  ^  de  défendre  ou  de  reculer  les  frontières  de  TEtat. 

La  troifiéme  des  Banianes  y  deftinés  au  négoce  y  à  faire  tra- 
vailler les  Ârtifans ,  &  à  débiter  leurs  ouvrages  en  gros  ôc  en 
détail. 

La  quatrième  des  Artifans  y  dont  la  Tribu  fe  fubdivife  en 
plufîeurs  autres  y  félon  les  divers  métiers. 

Une  loi  générale  pour  toutes  les  Caftes  ^  c'eft  qu'une  Tribu  ne      x  i  n. 

•  •       9    11*  «         t  Loi   e^nérala 

peut  jamais  s  allier  avec  une  autre  y  qu  un  homme  ne  peut  exer*  pour  tomei  le^ 
cer  deux  profeflions ,  nipaffer  de  Tune  à  l'autre.  Un  Laboureui^, 
un  Tifferan  y  un  Orfèvre  ne  fait  jamais  apprendre  à  fon  fils  un 
métier  différent  du  fien^  &  ne  marie  jamais  les  enfans  à  des  per« 

(d)  Voyez  Lord,  Bemier ,  &  lUiftoire  générale  du  Mogol  par  Catrou  ;  la  Lettre 
de  Saignes  dans  le  XXIV*  Recueil  des  Lettres  édifiantes  &  curieufes  ,  &  celle  de 
PonsdaasleXXVK 

Kkkij 


444  SCIENCE 

fonnes  d*une  autre  profeiïion  que  la  Tienne.  Nous  avons  dëja  vu 
un  pareil  règlement  en  Egypte. 

Les  autres  Loix  que  Brama  a  portées  pour  toutes  les  Tribus  ^ 
regardent  la  Religion  &  la  morale  (a). 

Il  défend  Tadultere  8c  la  (impie  fornication.  Le  plus  grand 
de  tous  les  crimes ,  c'eft  de  répandre  le  fang  humain  y  ou  d'ôter 
la  vie  aux  animaux  que  les  anciens  Indiens  croy  oient  doués  d'une 
ame  humaine.  On  doit  profcrire  de  la  fociété  le  vol  &  le  men* 
fonge.  U  faut  nourrir  les  vaches  avec  fo:n  ^  fe  donner  de  garde 
d'en  manger,  les  conferver.,  les  révérer  comme  les  mères  des 
hommes.  Cette  dernière  Loi  eft  plutôt  politique  que  religieufe  ^ 
parce  que  les  bœufs  font  de  tous  les  animaux  les  plus  utiles 
aux  Indes  9  qu'ils,  y  tiennent  lieu  de  chevaux  i  8c  qu'on  s*en 
fert  dans  tous  les  voyages  8c  pour  toutes  les  voitures, 

A  ces  Loix  générales  pour  toutes  les  Caftes  9. le  Légiflateur 
en  ajouta  de  particulières  pour  chaque  Tribu- 
ne iv. .         Les  Brahmanes  doivent  pafTer  leur  vie  à  étudier  la  Loi,  à 
^res^pour  les  contempler  les  aftres ,  à  deffervir  les  Temples ,  à  brûler  des 
parfums  ,  8c  à  faire  des  facrifices.  Ils  font  obligés  de  vivre  dans 
une  grande  auflérité.  Cefl  de  leur  part  un  crime  de  manger  du 
poiflbn  y  des  oifeaux  y  des  animaux  à  quatre  pieds ,  ou  même  de 
ces  fones  de  légumes  qui  font  tachetées  de  rouge ,  8c  quij^epré- 
fentent  du  (ang.  Il  leur  eft  défendu  d'avoir  plus  d'une  femme  à 
la  fois  ;  il  eft  défendu  à  leurs  femmes  de  fe  remarier  après  la  mort 
de  leurs  maris  ,  &  il  eft  prefcrit  aux  femmes  de  fe  brûler  dans 
le  même  bûcher  où  l'on  confume  le  corps  de  leurs  maris.  Les 
X  Indiennes ,  lafles  de  leurs  époux  >  les  empoifonnoient  fouvent  ; 
&  le  moyen  que  Brama  inventa  pour  arrêter  un  dérèglement 

(tf)  D  y  a  un  Livre  cofnpofé  fous  les  Han  Orientaux  intitulé  :  Sikisnpchoutn ,  qui 
renferme  toutes  les  traditions  ûir  les  Nations  étrangères. 


DUGOUV'ERNEMENT^      44J 
devenu  commun  9  fut  d'attacher  de  l'honneur  pour  les  femmes  / 

à  fe  brûler  fur  le  corps  de  leurs  maris ,  ou  du  moins  à  fe  réduire 
à  un  éternel  veuvage  après  leur  mort.  De-là  ^  la  tendreffe  des 
femmes  pour  ceux  à  qui  elles  font  unies. 

Cette  Cafte  eft  la  plus  noble  comme  la  première  des  Indes  , 
€c  la  nôbleffe  de  ceux  qui  la  compofent  eft  la  plus  fûre  du  monde^ 
car  jamais  un  homme  de  cette  claife  ne  s'eft  méfallié.  L'idée 
que  les  Brahmanes  ont  de  Texcellence  de  leurs  qualités  &  de 
leurs  perfonnes  ,  eft  fondée  fur  ce  qu'ils  font  fortis ,  à  ce  qu'ils 
difent ,  de  la  tête  du  Dieu  Brama  ;  il  y  en  a  qui  fe  prétendent 
Brama  eux-mêmes.  Ils  difent  que  la  féconde  Cafte  eft  compofée 
d'hommes  nés  des  épaules  de  Brama  ;  la  troiiîéme  de  fes  cuifles  > 
&  la  quatrième  de  fes  pieds. 

Les  Rc^eputes  ne  font  pas  obligés  à  une  auftérité  fi  gênante  ^^^^ 
que  les  Brahmanes.  Comme  ils  font  deftinés  au  métier  des  ar-  ^  ^  ^ 
mes  y  le  Legiflateur  n'a  pas  exigé  d'eux  une  abftinence  fi  rigou- 
reufe.  Ils  feroient  mal  de  tuer  des  animaux  ^  mais  on  leur  per- 
met d'en  manger  la  chair ,  lorfqu'ils  les  trouvent  morts.  Brama 
ne  leur  a  point  fait  de  fcrupule  fur  la  pluralité  des  femmes.  On  ne 
peut  affez  augmenter ,  difoit-il  y  la  race  des  guerriers  qui  s'ex- 
pofe  à  périr  dans  les  combats.  C'eft  de  cette  race  feulement  que 
les  Rois  font  tirés. 

Les  Banianes  font  les  plus  rigides  obfervateurs  des  Loix ,  &  ub!ht6c^ 
les  plus  fcrupuleux  à  s'abftenir  de  chair  &  de  poiffon.  Comme  S^^u^  ^^ 
ils  habitent  les  villes  &  qu'ils  en  font  tout  le  commerce,  c'eft  à 
eux  de  donner  l'exemple  aux  Etrangers  &  aux  Artifans  y  dont 
Us  font  en  quelque  forte  les  Chefs.  La  charité  pour  les  hommes 
n'alla  jamais  fi  loin  que  parmi  eux ,  ils  Tont  étendue  jufques  fur 
les  bêtes.  Outre  les  hôpitaux  qu'ils  ont  fondés  pour  les  malades 
&  pour  les  orphelins ,  ils  en  ont  établi  pour  les  vaches  y  pour 
les  finges  y  pour  les  oifeaux. 


44<î  SCIE  N  C  É 

XVII.  ^         Les  Artïfans  font  difpenfés  d'obferver  les  Loîx  aufteres^ 
ueres"p^rus  LcuFS  tfavaux  font  pénibles ,  &  le  Lcgiflateur  leur  permet  d'u- 

fer  d'alimcns  folides.  Cette  exemption  augmente  &  diminue ,  à 
proportion  de  la  fatigue  des  divers  métiers.  Ceux  à  qui  tout 
cil  permis ,  font  eflimés  les  moins  nobles  &  regardés  avec  mé- 
pris. 

XVIII.  Telles  font  les  Loix  que  Brama  donna  aux  peuples  de  Tlnde^ 
^Morale  dcsin.  ^^^^  j^^  dcfcendatts  confervenc  encore ,  fous  des  Rajas  y  quel- 
ques portions  de  Tlndouftan ,  au  milieu  de  TEmpire  que  le  Mo- 
gol  &  d'autres  Puiflances  y  ont  établi.  Je  parlerai  de  ces  Rajas  y 
en  expliquant  le  Gouvernement  du  Mogol,  qui  eft  le  plus  puif- 
fant  Souverain  de  Tlndouftan ,  &  dont  ils  font  tributaires.  Ce 
qu'on  raconte  de  la  manière  de  vivre  des  Philofophes  Indiens  (û), 
&  de  leurs  auftérités  fuperftitieufes  ,  en  quoi  les  Brahmanes 
d'aujourd'hui  n'ont  fait  qu'enchérir  fur  leurs  prédéceffeurs  (6)  , 
fombre,fauvage,  eft  un  violent  préjugé  contre  leur  morale.  Des 
Miffionnaires ,  dans  des  Lettres  récentes  (c) ,  nous  affurent  que 
ces  Brahmanes ,  qui  fe  font  femblables  à  leurs  fauffes  Divinités, 
leur  reflemblent  parfaitement  par  leurs  fourberies  &  par  leurs 
déréglemens. 

^  x]  ^-    .       Timur-Bcc ,  plus  connu  fous  le  nom  de  Tamerlan  «  de  la  race 

Fondation  de  '  *  ' 

TEnipire  du  Mo-  ^ç  Gcng-hiz-can ,  a  été  le  fondateur  de  l'Empire  des  Mogols 
dans  les  Indes.  Il  pafTa  l'Indus  i  vainquit  plulieurs  Souverains 
qui  partageoient  TEmpire  de  Tlndouftan ,  &  fe  rendit  maître 
de  Ddiy  capitale  des  Indes  ^  &  panagea  en  mourant  (d)  fes 
vaftes  Etats  entre  fes  enfans.  C'eft  un  de  fes  dêfcendans  ,  Ma* 

(a)  Strab.  Georg.  Ub.  XV;  &  Philoftrate ,  de  vîta  ApoU.  Tyan,  jpaffim. 
{y)  Lettres  de  Bemier  à  Chapelain  fur  les  Gentils  de  l'Indouitan ,  dans  la  fuite  de 
îs  Mémoires  fur  TEmpire  du  Orand  Mogol,  pag.  119.  édît.  de  la  Haye  1671. 


(c)  Voyez  la  pag.  204  du  XXIV*  Recuàl  desliéttres  édifiantes  6c  cuneuies ,  &la 
paee22i  ( 


oyez  la  pag.  : 
aee22i  duXXV^. 
(<(/)  En  140}. 


DU    GOUVERNEMENT.      447 

hometans  dé  Religion  y  qui  tient  aujourd'hui  TEmpire  que  nous 
appelions  du  grand  MogoL 

Cet  Empereur  entretient  un  nombre  prodigieux  de  troupes. 
On  dit  qu'elles  ne  manquent  point  .de  valeur  ;  mais  Koulikan 
apprit  àrUnivers ,  il  n'y  a  que  huit  ans  (a) ,  qu'elles  manquent 
au  moins  de  difcipline  y  &  qu'elles  ignorent  l'art  de  faire  la 
guerre.  Ce  fameux  ufurparteur  de  la  Ferfe  battit  8c  détrôna  le 
Mogol  y  le  rétablit ,  &  le  rendit  fon  tributaire  >  après  l'avoir 
dépouillé  d'un  tréfor  qu'on  a  évalué  à  dix-fept  mille  millions. 

Une  armée  entière  forme  la  Garde  de  l'Empereur,  &  les  deux 
Capitales  de  l'Empire  Dell  &  y^gra  font  toi^ours  pleines  de 
troupes.  Les  Rajas  y  tributaires  de  l'Empereur  y  lui  en  fournif- 
fent  aufli  un  grand  nombre. 

Vingt-trois  Royaumes  compofent  l'Empire  du  Mogol.  I.  Delij 
dont  la  Capitale  qui  porte  le  même  nom  y  eft  fouvent  la  demeure 
de  l'Empereur.  II.  y^gra  y  dont  la  Capitale  porte  encore  le  mê- 
me nom ,  &  efl  alternativement  avec  Dell  la  réfidence  du  Sou- 
verain. III.  Lalîor ,  où  l'Empereur  fait  aufli  quelquefois  fa  réfi- 
dence. IV.  ^fmir.  V.  Mallua.  VI.  Patana.  VII.  Multan. 
VIII.  Cahul.  IX.Tata.  X.  Bocar.  XI.  Urccha.  XII.  Cachemire. 
XIII.  Decan.  XIV.  Barar.  XV.  Brompour.  XVI.  Baglana. 
XVIL  Ragemal.  XVIII.  Nandé.  XIX.  Bengale,  connu  par 
le  commerce  qu'y  font  les  Européens.  XX.  Ugen.  XXI.  ^- 
fapour.  XXII.  Gokonde  y  où  eft  une  mine  de  diamans.. XXIII. 
Cornât. 

Le  Mogol  eft  le  Propriétaire  de  toutes  les  terres  de  fon  Em- 
pire ,  &  plufieurs  Rajas  qui  defcendent  des  anciens  Rois  des 
Indes ,  ne  font ,  dans  leurs  propres  Etats,  que  comme  les  Fer- 
miers &  les  Receveurs  du  Mogol.  Ils  lui  payent  un  tribut  y  Se 

{a)  En  I743« 


448  SCIENCE 

mènent  leurs  croupes  à  fon  fervice.  On  compte  dans  ITndouftaii 
jufqu'à  84  de  ces  Princes  Indiens ,  dont  trois  font  fort  diftingués 
des  autres.  I.  Le  Rana  qui  efl  Souvemin  du  Royaume  de  «Se- 
duffié.  Cefl  le  plus  confîdérable  de  tous ,  &  on  dit  qu'il  a  tou- 
jours fur  pied  50  mille  chevaux  &  2co  mille  hommes  d'In- 
fanterie. IL  Le  Raja  de  Rator  y  qui  pofTede  neuf  Provinces  ^■ 
&  qui  égale  prefque  le  Rana  en  richéffe  &  en  puiffance.  IIL  Le 
Raja  de  Chagué y  moins  confîdérable  que  les  deux  premiers^ 
mais  plus  puiflant  que  les  Rajas  que  je  ne  nomme  point  ici. 

Les  revenus  du  Mogol  font  immenfes.  Connoître  ce  que  les 

terres  de  ce  vaftc  Empire  produifent ,  ce  feroit  fçavoir  ce  que 

le  Mogol  a  de  revenu ,  puifqu'il  efl  le  Propriétaire  de  toutes  les 

terres  y  &  Phériticr  de  fes  efclaves.  L'Indouftan  efl  une  région 

fort  fertile  ;  le  pays  n'efl  pas  fort  peuplé,  &  les  terres  y  font 

mal  cultivées  ;  mais  Tor  &  largent  que  le  commerce  y  apporte 

reparent  les  défauts  de  la  culture.  L'Indouflan  efl  un  abîme  de 

tous  les  tréfors  qu'on  tranfporte  de  l'Amérique  dans  le  nouveau 

.monde,  ci  Tout  Targent  du  Mexique  (  dit  un  voyageur  exaû  ) 

»  &  tout  For  du  Pérou  y  après  avoir  circulé  quelque  teras  en 

i>  Europe  &  en  Afie  y  vient  aboutir  enfin  dans  TEmpire  du 

n  Mogol,  pour  n'en  plus  fortir.  On  fçait  (  continue- t-il)  qu'une 

»  partie  s'en  tranfporte  en  Turquie ,  pour  payer  les  marchan- 

»  difes  qu'on  en  tire.  De  la  Turquie ,  l'argent  paffe  dans  la 

»  Perfe  par  Smirnc,  pour  les  foyes  qu'on  y  va  prendre.  De  la 

»  Perfe  ,  il  entre  dans  llndouflan  par  le  commerce  de  Moka  , 

*>  de  Babelmandel,  de  BalTora,  &  de  Bander- Abaflî.  D'ailleurs, 

»  il  en  vient  immédiatement  d'Europe  aux  Indes  ,  fur- tout  par 

»  le  commerce  des  HoUandois  &  des  Portugais.  Prefque  tout 

»  l'argent  que  les  premiers  tirent  du  Japon ,  refle  fur  les  terres 

»  du  Mogol.  On  trouve  fon  compte  à  en  rapponcr  des  m^r- 

chandifei 


DU    GOUVERNEMENT.      449 

ii  chandifes  &  à  y  laiffer  fon  argent.  II  cft  vrai  que  Tlndouftan; 
u  tout  fertile  qu'il  eft  ^  tire  quelques  denrées  des  autres  Nations 
»  d'Europe  &  d'Afie.  On  y  tranfporte  du  cuivre  qu'on  prend 
»  au  Japon  ,  du  plomb  qui  vient  d'Angleterre^  de  la  canelle, 
M  de  la  mufcade ,  &  des  élephans  qu'on  y  fait  venir  de  Ceylan  ; 
»  des  chevaux  qu'on  y  tranfporte  d'Arabie,  ou  qu'on  y  conduit 

V  de  Pcrfe  &  de  Tartarie.  Mais  d'ordinaire ,  les  Négocians  fe 
»  payent  en  marchandifes  dont  ils  chargent  aux  Indes  les  vaif- 

V  féaux  fur  lefquels  ils  ont  apporté  leurs  denrées.  Ainfî,  laplus 
w  grande  partie  de  l'or  &  de  l'argent  du  monde  trouve  mille 
»  voies  pour  entrer  dans  l'Indouftan ,  &  n'a  prefque  aucune 
f^  iffue  pour  en  fortir  (a)  ». 

Comme  le  Mogol  règne  defpotîquement ,  il  tfy  a  dans  cet  xxl 
Empire  d'autre  Loi  que  fa  volonté  ;  &  fa  Jurifdidlion  n'cft  pas  nem^^'''^''*^ 
plus  partagée  que  fon  Domaine.  lia  un  premier  Miniflrc  qu'on 
appelle  Etmadoulet ,  qui  efl  dans  l'Indouftan  ce  que  le  Grand 
Vifir  eft  en  Turquie ,  &  deux  Secrétaires  d'Etat,  dont  l'un  raf- 
femble ,  &  l'autre  diftribue  les  tréfors  de  l'Empire.  Le  Mogol 
rend  la  juftice  dans  fa  réfidence }  les  Vicerois ,  les  Gouver- 
neurs y  les  Chefs  des  villes  la  rendent  dans  la  leur  ^  au  nom  & 
dans  la  dépendance  de  l'Empereun 

SECTION      IV, 

Gouvernement  de  Perfe, 

LE  Gouvernement  de  l'ancienne  Perfe  étoît  non-feulement      x x 1 1. 
Monarchique  mais  defpotique.  La  Couronne  quiétoit  hé-  de^'^^dïïTîSÎ 
jéditaire ,  paffoit  fur  la  têre  de  faîne  des  fils  légitimes  du  Roi  ^*'' 

{à)  Bernier ,  Voyez  à  ce  fujet ,  dans  cette  même  IntrodufHon ,  la  V^  Seâion  de  ce 
(3iap.  au  Sommaire  ;  Comment ftfaifok  ancicançmgat  en  Ei^rofi  U  commerce  £Omntfyc^ 

Tomel,  -        ■   '  Ul 


4;o  SCIENCE 

défunt*  Ce  Souverain  étoic  révéré  par  Tes  Sujets^  au  point 
qu'aucun  d'eux  n'ofoit  paroître  devant  fon  trône  fans  fe  prof- 
terner.  Ils  dévoient  fe  mettre  dans  cette  humble  attitude^  à 
quelque  diilance  qu'ils  apperçufTent  le  Monarque  >  &  iis  ne 
pouvoient  lui  adrefTer  la  parole ,  fans  lui  donner  le  titre  de  «Sef* 
gneiur ,  de  grand  Roi ,  ou  de  Roi  des  Rois.  Perfonne ,  pas  même 
fes  enfans ,  n'étoic  difpenfé  de  rendre  cet  hommage  au  Souve- 
rain >  8c  il  Texigeoit  même  des  AmbafTadeurs  Etrangers.  Le 
Capitaine  de  la  Garde  avoit  ordre  de  demander  à  ceux  qui  fou- 
haicoient  d'être  admis  à  Taudience  du  Roi ,  s'ils  étoient  difpofés 
à  Tadorer.  Lorfqu'ils  re&ifoient  de  fe  foumettre  à  cette  cérémo- 
nie humiliante  ,  on  leur  difoit  que  les  oreilles  du  Roi  n'étoient 
ouvertes  qu'à  ceux  qui  lui  rendoient  cet  hommage ,  &  ils  étoient 
obligés  de  régler,  avec  fes  Serviteurs  ou  fes  Eunuques  ,  les  a£^ 
jfaires  qui  les  a  voient  attirés  dans  fa  Cour  (a). 

En  Perfe  comme  en  Egypte ,  il  y  avoit  des  Loix  particulières 
contre  Tingratitude ,  Se  tout  homnne  qui  avoit  rendu  un  bon 
office  à  quelqu'un  ,  avoit  le  droit  d'intenter  une  aûion  en  Jus- 
tice contre  l'ingrat  qu'on  puniflbit  avec  beaucoup  de  féverité  ^ 
dès  que  le  crime  étoit  avéré  (  &). 

Les  enfans  des  Rois  étoient  élevés  avec  un  grand  foin  chear 
les  Perfes*  A  l'âge  de  quatorze  ans  on  mettent  le  Prince  qui  de* 
voit  fuccéder  à  la  Couronne  entre  les  mains  des  Précepteurs  du 
Roi.  Ccft  ainfi  qu  on  appelloit  ceux  qui  étoient  chargés  d'éle^ 
ver  l'héritier  préfomptif  de  la  Couronne.  G'étoient  les  quatre 
plus  grands  Seigneurs  choiHs  dans  la  vigueur  de  l'âge  y  les  plus 
fçavans ,  les  plus  juftes ,  les  plus  fages ,,  &  ks  plus  vaillaos  de 
toute  la  Perfe.  Le  premier  lui  enfeignoit  la  magie  de  Zoroaftre  , 

{a)  Plutar.  in  Themifthoc, 

{t)  Xcnophon  Cyrêped,  Z.  /;  Ammian,  Marctlt,  X.  ///;  Thcmifiod.  Orat.  IIL 


D  U  G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.  4^1 
c'efl-à-dire ,  dans  le  langage  des  Pcrfcs ,  la  fcience  du  Gouver^ 
nement  8c  celle  de  la  Religion,  Ceft  dans  ce  fens  que  Cyrus  le 
jeune  ,  fils  de  Darius  Nothus  y  écrivoit  aux  Lacedémoniens  ^ 
qu'il  éroit  plus  exercé  dans  la  Philofophie  &  mieux  inftruit  dans 
la  Magie  que  fon  frère  Arcaxerxés.  Le  fécond  lui  apprenoit  à 
dire  toujours  la  vérité ,  fut-ce  contre  lui-même.  Le  troifiéme 
l'inftruifoit  à  ne  jamais  fe  laiffer  vaincre  par  fes  paJQfions  y  afin 
qu'il  fe  maintînt  toujours  libre  &  toujours  Roi,  &  qu'il  eût  en 
tout  tems  un  empire  fur  lui-même  comme  fur  fes  peuples.  Le 
quatrième  le  drefibit  à  ne  craindre  ni  les  dangers  ni  la  mort  j 
parce  que  s'il  la  craignoit ,  de  Roi  il  deviendroit  efclave  (a)« 

Les  Rois  de  Perfes  faifoient  fouvent  plaider  en  leur  préfence 
les  Caufes  tant  civiles  que  criminelles ,  ôc  avoient  grand  foin 
que  la  Juftice  fut  bien  adminiftréc.  Après  avoir  écouté  avec 
beaucoup  d'attention  les  Plaidoyers  j  ils  employoient  quelques 
jours  à  confulter  ceux  qui  étoient  verfés  dans  la  connoiffance 
des  Loix ,  &  rendoient  enfuîte  le  jugement  (&).  Il  y  avoit  plu- 
fieurs  Juges  choîfis  avec  foin  parmi  les  pcrfonnes  de  probité  & 
les  gens  habiles ->  on  les  appelloit  les  Juges  Royaux  j  ils  admi- 
niftroient  la  Juftice  dans  des  tems  marqués  en  différentes  Pro- 
vinces ;  &  quelques-uns  d'entre  eux  accompagnoientleRoi  par- 
tout. Le  Monarque  leur  demandoit  fouvent  leur  avis  j  &  dans 
les  affaires  qui  le  regardoient  lui-même  ^  il  ne  manquoit  jamais 
de  s'en  rapporter  à  eux  (c). 

Xenophon  fait  un  grand  éloge  des  Loix  dés  Perfes  ^  qu'il  pré- 
fère à  celles  de  tous  les  autres  peuples.  Il  remarque,  à  cette  oc- 
cafion ,  que  les  autres  Lé^iflateurs  n'ont  décerné  des  châtimens 
que  pour  des  crimes  commis ,  fans  prendre  foin  d^empêcher 

Îa)  Dialogue  de  Platon  dans  fon  premier  Alcibiade  ;  &  Xenoph.  liv.  L  Cbap,  11^ 
bj  Philoftrat.  Lié. I.defkd Ap4^  Efipkan.  Ub.  Il dt MamchœU. 
c)  Hérodote  L.  III. 

'  LUij 


45^  SCIENCE 

qu'on  ne  fut  tenté  de  les  commettre  y  au  lieu  que  le  but  des  Loisf. 
de  Perfes  éroit  d'iofpirer  aux  hommes  Tamour  de  la  vertu  & 
rhorreur  du  vice  y  indépendamment  des  châtimens  &  des  ré- 
compenfes.  C'eft  pour  parvenir  à  cette  fin ,  que  les  parens  étoienc 
obligés  d'envoyer  les  enfans  à  des  écoles  publiques  y  où  Ton 
avoit  un- grand  foin  de  leur  éducation ,  &  d'où  ilsne  pouvoienc 
retourner  dans  la  raaifon  paternelle ,  que  lorfqu'ils  avoient  at* 
teint  l'âge  de dix-fcpt  ans  (a). 

Les  anciens  Perfes  étoient  dans  Tufage ,  à  la  mort  de  kur 
Roi,  de  paffer  cinq  jours  dans  l'Anarchie >  afin  que  l'expé- 
rience qu'ils  auroient  faite  des  meurtres ydes  rapines,  &  de  tous 
fes  malheurs  que  TAnarchie  entraîne  néccffairement  après  foi  ^ 
les  engageât  à  être  plus  fidèles  à  fon.Succefl'eur  (fc)^ 
XXI  IL  Zoroaftre,  fils  d'Oromaze,  fiirle  LégHlateur  des  anciens 

rwftrejwrLé-  Perfcs,  &  l'Auteut  ou  le  Réformateur  de  leur  Religion.  Sa 
Mémoire  eft  encore  aujourd'hui  en  grande  vénération  dans  le 
pays  auquel  il  donna  des  Loix.  Ses  livres ,  qu'on  appelle  le 
Zoniy  fubfiflrent.  L'on  y  trouva ,  parmi  quelques  préceptes  de 
morale ,  mille  fuperflitions  &  mille  fauflfes  idées ,  &  Ton  y  peut 
apprendre  que  fi^  les  anciens  font  grands ,  ce  n'eft  pas  d'une 
grandeur  abfolue ,  mais  d'une  grandeur  relative  à  leurs  contera* 
porains.  Voici»  quelques  maximes  de  morale  qu'on  voit  dans 
une  Verfion  Latine  d'une  Ouvrage  en  Vers ^ qui  n'eftlui-mème 
qu'une  Verfion*  en  langage  moderne,  d'une  partie  des  livres  de 
Zoroaftre  :  abrégé  qu'on  nomme  5fld-der  (  c.)t. 

«  Si  vous  voulez  être  Saint  &  vous  fauve;? ,  vous  avez  deux: 
«réglés  à  pratiquer.  L'une  , c'eft  queTt  vous  aimez  mieux  lePa- 

CaS  Xenopfi.  Cyropedi  liv.  E 

h)  Sextus  Empyricus  adverfus  MkthtmaU  Lih.  //.  §•  3^>  edk:  Pairie» 
(ç)  Cette  verfion  Latine  eft  de  H/d(e ,  dans  fon  Juvre.  l>i  Meligiotu  vittnm  Ptf^ 
fjirum^  imprimé  à  Oxfort  en  x^Op..  , 


DU    GOUVERNEMENT.       453 

i>  radis  que  toute  autre  chofe,  vous  ne  vous  empariez  pas  du 
j>  bien  d'autrui ,  car  le  Paradis  vaut  mieux  que  les  chofcs  de  ce 
»  monde  9  puifque  ce  monde  n'efl  que  comme  une  elpace  de  cinq 
w  jours  9  au  lieu  que  le  Paradis  eft  comme  une  durée  infinie.  Si 
ï>  la  pofleffion  du  Paradis  vous  eft  plus  agréable ,  n'attachez  pas 
»  votre  cœur  à  des  chofes  miférables.  Penfez  à  faire  du  bien  à 
»  chacun  ,  car  les  aStcs  de  bonté  font  des  œuvres  excellentes 
w  dans  cette  vie.  Faites  donc  aux  hommes  la  même  chofe  que 
»  vous  feriez  bien  aife  qu'ils  pratiquaflent  avec  vous.  L'autre 
»  règle ,  c'eft  de  n'ofFenfer  perfonne  de  la  langue,  mais  d'entre» 
w  tenir  par  votre  bonté  la  fociété  avec  les  hommes  (a). 

»  Propofez-vous  de  fuivre  la  vérité  fans  aucune  altération» 
,w  Recherchez-la  avec  foin,  car  elle  perfedionnera  votre  ame. 
»  De  tout  ce  que  Dieu  a  créé,  rien  n'eft  meilleur  que  la  vé- 
»nté(by 

>3  N'ayez  point  de  commerce  avec  une  femme  proftituée.  Ne 
9»  féduifez  pas  la  femme  d'autrui,  quoiqu'elle  plaife  à  votre  cœur' 
»  &  qu'elle  vous  dreffe  des  pièges  (  c  ). 

»  N'ofFenfez  pas  votre  père  qui  vous  a  élevé ,  ni  votre  mère' 
>3  qui  vous^  a  porté  neuf  mois  dans  fon  fein ,  ni  le  Prêtre  quî 
a>  vous  a  inftruitdes  maximes  de  la  bonté  &  de  la  vertu.  Lorf- 
»  que  vos  parens  vous  auront  commandé  quelque  chpfe ,  levez- 
»  V'Ous  gayement  pour  leur  obéir  (d). 

7>  Inftruifez  les  enfans,  &  alors  fçachez  que  toutes  les  bonnes- 
»  œuvres  qu'ils  feront ,  ce  fera  comme  fi  leurs  parens  les  a  voient" 
•  faites  eux-mêmes. . . . .  Celui  qui  vit  dans  l'ignorance  necoa«r 
»  noît  ni  Dieu  ni  la  Religion  (e)  »• 

(a)  Sad-der  Port.  LXXV. 
h)  Port.  LXVIII 
x)  Port.  LXIX. 


I 


J)  Port.  XUV. 
OPort.  LV.. 


454  SCIENCE 

Les  raîfofis  fur  lefquellcs  on  fonde  quelques  unes  de  ces  maxi- 
mes ^  font  déplorables.  On  y  dit  qu'il  ne  faurpas  débaucher  la 
femme  de  fon  prochain  ^  parce  que  fi  après  cela  le  mari  venait  à 
s'approcher  de  fa  femme  ,  il  commettrait  un  péché,  tout  comme  s'il 
avait  affaire  aune  Courtifane  (a).  Quiconque  (  dit-on  encore) 
cura  eu  commerce  avec  une  femme  de  joie  j  perdra  pendant  qm^ 
rante  jours  fon  entendement ,  fa  fcience  y  ^  fa  pénétration  ,  il  nz 
pourra  point  fe  conduire  (  6  )  &c.  On  confeille  ailleurs  de  fc  ma- 
rier de  bonne  heure ,  parce  que  les  enf ans  font  comme  le  pont  du 
dernier  jugement  :  de  farte  que  ceux  qui  ri  auront  point  £  enf  ans  en 
ce  jour-là  ne  pourront  pas  paffer  dans  leféjour  de  F  immortalité  ^ 
If  demeureront  en  deçà  de  Vabtme  qui  lefépare  du  monde.  Il  faut 
0 vouer  cependant,  que  T Auteur  ne  Hjanque  pas  d*alleguer  fou-; 
•vent  le  motif  général  des  peines  &  des  récompenfes  d'une  autre 
vie.  Zoroaftre  Tenfeignoit  avec  une  efpéce  de  réfurredîon  ,  & 
il  debitoit  fur  cela  mille  imaginations  groffieres  &  abfurdes. 
G^^rnïment      ^^  ConquéraM  Tartare  Tamerlan  foumit  la  Perfe ,  aufli  bien 
dts^Perfans  mo-  que  le  Mogol.  Les  Perfens  d'aujourd'hiri  font  MaTiométans  de 
Religion,  de  la  feÔe  de  Hall,  gendre  de  Mahomet.  De  tous 
les  Sophis  ou  Rois  de  Perfe  ,  Schach  Abas  (c)  eft  celui  qm  a 
régné  le  plus  glorieufement.  Jufqu*à  lui ,  les  nouveaux  Rois  de 
Perfe  n'avoient  exercé  qu^une  autorité  affez  modérée  ;  mais  il 
établit  un  Gouvernement  abfolument  defpotîque  qui  fubfiftè 
encore  aujourd'hui  ,  &  diminua  Tautorîté  des  Courtches ,  qui 
compofoient  le  Corps  de  Milice  le  plus  redoutable  aux  Rois. 
Depuis  fon  règne ,  la  Perfe  avoir  été  floriffantc  (  d) ,  mais  les  dî- 
verfes  révolutions  qui  y  font  arrivées  depuis  quarante  ans ,  par 

(a)  Port.  LXIX. 
m  Ibid. 

le)  Mort  en  1619. 
la)  Chardin. 


DU     GOUVERNEMENT.      455 

le  maffacre  de  la  famille  régnante ,  par  rufurpation  de  Merî- 
veïs  ^  de  fon  frère ,  de  fon  neteu ,  &  de  fon  fils  ,  &  les  Traités 
qu  elle  avoit  été  obligée  de  foire  dans  ces  circonftances  ora- 
geufes  avec  le  Czar  &  avec  le  Grand  Seigneur  ,  Ta  voient  extrê- 
mement afFoiblie.  Un  nouvel  ufurpateur  j  Koulikan ,  avbit  en- 
trepris de  lui  rendre  toute  fa  gloire ,  mais  il  n'a  pas  plus  trouvé 
de  fidélité  dansfes  Miniftres ,  qu'il  n'en  avoit  eu  lui*-même  pouf 
fon  Maître.  On  peut  voir  ce  que  j'en  dis  ailleurs  (  a  ). 


SECTION     V. 

Gouvernement  de  divers  autres  Etats  de  tAJie. 

LE  Royaume  de  Corée ,  qui  paye  un  tribut  à  l'Empereur  xxv. 
de  la  Chine ,  comme  je  lai  dit  en  parlant  de  cet  Empire ,  ^^  ^  ^^^'^*' 
eft  à  l'extrémité  de  l'A  fie.  Ses  bornes  au  Nord  &  à  l'Eft  font  le 
pays  des  Tartares  Mancheous  ;  à  l'Oueft  il  eft  bordé  par  une 
Province  Chinoife  ,  &  féparé  de  la  Tartarie  Orientale  par  une 
paliflTade  de  bois  ;  à  PEft  &  au  Sud ,  il  eft  environné  de  la  mer, 
La  longueur  de  la  Corée  eft  d'environ  1 50  lieues  du  Nord  aii 
Sud  ;  &  fa  largeur  de  75  lieues  de  l'Eft  à  l'Oueft  (6). 

Cette  Peninfule  eft  arrofée  par  plufieurs  rivières ,  &  divifé« 
en  huit  Provinces  qui  contiennent  40  Cités  ou  Diftrifts,  33 
Villes  du  premier  rang  ;  58  du  fécond ,  8c  jo  du  troifiéme.  Ces 
Provinces  font  fort  bien  cultivées  ,  &  on  y  fuit  la  méthode  dci 
Provinces  Méridionales  de  la  Chine.  Le  pays  produit  toutes 
les  néceffités  de  la  vie  ;  &  quoiqu'il  foit  rempli  de  montagnes  ^ 
il  eft  d'une  fertilité  extraordinaire.  Les  principales  marchan-* 

(a)  Dans  la  XXIV«  Seaion  du  Chap.  VII«  de  cette  Introduaion. 
\b)  Hiftoire  générale  des  Voyages ,  Tom*  VI,  pag,  500  &  fuivantef. 


455  SCIENCE 

difes  de  ce  Royaume  font  le  papier  de  coton  qui  eft  fort  &  à 
meilleur  marché  qu  aucun  papier  de  la  Chine  ,  une  fameufe 
plante  ,  Tor ,  l'argent ,  le  fer ,  la  gomme  d'un  arbre  qui  ref- 
femble  au  palmier ,  &  qui  donne  un  air  de  dorure  au  vernis  ^ 
des  poules  dont  la  queue  a  trois  pieds  de  long  ,  des  chevaus 
qui  n'ont  que  trois  pieds  de  hauteur ,  du  fel  minerai ,  des  peaux 
de  martre  &  de  Caflor  ,  du  vin  qu'on  fait  avec  une  efpéce  de 
grain.  Les  habitans  de  la  Corée  n'ont  guère  d'autre  commerce 
qu'avec  les  Japonois  &  quelques  autres  Infulaires. 

Les  Coréens  font  de  leur  pays  une  Hifloire  toute  aufll  an- 
cienne 6c  toute  aufli  fabuleule  que  celle  que  les  Chinois  font  du 
leur«  Les  Chinois  &  les  Japonois  fe  font  difputés  plufieurs  fois 
la  Corée  y  &  elle  eft  demeurée  tributaire  des  Chinois. 

La  grande  muraille  que  les  Coréens  avoient  élevée  pour  leur 
défenfe  contre  les  Tartares  ,  eft  fort  inférieure  à  celle  de  la 
Chine. 

On'nous  dit  qu'un  des  Princes  des  Coréens  avoît  établi  patrmf 
eux  de  fi  bonnes  Loix ,  que  l'adultère  &  le  vol  y  étoient  inconfp 
nus  ;  que  les  portes  de  leur  maifon  ne  fe  ferment  jamais  pendant 
la  nuit }  que  leç  révolutions  de  leur  Gouvernement  leur  ont  fait 
perdre  quelque  chofe  de  cette  ancienne  innocence  ;  mais  qu'on 
peut  encore  propofer  les  Coréens  pour  modèle  aux  autres  Peu- 
ples. Les  mêmes  Auteurs  (  a  )  qui  nous  en  donnent  cette  idée 
avantageufe  ^  rapportent  en  même-tems  que  le  pays  eft  rempli 
de  femmes  de  débauches  ;  que  les  jeunes  gens  des  deux  fexes  y 
font  trop  libres  ;  que  les  Coréens  ont  tant  de  penchant  pour  le 
larcin  &  tant  de  difpofitions  naturelles  à  tromper ,  qu'on  ne 
peut  prendre  aucune  confiance  en  leurx:aradere  ;  qu'enfin  ils  rcr 
gardent  fi  peu  la  fraude  comme  une  infamie  ,  qu'ils  fe  font  une 

{4)  Hill»  gén^.  des  Voyages ,  ubi  fupra. 

gloirç 


DU  GOUVERNEMENT,  45^7 
gloire  d*avoir  trompé  quelqu'un.  Cela  fuppofé ,  que  devient 
cette  innocence  des  Coréens  y  qu  on  croit  pouvoir  propofer 
pour  modèle  aux  autres  Nations  ? 

Les  châtimens  ont  peu  de  rigueur  à  la  Corée.  Des  crimes  qui 
pafTentpour  capitaux  dans  d'autres  pays  y  ne  font  punis  chez  les 
Coréens  que  du  banniflement  dans  une  Ifle  voifine  ;  mais  un 
fils  qui  maltraite  de  paroles  fon  père  ou  fa  mère  ^  eft  condamné 
à  perdre  la  tête. 

Le  mariage  entre  les  Coréens  eft  défendu  jufqu'au  quatrième 
degré.  Il  exige  peu  de  foins  de  la  part  des  hommes ,  parce  qu  on 
fe  marie  dès  Tâge  de  huit  ou  dix  ans.  Les  jeunes  femmes ,  à 
moins  qu  elles  ne  foient  filles  uniques-ihabitent  dans  le  moment 
la  maifon  de  leurs  beaux-peres ,  jufqu  à  ce  qu'elles  ayent  appris 
à  gagner  leur  vie  &  l'art  de  gouverner  leur  famille.  Le  jour  du 
mariage ,  Thomme  monte  à  cheval ,  accompagné  de  fes  amis  ^ 
fe  promené  dans  tous  les  quartiers  de  la  Ville  ^  &  s'arrête  enfin 
à  la  porte  de  fa  maîtrefle.  Elle  eft  reçue  par  fes  parens  qui  la 
Gonduifent  chez  lui ,  &  le  mariage  eft  confommé  fans  autre  cé- 
rémonie. Les  hommes  peuvent  avoir  hors  de  leurs  maifons  au- 
tant de  femmes  qu'ils  font  capables  d'en  nourrir  &  les  voir  li- 
brement ;  mais  ils  ne  peuvent  recevoir  chez  eux  que  leurs  véri- 
tables femmes.  Si  les  gens  de  qualité  en  ont  deux  ou  trois  dans 
leurs  propres  demeures  ^  elles  n'y  prennent  aucune  part  à  la 
conduite  de  leur  famille.  Les  mariages  fe  font  fans  aucun  préfent 
nuptial.  Les  Princes  &  les  Princeffes  du  Sang  fe  marient  entre 
eux  9  &  le  même  ufage  eft  établi  parmi  les  Grands. 

La  Coutume  de  la  Corée  eft  de  conferver  les  morts  fans  fé- 

pulture  pendant  Tefpace  de  trois  ans.  Le  deuil  dure  auffi  cet  ef- 

pace  de  tems  pour  un  père  &  une  mère ,  &  trois  mois  feulement 

pour  un  frçrç.  Lorfqu  on  enterre  les  morts  .>  on  place  à  côté  du 

Tomcl.  M  mm 


45»  SCIENCE 

tombeau  les  habits  &  les  chevaux  de  celui  qui  reçoit  ce  dernier 
joffice  avec  tout  ce  qu'il  aimoit  beaucoup  ;  &  chacun  de  cewt 
qui  compofent  le  cortège ,  porte  quelque  partie  de  ces  lugubres- 
ornemens.  Les  Coréens  ne  peuvent  exercer  aucun  eaiploi  pen- 
dant Te  tems  du  deuil ,  &  s'ils  occupoient  quelque  poile  ^  ils  font 
obligés  de  le  quitter.  La  Loi  ne  leur  permet  pas  même  de  cou«^ 
cher  avec  leurs  femmes^  ôc  les  enfans  qui  leur  naîtroienc  ne£> 
roient  pas  mis  au  rang  des  légitimes* 

La  doârine  de  Confucius  eft  fort  eflimée  des  Coréens;  mais 
ils  n'ont  pas  le  même  refpeâ  pour  les  Bonzes.  Us  font  idolâtres  ^ 
&:croyentque  lebienefl  récompenfé  &  le  vice  puni  dans  une 
autre  vie..  L'emploi  de  leurs  Prêtres  efl  d'offrir  aux  Idoles  deux 
fois  le  jour  des  parfums.  Les  jours  de  Fêtes  ^  tous  les  Religieux 
de  chaque  maifon  font  beaucoup  de  bruit  avec  des  tambours  ^ 
des.  bafîins  &  des  chaudrons.  Cefl  aux  contrîbudons  du  Peuple 
qu'ils  doivent  leurs  Monaileres  ôc  leurs  Temples  y  dont  la  plu^ 
part  font  fîtués  fur  des  montagnes.  Quelques-uns  contiennent 
cinq  ou  (îx  cens  Religieux ,  &  le  nombre  de  cette  efpece  de 
Prêtres  eft  fi  grand  >  qu'on  en  voit  julqu'à  trois  ou  quatre  mille 
dans  le  difbriâdeplufieurs  Villes  ;  ils  font  divifés  comme  en  eC- 
couades  de  dix  ,  de  vingt  3^  &  quelquefois  de  trente.  Ceft  le 
plus  vieux  qui  gouverne ,  âc  ces  gens-là  ne  font  pas  plus  ref- 
peûés  que  des  efclaves»  Le  Gouvernement  les  accable  de  taxes  ,, 
&  les  afliijettit  à  divers  travaux  ;  mais  leurs  Supérieurs  jouilTent 
d*une  grande  coniidération,  portent,  fur  leurs  habits  la  marque* 
de  leur  Ordre  ^  &  vont  de  pair  a^vec  les.  Grands  du  Royaume». 
On  les  nomme  les  Religieux  du  RoL 

Sior>  Capitale  du  Royaume^  contient  deux  Monaiiere»  de 
femmes  ;  dans  l'un  y  on  ne  reçoit  que  de  jeunes  allés  de  qualité  j: 
tmxxc  en  admet  d'i^  rang  inférieur  £UeS:  font  coûtes  ralées  ^ 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       ^S9 

&  leurs  devoirs  ne  font  pas  difFérens  de  ceux  des  hommes* 

Les  Ambafladeurs  du  Roi  de  Corée  font  peu  refpeâés  à  la 
Chine ,  à  caufe  de  la  dépendance  où  ce  Prince  efl  de  TEmpe- 
reun  Lorfque  le  Roi  des  Coréens  meurt  ou  qu^il  abdique  la 
Couronne  ,  l'Empereur  de  la  Chine  confie  à  deux  Grands  de 
TEmpire  U  commiflîon  d'aller  donner  au  Prince  héréditaire  le 
titre  de  Roi,  Si  le  Roi  mourant  appréhende  qu'il  n'y  ait  quelque 
différend  pour  la  fucceflion  après  fa  mort ,  il  fe  choifit  un  héri- 
tier dont  il  demande  la  confirmation  à  l'Empereur.  Le  Prince 
qui  fuccede ,  reçoit  la  Couronne  à  genoux  y  8c  fait  aux  Corn- 
miflaires  Chinois  des  préfens  réglés  par  l'ufage.  Il  envoyé  en- 
fuite  fon  tribut  à  TEmpereur ,  par  un  Âmbaffadeur  qui  baifle  le 
front  jufqu'à  terre  devant  ce  grand  Monarque ,  &  fa  femme  en 
attend  auffi  la  permiffion  pour  prendre  la  qualité  de  Reine* 

Quoique  le  Roi  de  Corée  reconnoiffe  fa  dépendance  de  PEm- 
pereur  de  la  Chine  par  un  tribut ,  fon  pouvoir  n'en  eft  pas 
moins  abfolu  fur  fes  propres  fu jets.  Aucun  d'eux,{ans  en  excep- 
ter les  Grands ,  n'a  la  propriété  de  fes  terres }  ils  n'en  tirent  le 
revenu  &  celui  qui  leur  revient  de  la  multitude  de  leurs  efclaves, 
que  fous  le  bon  plaifir  du  Roi  ^  &  pour  le  tems  qu'il  lui  plaît* 
Quelques-uns  d'entre  ces  Grands  ,  ont  jufqu  à  deux  ou  trois 
cens  efclaves.  Lorfque  le  Roi  fon  de  fon  Palais ,  il  eft  accom^ 
pagné  de  toute  la  Nobleffe  de  fa  Cour ,  &  porté  fous  un  dais 
fort  riche.  Chacun  garde  un  profond  filence ,  &  la  plupart  des 
(bldats  mettent  à  leur  bouche  un  petit  bâton ,  afin  qu'on  ne 
puiffe  pas  les  accufer  d^avoir  fait  le  moindre  bruit.  Tous  ceux 
qui  fe  trouvent  fur  le  paffage  du  Roi  ,  Officiers  ou  Soldats  ^ 
font  obligés  de  tourner  le  dos  ,fans  ofer  jetter  fur  lui  le  moindre 
regard ,  ni  même  touffer.  Ce  Prince  entretient  dans  fa  Capitale 
|in  j^rand  ootobre  de  troupes  ^  dont  Tunique  occupation  efl:  de 

M  ro  m  i j 


460  SCIENCE 

veiller  à  la  garde  de  fa  perfonne  &  de  Tefcorter  dans  fes  mar- 
ches. Les  Provinces  font  obligées  tour  à  tour  d'envoyer  une 
fois  tous  les  fept  ans ,  leurs  Habitans  de  condition  libre  ,  poirr 
le  garder  Tefpace  de  deux  mois.  Chaque  Province  a  fon  Géné- 
ral ,  &  quatre  ou  cinq  Colonels  dont  chacun  a  le  même  nom- 
bre de  Capitaines.  Chaque  Capitaine  eft  Gouverneur  d'une 
Ville  ou  de  quelque  Fort.  Il  n^  a  pas  de  Village  qui  ne  foie 
commandé  du  moins  par  un  Caporal ,  qui  a  fous  lui  une  forte 
d'Officiers  dont  le  commandement  s'étend  fur  dix  hommes. 
Ces  Caporaux  doivent  préfcnter  une  fois  Tannée  à  leur  Ca- 
pitaine ,  la  Lifte  du  Peuple  qu'ils  ont  fous  leur  Jurifdidion. 

Les  revenus  du  Roi  de  Corée  pour  l'entretien  de  fa  maifon 
&  de  fes  forces ,  confiftent  dans  les  droits  qui  fe  lèvent  fur  toi>- 
tes  les  produûions  du  pays  ,  &  fur  les  marchandifes  qu'on  y  ap- 
porte par  mer.  On  trouve  dans  toutes  les  Villes  &  dans  tous 
les  Villages  des  magazins  pour  la  dixme  ,  que  les  Fermiers 
Royaux  ,  gens  de  Tordre  commun ,  recueillent  au  tems  de  la 
moiffon ,  avant  que  les  biens  de  la  terre  foient  fortis  du  champ. 
Les  Officiers  publics  font  payés  de  leurs  appointemens  fur  les 
productions  des  lieux  de  leur  réfidencc.  Ce  qui  fe  levé  dans  les 
Provinces  eft  affigné  pour  le  payement  des  forces  de  mer  &  de 
terre.  Outre  cette  dixme  ,  tous  ceux  qui  ne  font  point  enrollés 
dans  la  milice  ,  doivent  employer  trois  jours  de  Tannée ,  au 
travail  que  leur  pays  leur  impofe.  Chaque  Soldat ,  Fantaffin  , 
ou  Cavalier  ,  reçoit  tous  les  ans  j  pour  fe  vêtir ,  trois  pièces 
d'étoffe  de  valeur  de  4J0  liv.  de  notre  moraioye.  C'eft  une 
partie  .de  leur  paye  dans  la  Capitale.  On  ne  connoît  point  dans 
la  Corée  d'autres  droits  ni  d'autres  taxes. 
De  h^Vancîc  Lcs  Contrées  d'Afie&  d'Europe  que  les  anciens  oncnqm- 
TartaricfSumife  ga^es  la  Scythic  ,  nous  les  nommons  la  Tartarie^  Aucun  Peuple 


U  Chine. 


D  U  G  cru  VE  R  N  E  M  E  I^  T.  461 
ne  s'eft  rendu  plus  célèbre  que  lesTartares.Us  ont  conquis  Tin-  à  rEmpereur  dt 
douftan  ,  la  Chine  ,  la  Perfe ,  &  des  Peuples*  Tartares  poffe- 
dent  encore  des  Etats  en  Afie  &  dans  notre  Europe.  Gingif- 
kam  y  Capitaine  Tartare,  cft  Tun  des  plus  fameux  conquérans 
•  que  la  terre  ait  porté  (a). 

La  grande  Tartarie  efl  toute  entière  fous  la  domination  de 
l'Empereur  de  la  Chine ,  Tartare  lui-même  d*origine.  Il  enpof- 
fede  une  partie  immédiatement ,  &  il  efl  le  Seigneur  fuzerain 
de  Tautre  partie ,  occupée  par  divers  Princes  Tartares  fes  Vaf- 
ikux  &  fes  Tributaires. 

Le  pays  qui  porte  en  général  le  nom  de  Tartarie,  eft  d'une 
vafte  étendue.  Ses  bornes  à  TEflfont  l'Océan  Oriental  ou  la 
mer  de  Tartarie  ;  à  TOueft ,  il  eft  bordé  par  la  mer  Cafpienne 
&  par  des  rivières  qui  le  féparent  de  la  Ruflîe  ;  au  Nord  ,  par 
la  Sibérie  Ruflienne  ;  au  Sud  ,  par  le  Royaume  de  Karazin  , 
les  deux  Bulgaries  ,  la  Chine  &  la  Corée.  Il  occupe  auffi  la 
moitié  de  TAfie ,  de  FOucft  à  TEft ,  fa  fituation  étant  entre  ^5 
Se  166  degrés  de  longitude,  &  entre  le  37  &  le  y o  degré  de 
latitude.  Il  contient  par  conféquent  86  degrés  de  longitude^ 
c>ft-à-dire  3^00  milles  de  longueur  ,  de  TOueft  à  TEft  ,  &  18 
degrés  de  latitude  j  qui  font  du  Nord  au  Sud  ^60  milles  dans  fa 
plus  grande  largeur  ,  quoique  dans  d'autres  endroits  il  n'en  ait 
pas  plus  de  330, 

Malgré  cette  vafte  étendue  ,  la  Tartarie  n'approche  pas  de 
la  grandeur  qu'elle  avoir  fous  l'Empire  de  Gingijham  &  de  fes. 
fuccefleurs ,  qui  la  réduifirent  entièrement  fous  leur  domination, 
avec  coûte  l'Afie  méridionale  ;  mais  lorfqu'elle  fut  démembrée 
par  les  divifions  qui  s'élevèrent  entre  les  Chefs  des  Hordes  ou 

{a)  II  naquit  en  1 164  >  &  mourut  en  1227 ,  après  avoir  règne  25  ans  en  qualité  de 
Grand  Kanw 


é^U  •  SCIENCE 

des  Tribus  I  toutes  les  PuifTances  voifines  en  uTurperenc  quet 
que  partie  9  furnut  les  Ruflesqui  conquirent  du  côté  de  TCXieft 
prefque  tout  cet  efpace  dont  TËmpire  de  Kapchak  ou  Kipjak 
étoic  compofé  ;  &  qui  ^  s'étendant  à  TOueft  du  Don  ^  forinoic 
prefque  Un  quart  du  monde  connu*  Au  Nord  ^  ils  reculèrent 
fort  loin  les  bornes  de  la  Sibérie  ,  en  fe  faififTant  du  pays  des 
Kalmulks  que  d'autres  écrivent  Calmoucks  ,8c  de  cthû  desKaU 
kas  >  particulièrement  vers  les  fources  de  la  rivière  drirtiche  ; 
où  ils  ont  reflerré  ces  Peuples  dans  des  bornes  plus  étroites. 

D'une  (i  grande  région ,  plus  de  la  moitié  appartient  aujour« 
d'hui  immédiatement  à  r£mpereur  de  la  Chine  ^  en  tirant  à 
TEIl  vers  la  fameufe  montagne  d'Altaye ,  dans  un  efpace  d'en- 
viron I  {o  degrés  de  longitude.  Toute  cette  grande Tartarie  eft 
occupée  par  doux  (brtes  de  Peuples  y  dont  les  branches  onc 
formé  piufieurs  Nations  ou  plufieurs  Tr^us  y  aulli  différentes 
par  leurs  ufages  &  leurs  moeurs ,  que  par  leur  langage. 

JU  première  eft  celle  qu'on  connoît  aujourd'hui  fous  le  nom 
de  Mancheons  ou  de  Tartares  Orientaux  ^  comme  on  connoît 
leur  pays  fous  le  nom  de  Tartarie  Orientale.  La  féconde  ed 
compofée  des  Mongols  ,  nommés  communément  Tartares  Oc^p 
cidentaux ,  donc  le  pays  y  qui  fe  nomme  Tartarie  Occidentale^ 
s'étend  jufqu'à  la  mer  Çaipienne#  Chacun  de  ces  deux  Peuples 
eft  divifé  en  plufieurs  autres  Nations ,  fiirtout  les  Mongols  quf 
font  (ans  comparailbn  les  plus  nombreux.  Pendant  plufieurç 
iiécles  ^  ils  n'ont  été  connus  de  nous  que  fous  le  nom  de  Turcs  ; 
&  les  Ecrivains  du  Levant  les  ont  diftingués  fous  le  nom  de 
Turcs  Orientaux  &  Occidentaux.  Au  treizième  fiécle ,  étanr 
conduits  par  Gingiskam  y  ils  fe  rendirent  célèbres  fous  le  nom 
de  Mongols  Çc  de  Tartares  qui  étoient  ceux  de  leurs  princi-^- 
pales  Hordes  ;  mais  dans  la  fuite  y  ce  grand  Empire  étant  tomb^ 


DU  GOUVERNE  ME  NT.  4<Jj 
•en  ruine  >  la  plus  grande  partie  du  pays  n'eft  plus  qu'un  defert 
continuel ,  fens  Villes  8c  fans  habitations.  Cette  contrée  eft  di- 
vifée  en  trois  grands  Gouvernemens.  Depuis  que  les  Tartares 
font  maîtres  de  la  Chine ,  ils  ont  établi  daos  la  Tartarie  les  mê- 
mes Tribunaux  Souverains  qu'à  Peking ,  à  l'exception  de  celui 
qui  fe  nomme  Llpu.  Ces  Tribunaux  ne  font  compofés  que 
4'Habitans  naturels  du  Pays  ^  &  tous  les  aâes  font  écrits  en  lan- 
gue &  en  caraderes  Manchéons.  Quantité  de  Chinois  s'y  étant 
retirés ,  le  commerce  de  la  Tartarie  eft  prefque  entièrement  entre 
leurs  mains» 

Le  Pays  des  Mongols  qui  forme  la  partie  Occidentale  >  paffe 
j>our  avoir  été  le  théâtre  des  plus  grandes  avions  que  l'Hiftoire 
attribue  aux  Tartares  de  l'Orient  &  de  l'Occident.  Ceft-là  que 
le  grand  Empire  de  Gingiskam  8c  de  fes  focceiTeurs  prit  naif- 
Êmce  &  eut  fon  fiége  principal.  Là  y  furent  fondés  plufieurs 
Empires.  De-là,  comme  de  fon  origine'^  vient  le  préfent  Em- 
pire des  Tartares  Orientaux  des  Manchéons.  Là  ,  pendant  plu-^ 
fieurs  (îécles ,  on  vit  dès  guerres  fanglantes  8c  quantité  de  ba- 
tailles qui  décidèrent  du  deftin  d^Monarchies.  Là  y  toutes  les 
richeffes  de  TAfie  méridionale  forent  plufieurs  fois  réunies  & 
Aiffipées.  Enfin  ,  c'eft  dans  ces  deferts  que  les  Arts  &  les 
Sciences  forent  long-tems  cultivés ,  8c  que  fleurirent  quantité 
de  puiflantes  Villes  dont  on  a  peine  aujourd'hui  à  diftinguer 
les  traceSk 

Les  Mongols  errent  de  place  en  place  avec  leurs  troupeaux  ^^ 
s'arrêtant  dans  les  lieux  où  ils  trouvent  le  plus  de  fourage  ;  en 
été ,  près  de  quelque  rivière  ou  de  quelque  lac  ;  en  hyver>  du^ 
coté  méridional  de  quelque  «montagne^  où  la  neige  fondue  leur 
fournit  de  l'eau*  Leurs  alimens  font  fort  fimples.  Pendant  l'été  >? 
ils  it  nourrUfent  de  laitage  ^  fans  mettre  aucune  différence  entxe^ 


4^4  SCIENCE 

le  laie  de  leurs  vaches  i  de  leurs  jumens  ^  de  leurs  brebis  8c  de 
leurs  chèvres.  Ils  boivent  de  l'eau  bouillie  avec  le  plus  mauvais 
thé  de  la  Chine ,  &  y  mêlent  de  la*  crème ,  du  beurre  ou  du  lait. 
Ils  font  audi  une  liqueur  fpiritueufe  avec  du  lait  aigre  ^  furcout 
avec  du  lait  de  jument  qu'ils  diftillent  après  l'avoir  fait  fer- 
menter. 

Quoique  la  Polygamie  leur  foit  permife,  ils  n'ont  pas  ordi- 
nairement plus  d'une  femme. 

.  Leur  ufage  eft  de  brûler  leurs  morts  &  d'enterrer  les  cendres 
dans  quelque  lieu  élevé ,  où  ils  forment  un  amas  de  pierres  fur 
lequel  ils  placent  de  petites  bannières. 

Les  Mongols  habitent  fous  des  tentes  ou  dans  des  cabanes 
mobiles  y  &  vivent  enfemble  des  produâions  de  leurs  befliaux. 

Leur  Religion  confifte  dans  le  ^culte  de  l'Idole  Fp.  Ils 
croyent  à  la  tranfmigration  des  âmes.  Ils  rendent  une  obéif- 
fance  aveugle  aux  Lamas  qui  font  leurs  Prêtres  &  à  qui  ils  don- 
nent ce  qu'ils  ont  de  meilleur  8c  de  plus  précieux.  Tous  ces  . 
prêtres  dépendent  du  grand  Lama  qui  habite  à  l'Ouefl  de  la 
Chine  ,  fur  la  rivière  de  la  Jly.  Ce  Souverain  Pontife  du  Pa- 
ganifme  dans  les  régions  Orientales  y  confère  à  (es  Lamas  divers 
degrés  de  pouvoir  8c  de  dignité  y  dont  celui  de  Fo  vivant  eft  le 
plus  éminent.  Un  titre  fi  diftingué  n'eft  le  partage  que  d'un  petit 
nombre  d'entr^çux. 

Les  contrées  où  les  bannières  des  Mongols  entretiennent  un 
grand  nombre  de  Princes  diftingués  par  difFérens  titres.  Le 
nombre  n'en  eft  pas  fixé ,  parce  qu'il  dépend  toujours  de  la  vo- 
lonté de  l'Empereur  de  la  Chine  qui  eft  leur  grand  Kam  y  8c 
qui  les  élevé  ou  les  dégrade ,  félon  leur  bonne  ou  leur  mau- 
vaife  conduite. 
iJVJ'etitf     ^^  petite  Tartarie  ou  Crimée  eft  poffédéepar  un  des  defcen- 

dans 


DU    GOUVERNEMENT.      ^6^ 

idans  de  Gîngîskam  ^  tributaire  du  Grand  Seigneur.  Il  y  a  des  Tartarîe ,  tribu- 
Tàrtares  de  Budziack  ,  il  y  en  a  de  Nogaï ,  il  y  en  a  qu'on  ap-  sd|neur. 
pelle  Uibecs  Rois  du  Mawaralnaliar  ^  qui  ont  chacun  fa  Souve- 
raineté particulière  dans  ce  Royaume.  L'un  ell  Kam  de  Bocara^ 
Taurre  de  Samarcandej  un  troifieme  de  Balkhe ,  &  ainfî  dequel- 
ijues  autres.  Des  Tàrtares  qu'on  appelle  Kalmoucks ^[ont  tribu- 
taires delà  Ruflîc.  Il  eft  enfin  des  Tàrtares  dont  le  nom  eft  à 
peine  connu.  Chacun  de  ces  Tàrtares  a  fon  Kam  particulier ,  & 
tous  cesKams  font  indépendans  du  ^rand  Kam  des  Tàrtares 
qui  a  conquis  la  Chine. 

Tous  les  Tàrtares  ,  tant  de  Mue  que  de  l'Europe^  reflem- 
blent  encore  ^x  &ythes  leurs  ancêtres.  Us  mènent  communé- 
ment une  vie  vagabonde  ^  fi  Ton  en  excepte  quelques  Villes 
maritimes  cju^on  trouve  dans  la  petite  Tartarie  ,  dans  la  Bûcha- 
rie  &  ailleurs  ,  dont  les  Habitans  profeiTent  Ja  Religion  Maho*- 
métane  ^  &  font  gouvernés  defpotiquement  comme  les  Turcs  ^ 
les  Perfans  &  les  autres  Orientaux.  Un  voyageur  récent  (a) 
rend  un  témoignage  honorable  à  Thofpitalité  des  divers  peuples 
Tàrtares  dont  il  a  parcouru  les  terres  ,  quoiqu'ils  fe  foient  ren- 
dus redoutjibles  par  leurs  brigandages  furies  Chrétiens  de  Po-^ 
logne  Se  de  Ruflîe  ,  d'où  ils  ont  anciennement  enlevé  un  grand 
Jiombre  d'efclaves  qu'ils  ont  vendus  aux  Turcs  &  aux  Perfans. 

Le  Royaume  dç  Tonquin ,  autrefois  poffédé  par  l'Empereur  x^viil 
de  la  Chine ,  &  démembré  de  cet  Empire ,  il  y  a  neuf  fiéçhs  , 
«ft  grand  à  peu  près  comme  la  Francp.  Il  cpmmepcç  audix-hui- 
tieme  degré  d'élévation  &  va  jufquau  vingt-quatrième^  Quoi*, 
qu'il  foit  fitué  fous  la  Zone  torridç ,  il  ne  laifle  jpas  d'être  beau 
jk  fertile  ;  tl  eft  entrecoupé  de  plus  4e  cinquante  rivières  &  ar- 
irofé  de  la  mer  des  deijjj:  côtés  ^  S^  1^  température  dp  Tairy  eft 

^a)  La  Motraye^ 


De  S'iaau 


j^66  SCIENCE 

très-bonne.  Tous  les  Mandarins  civils  &  militaires  tbnt  Etinn-» 
ques  9  &  on  nous  dit  que  dans  ce  pays-là  les  Eunuques  nç  peu* 
vent  fe  pafler  de  femmes  &  qu'ifs  fe  marient  (  ^  )•     • 
XXIX.  La  Cochinchine  quifaifoit  une  partie  du  Tonquîn ,  forme  un 

«hinc/*  ^'^^*^"  Royaume  feparé  depuis  qu'elle  en  a  été  détachée  (  6  ).  La  Co--' 
chinchine  a  en  étendue  environ  le  quart  de  la  France» 
XXX.  Le  Royaume  de  Laos  eil  fitué  entre  deux  hautes  montagnes 

qui ,  à  l'Orient ,  le  féparent  du  Tonquin  &  de  la  Cochinchine  ^ 
au  couchant  du  Royaume  deSiam  &  de  celui  d'Ava*  lia  au  nord 
la  Chine,  &  au  midi  le  Royaume  de  Camboye.  Le  Souverain  de 
cet  Etatefl  defpotique  y  tant  dans  les  affaires  civiles  que  dans 
celles  de  la  Reli^on ,  &  il  eftle  Propriétaire  de  tous  les  biens  de 
fon  Royaume ,  qui  eft  diviféen  fept  Provinces. 
xxxL  Siam  eft  un  Royaume  féparé  par  de  hautes  montagnes  y  au 

Nord-Eft  &  à  l'Eft  des  Royaumes  de  Laos  &  de  la  Cochiii- 
chine  ;  il  a  un  grand  golfe  au  midi  ^  &  une  autre  chaîne  de  mon- 
tagnes le  fépare  des  Royaumes  d'Ava  &  de  Pegu*  Cette  double 
chaîne  de  montagnes ,  habitées  par  des  peuples  peu  nombreux^ 
fauvages  &  pauvres ,  mais  libres  &  dont  la  vie  eft  innocence  ^ 
laiffe  entr'elles  une  grande  vallée  large  en  quelques  endroits  de 
80  à  100  lieues  ,  &  arrofée  par  une  grande  rivière ,  depuis  l'ex- 
trémité feptentrionale  jufqu  à  la  mer. 

Ce  pays ,  qui  eft  fous  la  Zone  torride  y  feroît  inhabitable  ,  R 
les  ardeurs  exceflîves  du  foleil  n'étoient  modérées ,  &  par  let 
nombre  des  rivières  qui  Tarrofent  y  &  par  de  longues  pluyes 
qui  le  rafraîchiffent.  Il  y  pleut  ordinairement  depuis  la  fin  de 
Mars  jufqu'au  comoçiencement  d'Oûobre^ 

Ce  Royaume  a  près  de  300  lieqcs  de  long^  du  Septentrion  ai» 

(4)  Datnpiere ,  Tom.  M.  pag,  9.«»  -  ^ 

Ci>)  En  1575. 


DU  GOUVERNEMENT.  .4(^7 
Midi  y  eftplus  étroit  de  TOrient  à  TOccident ,  &  renferme  beau- 
coup plus  d'Etrangers  que  de  naturels  du  Pays.  Des  Maures, 
des  Feguans^  des  Laos  y  des  Cochinchinois  y  des  Tonquinois, 
des  Malais ,  des  Macaflars  y  font  établis* 

Le  Prince  ne  compte  que  des  efclaves  parmi  fes  fujets  y  8c 
comme  les  hommes  font  prefque  toujours  occupés  pour  le  fer- 
vice  du  Souverain ,  on  ne  voit  gueres  ,  dans  ce  Pays-là ,  que 
des  femmes  travailler  pour  la  fubfîftance  des  familles.  Quand  le 
Roi  paffe  quelque  part ,  les  Siamois  qui  n'oferoient  jetter  les 
yeux  fur  lui ,  font  ventre  à  terre  &  les  mains  jointes  contre  le 
front.  Les  Sacrificateurs  des  Idoles^  qu'on  appelle  TûZopoi/z^  & 
qui  font  fort  refpeftés ,  font  les  feuls  qui  ne  foientpas  obligés  de 
fe  profterner^ 

Cette  Monarchie  eft  d'autant  plus  connue  en  France ,  que  les 
François  y  a  voient  établi  leur  commerce  &  leur  Religion  ,  &  y 
avoient  acquis  des  Places  (a)  par  la  prote6Uon  d'un  Européen 
Catholique ,  devenu  le  principal  Miniflxe  du  Prince  qui  y  ré* 
gnoit  alors  (  6  )•  Mais  la  même  révolution  qui  fit  defcçndre  le 
Roi  du  trône  &  qui  y  plaça  un  de  fes  favoris  y  coûta  la  vie  au 
premier  Miniftre ,  mit  fin  à  notre  commerce ,  &  extirpa  de  Siam. 
notre  Religion  (  c  ). 

Le  Souverain  qui  régne  da:ns  cet  Etat  y  a  pour  tributaires  le 
Roi  de  Camboye  y  &ceux  d^Ihor  y  d'Iambi ,  de  Queia  &  de  Pa- 
tant  y  beaucoup  moins  puifTans  que  celui  de  Camboye.  On  dit 
des  Habitans  de  Patane  y  que  dans  le  dernier  fiécle  y  ils  fe  fou-* 

(d\  Merguy  »  Bancok ,  &  quelques  autres. 

yb)  Conltantin  Phaulk ,  né  en  Grèce ,  élevé  pj^rmi  les  Anelois ,  &  qui  avoit  «mbraC- 
fé  la  Religion  Catholiqiie  dans  le  Sén^iaire  des  Jéfottes  Pdrtugds  de  Siam  le  %  dç 
Mai  1682.  On  Tappelloit  Confiance. 

(c)  Dans  le  mms  die  Mai  i688.  Voyez  la  Relation  dé  l'Ambaflade  de  Chaumont  à 
S\ani  en  1685  ,  Paris  1686  i/2-12  ;  les  Ménioires  du  Comte  de  Forbin  ;  &  tHidoire  du 
reçue  de  Louis XIV,  Avignon  ij^^^^y^  pages  333  ,  334,  335*  410,  4ii»4U  fc 
413» 

Nnjiij 


4(î8-  S  Cl  E  N^C  E 

levèrent  ^  détrônèrent  leur  Roi ,  &  formèrent  une  République^ 
ilsélifenc  néanmoins  une  FrincefTe  à  laquelle  ils  donnent  le  titrt- 
de  Reine  ^  &  aux  plaifirs  de  laquelle  ils  fournifTent  abondant' 
ment ,  fans  lui  laiffer  aucune  forte  d'autorité. 
x^xiL         Le  Pegu  eftun  grand  Empire  qui  avoit  des  Rois  pourvalTauz; 
&  tributaires,  qui  a  été  fort  dépeuplé  par  les  guerres  civiles- fie 
étrangères  >  qui  a  eu  de  grands  différends  avec  les  Portugais  y 
mais  qui  eft  encore  fur  pied*  Par  la  Loi  du  Pays ,  l'Empereur 
hérite  de  tous  les  biens  de  fes  Sujets  ^s'ils  n'ont  point  d^enfans  ; 
&  des  deux  tiers ,,  s'ils  en  ont  (a  )• 
xxxiiT.         L'Ifle  de  Java ,.  fituée  au  Sud^Eftde  Sumatra  8c  au  midi  de 
YtodeftiêffaDd  Bornéo ,  à  28b  lieues  de  longueur ,  d'Occident  en  Orient  «  8c 
I»  R<pubi(me  de  elle  ferme  d  un  côté  le  détroit  de  la  Sonde.  Bantam  &  Jacatra^ 
'font  les  deux  Royaumes  voifins  dans  la  même  Ifle. 

Le  Roi  de  Bantam  recueille  toute  la  fucceflion  d'un  homme 
qui  vient  àmourir^même  ùl  femme  &  fes  enfans;  Aufll  y  marie- 
t^on  lès  enfans  à-8  y.p  ou  loans  ^  afin  qu'ils  nefe  trouventpoint^ 
feiire  partie  de  la  fucceffîon  de  leur  père  (  6  ).  • 

Sur  la  fin  du  dernier  fiécle  (  c^  ) ,  lé  Roi  de  Bantam  y  qui  avoir 
dans  fa  Capitale  des  Comptoirs  François ,  Anglois  fie  Hollan* 
\,  dois  9  après  être  defcendu  volontairement  du  Trône,  voulut  y 
remonter.  Mécontent  de  laconduito  de  fon  fils ,  il  l'aflîégea  dans 
fâ  Capitale;,  le  fils  implora  le  fecours  des  Hollandois  ,  &  les' 
Hollandois  forcèrent  le  père  de  lever  le  fiége.  Ils  ont  fait  payer 
chèrement  ce  fecours  à  ce  Prince ,  ils  lui  ont  laifle  fon  Royaume; , 
mais  ils  ont  gardé  le  Château  de  Bantam  ,011  ils  ont  mis  g#rni- 

(a)  Retueil  dés  voyages  qm  ont  fervi  à  rétabliffcment  dé  la  Compagnie  des  Indes  ;  • 
Tbm.  III ,  pag.  I. 

(*)  Recueil  dés  voyages  qui  ont  fervi  à  l'établiffement  de  U  Compagnie  de«  lâ* 
des,  Tom.  I. 

(ç)  Vers  ran  i68p. 


D  U  6  0  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.  j^6^ 
ion  (a)^  &  où  ils  ne  donnent  point  d'entrée  aux  Etran* 
gers(&> 

Les  Hollandois  fe  font  rendus  maîtres  du  Royaume  de  /a- 
catra.  Ils  en  ont  détruit  la  Ville  capitale  qui  portoit  le  même 
nom ,.  &  fur  les  débris  de  cette  Capitale ,  ils  ont  élevé  la  Ville 
de  Batavia  )  dont  ils  ont  fait  le  fiége  principal  du  commerce  de 
leur  Compagnie  aux  Indes  (c).  Ce  qui  portoit  le  nom  de 
Royaume  de  Jacatra  y  s'appelle  préfentement  les  terres  de  la 
Compagnie. 

La  côte  du  Nord  de  Tlsle  de  Java  eft  fous  la  doniination  de 
la  CompagnieHollandoife  qui  y  a  établi  des  forts  &  y  entretient 
des  garnifons.  La  cote  méridionale  eft  prefque. entièrement  oc«^ 
cupée  par  des  Princes  qui  n'ont  pas  été  foumis  ^  &  qui  fe  font 
retirés  entre  une  longue  chaîne  de  montagnes ,  de  l'Occident 
en  Orient ,  &  le  rivage  qui  eft  bordé  de  dangers  &  de  roches.; 
L'intérieur  du  pays  eft  fous  la  domination  d'un  Empereur  que 
l'on  appelle  le  Maîaram-,  qui  a  quelques  Princes  tributaire^  dans 
fon  voifinage. 

La  Compagnie  Hollandoife  eft  infiniment  refpeélée  dans 
toute  rétendue  de  l'Isle  de  Java;  Le  Roi  de  Bantam  eft  dans 
fa  dépendance ,  &  ce  Prince  à  qui' on  donne  le  titre  d'Empe- 
reur y  ne  régne  que  par  la  proteâion  qu'il  reçoit  de  la  Compa- 
gnie Hollandoife  ^  dans  une  contrée  où  300  Européens  battent, 
cinq  ou  fix  mille  Afiatiques^  (  ^  )• 

Jean  I.  Roi  de  Portugal,  conquit  eriperfonne  Ceuta  eft     xxxiv. 
Afrique  ,  &  fit  reconnoître  la  côte  de  cette  partie  du  monde  EtSuifcme^T 

(a)  Voyez  le  Chap,  Vil  de  cette  Introduftion ,  Seô.  VI  du  Gouvernement  des  Pro- 
>^nces-Unies. 
(h^  Relation  de  l'Ambaflade  de  Chaumont  à  Siam  eft  1685  ,  Paris  1686  i/i-12; 
CcS  Vovezle  Chap.  VII  de  cette  Introduction,  Seâion  VI« 
la)  Relation  de  TAmbaflade  de  Chaumont.  - 


XXXV. 


470  SCI  E  N  C  E  ^ 

les  PortuMb  &  par  les  Prinœs  fes  enfans (a).  Barthelemi Dias  ayant décou^ 

^ropéenne^ont  vert  le  Cap  de  Bonne  Efpérance  fous  Jean  if^  Don  Emma- 

lits  Ori^es^  nuel  h  conquit  (  &  )  par  fes  Lieûtenans^Goa  ^  &  fît  des  établifle- 

mens  cohfîdérables  dans  les  Indes  Orientales ,  8c  tout  de  fuite 

conquit  le  Brefil  en  Amérique. 

Les  Navigateurs  qui  ne  font  pas  toujours  d'accord  avec  les 
Géographes  ^  appellent  Inde  toute  la  partie  de  la  terre  comprife 
depuis  le  Cap  de.de  Bonne  Efpérance  julqu'au  Japon. 

Dans  ce  vafte  continent ,  qui  comprend  7  à  8000  lieues  de 
cotes  le  long  de  là  mer  occupées  par  une  multitude  de  Souve* 
rains  ^  plufieurs  Nations  de  l'Europe  ont  des  Colonies.  Sans 
parler  de  celles  des  Hollandois  &  des  Portugais  ^  les  Anglois  y 
ont  huit  ou  cUx  établilTemens  diftribués  fous  trois  Gouverne- 
mens  généraux  ,  diftans  ks  uns  des  autres  de  5  ou  ^00  lieues. 
Ces  Gouvernemens  généraux  font  Madras  ^  Bombaye  &  Gol- 
gota. 

La  France  y  aauffi  quelques  établiflbmens  dont  elle  a  fbrm^ 
deux  Gouvernemens  indépendans  Pun  de  l'autre  ,  fçavoîr  le 
Gouvernement  de  Pondkhery  &  lé  Gouvernement  des  Ides. 
Le  Gouvernement  de  Pondîchery  a  fous  fa  dépendance  la  Ville 
de  Pondîchery  où  réfîde  unConfeil  fupérieur ,  dont  le  Gouver- 
neur eft  Préfident ,  &  trois  Comptoirs  particuliers ,  qui  font  le 
Comptoir  de  Mahé  fitaé  à  la  côte  Malahare  ^  le  Comptoir 
de  Karikal ,  fitué  à  la  côte  Coromandel  ^  8c  le  Comptoir  de 
Chanderhagor ,  fitaé  fur  le  fleuve  de  Bengale.  LeOouver-^ 
liement  des  Mes  comprend  Tlfle  de  Franct,  qui  a  environ  60 
lieues  de  tour  ^  ôc  Tlfle  de  Bourbon  qui  a  à  peu  près  la  mêmç 
étendue. 


XXXVI. 

François. 


(a)  En  141 J. 
{b)  Pn  ÏJOJ, 


conaui» 


DU    G  OU  VER  NB  ME  NT.      471 
Je  parlerai  enowe  de  tous  ces  Etabliiïemens  (a). 
Nous  ne  çonnoifrQns,pQiot  tous  Içs  Souverain^  y    xxxvn. 

en  â  une  multitude  dans  la  feule  prefqulfle  dellndé  ^  en  deçà  auiS!fiid^\fl^ 
du  Gange  9  &  il  efl  d'autant  plus  impolTiblp  de  parler  de  tous 
ces  petits  Rois ,  difperfés  dans  ce  nombre  prefque  infini  dlsles 
dont  la  merdes  Indes  Ôc  TOcéan  Oriental  font  remplis,  qu'une 
tsle  cft  fouvent  partagée  entre  plufieurs  Etats* 

{a)  Chapitre  VIL 


*f  r>}c 


Oê  Tripoli. 


47»  SCIENCE 

.    ■  '.  ■    I     ■   J    \       I    ■'■     ■'  ggg 

GHAPITRJE    QyÂfTRiPMja- 

Du  Gouvernement  aBuel  de  chaque  Peuple  de  C Afrique  ^ 
conjîdiré  en  particulier. 

SECTION    PREMIERE. 

Gouvernement  des  Côtes  Orientales  £  Afrique. 

i.  T  -^  Ville  &  le  Canton  de  Tripoli,  fournis  pendant  longr 
t  j  tenjs  au  Roi  de  Tunis ,  furent  envahis  par  des  Seigneurs 
particuliers  qui  prirent  le  titre  de  Rois.  Les  Turcs  cjui  gouverr 
lièrent  depuis  ce  pays  par  des  Bâchas ,  lui  laiflerent  le  tjtre  de 
Royaume  ^  afin  que  leur  Souverain  pût  en  enfler  fes  titres.  Cet 
Etat  fe  gouver;ie  aujourd'Jhiui  en  République  ^  &  a  pour  Chef  u^ 
Dey  qui  efl  comnç^e  leGénéreil  de  fia  Nation ,  fous  la  proteâion 
du  Grand  Seigneur  à  qui  il  paye  de  tetns  en  tems  un  tribut.  Le 
Bâcha  que  le  Grand  Seigneur  y  envoyoit^ceflë  d'y  réfiden 

Cet  Etat  )  qui  tipïk  pas  ,  à  beaucoup  près ,  fi  confidérable 
xju' Alger  ni  même  que  Tunis  j  fubfifte  par  un  commerce  d'é.^ 
jofFes  &  de  fafFrah,  mais  fur-tput  paf  fes  pirateries^. 

L'Ifle  de  Malthe-appartenoit  à  Tripoli  avant  que  les  Eipa- 
gnols,  qui  Font  cédée  aux  Chevaliers  de  Saint  Jean  de  Jerufa?* 
lem ,  s'en  fuflent  rendus  les  maîtres, 
ïi.  Tunis  eft  une  Ville  ancienne ,  &  le  pays  qui  en  dépend  ré- 

pond à  FAfriquc  Proconfulaire  des  Romains.  Elle  fut  pofledée 
fucceffivement  par  les  Carthaginois  >  par  les  Romains ,  par  les 
Vandales  qui  la  faccagerent  du  tems  de  Saint  Auguflin.  Les 
^ffbes  s'en  emjparerentà  leur  tour^  &  ce  fut  à  Tunis  &  aux 

environs  « 


P  t  Tuois. 


DU  GOUVERNEMENT-  473 
environs  ^  qu'une  partie  des  Maures  d'Efpagnc  fe  fauva ,  lorf- 
que  Ferdinand  &  Ifabclle  les  eurent  chaffés.-  Les  Efpagnols 
conquirent  enfuite  une  partie  de  ce  pays.  Barberoufle  le  reprît 
fur  eux ,  &  les  Turcs  qui  s'en  rendirent  les  maîtres  j  il  y  aura 
bientôt  deux  fiécles  (a),  jetterent  dès^lôrs  les  fondemens  du 
Gouvernement  qui  y  fubfifte  aujourd'hui. 

Ce  Gouvernement  eft  entre  les  mains  d%n  Divan  (  6) ,  d'un 
Dey,  d'un  Bey,  &  d'un  Bâcha  que  la  Porte  y  envoie  jp  mais 
c'eft  le  Bey  qui  en  a  toute  l'autorité ,  le  Divan  &  le  Dey  ont  été 
abaifles.  Le  Bâcha ,  qui  n'a  prefque  plus  aucun  pouvoir ,  de- 
meure néanmoins  à  Tunis  ^  comme  pour  faire  fou  venir  les  Tuni- 
Tiens  qu'ils  s'étoient  mis  autrefois  fous  la  protection  du  GrandSei« 
gneur  ;  &  le  Gouvernement  lui  paye  une  penfîon  très-modique* 
Le  Divan  a  la  voie  de  repréfentation  ^  {nais  le  Bey  décide  en 
fon  Confeil  toutes  les  affaires  d'Etat ,  indépendamment  du  fen-^ 
riment  de  ce  Sénat  qui  n'a  plus  de  Jurifdiûion ,  que  dans  les 
affaires  contentieufes  de  la  Milice  ou  des  Sujets  de  la  Républi-- 
que.  Les  ordres  du  Graife  Seigneur  font  toujours  adreffés  au 
Divan  &  à  la  Milice ,  mais  ils  ne  font  exécutés  qu'autant  que 
le  Bey  le  permet.  S'illes  défapprouve,  cesr  ordres  font  mis  dans 
les  Archives  du  Divan ,  &  l'exécutioii  en  eft  renvoyée  à  des 
tems  plus  favorables.  * 

L'Etat  de  Tunis  eft  divifé  en  huit  Provinces ,  dont  chacune 
porte  le  nom  de  fa  Capitale  ,  &  en  quatre  Ifles. 

Le  Royaume  d'Alger ,  dont  la  Ville  Capitale ,  de  mcme  nom  ;        m. 

«  .  i,\-,  •       D'Alger. 

eft  connue  dans  toute  1  Europe  commerçante ,  a  un  port  qui 
fert  de  retraite  à  un  grand  nombre  de  Corfaires',  lefquels  in- 
feftent  fur-tout  U  mer  Méditerranée.  Ce  pays  répond  à  l'an- 

(tf)Eni574,     • 
(M  Sénat.    . 

ToïïiqL  Ooo 


474  SCIENCE 

cienne  Numidie  &à  deux  des  Mauritanies  des  anciens  (a)»  Il 
eft  fitué  entre  la  Méditerranée  au  Nord >  TEtat  de  Tunis  à  TO- 
rient  j  l'Empire  de  Maroc  &  de  Fez  au  Couchant ,  8c  des  peu- 
ples Arabes  au  Midi.  Ces  peuples  Arabes  habitent  fous  des  ten- 
tes à  la  manière  des  anciens  Numides. 

Ce  pays  qui  eut  fes  Rois  jÉrticuliers  j  fut  conquis  fucceflive- 
ment  par  les  RomiÉftis,  par  les  Vandales^  8c  par  les  Arabes. 
L'expédition  malheureufc  que  Charlequint  y  fit  (6)  ,  a  rendu 
Alger  célèbre.  Le  Grand  Seigneur  qui  y  envoyoit  un  Bâcha  , 
en  a  été  long-tems  le  maître  ;  mais  fur  lés  plaintes  que  les  ha- 
bitans  firent  contre  ce  Miniftre  de  la  Porte  ^  le  Gouvernement 
fut  changé  ^  &  le  Dey  a  été  regardé  depuis  comme  le  feiil  Sou- 
verain d*Alger ,  8c  comme  allié  du  Grand  Seigneur  ^  dont  il 
reçoit  &  entretient  les  Envoyés  Extraordinaires  ,  lorfqu'il  eft 
queftion  de  négocier  quelque  /ifi&ire.  Il  les  renvi^ye  le  plutôt 
qu'il  peut ,  tant  pour  éviter  1^  dépenfe ,  que  parce  qu'il  eft  im- 
portuné de  la  préfence  du  Miniftre  d'un  Monarque  autrefois 
Souverain  du  pays.  ^ 

Ce  Royaume  a  peu  de  Villes  fermées  8c  peu  d'habitations  ba^ 
tîes.  Un  peuple  nombreux  loge  fous  des  tentes^à  la  campagne  ; 
&  chaque  nation  compofe  un  village  ou  campement  qui  change 
de  lieu  fclon  les  faifons. 

Il  eft  divifé  en  trois  Gouvernemens  i  dans  chacun  eft  un  Bey 
qui  commande  les  armées  ^  qui  reçoit  les  ordres  de  la  Cour 
d'Alger ,  àc  qui  eft  diftingué  par  le  nom  de  fa  Province  ^  le 
Bey  du  Levant ,  le  Bey  du  Ponant,  8c  le  Bey  du  Midi. 

Le  Dey  n'eft  point  abfolu.  La  Milice,  compofée  de  Janif- 
laîrcs ,  forme  un  Corps  dont  la  licence  eft  efiréaée ,  &  un  Sénat 

(a)  CafarUn/îs  &  Sitlfenfa  Aiaurhania, 

(b)  En  154U 


DU    GOUVERNEMENT.      475 

redoutable  au  Dey  même ,  quMl  fait  fouvent  defcendi'e  du  trône* 
Le  mélange  de  Turcs  ^  d'Arabes  j  de  Maures  ^  de  Juifs  ^  de 
Chrétiens  &  de  Renégats  qui  compofent  cette  République ,  for- 
me un  tout  monflrueux  j^âe  la  plus  grande  partie  de  la  puifTance 
publique  demeure  aux  Turcs  qui  forment  le  Corps  Militaire  de  ^ 

TEtat. 

L'Empire  de  Maroc  renferme  non-feulement  tcait  ce  que  les        i  v. , 
Romains  comprenoient  fous  le  nom  de  Mauritanie  Tingitane  ^  Mv^ 
mais  encore  les  Royaumes  de  Fez ,  Maroc ,  Taffilet,  Darha  , 
Suz ,  Tremeffen  &  Ségelmeflfe.  Il  eft  borné  à  TOrient  par  le 
Royaume  d'Alger  6c  une  partie  du  Biledulgerid  ;  à  TOccident  ^ 
par  la  mer  Océane;  &  au  Septentrion  >  par  la  Méditerranée  ;  &  il 
s'étend  depuis  la  bouche  du  Détroit  de  Gibraltar  au  Midi  ^  juf- 
qu'au  Cap  Blanc  fur  les  confins  de  la  Guinée.  Ceft*là  que  les 
Maures  9  pour  la  commodité  de  leur  commerce  >  ont  bâti  un 
petit  Château  qui  eft  le  rendez-vous  de  toutes  les  Caravanes 
qu'on  envoyé  tous  les  ans  de  Fez  &  d'autres  Villes  de  i'Em^      ^ 
pire. 

Cet  Empire  fi  étendu ,  compofé  de  Maures  >  qui  font  les  na* 
turels  du  pays  y  de  Juifs ,  de  Renégats  Chrétiens  &  de  Nègres  ^ 
eft  un  des  plus  pauvres  &.  des  plus  miférables  pays  de  la  terre  ^ 
parce  qu'il  y  a  très-peu  de  Villes  fermées,  &  qu'il  ne  s'y  trouve 
aucun  port  pafTable*  Là  règne  le  defpotiûne  le  plus  dur  avec 
les  mœurs  les  plus  corrompues.  • 

La  fertilité  du  pays  eft  différente  félon  la  diverfité  des  con- 
trées ,  mais  en  général  les  parties  Septentrionales  ,  bien  culti* 
vées  &  fous  un  Gouvernement  doux  &  réglé  produiroient  tout 
ce  que  nous  recueillons  en  Europe  fous  de  pareils  climats  j  d||| 
cuirs  >  du  bled  ,  de  l'huile ,  du  vin ,  de  la -cire ,  du  miel ,  de  la 
foye  y  de  la  gomme ,  &  de  la  laine  la  plus  fine.  Il  feroit  facile  ^ 

Oooij 


47(5  SCIENCE 

dans  les  Provinces  Méridionales ,  de  cultiver  tout  ce  qu'on  tire 
des  Indes  Occidentales,  du  coton,  des  épices,  du  fucre,  de 
Tindigo,  On  trouve  dans  ce  pays-là  quantité  de  mines  de  cui- 
vre ,  que  les  Africains  nous  envoyent  en  Europe.  Il  y  a  même 
des  mines  d^or  &  d'argent-  Les  vallées  ont  des  frufts  de  toutes 
les  efpéces  &  en  abondance.  Les  plaines  produifent  d'excel- 
lens  fromens ,  du  lin ,  du  chanvre ,  &c.  Ce  pays  a  toujours  été 
renommé  pour  fes  chevaux  ;  &  les  chameaux  y  ont  infiniment 
plus  de  force  que  ceux  de  TAfie  ;  mais  il  manque  de  bois  de  char- 
pente d'une  hauteur  convenable. 

Les  Maures  n'entendent  point  le  commerce  du  dehors ,  & 
n'ont  point  de  vaiffeau.  Ce  commerce  pafle  par.  les  mains  des 
Juifs  &  des  Chrétiens  qui  le  font  avec  les  Européens ,  &  fur-tout 
avec  les  François  &  avec  les  Anglois ,  qui  y  portent  des  draps  y 
de  la  toile ,  du  fer  en  barrer  &  travaillé ,  du  foufFre ,  de  k  pou- 
dre à  canon ,  des  armes  &  du  plomb ,  8c  qui  en  retirent  des 
amandes,  des  dattes,  de  la  gommé  .d'Arabie,  du  maroquin  , 
des  cuirs  cruds  ,  du  cuivre ,  de  la  cire  &  du  miel.  Quant  au 
commerce  du  dedans  ,  ce  font  les  Maures  qui  le  font  par  Je 
moyen  de  leurs  Caravanes.  Ils  en  envoyent  une  tous  les  fix 
mois  à  la  Meque  &-à  Medine,  &  y  portent  des  étoffes  de  draps 
fabriqués  ,  beaucoup  de  maroquin ,  d'indigo  ,  de  cochenille  , 
des  plumes  d'autruche,  qu'ils  échangent  contre  des  foyes  ,  des 
mouffelines,  &  des  drogues  tnipdicinaleSr 

Salé  eft  le  havre  principal  de  tout  PEmpire.  Il  eft  très-fpa- 
cieux  ,mais  il  a  le  défaut  irréparable  d'être  quelquefois  fec  dans 
lestmarées  baffes,  où  il  n'a  tout  au  plus  qu'un  pied  &  demi  d'eau; 
llfuis  les  marées  pleines  ,  il  ne  s'y  en  trouve  qu'onze  à  douze.  Il 
fort  quelques  CorfaiFes  de  Salé ,  auffi  bien  que  de  Tanger  &  de 
Tetuan  ;  mais  un  ou  deux  vaiffeaux  Européens  répandent  l'ai- 
larme  fur  toute  la  côte  de  Barbarie, 


DU    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       477 

L'Empire  de  Maroc  eft  prefque  perpétuellement  en  guerre- 
avec  toutes  les  Nation»  Chrétiennes  j  mais  il  permet  que  leurs 
Confuls ,  leurs  Marchands ,  &  tous  leurs  autres  Sujets  réfident 
dans  fes  ports  pendant  la  guerre ,  avec  la  même  fureté  &  les 
mêmes  franchifes'que  pendant  la  paix;  il  laiflele  commerce 
ouvert  &  libre  avec  toutes  les  Natioos  ennemies,  pour  quelque 
efpéce  de  marchandifes  que  cefoît.  La  piraterie  que*  les  Maro- 
quins exercent  contre  toutes  les  Nations,  rapporté  des  revends  ^  , 
corifidérables  à  TEmpereur.  Tous  lej  frais  des  aEmemens  font 
fur  le  compté  des  particuliers;  &. le  Prince,  outre. le  dixième 
des  cargaifons  ,  s'approprie  tous  lés  captifs ,  dont  il  tire  de 
fortes  rançons.  Tant  qu'ils  reftent  dans  l^fclayage,  ils  fpnt  em^s 
ployés  comme  ouvriers,  ôc  leur,  tràvatf  ne  coûte  au  Prince  qu'un 
peu  de  pain.                      .               .:  L  :      .. .   :         : 

Un  Voyageur,  qui  a  pàffé  quelque  tems;à  Mequîncz^  où  il 
ûvoit  accompagné  un  Conful  Ai^tois ,  nous  affure  que ,  Jorfqu^îl 
y  étoit ,  les  Maures  n'avoient  que  deuX; petits  vaiffeaux  qu'ils 
Qommoient  vaiffeaux  de  vingt  pièces  de  icanon^  mais  de  la  moitié 
iplus  fbibles  que  les  nôtres  de  cette  portée*?  qu'ils  avoient  un 
troificme  navire,  qui  avoir  été  un  brigantln  François  armé  eft 
courfe  ;  enfin  un  petit  nombre  de  barques  à  voiles  &  à  iramfes , 
&  que  c'étoit-là  tout  ce  qui  compofoit  la  flotte  redoutable  de 
l'Empire  de  Maroc  (  û  )•  .  .         '  '    .         ::.!:: 

^  Dell*  Princes  liortmés  Mtilô^  Abdala  8c  Muley  Muflaïaî , 
fe  dîïputênt  a£hidlement  cet?  Etat  les  armes  à  la  mairi^  &  iéii 
peuplés  font  partagés  entré  ces  deux  ptétendans  à  la'Cou^ 
ronne. 

Je  ne  parle  point  ici  de  l'Egf  p»','  parce  que  cettq  Pi*ovînc4    lt^Ju 

{a)  Qbftrvatfons  naturelle^ ,  "mbfàTe^  &pdifîqircs  for  îe'pays  &  ïs^  habïtatis  de 
Maroc ,  imprimées  à  la  fuite  de  tHiJloire  des  révolutions  de  P Empire  de  Maroc.  Am- 
ôerdam,chezP.Mortî^ii"1^5i;-f/i-lli    '    .--*■-:..,..     :/.,         ■  .       '0 


47»  S  C  ï  E  N  €  E 

appartient  au  Grand  Seigneur,  dont  les  poiTeiÏÏMis  former- 
roht  un  long  article  dans  le  Gouvernement  de  l'Europe  (a). 

SECTION     IL 

r" 

Gouvernement  de^Cotfis  Occidentales  d^ Afrique»    . 

• 

RoyJLes  «c  T  T  ^H  rivîcrc ,  Hommée  Gambra  ^  fe  jette  dans  POcéan  fur 
teS*  IfcSi,  VJ  ^  côte  Occidentalçd'Afrique  ,  entre  le  Cap  Sainte  Ma- 
tfAf^î^for  u  rie  au  Sud ,  &  les  Ifles  des  Oifeaux.au  Nord  9  qui  font  à  trente 
G««h«*         ji^^  ^g  Gorée.  Le  Nord  &  le  Sud  de  la  Gambra  font  divifés 

entre  plufieurs  petits  Princes  Nègres ,  qui  prennenrtous  le  titre 

de  Rois  ^  quoique  plufieurs  de  ces  Etats  aient  fi  peu  d'étendue 

qu  on  peut  les  traverfer  dans  un  jour. 

Le  premier  Royaume  du  côté  duNordeft  celui  de  Bara^qui 

s^étend  vingt  lieues  au  long  deia  rivière*  Le  Prince  de  ce  pays- 

là  eft  tributaire  du  Roi  de  Barfali. 

'  Après  le  Royaume  de  Bara,  on  entre  à  TEft  dans  celui  de 
Baàthi  9  qui  eft  vi^à-vis  de  Tankroval  ^  Ville  du  Royaume  de 
Kaen  fur  la  rivière  du  Sud. 

Le  Royaume  fui  vant  eft  Sanjally  qui  ^  tout  petit  qu'il  eft ,  con« 
ferve  fon  indépendance.  Cet  £tat  n'a  que  quatorze  lieues  d'é« 
tendue  fur  la  rivière. 

Plus  loin  ^  on  entre  dans  une  partie  du  Royaume  de  Barfalî^ 
qui  commence  à  la  mer  où  la  rivière  du  même  nom  vient  fe 
décharger.  Il  s'étend  derrière  les  Royaumes  de  Bara^  de  Kolar 
&  de  Badelu  9  d'où  s'avançant  fur  la  Gambra  y  il  occupe  fes 
bords  Tefpace  de  quinze  lieues. 

Le  Royaume  de  Barlali  eft  fuivi  de  celui  de  Yani  ^  grande 

(tf)  Voyez  kXXV«Seâioa  du  Chap.VU^dQc^btroduffioiu  ^ 


DU  GOUVERNEMENT.  47^ 
région,  qui  fcdîvife  en  deux  parties  ,'  Pune  nommée  le  haut, 
Taucre  le  bas  Yani.  Elles  ont  chacune  fon  Roi.  Ces  deux 
itoyaumes  s'étendent  l'efpace  de  80  lieues  au  long  de  la  ri« 
viere. 

Ils  font  fuivis  immédiatement  de  celui  de  Woolla ,  qui  a  beau« 
coup  d  étendue  fur  cette  même  rivière. 

En  retournant  à  l'embouchure  de  la  Gambra ,  pour  fuivre  la 
rive  du  Sud ,  on  trouve  d'abord ,  vers  la  mer  j  le  Royaume  de 
Çumbo  j  qui  s*étend  Tefpace  d'onze  lieues  depuis  le  Cap  Sainte 
JMarie  jufqu*à  la  rivière  &  au  village  de  Kabata. 

Le  pays  qui  vient  après ,  &,qui  fe  nomme  Fonia ,  commence 
à  Tendroit  où  la  rivière  de  Kabata  tombe  dans  la  Gambra ,  & 
s'-ctend  jufqu'à  celle  de  Bintain  ou  de  Vintain ,  ce  qui  fait  un 
^fpac^de  fept  lieues  au  long  de  la  Gambra  ;  mais  dans  Tinté- 
rieur  des  terres,  il  devient  fi  grand, qu'il  eft  gouverné  par 
deux  Empereurs.  Ces  deux  Princes  auxquels  des  Rois  voifins 
payent  tribut,  ont  chacun  fes  bornes  >  âc  Ibrfque  ce  pays  fut 
•découvert  >  il  n'étoit  pas  indigne  des  titres  qu*ils  portent ,  mais 
l'avidité  du  gain  leur  a  £dt  vendre  un  fi  grand  nombre  de 
leurs  Sujets  pour  Tefclavage  ,  que  leurs  Etats  font  fort  dé- 
peuplés. 

Après  le  pays  de  Fonia ,  on  entre  dans  celui  de  Kaen  ,  qui 
n'en  eft  féparé  que  par  la  rivière  *de  «Vintain  ,  qui  eft  gouverné 
par  un  Empereur  6c  par  un  Roi,  &  qui  a  vingt*trois  lieues  d'é- 
tendue  le  long  de  la  Gambra. 

A  YEft  de  Kaen ,  on  trouve  Jagra  ,  canton  çâebre  par  le 
naturel  laborieux  de  fes  habitans  ;  &  par  cette  raifon ,  riche  en 
ris  6c  en  bled. 

Vient  enfuite  le  Royaume  dcYMiiiMy  qui  s'écend  quatorze 
lieues  fur  la  Gambra. 


480  SCIENCE 

On  entre  après  cela  "dans  le  Royaume  d'Eropina  ^  qui  a  la 
même  étendue  jufqu'à  JemarroNC^. 

•     Le  Royaume 'de  Jemarrow  s'étend  trente-deux  lieues  fur  Ik 
Gambra. 

-     On  trouve  le  Royaume  de  Tomani ,  grande  contrée  plus  rem- 
plie de  Villes  que  jousles  autres  pays  qui  bordent  la  rivière  , 
&  qui  s'étend  Tefpace  d'environ  vingt-fîx  lieues  fur  fes  bords. 
Au*delà  dé  Tomani ,  commence  le  Royaume  de  Kantor. 
Les  Peuples  qui  habitent  entre  la  Gambra  6c  le  Sénégal /font 
gouvernés  par  plufîeurs  petits  Princes. 
Ro  Tûmes  &      ^^  Royaumc  de  Sénégal ,  dont  la  grande  rivière  de  ce  nom 
j^^«  J'^^  mê-  b^^^e  les  côtes  ,  étoit  autrefois  fort  confidérable ,  mais  des  ré- 
Sd^ntatcTfufîè^^^^^^^P^  ont  diminué  fes  forces  &  Tont  rendu  tributaire  d'un 
séjiégai.         ^y^j.g  Royaume.  Il  s'étend  Tefpace  de  quarante  lieues  fur  la  ri- 
vière de  Sénégal  9  &  de  dix  ou  douze  lieues  dans  les  terres. 

Après  le  Royaume  de  Sénégal^  on  trouve  celui  d'un  Prince 
qu'on  appelle  hSiraîicky  titre  qui  jfïgnifie  le  plus  puiffant  de 
l'Empire.  Ce  Prince  a  plus  de  dix  petits  Rois  pour  fes  tribu- 
taires. Ses  Etats  ont  joo  lieues  d'étendue  fur  les<leux  rives  du 
Sénégal. 
VI  II.  ^^  premier  pays  qui  foit  habité  par  des  Negres,eft  le  Royaume 

né^^ou  côu'"'<le  Sénégal.  Les  François  &  les  Portugais  fedifputent  l'hon- 
neur d'avoir  fait  la  découverte  de  la  Guinée ,  découverte  qui  ap- 
partient au  quatorzième  fiécle..  Depuis  ce  tems-là,  les  HoiJan- 
dçis  &  les  autres  Nations  commerçantes  de  l'Europe  fà  font 
aufli  établies  dans  la  Guinée. 

Cette  côte  qui  commence  à  la  rivière  de  Mancha  ,  va  jufqu'â 

la  rivière  f^olta,  9  ce  qui  fait  environ  iio  de  nos  lieues.  Les 

'  Portugais  l'ont  nommée  la  côte  d'Or  y  à  caufe  de  l'ipataenfe 

quantité  d'or  qu'ils  en  ont  tirée  ^  &  tous  les  Européens  ont 

adopté  cette  dénominatioOt  Avi 


DU    GOUVERNEMENT.      481 

Au  long  du  rivage ,  la  côte  d*Or  contient  quinze  Royaumes  j 
qui  font  Adomir  (  nommé  auflî  Sakû  8c  Àvina  )  Axim^  Anko^ 
bar  y  Adom  (  nommé  auflî  périr  Inkaffan  ou  IP^arshes  )  Jahi  (  ou 
Jabs  )  Commendo  (  ou  Guaffo  )  Fétu  ,  Sabo  ,  Fantin ,  Ackron  , 
Agonna  (  ou  Anguirra  )  Akra  (  ou  Aquambus  )  Labbade  , 
Nîngo  (  ou  Lampi  ).  On  doit  placer  le  commencement  de  la 
côte  d'Or  à  Rio  de  Sueiro  da  Cojla  ^  près  d^lffîni ,  parce  que 
c'eft  le  premier  endroit  où  Ton  acheté  de  Tor  ;  &  la  fin  à  Lqy  ; 
dans  le  pays  de  Lampi ,  à  treize  ou  quatorze  lieues  d^Akra  ^ 
parce  qu'on  n'y  reçoit  plus  d'or  que  par  hazard ,  d'un  Peuple 
nommé  Amaho ,  qui  habite  plus  loin  dans  les  terres* 

Toutes  ces  régions  contiennent  une  9  deux^  ou  plufîeurs 
Villes  &  Villages  fur  le  bord  de  la  mer ,  entre  ou  fous  les  Forts 
&  les  Châteaux  Européens  ;  mais  les  principales  Villes  des  Nè- 
gres font  dans  les  terres  &  beaucoup  plus  peuplées.  Neuf  de  ces 
Royaumes  font  gouvernés  par  leurs  propres  Roi»  (  ^  )  >  c'eft-à 
dire  par  des  Princes  quineprenoient ,  à  l'arrivée  des  Européens^ 
que  le  nom  de  Capitaines.  Les  fix  autres  font  des  Républiques 
indépendantes  y  fous  la  direâion  de  leurs  Magiftrats.  Les  pays 
intérieurs. ont  aufli  leurs  Rois  ou  leurs  Princes  (  &  )• 

On  trouve  enfuite  fur  cette  même  côte  d'Or  les  Royaumes 
d'Anta  ,  de  Commendo  j  de  Fétu  ,  'de  Sabu ,  de  Fantin ,  d'yf r 
gouna  6c  d'Akron. 

Ces  deux  derniers  pays  étoient  gouvernés  ^  fur  la  fin  du  der-* 
nier  fiécle  (  c  )  par  une  femme  d'un  courage  &  d'une  prudence 
extraordinaires  ^  qui  prenoit  le  nom  de  Reine.  A  l'âge  de  38 

{a)  Bofinan  compte  fept  Ro3raumes  &  quatre  Républiques.  Hiftoire  générale  des 
voyages ,  pag.  x  5  du  IV«  Tome. 

•   (b)  Barbet ,  page  45  ;  &  Hiûoire  générale  des  voyages ,  page  15  du  quatrième 
Tome. 

(c)  En  i68a. 

Tome  h  Ppp 


48z  SCIENCE 

fms ,  ceçte  îïinc«fife  vivoit  encore  fansk  «wri  (  a  )  pour  confef  ver 
{qq  autQfiiié.  ]y^a»elk  foppliéokà  eecte  pmatk>o  par  un  jeune 
C^Iay^  (b)  à  qui  elle  défendok  >  fous-peine-de  mort  »  toute  force 
de  commerce  aveq  d'auires  £eovne$  »  &  iÀ  le  goût  qu'elle  avoit 
pour  cekK  qu'eU»&ifc)k  kwv  à  &s  plaifirs  venoi(à  s*éceiodre , 
file  \fi  chdogeoic  pour  un  autre.  Smith  obferve  que  c'efl  Tuni- 
que pays.  4e  k  Guinée  où  le  pouvoir  fupiêaie  (  c  )  puiffe  tomber 
çntre  les  mains  d'une  femme.  Enfuite  >  copiant  avec  beaucoup 
de  fidélité  cour  ce  qu'on  vienc  de  lire ,  d'après  un  autre  voyageur 
BMomé  Bo&vtn  »  il  ajoute  que  la  Couronne  paiTe  en  droite  li- 
gne à  l'aînée  des  fiUes  ,  Se  que  les  en&ns  mâles  font  vendus 
pour  l'eiclavage ,  dans  la  crainte  qu'ils  ne  troublât  le  droit  de 
ifticceflion.  La  jeune  Princefle ,  qui  eft  deftinée  à  hérit;^  du 
Trône ,  jouit  au(&tôt  qu'elle  le  fouhaite  ,  du  privil<^e  d'avoir, 
«n  enclave  favori.  Les  Anglois  ont  eu,  pendant  quelque  tems  % 
un  petip  Fort.près  d'Âgouna  (  d). 
Suivent  les  Royaumes  ^Akra  y  de  Lahbûdc  i.de  Ningo  &  de 

.  Je  ne  trouve,  dans  ce  que  nous  difent  les  voyageurs  «  que 
les  quatre  articles  fuivans  y  concernant  la  fucceffion  des  Negre& 
de  la  côte  d'Or ,  qui  méritent  d'être  remarqués. 

Bofman.,  qui.  paroîc  s'être  informé  avec  foin  de  tout  ce  qui 
regarde  la  fuccefeon  des  biens  parmi  les  Nègres  ,  obferve. 
qu'Akxa  efl.  le  feul  canton  de  toute  la  côte  d'Or ,  où  les  enfans 
légitimes,,  c'eâyà-dire ,  ceux  qui  viennent  des  femmes  décla<^ 
lées ,  héritent  du  bien  de  leur  père.  Dans  tous  les.  autres  lieux  » 

{a)  Bsdbot ,  pag.  i8o  ;  âç  Hifloire  eéaénle  des  voyages ,  pgig.  71  duIV*  Tome. 
(*)  Bofinan ,  p.  6 1  &  fuiv.  &  Hifloire  génér.  des  voyages ,  p.  7.1  du.IV«  Tome. 
(e)  Voyez  quelque  détail  fur  cette  Reine  dans  le  voyage  de,  Hiillips  ;  &  Hifloite  g^ 
aérale  des  voyages ,  pae.  71  du  IV«  Tome. 

(<0  Smith ,  p.  ao9  i  &  Hift.  gêner,  des  voyages,  pag.  71.  duIV*To»fi. 


DU    GOUVERNEMENT.       185 

Paîné ,  s'U  eft  fils  du  Roi  ou  de  quelque  Chef  de  Ville ,  fuccedc 
à  remploi  que  fon  père  rempliffoît  ;  maïs  il  n'a  d'autre  héritage 
à  prétendre  que  fon  fabre  &  fon  bouclier.  Auffi ,  les  Nègres  ne 
regardeht^ils  pas  comme  un  grand  bonheur  d'être  nés  d'un 
père  &  d'une  mère  riches  ^  à  moins  que  le  père  ne  fe  trouve  dif- 
pofé  à  faire ,  de  fon  vivant  ,  quelque  avantage  à  fon  fils ,  ce 
qui  n'arrive  pas  fouvent ,  &  cfii  doit  être  caché  avec  beaucoup 
de  précaution  >  fans  quoi  y  après  la  ratort  du  père  j  fes  parehs  fc 
font  tout  reftkuer. 

Autant  que  le  même  Auteur  Ta  pu  découvrir  j  les  enfans  des 
frères  &  des  fœurs  participent  à  la  fuccellion  dans  Tordre  fui- 
vant.  Ils  n'héritent  pas  conjoîritement  ;  rtiaîs  l'aîné  des  fils  eft 
^héritier  du  frère  defâ  ritêrê;  &  l'aînée  des  filles  hérité  dt  fà 
lante  maternelle.  Cette  Loi  eft  irivioliBle ,  fans  que  les  Nègres 
puiffent  en  expliquer  l'origine  ;  mais  Bofman  juge  qu'elle  a  ùl 
fource  dans  la  mauvaife  conduite  des  femmes  ,  comtne  dans 
plufîeurs  pays  de  l'Inde  Orientale  où  les  Rois  adoptent  le  fils 
aîné  de  leur  fœur  ,  &  les  nomment  pour  leur  fuccéder  ,  parce 
qu'ils  for*  plus  fûrs  de  la  tranfmiffion  du  fahg  par  cette  voie.- 
Une  femme  qui  n'a  aucune  relation  de  parerité  avec  eux,pour- 
roic  les  tromper ,  difent*ils ,  6c  leur  donner  un  héritier  qui  ne 
^roit  pas  de  leur  fang.  Au  défaut  des  aînés  ,  ce  font  les  autres 
enfans  de  la  même  mefe  qui  fuccedent  à  leur  tour.  S'il  rfen  refte 
aucun  ,  c'eft  le  plus  proche  parent  de  la  niere  du  mort  qui  eft 
appelle  à  la  fucceffion. 

Artus  affure  expreffément  que  fur  la  côte  d'Or ,  il  n'y  a  point 
d'Efats héréditaires >  c'eft-à-dîre  de  pays  où  les  enfans,  &  aa 
défaut  des  énfahs,  lefs  parçns  les  plus  proches  fuccedent  atf 
Trône  de  leur  père  ;  mais  qifiprès  la  mort  d'un  Roi ,  les  Nobles 
en  élifent  un  autre  qui  prend  poffefiion  du  Palais  &  de  tou- 

Pppij 


484  SCIENCE 

tes  les  rîcheffes  de  fon  Prédécefleur  (a).  Le  même  voyageur 
ajoute,  que  fi  les  premiers  exclus  font  les  enfans  8c  les  parens 
du  mort  ,  on  rejette  aufli  du  nombre  des  Candidats  ceux  qui 
Font  ofTenfé  ou  qui  font  encrés  pendant  fa  vie  dans  des  intérêts 
oppofésau  fien.  Le  nouveau  Roi  j  dit*il>  efl  immédiatement 
conduit  au  Palais ,  &  mis  en  poITeflion  du  tréfo^&  des  effets 
royaux ,  comme  s'ils  lui  venoientf  ar  voie  d'héritage.  11  ne  refle 
aux  enfans  du  mort  que  le  bien  dont  leur  père  jouifToit  avant 
fon  éleâion ,  6c  ce'b^en  leur  efl  fidèlement  reflitué  ou  efl  divifé 
entr'eux  fuivant  Tufage  établi  chez  la  Nation  {b). 

Barbot ,  qui  repréfente  quelques  Monarchies  comme  hérédi* 
taires ,  obferve  que  ,  dans  les  Royaumes  éleûifs ,  le  frère  ou  le 
plus  proche  parent  mâle  efl  choifi  pour  fuccéder  au  trône  ^  ex- 
cepté, dit- il,  à  Sabu^  où  Ton  appelle  toujours  à  la  fucceffion 
quelque  Prince  étranger.  Dans  le  Royaume  de  Fétu ,  on  viole 
quelquefois  cette  règle  pour  élire  un  Sujet  qui  ne  touche  point 
auKoipar  le  fang  ,  pourvu  qu'il  foit  affez  puiffant  pour  faire  y 
difent  les  Nègres ,  tout  ce  qu'il  juge  à  propos ,  &  qu'ils  n'ayent 
rien  à  faire  eux-mêmes  pour  fon  fervice.  Dans  les  pays  âiAkra 
6c  de  Fétu  y  c'efl  le  Fatqyra  ou  le  Capitaine  des  Gardes  du  der- 
nier Roi ,  qui  efl  choifi  pour  lui  fuccéder. 
I X.  Les  Navigateurs  Européens  appellent  Côte  des  Efclaves ,  celle 

cUves,  &  autres  qui  s'étend  depuis  Kîo  da  f^olta  où  finit  la  côte  d'Or,  jufqu'à* 
Rio  Lagos  dans  le  Royaume  de  Bénin.  La  côte  fuîyante  prepd 
le  nom  de  Grand  Bénin.  Celle  d'après  porte  celui  de  Douare  > 
6c  s'étend  vers  le  Sud  jufqu'au  Cap  Formofe.  De-Ià  elle  tourne  à 
l'Efl  jufqu'à  Rio  del  Rcjy  ,  d'où  elle  reprend  au  Sud  jufqu'au 
Cap  Confalvo  au  de-là  de  l'Equateur,  6c  forme  le  Golfe  de 

{a)  Artus ,  dans  la  Colleâioa  de  Bry ,  Part.  VI,  pag.  56;  &  Hiftoire  générale  des 
voyages ,  pag.  181  du  IV*  Tome. 

U)  Artus^ps^.  59i&Hi{l.  génér.  des  voyages,  pag.  181  duIV?  Tome. 


DU  GOUVERNEME  lyr  485 
Guinée.  Dans  cette  étendue,  qui  eft  de  3  50  lieues,  MMt  prefque 
partout  la  traite  des  Nègres  par  les  Européens  qui  y  ont  fait  des 
«tabliflemens.  «* 

Là  ^  fe  trouvent  les  Royaumes  de  Juida ,  .à^Arira ,  de  Be^ 
nin ,  &  autres  pays  depuis  le  vieux  Kalabar  jufqu'au  Cap  Con- 
falvo. 

Sur  cette  même  côte  Occidentale  d*^rique ,  eft  une  Monar-  x. 
chietrès-confidérablcquon  appelle  Congo.  La  Religion  Chré-  con^r""^  ^* 
tienne  y  a  pénétré  dans  Iç  feiziéme  iiécle ,  &  le  Roi  reçoit  les 
MifTionnaires  que  le  Pape  y  envoyé*  Ce  Prince  a  feul  la  pro- 
priété des  terres  &  de  tous  les  biens ,  &  en  difpofe  avec  une  au- 
torité aufli  entière  que  dans  la  diftribution  des  charges  ,  digni- 
tés  &  emplois.  Les  enfans  même  du  Roi ,  font  af&ijettis  à  cette 
Loi  fondamentale  de  TEtat* 

L'empire  abfolu  que  ce  Prince  exerce  fur  fes  Sujets  ,  rend  fa 
puiûance  fort  redoutable  à  fes  voidns.  Au  moindre  ilgne ,  il  levQ 
de  nombreufes  armées ,  &  les  voyageurs  parlent  d'un  Roi  de 
Congo ,  qui  marcha  contre  les  Portugais  >  à  la  tête  de  poo  mille 
hommes.  On  auroit  cru  qu  il  fe  propofoit  la  conquête  de  FUnî-  . 
vers ,  mais  il  n'a  voit  à  combattre  que  trois  ou  quatre  cens  Mouf* 
quetaires  Portugais  qui  n'a  voient  ^  avec  leurs  fufils ,  que  deux 
pièces  de  canon  de  campagne»  Les  Portugais  les  chargèrent  à 
cartouche,  &  cette  armée  fut  mife  en  déroute.  Les  Habitansde 
Congo  n'ont  ni  difcipline  militaire  ,  ni  efprit ,  ni  courage  {a). 
Autrefois  3  cet  Empire  étoit  encore  plus  confidérable  ;  mais 
quelques  pays ,  6ç  nommément  Angola ,  s'en  font  détachés ,  6c 
vivent  aujourd'hui  fous  des  Princes  qui  n'enétoient  que  lesGou* 
verneurs  &  qui  s^en  font  rendus  les  maîtres» 

Lafucceffion  au  Trône  n'a  point  d'ordre  r^lé«  Elle  n'en  a 

(a)  Hifloire  générale  des  voyages ,  pa^es  4  &  {  du  Y*  TiNne« 


^ë6       m  s  C  I  E  N  ce 

point  dutfflns  ^  qui  ne  puifle  être  renverfé  par  la  volonté  des 
Grands  jfans^ard  pour  le  droit  tl'aînefle  ou  pour  la  légitî-« 
mitédelanaMance.  Us  choififlent ,  entre  les  fils  du  Roi ,  celui 
pour  lequel  ils  ont  conçu  plus  derefpeâ  ouqu*ils  croient  le  plus 
capable  de  les  gouverner.  Quelquefois  ,  ils  rejettent  les  enfans 
pour  donner  la  Couronne  aux  frères  ou  aux  neveux. 

Les  cérémonies  de  {^inauguration  du  Roi  ont  été  changées 
depuis  que  la  Religion  Chrétienne  a  étéintroduite  dans  le  pays. 
Un  des  Nobles  fait ,  à  hauteVoix ,  la  proclamation  fuivante  : 
«  Vous  qui  devez  être  Roi  ^  ne  foyez  ni  voleur ,  ni  avare  ^  nî 
>s  vindicatif  5  foyëz  Tami  des  pauvres  ,  faîtes  des  aumônes  pour 
^>  la  rançon  des  prifonnicrs&  des  efclaves;aflîftezles  malheu- 
»  reux  ;  foyez -charitcrf^le  pour  TEglife,  efforcez-vous  d*entre- 
n  tenir  la  paix  &  la  tranquillité  dans  ce  Royaume  ;  &  confervez 
>»  avec  une  fidélité  inviolable^le  Traité  d^alliance  avec  votre  frère 
m  le  Roi  de  Portugal  (  a  ).  »  On  lui  met  la  Couronne  fur  la 
tête  i  des  bracelets  d*or  aux  poignets  ,  &  fur  le  dos  un  mah- 
teau  noir  qui  fert  depuis  long-tems  à  cette  cérémonie.  On  lui 
préfente  un  livre  d'Evangiles  foutcnu  par  un  Prêtre  en  furplis; 
il  y  porte  la  main ,  &  jure  d'obferver  tout  ce  que  le  Héraut  a 
prononcé.  Huit  jours  fe  paffent  eo  complimens,  hommages  & 
divertiffemens.  Le  neuvième  jour,  le  nouveau  Monarque  paroît 
dans  la  Place  publique ,  confirme  les  engagemens  qu'ila  pris  en 
recevant  la  Couronne ,  &  afïiire  tous  ks  Sujets  ,  qu'il  n'aura 
rien  de  plus  à  cœur  que  le  bien  de  fon  Royaume  ôc  le  progrès  de 
k  Religion  Catholique.  On  lui  répond  par  des  acclamations 
fuîvies  d'un,  ferment  d^obéiffance  &  de  fidélité ,  toujours  mal 
obfervé  ;  carfes  Sujets  fe  foulevent  contre  lui  &  le  ruent  même  à 
h  première  oc«airotr.'S*if  arrive  quelque  chofe  qui  les  choque^ 

(a)  Les  Portugais  cbmttlércenf  âvtc  les  halritisis  àa  Congo  ,Sty  font  étaUîs. 


DU  GOUVERNEMENT.  487 
s'il  tombe  trop  ou  trop  peu  de  pluye^  enfin  fi  le  Ciel  &  là  na- 
tiHre  ne  les  favofifenc  point  à  leur  gré^cfefl  à  leurRoiqu'ils  enfonc 
poner  la.  peine. 

Ce  Prince  entretient  un  grand  nombre  de  concubines  ^  dans 
un  pays  où  Ton  ne  refuferien  à  dés  inclinations  déréglées. 

Autrefois ,  Tufage  étoit  d'enterrer  avec  les  Rois  de  Congo 
douze  jeunes  filles  ^  pour  les  fervir  dans  l'autre  monde.  Elles  at- 
tachoient  tant  d'honneur  à  ce  funefte  emploi  9  qu'elles  (autoient 
gayement  dans  le  tombeau  y  8c  députant  entr'elles  la  première 
place  auprès  du  corps  qu'on  plaçoit  allîs  y  elles  s'entretuoient 
ians  avoir  pu  s'accorder.  Leurs  parens  &  leurs  amis  les  ornoient 
des  plus  riches  parures  y  &  jettoient  après  elles  toutes  fortes  de 
marchandifes  à  leur  ufage  y  mais  cette  coutume  efl  entièrement 
abandonnée.  Le  deuil  pour  la  mort  du  Roi  fe  céltbre  pendant 
huit  jours  y  non  par  des  pleurs  y  mais  par  des  excès  de  boire  & 
de  manger.  Cette  fête  bizarre  qui  fe  nomme  Malala  y  eft  renou- 
vellée  tous  les  ans  y  &  s'obferve  auffi  pour  les  Nobles ,  en  pro- 
portionnant fa  durée  à  leur  rang  ou  à  leurs  richefies  y  fans  que 
le  Chriftianifme  y  ait  apporté  de  changement  (  a  )• 

La  Juftice  efl:  aflez  bien  adminiftrée  dans  les  diverfes  Pro- 
vinces de  Congo.  Elle  n'a  point  de  Loix  écrites  ,  &  les  Juges 
n'ont  d'autre  règle  que  l'ufage.  Leurs  Juffemens  ne  vont  jamais 
au-delà  de  l'emprifonnement  &  de  l'amende.  Dans  les  matières 
importantes  >  les  accufés  appellent  au  Roi  y  feul  Juge  des  ma-^ 
tieres  criminelles.  Lorfque  le  cas  eft  douteux  y  il  eft  au  Congo 
diverfes  fortes  d'épreuves  qui  font  auffi  bizarres  que  diverfes  , 
qui  ne  reviennent  pas  mal  à  cette  ancienne  pratique  fuperfti^ 
tieufe  que  nous  appellions  Us  Jugemcns  Je  Dieu  y  6c  qui  ne  font 
pas  plus  fûres. 

{d)  Hiftoîre  générale  des  voyages ,  Tom.  V ,  pag.  7. 


488  SCIENCE 

XL  Le  Royaume  de  Dongo  a  été  nommé  par  les  Portugais  qui  (e 

gou?^*""*  "'  le  font  rendu  tributaire ,  ai  Angola ,  du  nom  d  un  Prince  qui  Tu- 
furpa  fur  la  Couronnne  de  Congo.  Ce  Royaume  eft  borné  au 
Nord  par  celui  de  Congo  ;  à  PEft ,  par  le  Royaume  de  Matamba  ; 
au  Sud  ^  par  Benguala  j  à  TOùefl^  par  TOcéan.  Il  a  5 10  milles 
de  longueur  ,  de  TOueft  à  TEft  ^  fur  jpo  de  largeur  du  Nord 
au  Sud.  Il  contient  pluHeurs  grandes  Provinces  fubdivifées  en 
divers  cantons  gouvernés  par  des  Chefs  particuliers.  De  ces 
Provinces  ^  Loanda  eft  la  plus  confidérable.  La  Religion  Chré- 
tienne n^a  pas  été  introduite  dans  ce  Royaume  comme  au  Congo  > 
&  il  n'y  a  de  Catholiques  que  les  Portugais  dans  leurs  établifle- 
mens.On  y  voit  beaucoup  de  blancs  parmi  une  multitude  infinie 
de  Nègres.  Ceft  fur  cette  côte  là  principalement  que  s*en  fait 
la  traite  parJes  Européens.  Auprès  de  Loanda  eft  une  Ifle  aflez 
confidérable  qui  porte  le  même  nom.  Les  Portugais  n*ont  pas 
feulement  des  établiftemens  fur  les  côtes  de  ce  Royaume  y  ils 
poffedent  même  Majfangano  ^  8c  quelques  autres  Places  dans 
Tintérieur  du  pays. 

La  polygamie  eft  Tufage  dominant  dans  les  mariages  d'An-- 
gola ,  &  la  première  femme  y  jouit  de  la  fupériorité  fur  toutes 
les  autres.  Une  femme  qui  eft  devenue  mère ,  demeure  féparée 
de  fon  mari ,  jufqu'à  ce  que  la  nature  ait  donné  quelques  dents  à 
fon  enfant.  Alors  >  tous  les  parens  &  les  amis  des  deux  fexes.  le 
portent  de  maifoh  en  maifon  y  au  bruit  de  leurs  chants  &  de 
leurs  inftrumens  de  mufique ,  pour  demander  des  préfens  qui 
leur  font  rarement  refufés; 

L^OfEce  des  femmes  eft  d'acheter ,  dé  vendre ,  &  de  faire  au 
dehors  tout  ce  qui  eft  le  partage  des  hommes  dans  la  plupart  des 
autres  pays  ,  tandis  que  leurs  maris  gardant  la  maifon ,  font  oc- 
cupés  à  filer ,  à  fabriquer  leurs  étoffes  ^  &  4  d  autres  ouvrages  de 
la  même  nature.  Cet 


D  U  G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.  48(> 
Cet  ufage  de  la  polygamie  rend  le  Royaume  d'Angola  plus 
peuplé  qu  on  ne  peut  fe  Timaginer ,  au  lieu  que  depuis  Tétablif- 
fement  du  Chçiftianifme  dans  le  Royaume  de  Congo ,  le  nombre 
des  Habitans  y  eft  beaucoup  diminué.  Cefl  ce  qu  obfervc  un 
voyageur  (a). 

Le  même  voyageur  ajoute  que ,  fuîvant  Pufage  du  pays  qui 
oblige  tous  les  Sujets  de  fuivre  le  Monarque  à  la  guerre  ,  il  peut 
mettre  en  campagne  un  million  d'hommes  ;  &  que  dans  une  oc« 
cafionpreffante  ^  il  peut  lever  promptement  cent  milles  volon^ 
taîres  :  Puiflance  redoutable ,  fiU  conduite  &  Je  courage  répon^ 
doient  au  nombre» 

Le  Royaume  de  Benguela  a  jio  milles  de  longueur  ,  de  xn. 
rOuefl;  à  TEft ,  &  3^0  de  largeur ,  du  Nord  au  Sud.  Ses  bornes  hen^u^Z^ 
font  au  Nord ,  le  Royaume  d'Angola  ;  à  TEft ,  le  pays  de  Joggi 
Kajjanji  ;  au  Sud ,  celui  de  Mataman  ;  8t  la  mer  à  TOueft.  L'air 
du  pays  efl:  H  dangereux^fic  communique  aux  alimens  des  qua** 
lités  fi  pernicieufes ,  que  les  étrangers  qpi  en  ufent  à  leur  arrivée  > 
n'évitent  point  ou  la  mort  ou  de  facheufes  maladies.  Les  Por?» 
tugais  qui  font  un  grand  commerce  dans  ce  pays-U  y  ont  des 
établiiTemens  confidérables  ,  &  y  ont  bâti  enti'autres  une  Ville 
qu'ils  ont  nommée  Saint  Philippe  de  Benguela  ^  &  qu'ils  appelr 
lent  auffi  le  Neuf  Benguela ,  pour  la  diflinguer  d'unie  ancienne 
Ville  du  même  nom  qu'il  y  a  dans  ce  pays.  Ils  y  ont  un  Gouver^ 
neyr  &  une  garnifon  de  leur  nation.  Le  Peuple  dç  ce  Royaumç 
mené  une  vie  brutale ,  &  eft  livré  à  toutes  fortes  de  vices  &  de 
mauvais  commerces. 

Les  Royaumes  de  Congo ,  â^ Angola  &  de  Benguela  font  en-       xïil 
vîronnés  de  Nations  qui  ont  formé  plufieurs  Royaumes  indér  ««sVay^ 
pendans  ,  tels  que  Bokka  Meala ,  Àn\ikOy  Matamba  &.  Kq^ 

(tf)  Hiftoire  générde  d«s  voyages ,  Tom.  V,  pag.  }8. 


4pô  SCIENCE 

laiîji.  Les  Aniikos  &  les  Jaggas  font  les  plus  célèbres  d*entre 
ces  Peuples.  Le  Royaume  àiAniiko  a  630  milles  de  long  fur 
540  de  large  ;  &  le  Royaume  de  Matamha  qui  eft  le  pays  des 
Jagga^,  450  milles  de  long  &  240  de  large.  Ces  Jaggas  font 
Antropophages  ;  ils  préfèrent  la  chair  humaine  aux  bœufs  Se 
aux  chevreaux ,  &  ils  facrifient  au  démon  des  viûimes  humai- 
nes. Leurs  femmes  font  fécondes  ;  mais  dans  leurs  marches  , 
ils  ne  fouffrent  pas  qu  elles  multiplient ,  &  leurs  enfans  fonten- 
fevelis  au  moment  qu  ils  voient  le  jour  ;  ainfî  ^  ces  guerriers 
errans  meurent  ordinairement  fans  poflérité.  Le  motif  qu'ils 
donnent  de  cette  conduite  ^  c'eft  qu'ils  ne  veulent  pas  être  trou- 
blés par  le  foin  d'élever  des  enfans ,  ni  retardés  dans  leurs  mar- 
ches ;  mais  lorfqu'ils  prennent  quelques  Villes ,  ils  confervenc 
les  garçons  &  les  filles  de  douze  à  treize  ans  j  comme  s'ils 
étoient  nés  d'eux,  tandis  qu'ils  tuent  les  pères  &  les  mères  pour 
les  manger.  Ils  traînent  cette  jeunefle  dans  leurs  courfes ,  après 
leur  avoir  mis  un  collier  qui  eft  la  marque  de  leur  difgrace.  Les 
garçons  doivent  la  porter  jufqu'à  ce  qu'ils  ayent  fait  preuve  de 
leur  courage ,  en  offrant  la  tête  d'un  ennemi  au  Général.  Ceft  , 
difent  les  voyageurs ,  la  plus  barbare  Nation  de  l'Univers  (a)* 


SECTION      I  I  L 

Gouvernement  des  Pays  qui  bordent  la  Côte  Orientale  et  Afrique^ 
depuis  le  Cap  de  Bonne  Efpérance*yjufquà  celui  de  Guardafu^ 

XIV.        I       E  Cap  de  Bonne  Efpérance  eft  fort  connu  en  Europe  f 

ueEfp/wnfiç,      1    j  parce  que  nos  vaiffeaux  n'ayant  point  d'autre  route  pour 

ferendre  aux  Indes  Orientales  ,  y  touchent  fort  fouvent#  Il  eH 

{a)  Hiftoire  générale  des  voyages ,  Tome  V.  pag.  loo  te  loa. 


DU    GOUVERNEMENT.       491 

k  pointe  la  plus  m<5ridionaIe  de  TAfrique  y  &  Tendroit  le  plus 
remarquable  duy  ys  des  Hottentots.  Il  fut  découvert  pour  la 
première  fois  fur  la  fin  du  quinzième  fiécle  (a)  par  Barthelemî 
Diaz^  Amiral  Portugais* 

Les  HoUandois  qui  en  ont  chaffé  les  Portugais ,  y  ont  fait  un 
ëtabliffement  qui  de  la  côte  s'étend  fort  au  loin  dans  l'intérieur 
du  pays.  Ils  y  ont  bâti  (  b  )  une  Ville ,  dont  une  affez  belle  Ci- 
tadelle &  quelques  batteries  de  canon  font  toute  la  force.  Ce 
qui  affure  davantage^  ce  pays  aux  HoUandois  >  c'cfl  qu  il  n'y  a 
guère  qu'eux  qui  veuillent  s'expofer  aux  pertes  qu'ils  y  font  de 
tems  en  tems.  Les  vents  du  Nord-Ouefl:  venant  à  fouffler  y  agi- 
tent la  mer  de  telle  forte,  que  la  lame  feule  pouffe  les  vaiffeaux 
fur  terre  &  les  y  fait  périr.  En  deux  fois  feulement ,  les  HoUan- 
dois  y  ont  perdu  32  vaiffeaux  (  c  ).  Il  y  a  dans  la  Ville  du  Cap 
de  Bonne  Efpérance  autant  pour  le  moins  d'efclaves  que  de 
HoUandois.  Ceux-ci  ont  étendu  leur  établiffement  jufqu^à  150 
lieues  dans  les  terres  ,  &  les  Hottentots  qui  en  habitent  le  mi- 
lieu y  font  forcés  de  fe  retirer ,  à  mefureque  les  HoUandois  éten- 
dent leur  Colonie.  Les  Hottentots  font  une  race  d^hommes  li- 
vrés à  beaucoup  de  vices  y  &  jamais  aucun  peuple  ne  fut  ni  plus 
pareffeux  ni  plus  y  vrogne.  Il  efl  dans  un  ufage  qui  bleffe  la  na- 
ture &  qui  femble  appartenir  plus  particulièrement  aux  Hotten* 
tots  ;  après  la  cérémonie  qui  les  conflitue  dans  la  qualité  d'hom^ 
mes ,  ils  peuvent  fans  fcandale  maltraiter  &  battre  leurs  mères* 
C'efl  un  honneur  pour  eux  de  ne  les  pas  ménager  j  &  loin  de 
s'en  plaindre ,  les  femmes  approuvent  elles-mêmes  cette  info- 
lence.  Si  Ton  entreprend  de  faire  fentir  aux  anciens  l'abfurdité 
d'une  fi  odieufe  pratique  y  ils  croient  réfoudre  la  difficulté  en 

.  r^ri^n  1493. 
(^)  EiT  1650. 
(c)  Vingt-cinq  y  firent  naufrage  en  1722 ,  &  fcpt  en  1736. 


45)2  SCIENCE 

répondant  que  c'cft  Tufage  des  Hottentots.  La  coutume  rfex-  » 
.  pofer  leurs  enfans  &  leurs  vieillards ,  doit  paHjj^tre  encore  plus 
barbare  j  mais  elle  n'efl  pas  plus  propre  des  Hocteotots  ,  que 
d^autres  Nations  de  l'Afrique  ;  Tantiquité  en  offre  auiïï  des 
exemples  dans  les  Nations  les  plus  policées.  Sur  la  première  de 
ces  deux  barbaries ,  les  Hottentots  n'allèguent  encore  que  Pu- 
fage  pour  leur  juftification  ;  mais  s'il  eft  queflion  de  leurs  vieil- 
lards ;  ils  prétendent  que  c'eft  un  aûe  d'humanité  ,  &  qu'à  cet 
âge ,  il  vaut  mieux  fortir  desmiferes  de  la  vie  ,  par  la  main  de 
fes  amis  &  de  fes  parens ,  que  de  mourir  de  faim  dans  une  hutte 
ou  de  devenir  la  proie  des  bêtes  farouches  (  a  )• 
XV.  Il  eft  plufîeurs  Ifles  fur  lesmer^  d'Ethiopie*  Celle  de  Mada- 

Cap  àt  Bonne    gafcaT  ouc  les  Portugais  nomment  Saint  Laurent  •  eft  une  des 
Cap  de  Guuda-  plus  grandes  du  monde  connu.  Madagaicar  elle-même  eu  en- 
vironnée d'Ifle ,  de  rochers  &  de  bancs  de  fable  qui  forment 
des  écueils  dangereux  :  Ifle  de  Sainte  Apolline  ^  Ifte  de  Bour- 
bon ,  &c. 
xvr.  L'Empire  du  Monomotapa  ^  vafte  pays  dont  les  Habitans 

«oi^pa/  font  innombrables ,  eft  féparé  par  une  rivière  au  Nord  Se  vers 
une  partie  de  l'Oueft  ,  de  divers  Royaumes  qui  appartiennent 
à  l'Empire  de  Monemuji  ^  &  du  Royaume  maritime  de  Maruka. 
A  la  fuite  de  l'Oueft  &  du  côté  du  Sud  ^  il  eft  bordé  par  le  pays 
des  Hottentots  &  par  certains  Cafres.  A  l'Eft  ,  il  eft  baigné  par 
la  mer  de  l'Inde» 

Cet  Empire  eft  dîvifé  en  vingt-cinq  Royaumes ,  &  il  a  des 
mines  très-riches  d'or  que  les  Portugais  fe  procurent  par  des 
échanges  avec  des  étoffes ,  des  colliers  de  yerre  ,  &  d'autres 
marchandifes  de  peu  de  valeur.  Ils  ont  à  Maffapa  un  Oflîciet 
de  leur  nation  ,  nommé  par  le  Gouverneur  de  Mozambique  ^ 
{a)  Hiftgirt  générale  dw  voyages  ,  Tome  V  ,  pag.  14$  &  147;, 


DU     GOUVERNEMENT.4P3 

du  confentement  de  l'Empereur  de  Monomotapa  y  mais  avec 
défSnfe ,  fous  peine  de  mort  f  de  pénétrer  plus  loin  dans  le  pays 
fans  fa  permiflion. 

L'Empereur  a  un  grand  nombre  de  femmes ,  mais  il  n'y  en  a 
que  neuf  qui  foient  honorées  du  titre  de  grandes  Reines.  Il  en- 
tretient plufieurs  armées  dans  différentes  Provinces ,  pour  con- 
tenir dans  le  refpeâ  &  dans  la  foumiflion  des  Rois  fes  vaflaux  ^ 
que  leur  inclination  porte  fouvent  à  la  révolte» 


SECTION       IV. 

Gouvernement  de  C intérieur  de  P Afrique. 

LA  F  R  ï  Q  u  E ,  peu  inférieure  à  l'Afie  &  à  T  Amérique  pour  xy„. 
la  variété  &  le  mérite  de  fes  produftions,  n'eft  pas^  à  ri£i^„^pt; 
beaucoup  près ,  auffi  connue  que  ces  deux  autres  parties  Mu  ^J^*'*'^"^ 
monde.  La  connoiffance  que  nous  en  avons ,  fe  réduit  prefque 
uniquement  aux  côtes  &  à  quelques  rivières  >  telles  que  le  Se- 
négal  &  la  Gambra.  La  partie  connue  par  ces  deux  rivières ,  eft 
plus  fréquentée  par  les  Européens  y  qu'aucune  de  celles  qui  font 
au-deffus  de  la  Barbarie  &  de  TEgypte  ;  mais  les  blancs  n'ont 
"  pas  la  hardieffe  de  pénétrer  dans  l'intérieur  de  l'Afrique  ;  ils  y 
périroient  infailliblement  par  la  jaloufie  des  Nègres  qui  lesfoup- 
çonneroient  de  quelques  deffeins  pernicieux  à  leur  Nation.  Ces 
Nègres ,  qui  ont  intérêt  que  les  blancs  ne  pénètrent  point  dans 
le  fein  du  pays ,  leur  en  font  de  fauffes  relations*  Perfonnc  ne 
peut  par  conféquent  parler  avec  certitude  de  la  (îtuation ,  de 
rétendue  ,  du  commerce  y  &  des  forces  des  Etats  qui  font  dans 
l'intérieur  des  terres* 

Les  Royaumes  de  Congo  ^  d'Angola  y  de  Benguala  y  quel* 


494      .  SCIENCE 

ques  autres  dont  j'ai  parlé ,  6c  les  Etats  dont  ils  font  envi- 
ronnés,  &  dont  nous  fçavons  à -peine  les  noms ,  compofênc 
prefque  la  moitié  de  TAfrique.  Loango  eft  un  de  ces  Etats.  Je 
lui  donnerai  ici  un  article ,  &  je  rapporterai  le  peu  que  nous  fça- 
vons de  rAbiffînie* 
XVIII.         Après  la  mort  du  Roi  de  Loango  y  la  Couronne  ne  pafle  pbînt 

àtUin^ir^^  à  fes  enfans ,  mais  à  Taîné  de  fes  frères  ;  &  s'il  rfa  point  de 
frères ,  aux  enfans  de  fes  fœurs*  Ceux  qui  ont  des  juftes  préten- 
tions à  la  fucceflion  Royale ,  ont  leur  demeure  fixée  dans  dif- 
férentes Villes  9  plus  ou  moins  éloignées  de  la  Cour,  fuivant 
le  degré  où  ils  font  dans  la  famille  régnante.  L'héritier  préfom- 
ptif  fait  fa  réfldence  à  Kay ,  grande  Ville  à  cinq  milles  de 
Loango ,  au  Nord-Nord-Oueft ,  &  porte  le  titre  de  Manikay. 
Le  fécond  fe  nomme  Mani-Bocke  y  du  nom  de  la  Ville  qu'il 
habite ,  à  quatorze  ou  quinze  milles  dans  l'intérieur  des  terres. 
Mani'Sallaga  ôm  Sallage ,  qui  eft  le  troifiéme  ,  demeure  à  5izZ- 
lage  j  Ville  d'affez  bonne  grandeur ,  à  3  y  milles  de  Loango  , 
du  côté  du  Nord.  Mani-Kat ,  le  quatrième ,  habite  le  village 
de  Kat ,  à  50  milles  de  Loango.  Le  cinquième ,  nommé  Mani* 
Ingami  y  eft  fixé  dans  le  village  de  fon  nom ,  au  Sud  du  Royau- 
me vers  Kalongo.  A  la  moft  du  Roi,  Mani-Kay  étant  appelle 
au  trône  par  le  droit  de  fa  naiffance ,  Mani-Bocke  prend  fon 
titre  &  fa  demeure,  comme  Mani-Sallage  fuccede  à  la  demeure 
&  au  titre  de  Mani-Bocke ,  &  les  autres  fuivant  Tordre  de  leurs 
degrés.  Mais  quoique  Mani-Kay  entre  auflitôt  en  poffeflion  du 
Gouvernement,  il  attend  que  le  deuil  foit  fini  pour  quitter  fa 
Ville  '&  fe  rendre  à  la  Cour  (û  ). 
XIX.  L'Empereur  des  Abiffins  prend  la  qualité  de  Prince  des  If- 

tfAbafinif.       raëlites ,  parce  qu'il  prétend  defcendre  de  Salomon.  Nous  l'ap- 

"^ii)Jïiftoîregénéralc-dc«^oyagc^pag.598  duIV^Tom».  - 


D  U    G  Onj  V  E  R  N  E  M  Ë  N  T.      4py 

pelions  le  Grand  Negus  ;  &  il  n'écoit  connu  autrefois  en  Eu-* 
rope  que  fous  le  nom  de  Préte-Jan.  Nous  n'avons  de  relation 
de  fon  pays  que  depuis  le  règne  de  Jean  II  Roi  de  Portugal , 
qui  ^  dans  le  quinzième  fiécle  (a)  ,  envoya  deux  Capitaines  de 
vaiiTeaux  ^  pour  le  découvrir  dans  TAfie  &  dans  les  Indes  où 
il  n'eft  point.  On  le  trouva  enfin  en  Afrique ,  où  fon  Etat  eft 
fitué  y  entre  le  feptiéme  &  le  dix-feptiéme  degré  de  latitucfc. 
On  rfa  pu  déterminer  fa  longitude*  En  hiver  comme  en  été  , 
les  habitans  fe  retirent  dans  les  montagnes  j  où  ils  font  àcou-«- 
vert  de  la  chaleur  extrême  de  leur  climat  ôc  des  inonda- 
.tions. 

Sur  la  fin  du  neuvième  fiécle ,  une  femme  nommée  EJfa\  fie 
périr  toute  la  famille  régnante ,  à  la  réferve  d'un  feul  Prince. 
La  fienne  tint  TEmpire  pendant  quatre  fiécles.  Les  defcendans 
du  Prince  fauve  du  mafiacre ,  fe  partagèrent  l'Etat  vers  la  fin 
du  treizième  fiécle*  Il  fut  enfuite  réuni  fur  la  tête  d'un  feul  ^ 
dont  la  poftérité  gouverne  encore  rAbiffinie. 

L'Empereur  des  Abiffins  efl:  Chrétien.  Les  Miffionnaires 
Européens  avoienc  même  introduit  (&)  la  Religion  Catholique 
dans  fes  Etats  ;  mais  les  Catholiques  en  ont  été  chafiës  (c)  ^ 
aufli  bien  que  les  Miflionnaires.  Les  Abifiins  ont  un  Carême  de 
cinquante  jours,  qui  les  afFoiblit  tellement,  que  de  long*tems  ils 
ne  peuvent  agir.  Les  Turcs  ne  manquent  pas  de  les  attaquer 
après  ce  très -rude  Carême  (d),  &  les  Abifiins  ne  changent 
rien  à  une  pratique  pieufe  qui  les  expofe  à  être  maflacrés  par 
leurs  ennemis ,  aufii  fiupides  en  ce  point  que  les  Juifs ,  qui  ne 

(d\  En  1487. 

m  Vers  le  milieu  du  XVI«  fiécle. 
le)  En  1632. 

\d)  Recueil  des  voyages  qui  ont  fervi  à  rEtablilTement  de  la  Compagnie  des  la* 
4es ,  Tom.  IV ,  Part.  I.  pages  3  5  &  X03  •, 


49^  '        SCIENCE 

fe  défendoient  pas  contre  les  ennemis  qui  les  attaquoient  le  jour 
du  Sabbat ,  parce  que  le  Sabbat  leur  avoit  été  ordonné.  Ceft 
ainfi  que  les  foldats  de  k  garnifon  de  Feluze  affîégée  par  Cam^ 
bife ,  n'oferent  tirer ,  parce  que  Cambife  avoit  mis  au  premier 
rang  un  grand  nombre  d'animaux  que  les  Egyptiens  tenoient 
pour  (acres  9  comme  fi  la  défenfe  naturelle  n'étoit  pas  d'un  ordre 
wpérieur  à  tous  les  préceptes  ! 

Cet  Empire  d'Abiffinie  ou  d'Ethiopie  a  eu  une  très-grande 
étendue  &  ne  laifle  pas  d'être  encore  très-puifTant,  malgré  les 
pertes  que  lui  a  caufé  la  nation  barbare  des  Galles.  On  y  compte 
plus  de  vingt  Royaumes.  Le  plus  beau  efl  yimhara  y  qui  eft 
comme  le  centre  de  l'Empire.  C'eftrlà  que  le  Roi  tient  fa  Cour, 
&  que  les  Seigneurs  font  leur  féjour  ordinaire.  Celui  d^Endrrea 
eft  recommandable  par  la  richeife  des  mines  d'or  qui  y  font 
abondantes.  Celui  de  Goyan  efl  célèbre  par  les  fources  du  Nil 
qu'on  y  a  trouvées  9  &  dont  ce  fleuve  qui  l'entoure  fait  une  belle 
prefqu'ifle. 

Les  Abiflins  ont  de  Tefprit ,  mais  ils  ne  le  cultivent  point» 
Ils  font  dans  une  ignorance  profonde  des  fciences  &  dts  arts 
Hbéraux  y  &  ils  efliment  néanmoins  ceux  qui  les  poffedent.  Ils 
n'ont  point  de  Médecins  y  &  fuivent  Tufage  des  anciens  Babî- 
Ioniens  qui  confultoient  les  premiers  venus  fur  leurs  mafadies» 
Ils  ont  de  l'éloignement  pour  les  procès  ,  &  n'ont  pas  plus  de 
Jurifcdnfultes  que  de  Médecins  ;  chaque  particulier  plaide  fa 
caufe  comme  il  peut  devant  les  Gouverneurs  du  pays  ^  qui  jugent 
également  les  affaires  civiles  &  criminelles  j  il  efl  rare  qu'on  ap^t 
pelle  de  leurs  Jugemens  à  l'Empereur» 

CHAPITRE  V, 


D  U    G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.       4py 


^CœÂMAMji^ 


CHAPITRE     G  I  N  Q  U  I  E  ME. 

Du  Gouvernement  aSuel  de  ckaqtu  Peuple  de  F  Amérique^ 
conjidiré  en  particulier. 


SECTION     PREMIER K 

Gouvernement  des  Indes  Occidentales  ,  avant  la  conquête 
que  les  Européens  en  ont  faite. 


L 


E  Mexique  écoit  TEmpire  de  l'Amérique  Septentrionale.         t 


Nous  n'avons  aucune  connoiflance  du  Gouvernement  qui 
y  avoit  été  établi  y  foit  parce  qu'il  étoit  defpotique  y  foit  à  caufe 
que  ces  peuples  idolâtres  n'avoient  aucune  connoifTance  des 
Lettres.  Nous  apprenons  feulement ,  dans  THiftoire  de  la  con- 
quête que  les  Européens  ont  faîte  de  cet  Empire  &  qui  eft  un 
très-bon  Ouvrage  (a) ,  que  Motefuma ,  dernier  Souverain  In-* 
dien ,  régnoit  fur  cette  vafle  contrée  ;  qu'il  y  avoit  dans  l'éten- 
due de  cet  Empire  un  Royaume  qu'on  appelloit  Mechoacan  ^  8c 
une  République  qui  portoit  le  nom  de  Tlafcala  6c  qui  avoit  un 
Sénat;  que  le  refte  de  FAmérique  Septentrionale  étoit  gou- 
verné par  des  Caciques ,  c'eft-à-dire ,  par  des  Chefs  particuliers  y 
par  de  petits  Princes  tributaires ,  ou  par  des  Gouverneurs  qui 
dépendoient  du  Souverain  de  Mexico ,  Capitale  de  l'Empire  ; 
&  qu'enfin  les  hâbitans  du  Mexique  faifoient  des  facrifîces 
d'hommes  aux  Dieux  du  pays  :  ulage  barbare  que  déteiloien( 
ks  peuples  de  PAmérique  Méridionale  ^  plus  humains. 

f^a)  Par  Antoine  de  SoUs  qui  a  écrit  en  ETpagnol ,  &  dont  le  Livre  a  M  traduit  çq 
François  par  l'Auteur  de  lUiftoire  du  Triumvirat,  (C^rtri.  ) 

Tomcl.  Rrr 


LeUexi<|u4 


Xe  Pérou* 


498  SCIENCE 

îi.  Le  Pérou  étoît  TEmpire  de  T Amérique  Méridionale  J  gou^ 

verné  par  un  Ynca  ou  Roi.  Les  mêmes  raifons  qui  nous  ont  privé 
de  la  coraîoiflance  de  l'ancien  Gouvernement  du.Mexique , 
nous  auroient  ôté  celle  du  gouvernement  du  Pérou ,  fi  après  la 
conquête  que  les  Européens  en  ont  faite  ,  &  qui  a  été  encore 
écrite  par  un  Auteur  Efpagnol  (  a)  >  Garcilaflb  de  la  Vegja  , 
Sont'  la  mère  defcendue  des  Yncas ,  anciens  Rois  du  pays  ^ 
avoit  été  mariée  à  un  Efpagnol,tfavoît  compofé  f  Hiftoire  de  ces 
Yncas  (6)  ,  &  ne  nous  avoit  expliqué  leur  établiffement ,  leur 
Religion ,  leurs  Loix  ,  &  tout  ce  qui  a  rapport  au  IÇferou.  Ceft 
d'après  cet  Hiftorien  y  le  feul  national  que  nous  ayons  ,  que  je 
donnerai  ici  l'idée  de  cet  Empire, 

Les  Péruviens ,  qui  n'a  voient  aucune  connoiflance  des  Let- 
tres y  ne  pouvoient  fçavoir  leur  hiftoire  que  par  la  Tradition  ^ 
par  quelques  chanfons  qui  ^  comme  autrefois  chez  divers  peu- 
ples de  l'ancien  monde  ,  faifoient  paffer  de  bouche  en  bouche 
les  événemens  remarquables ,  &  confervoient  la  mémoire  de  la 
vertu  des  grands  hommes  y  Se  enfin  par  des  nœuds  appelles 
Quippos  y  qui ,  par  la  différente  manière  de  les  faire  y  &  par  leurs 
différentes  couleurs  ;  fervoient  d'alphabet  aux  Péruviens ,  & 
formoient  ce  qu'on  peut  appeller  leurs  annales»  Avec  des^ 
moyens  fi  foibles ,  il  n'a  pas  été  poflfîble  d'étendre  fort  loin 
tHiftoire  de  la  Monarchie  y  Se  nous  n'y  devons  prendre  que 
peu  de  confiance» 

L'Empire  des  Yncas  avoit  1 300  lieues  de  long,  &  étoit  dans 
fon  étendue  coupé  par  la  ligne  Equinoâiale.  Ceft  un  pays  au-r 
quel  la  nature  a  prodigué  fes  ricKefles»  * 

Les  habitans  qui  n'opt  pu  fixer  Tépoque  de  la  fondation  de 

{a)  Aiiguftin  de  Zarate ,  dont  THiftoire  eft  traduite  en  François. 
{h)  Eîle  fut  compofée  en  Eipa'ghol  en  1604,  5c  traduite  en  François.  Anifterdam^ 
xîiez  J.  Frédéric  Bernard,  1737*  -  ^    • 


DU    GOUVERNEMENT.        49, 

l'Empire  auquel  ils  étoient  fournis ,  fçavoient  feulement  en  gé* 
néral,  que  leurs  ancêtres,  plongés  dans  une  grande  ignorance^ 
dans  une  idolâtrie  grofTiere  >  étoient  dépourvus  de  toutes  les 
douceurs  de  la  vie  ^  lorfqu  un  Indien  qui  avoir  plus  d'efprit  ^ 
de  génie  &  d'adreffe  que  les  autres,  entreprît  de  les  policcr.  Il 
accrédita  fa  miflion  en  fe  donnant  pour  fils  du  Soleil.  Après 
s'être  affuré  de  leur  foi  >  il  leur  propola  la  pratique  toute  fimple 
des  Loix  naturelles  ;  8c  lorfqu  il  vit  qu  une  origine  fi  didinguée 
lui  attiroit  la  confiance ,  8c  que  la  fupériorité  de  fon  efpric 
pouvoir  la  juftifier ,  il  leur  déclara  que  le  Soleil  étoit  Dieu  9  qu^il 
devoir  être  le  leur  ;  qu'il  méritoit  un  refpeâ:  8c  un  culte  tout 
particulier  ;  que  fon  nom  ne  devoit  être  prononcé  que  par  des 
perfonnes  facrées;  8c  que  déformais  tout  homme  qui  le  pro- 
nonceroit ,  à  moins  qu  il  ne  fut  Ynca ,  feroit  lapidé. 

Manio-Capac,  c'efl  le  nom  de  cet  Indien  ,  fut  donc  le  pre- 
mier Ynca  8c  le  fondateur  de  cette  Monarchie.  Les  Sauvages 
Méridionaux  de  l'Amérique  croy oient  devoir  leur  origine  à  des 
lacs,  à  des  fontaines»  9  à  des  montagnes ,  à  des  oifeaux,  à  des 
reptiles,  aux  animau3(  les  plus  vils ,  aux  bêtes  les  plus  féroces  , 
a  toi)t  ce  qi)i  fe  préfentoit  à  leur  imagination  ;  8c  ils  avoient 
par  conféquentun  nombre  prefque  infini  de  faufles  divinités:  ob- 
jets méprifables  &  par  leur  baffefTe  &  par  leurs  fondions.  Jugeant  » 
de  Textraâion  de  TYnca  par  la  leur  propre  8c  par  les  grands 
biens  qu'il  leur  avoir  faits ,  ils  le  regardèrent  comme  le  vérita- 
ble fils  du  Spleil,  l'adorèrent  comme  tel  ,  8c  promirent  d'obéir 
€xa£lement  à  fes  ordres.  Tous  proteflerent ,  lorfqu  on  les  affem- 
bla ,  qu'un  homme  mortel  ne  pouvoit  avoir  mis  en  évidence  les  chofes 
qu^ilkur  avoit témoignées,  tf  qu'ils  liiQroyoient  un  homme  divin: 

Cet  Ynca  peut  être  comparé  (  fi  ce'qu'on  nous  en  dit  efl  vrai  ) 
aux  Legiflateurs  les  plus  célèbres  de  l'antiquité.  Il  fit  de  bonnes 

Rrrij 


50O  SCIENCE 

Loix  &  d'excellens  Reglemens  ^  pour  des  peuples  fauvâges  qu'il 
fçut  raflembler  en  fociété,  &  qu'il  engagea  à  labourer  la  terre  ^ 
à  cultiver  les  arts  y  6c  à  élever  des  bâtimens.^  Il  apprenoit  aux 
hommes  ce  qu'ils  dévoient  faire  ;  &  la  Reine  ^  Cc^a  mania  Oella 
huaco  y  fa  fœur  &  (a  femme  y  afTociée  à  fes  vues  y  inftruifoit  leâ 
perfonnes  de  ion  fexe  à  filer  la  laine ^  à  ciftre  lecoton^&à 
faire  les  autres  ouvrages  convenables  à  leur  étstu 

Il  fît  bâtir  un  grand  nombre  de  Villes  ^  y  introduifit  les  arts^ 
8c  y  établit  le  culte  à  rendre  au  Soleil  auquel  il  fit  élever  des  Tem- 
ples magnifiques  dans^tous  les  lieux  qui  devinrent  fa  conquête  r 
Temples  dont  les  refies  font  encore  Tobjet  de  Tadmiration^  des 
Européens  qut  tes  ont  vu$# 

Ce  Legiflateur  donna  à  chaque  Nation  qui  fc  fournira  fa  puîf- 
fance ,  un  Curaca  ,  Prince  vafïal  ou  Gouverneur  y  qu-*it  choifîft 
parmi  ceux  qui Tavoîent  le- plus  aidé  à  policer  Ie!s  fauvages. 

Sa  morale  fut  très-pure*  Il  établit  deux  principes  fondamen-^ 
taux  de  la<  Religion  naturelle  :  Tun  f  la  juftice  mutuelle  qui"  or- 
donne à  chaque  homme  c^rè  équitable  ertvers  le$  autres ,  afi* 
que  les  autres  le  foient  envers  lui  :  Tautre  y  le  mariage  qui  boN 
Roit  chaque  mari  à  la  pofTeffiôn  d^unefeiile  femme;  L'adulterfe 
fut  traité  de  larcin  ,  la  fornication  rendit  méprifable  y  le  pécHé 
contre  nature  fut  châtié  exemplairement:  le  concubinage  même^ 
qui  efl  une  efpéce  de  polygamie^  devint  odieux  ;  mais  parée  que 
k  tempéramment  de^  MancaCapac  yeraportoit  fur  la  juôice  de 
fes  Loix ,  il  cacha  Tèxcèis  de  fa  paffion  pour  les  femmes  y  fous 
ce  beau  prétexte  qu'il  étoit  important  à  tEtat  qu*il  y  eût  beau** 
coup  d'enfans  du  Soleil» 

•  Il  voulut  qu^'on  fe  mariât  de  bonne  hëUHe  ^  poui^  multiplier  les 
Citoyens,  &  pour  empêcher  les  débauches;  mais  il  défendit 
<^  ce  fût  avant  vingt  ans,  parce  quUl  fs^loit  que  les  gçns^mafr 


DU     GOUVERNEMENT;        501 

tiés  fuffent  en  âge  de  prendre  foin  de  leur  femme  ,  de  leurs  en- 
fans  y  de  leur  fortune.  L'intérêt  &  Tavarice  ne  fof moient  pas 
l'union,  LTnca  marioit  lui-même  ceux  de  fon  fang  ;  6c  les  Gou- 
verneurs des  Villes  &  des  Provinces  marioîent  les  perfonnes 
foumifes  à  leur  autorité. 

Il  leur  donna  des  préceptes  fur  le  culte  à  rendre  &  les  facrî* 
fices  à  faire  au  Soleil.  Il  leur  difoit  qu'il  devoit  à  cet  allre  &  à  la 
lune  fa  femme  &  fa  fœur ,  une  adoration  particulière,  pour  leur 
avoir  envoyé  deux  de  leurs  enfans  (  MancoCapac  &  ùl femme) 
qui  leur  avoient  fait  quitter  leur  façon  de  vivre  brutale  &  fau- 
vage.  Il  ordonna  que ,  lorfqu'il  y  auroit  autant  de  femmes  du 
Sang  Royal  qu'il  en  falïoit  pour  le  fer  vice  du  Soleil,  on  bâtit 
une  maîfon  où  elles  feroient  logées  &  enfermées  ,  &  il  leur  pro- 
mit de  nouveaux  bienfaits  de  la  part  du  Solei)  fon  père ,  au  cas 
qu'ils  fiflent  ce  qu'il  difoit,  les  affurant  que  c'étoit  le  Soleil  même 
qui  lui  infpiroit  tout  ce  qu'ils  apprenoient  de  lui,  &  que  ce  grand 
Dieu ,  Comme  un  bon  père ,  lui  fervoit  de  guide  dans  fes  allions 
comme  dans  fes  paroles^ 

•  La  nianiere'de  punir  les  attentats  à  Phonneuf ,  ou  des  femmes 
de  l'Ynca,  ou  de  certaines  filles  qui  avoient  fait  vœu  de  virgi-* 
Tiité  perpétuelle,  &  qui  s'étoient  mifes  aufervice  du  Soleil,  dont 
elles  fe  difoient  les  femmes ,  eût  été  bien  injufte ,  Ct  elfe  eût  été 
fuivie  à  la  lettre,  puifqu'elle  eût  confondu  les  innocens  avec  le 
coupable.  On  devoit ,  fuivant  la  Loi ,  non-feulement  enterrer 
Vifs  ces  adultères,  mais  encore  détruire  toute»  lés  familles  dcf 
ces  criminels  avec  tous  les  habîtans  des  lieux  de  leur  naîfTance^ 
&  femer,  fur  les  ruines  de  ces  lieux,  ou  des  pierres  ou  du  fel, 
afin^qa'on  y  vît  des  marques  éternelles  de  ftérilité  &  d'infamie. 
Four  fauver  h  rigueur  de  la  Loi ,  on  nous  aflure  qu'elle  n'a  jd« 
gaaisr  été  exécutée ,  parce  qu'il  n'y  a  ^mais  eu  de  criminel ,  que 


502  ^        SCIENCE 

le  refpeâ  des  Loix  8c  un  amour  namrel  de  ta  vertu  retenoient 
les  uns ,  pendant  que  les  menaces  effrayoient  les  autres  &  les 
forçoient  à  garder  les  apparences  de  la  vertu.  Voilà  œ  que  nous 
donne  à  entendre  lliifloire  des  Yncas  ;  mais  il  eil  impoffible  que 
dans  un  Etat  il  n'y  ait  ni  infraûcursdes  Loix ,  ni  criminels.  Les 
conféquences  de  cette  feverité  utile  en  apparence  &  néceffaire  à 
l'Etat ,  pouvoient  être  dangereufes.  Tout  ce  qu'ont  pu  faire  de 
mieux  les  Yncas  a  été  de  punir  le  crime  en  fecret ,  pendant  qu'on 
maintenoit  en  public  la  fainteté  des  Loix  de  TEtat  y  &  qu'on  en 
faifoit  valoir  j  par  cette  rigueur,  l'autorité  à  tout  le  peuple.  lia 
pu  d'ailleurs  y  avoir  au  Pérou ,  comme  il  y  en  a  eu  dans  d'autres 
Etats ,  des  moyens  de  cacher  certains  défordres ,  &  tout  ce  que 
THifloire  efl  en  droit  d'exiger  de  nous,  c'eft  de  croire  que  la 
Loi  les  y  a  rendus  plus  rares. 

La  dignité  facerdotale  réfidoit  dans  la  famille  des  Yncas  ^ 
avec  cette  diftinûion  que  les  Prêtres  du  Soleil  étoient  pris  du 
Sang  Royal,  au  lieu  que  les  autres  étoient  pris  entre  les  Yncas 
titulaires,  car  la  qualité  d'Ynca  étoit  accordée  à  ceux  quife  ren- 
doient  néceffaires.  à  l'Etat ,  &  fervoit  de  témoignage  Se  de  ré- 
compenfe  à  leur  mérite.  Cétoit  le  plus  haut  degré  de  fayeur  au* 
quel  un  Sujet  pût  parvenir.  Manco  Capac  accordoit  aufli  à  quel* 
ques-uns  de  fes  Sujets  les  mêmes  marques  d  honneur  qu'il  por- 
toit  fur  fa  tête.  Il  n'avoît  ordinairement  que  l'épaiffeur  d'un 
doigt  de  cheveux  coupés  par  degrés  ;  fes  dekendans  les  portè- 
rent de  même  que  lui ,  fe  les  çoupoiçnt  avec  des.rafoirs  faits  de 
pierre  à  feu ,  &  fe  perçoient  les  oreilles ,  principalement  les  fem* 
mes  qui  y  attachoient  des  pendans.  Le  privilège  que  l'Ynca 
donna  à  fes  vafTaux,  fut  de  leur  permettre  à  tous  déporter  la 
trcffe ,  à  fon  imitation ,  pourvu  qu  elle  fût  feulement  noire  Se 
non  de  diverfes  couleurs  comme  la  iienae^illeur  permit  enfuitç 


DU.  .G  O  U  V  E  R  N  E  M  E  N  T.        fe^ 

•de  portctj^.çheyeiix  coupés  par  échelons ,  avec  quelque  diffé- 
rence ^J8(p^;4fes  autres ,  félon  qu'ils  Croient  plus  ou  moins  affu- 
jettis^  tç-bjùt  de  rVnca  étoit  de  diftingucr  par  la  coëfliu-echâH 
que  Nattoh  &  chaque  Province ,  pour  éviter  la  confufion  dans 
le  partagé  qu'il  en  avoit  fait.  Il  leur  défendit  pourtant  à  tous  de 
porter  lesxheveux  auffi  courts  que  lui. 

La  ^gçïTe  des  Loix  du  premier  Ynca  fit  toute  feule  ce  que 
des  années  redoutables  n'ont  pu  faire  ailleurs  que  par  la  terreur. 
Une  prudence  finjguliereliii  fournit  le  moyen  de  s'affujettir  des 
peuples  barbares  qui  Tenvironnoient  de  tous  côtés ,  il  les  rendît 
capables  de  docilité  ;  &  en  ne  s'attachant  proprement  qu'à  la 
conquête  des  âmes  &  à  corriger  les  mœurs  de  tous  ces  fauva- 
ges  )  il  fçut  perfuader  y  fans  contrainte  &  fans  violence  y  qu'il 
ne  falloit  qu'une  feule  Loi  &  un  feul  Maître  dans  un  Etat  bien 
réglé. 

Les  Rois  y  outre  les  femmes  légitimes  y  avoient  plufieurs  Maî- 
treffcs  dont  les  unes  éroient  étrangères ,  &  les  autres  leurs  pa- 
rentes 9  au  quatrième  degré  ou  dans  un  degré  plus  éloigné.  Ils 
cenoient  pour  légitimes  les  enfans  qu'ils  avoient  de  leurs  paren- 
tes ,  parce  qu'ils  n'étoient  point  d'un  fang  étranger  ;  mais  ceux 
qu'ils  avoient  des  Maîcrefles  étrangères ,  ne  paflbient  que  pour 
bâtards.  On  les  refpedloit ,  parce  que  leur  naiflance  étoit  Royale  , 
jnais  on  n'avoit  pas  pour  eux  la  même  vénération  que  pour  ceux 
du  Sang  Royal.  On  honoroit  ceux-là  comme  des  hommes  y  & 
on  adoroit  ceux-ci  comme  des  Dieux.  L'Ynca  Roi  avoit  donc 
trois  fortes  d'enfans  y  ceux  de  fa  femme  qui  y  comme  légitimes  y 
dévoient  fùeçédcr  à  l'Empire  i  ceux  de  fes  parentes  qui  étoienc 
réputés  légitimas i  ceux  des  étrangères,  qui  étoient  cenfés  bâ-i 
tards.  r 

Une  Loi  àufli  ancienne  que  la  Monarchie  des  Yncas  y  vouloi| 


D  U'  G  O  U  V  EJK  N  E  M  E  N  T.  yoj 
voie  de  la  perfuafion  étoic  inipuiffante,pour  foumetrreà  leur 
Empire  les  Nations  voifînes* 

On  voit  dans  la  fuite  de  Tbiftoire  des  fuccefleurs  du  premier 
Ynca ,  qu'on  avoir  eu  grand  foin  de  leur  éducation  j  &  qu'pn 
leur  avoir  infpiré  de  bons  principes,  pour  corriger  les  mauvaifes 
&  criminelles  habitudes  des  Indiens.  LTnca  ,  fixiéme  Roi  du 
Pérou  9  trouva  deux  Provinces  dont  les  habitans  facrifioient  des 
enfans  à  leurs  Dieux ,  dans  leurs  fêtes  principales  j  il  leur  perfua- 
da  d'adorer  le  Soleil  &  de  ccflër  d'être  inhumains  j  les  affurant 
que  s'il  leur  arrivoit  à  l'avenir  de  facrifier  unfeul  enfant ,  illes  fe* 
roit  tous  paffer  au  fil  de  Tépée.  Ce  même  Ynca  établit  de  très-bon- 
nes Loix,  fonda  des  écoles  pour  inftruire  les  Princes  Yncas  &  les 
Seigneurs  de  fon  Empire ,  non  par  le  moyen  des  lettres  dont 
ils  n'a  voient  point  Tufage,  mais  par  la  pratique  journalière  des 
fciences^  des  cérémonies,  &  des  préceptes  de  leur  Religion.  Ils 
étoient  chargés  de  les  inftruire  dans  la  Politique  8c  dans  la  mi- 
lice ,  de  polir  leurs  mœurs,  de  leur  apprendre  THiftoire  &  la 
Chronologie ,  par  le  moyen  des  nœuds  dont  ils  fe  fervoient 
pour  compter  les  années. 

L'or  j  l'argent  &  les  pierreries  abondoîent ,  comme  tout  le 
monde  fçait ,  au  Pérou ,  &  les  Rois  du  Pérou  en  pofledoienc 
plus  que  les  Souverains  les  plus  puiflans  n'en  pçfFeddrent  ja- 
mais. Les  Indiens  en  préfentoîent  aux  Yncas ,  non  à  titre  de 
tribut ,  car  les  Yncas  ne  Texigeoient  point ,  mais  pour  fuivre  ht 
coutume  que  les  anciens  Indiens  obfervent  encore  aujourd'hui 
au  Pérou  ,  qui  eft  de  ne  jamais  vifiter  leurs  Supérieurs ,  fans  leur 
faire  quelque  préfent ,  ne  fut-ce  que  d'un  petit  panier  de  fruit» 
L'or  &  l'argent  ne  pouvoient  fervir  aux  Yncas  ,  ni  pour  la 
guerre  ni  pour  la  paix ,  puifqu'on  ne  vendoit  ni  n'achetoit  rien 
avec  ces  métaux,  &  qu'on  n'en  payoit  point  les  troupes.  Les 
Tome  I.  S  f  f 


yotf  SCIENCE 

Indiens  regardoienc  ces  richefTes  comme  fuperâues  y  parce 
qu'elles  n'étoient  ni  bonnes  à  manger ,  ni  propres  a  rechange 
des  denrées.  S'ils  en  faifoient  quelque  eftime ,  ce  n^étoit  qu'à 
caufe  de  leur  beauté  &  de  leur  éclat ,  &  ils  les  employoient  uni* 
quement,  par  cette  raifon  j  à  rembellilTement  des  Palais  du  Roi 
&  des  maifons  de  leurs  Religieufes. 


SE   G  T  I  O   N.    I  I. 

Gpuvernement  des  Indes  Occidentales  fous  les  Princes 
Européens  qui  les  ont  conquifes. 

D(Jcoiivirtede  ^^^'EsT  Chriftophe  Colomb  ^  Génois  de  Nation ,  qui,  fur 
n«iue.  ^^^^  la  fin  du  quinzième  fiécle ,  découvrit  les  Indes  Occiden- 
tales j  que  nous  appelions  le  nouveau  monde.  Il  obtint  (a)  de 
Ferdinand  &  Ifabelle ,  Rois  d'Efpagne ,  des  Patentes  d'Ami- 
ral &  de  Viccroi  des  pays  qu'il  découvriroit ,  &  il  partit  en  con- 
féquencc  des  ports  d'Efpagne  (6).  Ils'étoit  appliqué  à  lire  les 
livres  de  voyages  &  à  étudier  l'Aflronomie  &  la  navigation  ,  4fc 
avoit  joint  la  pratique  de  la  navigation  à  la  Théorie.  En  vain  , 
Americ  Vefpuce ,  Florentin ,  compagnon  de  quelques  voyages, 
a  trouvéje  moyen  de  donner  fon  nom  au  nouveau  monde,  à  la 
faveur  d'une  carte  qu'il  en  à  compofé ,  c'eft  à  Colomb  qu'ap- 
partient la  gloire  de  la  découverte  ^  comme  la  gloire  de  la  con- 
quête du  Mexique  faite  dans  le  commencement  du  feiziéme  fié- 
cle (  c)  ,  appartient  à  Fernand  Certes  y  8c  celle  du  Pérou  faite 
prefque  dans  le  même-teras  (  d  ) ,  appartient  à  François  Pizarc^ 

Ca)  En  1493* 
\F\  Le  20  de  Mai  1499. 

(c)  Mexico,  Capitale  du  Mexique ,  fut  pris  en  1 521  ,  &  les  Efpagnols  s'empa^ 
Tcrent  tout  de  fuite  du  reftc  de  TEmpire. 
¥)  En  1535- 


DU     GOUVERNEMENT.       507 
Le  nouveau  monde  fut  donc  découvert  fous  le  rcgne  de  Fer-        iv. 
dinand  &  dlfabelle%  Al  conquis  fous  celui  de  Charles  L  Roi  deuxE^îrespar 

'  les  Efpaflnols* 

d'Efpagne ,  appelle  Charlequint ,  depuis  fon  éleûion  à  l'Em- 
pire d'Allemagne.  La  conquête  de  deux  des  plus  vaftes  Empî-- 
res  de  la  terre ,  rfa  coûté  originairement  aux  Efpagnols  que 
l'expédition  de  deux  Capitaines  y  dont  le  plus  fort  h'avoit  pas 
600  fpldats  fous  fes  drapeaux.  Cortés  fut  favorifé  dans  la  con- 
quête du  Mexique  par  les  armes  à  feu>  dont  Tufage  n'étoit  pas 
alors  connu  aux  Indes ,  par  la  République  de  Tlanala  y  6c  par 
pluOeurs  Caciques  qui  étoient  mécontens  de  Motefuma  ^  lequel 
regnoit  tyranniquement.  Fizare  fut  auŒ  favorifé  dans  la  con- 
quête du  Pérou  ^  &  par  l'avantage  des  armes  à  feu  inconnues  au 
inidi  comme  au  feptentrion  de  l'Amérique  ^  &  par  le  méconten- 
tement où  les  peuples  étoient  du  Gouvernement  tyrannique 
^Atahualpa  ,  dernier  Ynca,  qui  avoir  commis  des  barbaries 
horribles,  en  exterminant  prefque  toute  la*  Race  Royale.  Les 
Efpagnols ,  conquérans  du  nouveau  monde ,  enchérirent  encîbrc 
beaucoup  fur  ces  barbaries.  Las  Cafas^  Préfident  de  Y/4udience 
Royale  j  Evçque  que  Dieu  avoit  fufcité  pour  la  défenfe  des  In- 
diens que  faifoit. périr  l'avarice  de  leurs  vainqueurs ,  repréfentc 
Içs  Efpagnols  fes  compatriotes ,  comme  des  bêtes  féroces  dé- 
chaînées par  le  ToutrPuiffant  dans  fa  colère^  pour  exterminer 
ces  malheureux  peuples.  Ils  ravagèrent  500  lieues  du  plus  beau 
&  du  plus  riche  pays  qu'on  pût  voir  ;  &  (ans  diftinftion  d'al- 
liés &  d'enpemis  y  ils  exercèrent  des  cruautés  qui  feroient  in- 
croyables ,  fi  les  preuves  n'en  avoient  été  dépofées  au  Grfeffe 
du  Fifc  Royal ,  auquel  fMs  Cafas  ne  craint  point  de  renvoyer 
fes  Leâeurs. 

La  découverte  du  nouveau  monde  enrichît  alors  PEfpagne , 
ijili  4  fait  travailler  les  riches  mines  d*or  8c  d'argent  de  Cufco 


^oS  S  C  I  E  N  C  E ,  &c, 

&  du  Potofî  >  ce  qui  a  rendu  ces  précieux  métaux  bien  plus  com^ 
muns  qu  ils  n'étoient  ;  mais  cette  complète  qui  a  augmenté  la 
quantité  d'or  &  d'argent,  a  coûté  à  TEurope  beaucoup  de  cri- 
mes ,  &  la  prive  encore  tous  les  jours  de  bien  des  hommes 
qui  font  les  principales  richeffes  d'un  Etat.  Ceft  un  grand  bien 
que  les  Européens  ayeht  porté  la  lumière  de  TEvangilc  en  Amé- 
tique  ;  mais  on  peut  juftement  douter  fi  la  découverte  du  nou- 
veau monde ,  fource  de  biens  &  de  maux,  qui  a  enrichi  &  dé- 
peuplé TEurope  ,  a  été  utile  ou  pernicieufe  à  la  partie  du  monde 
que  nous  habitons, 
y  J'expliquerai  le  Gouvernement  moderne  de  ces  deux  Empw 

«Sf?unSSl  ^^  y  ^^  expliquant  le  Gouvernement  d'Efpagne  (a). 
fc/pranS',^  Les  Efpagnols  ne  conquirent  dans  le  continent  du  nouveau 
•S^h/eIÎÎo^wI  monde ,  que  les  deux  Empires  que  je  viens  de  dire  y  mais  Té- 
tendue  de  ce  continent ,  &  le  nombre  des  Ifles  qui  le  bordent , 
&  dont  quelques-unes  font  très-confidérables  &  fituées  fous  un 
dimat  heureux ,  attirèrent  bientôt  l'attention  de  prefque  toute» 
les  Puffances  (Je  l'Europe  ^  François ,  Portugais  ^  Angloîs  , 
Hollandois  y  tous  les  Etats  commerçans  y  ont  fait  à^  l'envie  des 
conquêtes.  Ils  y  ont  établi  des  Colonies  qui  font  gouvernée»^ 
fclon  les  Loix  de  leurs  Souverains ,  &  en  foivent  la  Religion^ 
dans  laquelle  ils  tâchent  d'inftruire  les  habi tans  naturels  du  paysr 
Ceft  ce  que  je  dirai  >  en  expliquant  le  Gouvernement  de  char 
que  Nation  de  l'Europe  (&). 

(a)  Voyez  la  féconde  Seftion  du  feptîéme  Chapitre  de  cette  Introdudfioiw 
(h)  Voyez  tout  le  feptiéme  Chapitre  de  cette  Introduâîon*^ 

Fm  duTome  premUr^ 


très 


ACS» 


******^**imminn***^m*^^$u 


TABLE 

DES      MATIERES 
DE  LA  PREMIERE  PARTIE  DE  LINTRODUCTION. 


E  Pages 

MpIRE  m Abiffink.  494 

Achitns ,  leur  confédération,    1 9 1 

Adam ,  fuite  de  fa  défobéifTance.  81 

Agricultun^i^s  ccmmencemens.  ib. 

Agouna  ,  ufage  fingulier  pour. la 
fucceflîon  à  la  couronne.      481 

Droit  iHAtntjft.  46 

Alger  ^  fes  révolutions. 

Ambition ,  fes  effets. 

Amérique^  fa  découverte. 

Le  Confeil  des  Amphryclions. 

Angola ,  Royaume. 

Annibal. 

Commerce  des  Anglois  dans  les  In- 
des 9  ^  470 

ArchiteSure  ,  comment  inventée  : 
fes  progrès.  84 

Tribunal  de  YArtapa^.  %i  9 

Arijlocratit  ^  fon  origine.  509 

Arts  qui  ont  précédé  le  Goirverne- 
ment  civil.  Leurs  avantages.  175 

Athènes^  fon  Gouvernement-  217 
Vicieux.  218 

Autonomie  9  ce  qUe  c'eft*  246 

Autorité  ^  d*oii  émanée»  8 


474 

57 
506 

488 
260 


B 


B 


Alde  9  Gloffateur.         108 

Royaume  de  Bantem.  468 

Bàrthole ,  Gloffateur.  1 08 

Bajiliques  fubflituées  au  Dtoit  de 

^  Jttftinien  en  Orienta  103 


Royaume  de  Benguela ,  489 

Bornes^  ce  que  c'eft,  leur  origine.  50 
Brama ,  Légiilateur  des  Indes ,  par- 
tagea les  Peuples  en  guatre  Ca- 
ftes ,  443.  Ses  loix  générales  & 
particulières.  444 

Brahmanes ,  leur  genre  de  vie  :  fort 
de  leurs  femmes  ,  444  :  rigides 
obfervateurs  des  loix ,  en  quel 
point  ils  exercent  la  charité.  445 


Ang-hi^  dépofe  un  de  fes 
(i\s*  409 

Du  Cap  de  Bonne  Efpérance.  492 
Carthage ,  fa  fondation  ,  248  :  con- 
vertie en  Républione  ,235:  fon 
Sénat  y  fa  police  militaire  ,252: 
ik  guerre  avec  Rome ,  260  :  cau- 
fes  de  fa  deftruôion.  26  x 

Charondas  ,  fes  Loix ,  23  5  :  fa  hiort. 

3.37 

Chine  ^  fon  Gouvernement ,  40  j  : 

fon  ancienneté ,  idem.  Sa  popula- 
tion ,  idem.  Sa  fucceflîon  ,  406. 
De  la  manière  dont  la  Juftice 
eftadminiftrée,  407.  Traitement 
des  Princes  du  fang,  ibid.  le  méri- 
•te  y  eft  diftingué  &  récompenfé 
m&ne  après  la  mort ,  408.  L'Em- 
pereur choifit  parmi  fes  enfens 
celui  qu'il  croit  le  plus  propre  à 
lui  fuccédér,  même  parmi  \ts  fu« 
jets  y  409.  Son  Cottvernement  a 


Çio  '  \    .      'TA 

fon  modèle  dans  Tempire  pater- 
nel,  410  :  l'Empereur  eft  afFeûé 
iingulierement  des  malheurs  pa- 
blics ,  41 1  •  Les  Gouverneurs  des 
Provinces  ipnt  pour  ainfî  dire 
refponfables  des  crimes  (jai  s'y 

-    commettent.4 1  i.Frein  que  trou- 

•  ve  à  la  Chine  la  PuidknceRoyale, 
41 2.  Attention  de  la  part  de  TEm- 
pereur  à  rendre  le  peuple  heu- 
reux, 41 3  :  forces  de  cet  Empire, 
fa  grande  muraille,  414  :  le  nom- 
bre de  fes  habitants ,  &c  (es  reve- 
nus immenfes,  415  :  l'attention 
I>our  la  culture  des  terres ,  417  : 
eur  religion,  4 18.  Quel  de  voit 
être  leur  Roi ,  &  à  quel  point  ta 
vertu  étoit  honorée',  41 1,  Let- 
trés ,  honneiu*  qu'ils  rendent  à 
Confucius ,  415  :  refpeft  des  en- 
fens  pour  leurs  Pères ,  416  :  foh 
Gouvernement  a  bien  dçs  dé- 
fauts ,  434  :  fes  révolutions,  ibid: 
fes  ufages  outrés  à  l'égard  des 
morts,  43  6.  Ca'raûere  de  la  Na- 
tion ,  438  :  leur  prévention  à  l'é- 
gard de  beaucoup  de  chofes,44o. 
Relation  qu'en  font  Us  Hifto- 
riens.  442 

Ciceron ,  le  cas  qu'il  faifoit  de  la  Phi- 
lofophie ,  9  :  fon  fentiment  fur  la 
formation  des  Sociétés.  56 

De  là  Cochinchine,  j^66 

Code  d'Alaric  ôcDigefte,  10 1  :  Gré- 
gorien ,  Hermegenien  &  Theo- 
doûen ,  100  :  de  Juflinien  ,  107. 

Le  Commerce ,  comment  fe  faifoit 
&  fe  fait  aâuellement  1 45 

Confucius  ,  Philofophe  &  Légifla- 
teur ,  414:  fes  maximes  admira- 
blçs.  418 

Çonjp ,  Royaume ,  fes  progrès  con- 
mérables  »  485  :  ferment  du 


BLE 

Roi^  4S'5 

Convenmn^  fon  origtoe,  &  de  com- 
bien d'efpeces.  50 

Corée ,  fon  étendue ,  (on  commerce, 
tributaire  de  la  Chine  ,  leurs 
mœurs,  4^6 

Royaume  de  la  Céte  £0r.       48X 

Couronne ,  ufage  admirable  desPer- 
fes  pour  l'éducation  de  l'héritier 
de  la  Couronne,  451 

Coutume  y  fa  différence  d'avec  les 
Loi;e.  10 

Avantages  du  Crédit.  79 

Crotone.  13  ^ 

D 


D 


Elateurs  ^  leur  punition; 

Démocratie ,  fon  origine.  4 

Diftinâion  des  Domaines.  46 

Des  Donations.  130 

Dracon ,  Légiflateur.  211 

Droit ,  ce  que  c'eft  :  fa  diviûon  , 
fon  caraûere ,  fa  différence,  io« 
Primitif,  44,  Naturel ,  ce  que 
c'eft,  16.  Fondement  de  toutes 
les  loix,  fes  préceptes,  18.  Pu- 
blic ,  ce  que  c'eft ,  18  :  (ur  cmoi 
fondé  :  fes  maximes  générales  » 
30.  Eccléûaftiaque  :  ce  que  c'eft^ 
ai  :  d'oii  il  tire  ion  origine ,  fon 
objet  ^35.  Des  Gens  ,  ce  quQ 
c'eft,  11  :  là  fource,  fon  éten- 
due. 3  % 
Droit  Romain,  91,  François,  106% 
Sur  les  perfonnes  &  fur  les  cho- 
(es.  1 13 
E 


£•< 


Change  ,  facilité  par  l'or  & 

l'argent.  ^  79 

Egypte  ,  Royaume  :  fon  établiffe- 

ment:  fes  çpnquêtes  :  divifé  ^ 


D  E  s    M  A 

détruit,  179.  Quel  en  étoit  le 
gouvernement ,  181.  Jugement 
que  lUbiffoient  les  morts.       183 

Mmpcrcur^rcumt  tous  les  titres,  117. 
Sa  puiflfance.  1 20 

Empires ,  leur  origine  ;  j6.  Quatre 
grands  Empires  divifés  en  plu- 
fieurs  autres.  77 

Engagement ,  ce  que  c'eft  :  il  y  en 
a  de  deux  fortes.  1 14 

Ztat^  faute  de  l'homme  d'Etat,  1 1 1 . 
Dieu  approuve  toutes  les  Con- 
ftitutions  d*Etat ,  quelle  que  foit 
la  religion  qu'on  profefle ,  &  de 
quelque  manière  que  le  Gou- 
vernement ait  été  établi.       390 

Evénemens  des  deux  derniers  fie- 
cles ,  &  de  celui  où  nous  vivons. 

F 

X  OuvoiR  des  Pères  de  Famille , 
61  :  leur  autorité.  63 

France ,  fon  commerce  en  Orient , 
I  jo:  dans  les  Indes.  470 


T  I  E  R  E  S.  yii 

à  cinq  différentes  fituations  de 
l'homme,i4  ;  fon  afiemblage  for« 
me  cinq  fciences  diftinâes  :  fa 
divifion ,  28  :  fon  autorité ,  fes 
avantages ,  51  :  fes  diverfes  for- 
mes 9  197  :  Monarchique .,  A- 
riftocratique  ,  Démocratique  , 
Compofé,  &  Irrégulier,  310. 
Réflitation  de  Topinion  qui  ad- 
met d'autre  forme  de  Gouver- 
nement, 315.  Défauts  de  tous 
les  Gouvernemcns  ,  310.  Du 
Monarchique ,  317.  De  TArifto- 
cratique,  319.  Du  Démocrati- 
que, 3 } I.  Du  Compofé ,  de  Tir- 
régulier  ,  335.  De  la  meilleure 
forme  de  gouvernement ,  339. 
Celui  des  nommes  doit  être  pré- 
féré à  celui  des  femmes ,  377  : 
fon  indivifibilité  eft  auflî  utile 
aux  Etats  que  la  trop  grande  iné- 
galité des  fortunes  particulières 
leur  eft  nuifible.  314 

Grèce ,  République  :  caufes  de  fon 
élévation  &  de  fa  décadence, 

184 

Guinée.  481 


'Jmbra^  rivière  fameufe  :  fur 
fes  rives  font  plufieurs  Royau- 
mes. 478 
Gingiskam ,  Conquérant.         464 
De  Goa ,  &  des  Etabliffemens  que 
les  Portugais  &  les  autres  Na- 
tions Européennes  ont  fait  dans 
les  Indes  Orientales.  470 
Ccuvernemtnt ,  ce  que  c'eft,  i  :  ion 
objet  :  fa  fin  :  tems  oit  il  a  été 
formé  ^  61.  Sa  fcience ,  princi- 
pale branche  de  la  Philofophie , 
9  :  l'objet  des  réflexions  des  plus 
célèbres  Philofophes,  1 3  :  fes  re- 
gles  ont  leur  application  propre 


H 

J  E  U  de  Hegejîlocus.  35c 

Hijioire  des  Etats  :  fon  utilité.  174 
Hollandois ,  ne  commerçoient  d'a- 
bord en  Turquie  que  fous  pavil- 
lon François.  i  ço 
Homme ,  fon  origine^  fa  propaga- 
tion ,  41 ,  44  :  né  pour  la  locié* 
té,  I  :  origine  de  fes  devoirs , 
^ ,  7  :  la  hn  ,  7  :  fes  différens 
ctats,  135»  Difperfion  des  hom- 
mes ,  55  :  libres  &  égaux  ,  3. 
Avantages  de  l'harmonie  entre 
les  hommes.  6 


411  TA 

J 

J  Apon  ^  fondation  de  fon  Em- 
.  pire,  niœurs.  Religion,  fes  ha- 
.  pitans ,  leur  mariage.  193 •  394. 
.  Forces  de  cette. Monarchie.  396. 
Son  Gouvernement.  397.  Du 
Dàiri ,  Puiflance  de  Religion,  & 
du  Cubo-Sama  ^  Souverain  tem- 
porel. '^^^,  Cubù'Sama  eilm^- 
tre  de  toutes  les  forces  &  de 
tous  les  revenus  de  l'Etat.  L'Em- 
pire transféré  à  Jedo.  401.  Pré- 
caution du  CubO'Sama  pour  s'af- 
furer  des  Seigneurs.  401.  La  di- 
vifion  des  Miffionnaires  met  ob- 
flacle  à  la  propagation  de  la  Foi. 
Ibid.  La  Religion  Chrétienne  y 
eft  profçrite  en  1590  &  1657. 
Ibid.  S'il  eft  avantageux  au  Ja- 
pon d'être  fermé  comme  il  eft 
pour  le  commerce.  403 . 

De  rifle  de  Java  oii  eft  le  grand 
établifTement  de  la  République 
de  Hollande.  468 

Jûux^  Olympiques.  1 9 1 

Indiens  ,  leur  morale.  44  6 

InfiUutes.  102 

Introduction  ,  Son  objet.  37 

Jurifprudcncc ,  ce  que  c'eft.  i  x 

Jujliu  ,  ce  que  c'eft.  11.  Quel  en 
eft  le  fondement.  3 1 


K 


K 


OuLiRAM ,  ufurpateur  delà 
Perfe  ,  Vainqueur  du  Mogol , 
qu'il  rend  fon  tributaire.  447.  Sa 
mort.  45^5 

AcspEMONM  y  fesLoix,  101 
Du  Laos.  46Ô 


BLE 

Ugijlauurs ,  anciens ,  facrés ,  pro-r 
fanes.  165 

Liberté ,  ce  que  c'eft ,  340.  Relative 
au  Gouvernement.  348 

X,ivre5  Saints.  175  6*  177.  Inftruc- 
tions  falutaires  qu'ils  renfer^ 
ment.  171.  Les  plus  anciens.  Ib. 

Loi  Royale,  ce  que  c'eft.  m.  Dif- 
férente de  celle  de  l'Etat.      i  li 

Définition  desJLdû:,  elles  contien- 
nent les  rcgles  de  notre  condui* 
te,  8  :  leur  diverfité,  ibid.  leurdi- 
ftinftion,  27.  Comment  fe  déter- 
miner dans  l'oppofition  ÔC  le  li- 
lence  des  Loix ,  26.  Les  plus  cé- 
lèbres ,  88.  Leur  diverfité  occa- 
fionnée  par  les  différentes  incli- 
nations 6c  révolutions.  90.  Hts 
douze  Tables.  89 

Lycurgue.  10 1 

M 


M. 


j4i  NOTES.  117 

Mandarins ,  leur  diftin^on.      408 
Marc-jéntonin ,  fa  Philofophie.       9 
Empire  de  Maroc  ,  fingulierement 
compofé  &  agité.  Ibid. 

Mien  :  diftinâion  du  mien  &  du 
tien  ,475.  néceflaire  pour  ré- 
change des  denrées,  78 
Mexique.                                      40  j 
Mogol ,    fa  fondation.    446.  De 
quelle    race  ies  Rois  font    ti- 
rés. Les  Rageputes  &c  les  Bania- 
nesî  445.  Son  Empire  eft  com- 
pofé de  vingt-trois  Royaumes. 
447.    Ses   richefles.    448.  Son 
Gouvernement.                    449 
Moyfcj  fa  Loi  forme  le  droit  privé 
4c  public  de  la  Nation.         171 
Monarchie^  fon  origine.  4  Le  pre- 
mier des  Gouvernemens  ,  73  : 
préférable  à  tous  les  autres,  3  57  : 
l'héréditaire 


DES    MA 

lliér^dîtaire  à  Péleaive  ,  369  : 

rabfolue  à  la  tempérée.         374 

Nouveau  Monde  ^  (a,  conqaètc.  508 

Monomotapa.  492 

Morale ,  fa  divifion,  1 2 


D 


N 


ISPERSION  des  Nations.     43 

Ifavîgaiion ,  comment  perfeâion- 

née ,  Tes  avantages.  8  5 

Ntmrod^  le  premier  qui  a  fournis  les 

hommes  par  les  armes.  7  2 

Les  NovêlUs.  io> 

O 


T  I  E  R  E  S.  '413 

fous  les  RoiSy  168  :  fous  les  Pon- 
tifes. 170 
Philo fophU ,  fon  objet.  9 
Politique  ,  maîtreffe  de  toutes  les 
Sciences.   13.  Situation  aâuelle 
du  monde  Politique.             1 4 1 
Pouvoir  ,  de  combien  de  fortes , 
298  :  l'arbitraire  y  Tabfolu  ,  le 
tempéré.                             iBid. 
Promtjft  ,  ce  que  c^eft ,  de  com- 
bien de  fortes.-                     1 27 
Puijfancc ,  fes  avantages.            6 1 
Pytagorc.                                  23  2 
R 


o 


BttGATiONSy  cequed*efl, 
de  combien  de  fortes.  125 

Occupation  ,  ce  que  c'efl  ^  fa  divi- 
lion.  47 

Orientaux  y  leur  ufage  fur  leurs 
Chefs.  409 

Ofiraàfmt  y  ce  que  c'eft  y  240 


D 


VPegu.  468 

lies  Pères.  62 

Perfe ,  refpeô  qu'on  rendoît  à  fes 
Rois.  450.L01X  furTingratitude. 
Idem,  l/faee  admirable  pour  l'é- 
ducation de  rhéritier  de  la  Cou- 
ronne. 45.1.  Le  Roi  devoit  avoir 
la  bravoure  en  partage,  451. 
Leur  (àgefle  dans  tes  Jugemens, 
Idem. 
Le  Pérou ,  Maniocapac  fon  fonda- 
teur. 499.  Son  gouvernement, 

504 
Petalifmty  ce  que  c'eft.  62 

Peuple  de  Dieu  ,  -fon  Etat ,  244  ; 
fous  la  Loi  naturelle  des  Patriar- 
ches ,165:  fous  les  Juges  >  167  : 
Tomeï. 


R 


Al  SON  ^  fondement  de  toute 
forte  de  droit.  10 

Religion ,  changemens  qui  y  arri- 
vent, 15/ 

République^  fonori^ne,  75  ;  for- 
mée par  l'abus  des  Monarchies. 

Rjchejfe  :  il  y  en  a  de  deux  fortes.  80 

Origme  des  Rois.  60.  Juges  &  Dé- 
fenfcurs  du  Peuple.  4.  Dans  quel 
fens  Abraham  a  été  appelîé  Roi> 
par  quel  droit  on  parvient  à  l'ê- 
tre. 7Gr 

Royaume  de  Rome\  République; 
Empirfe  ;  "forme  de  Ion  Gou- 
vernement. 268.  Sa  Politique. 
274.  Caufe  de  fa  décadence. 
284.  Ses  avantages  fur  Cartha^ 
ge.  264 

Romulus.  269 

S 

k3  jtGEyfdnczT^iâerey        427 
Les  fept  Sages.  230 

SancHon ,  ce  que  c'eft*  1 20 

Royaume  de  ^«/2«^tf/,  fon  étendue 

480 
Science  y  fes  progrès.  1 5  6^ 

Ttt 


414  TABLEDES 

Scipion.  16 1 

Scipion  Emilien ,  ù\iV africain.  163 

De  Siam^  466-467 

Socictc ,  formation  &  néceflité  des 

Sociétés.  141.  5Ci-56.  L'ordre 

des  ....  fe  manifefte  de  toutes 

parts.  7.  Diverfité  dans  les...  4. 

Communication  univerfelle  des 

caufes  de  la  Société.  5  3 

Souverain ,  Tes  fonôion.  4.  Il  doit 

être  Philofophe.  9.  Ses  vertus. 

430 
Sparte^  fon  Gouvernement.     202 


Amerlan  y  fondateur  de 
l'Empire  des  Mogols.  446 

Tanaric ,  Tributaire  du  Grand  Sei- 
gneur. 465.  RefTemblance  des 
Tartares  avec  les  Scythes  leurs 
ancêtres.  465 

Tefiamtnt ,  ancien  &  nouveau.  171 
Ttflamtnt ,  des  teftamens.  1 3  2 

Théocratie ,  ce  que  c'eft.  167 

Thurium ,  fon  Gouvernement.  23  5 
J^ii  Tonquin.  465 

Traiu  entre  les  Carthaginois  &  les 
Romains.  ik6 

Tribonien  ,  fameux  par  fon  Cocie. 

102 


MATIERES. 

De  Tripoli  fous  la  proteâion  éa 

Grand  Seigneur.  472 

De  Tunis ,  fon  Gouvernement.  Di- 

vifîon  de  cet  Etat.  475 

Tyrannie  eft  aufli  à  craindre  dans 

les   Républiques  que  dans  les 

Monarchies.  3  3  j 


V. 


Jrnier  ou  Indcr ,  Auteur 
du  Droit  en  France.  108 

Kenife  j  Maxtrefle  du  Commerce* 

X  "" 

3  AiNT  François  Xavier  ,  arW 
nonce  l'Evangile  au  Japon ,  &  il 
fonde  une  Eglife  Aoriuante,  41  z 

Xenophon ,  fait  un  grand  éloge  des 
Rois  de  Perfe.  ia< 

y 

Ne  AS  j  leur  Empire.         499 


Eleucus  ,  fes  Loix  ^àmm^ 

blés.  237 

Zoroafire ,  Légiflateur  des  Pcrfes  , 

fes  Livres,  45  2 


Fin  de  la  Table  des  Matières  du  premier  Tomep 


■ 

UBRAHY 

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